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Un Monde Sans Argent : Le Communisme
VI. Au-dela de la politique



LES CONSEILS OUVRIERS

La Commune de Paris avait déjà donné une première idée de ce que pouvait être un gouvernement des travailleurs.

En 1905 les ouvriers russes insurgés élaborèrent la forme du soviet. Cet organe formé de délégués d'usine était au départ destiné à coordonner la lutte. Il se transforma peu à peu en un organisme d'administration tendant à se substituer à l'administration officielle. Une partie, même des forces de la police était passée sous le contrôle du soviet de Pétrograd. Son existence prit fin avec l'arrestation de ses députés par les forces tsaristes.

En 1917 l'on remit ça, avec une participation plus large des soldats. Le coup d'état bolchevique d'octobre 1917 s'est fait au nom du pouvoir des soviets. Il s'est appuyé sur les soviets où les bolcheviks contrôlaient les commissions militaires et avaient conquis la majorité des voix à Pétrograd et à Moscou. Cette victoire était le début de la fin. Avec le reflux de la révolution, la guerre civile, le renforcement du parti et de l'administration bolcheviks les soviets se voyaient progressivement vidés de leur contenu. L'ultime résistance du soviet de la base navale de Cronstadt fut écrasée en 1921 par l'armée rouge dirigée par Trotsky, l'ancien président du soviet de Pétrograd.

Les insurrections prolétariennes du 20e siècle ont régulièrement refait surgir la forme soviétique. A la suite de la première guerre mondiale et de la révolution russe des conseils ouvriers se sont formés en Hongrie, en Allemagne, en Italie. Durant la guerre d'Espagne l'on vit se multiplier des comités d'ouvriers et de paysans. En Hongrie en 1956 les délégués des usines formèrent le conseil ouvrier du grand Budapest. En Pologne en 1971 les ouvriers insurgés des ports de la Baltique s'organisèrent de nouveau sur ce mode.

Le mot conseil recouvre en fait des formes d'organisation assez diverses même si on élimine les organismes de cogestion ou de gestion ouvrières qui n'ont rien de révolutionnaires. Cela va du comité d'usine ou de quartier au soviet qui administre une grande ville ou une région. C'est une erreur que de vouloir opposer ces organismes entre eux pour ne donner le label "conseil ouvrier" qu'à certains d'entre eux.

Nous ne sommes pas pour telle ou telle forme de conseil. Nous sommes pour l'organisation conseilliste de la société. Cela implique et nécessite divers niveaux d'organisation qui se complètent et se soutiennent. Ce qui est mauvais, et ce qui s'est régulièrement passé, c'est qu'un niveau l'emporta.

Le comité d'usine peut être réduit à une simple fonction de contrôle ouvrier ou de pure gestion d'une unité de production. Le manque de soviets proprement dit en Espagne et en Catalogne, malgré la floraison des comités de base, laissa le champs libre à l'état républicain et aux politiciens. D'où le dilemme anarchiste.

Le soviet, coupé de ses bases, peut se transformer en une sorte d'état régional ou de parlement ouvrier. Il cesse d'être un organe agissant et antipolitique pour devenir le champs de bataille des partis politiques.

Ce qui fait le caractère révolutionnaire du conseil ouvrier, ce qui lui donne un contenu antipolitique, c'est d'abord qu'il est directement l'émanation des masses agissantes. Il est formé d'une pyramide de comités qui s'engendrent les uns les autres sans que le sommet puisse se croire indépendant de la base.

Les comités ne sont pas de simples assemblées électorales qui se délégueraient le pouvoir de bas en haut. Chaque niveau rempli des fonctions pratiques. Chaque comité est une communauté agissante. Il délègue au niveau supérieur ce qu'il ne peut régler par lui-même. Il n'abandonne pas sa souveraineté. Les délégués doivent des comptes à leurs mandants, ils sont responsables et révocables.

Le conseil ouvrier ne reproduit pas en son sein les divisions entre les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Il s'occupe d'unifier et de concentrer entre ses mains ces différentes fonctions. Même s'il édicte des règles il agit avant tout en fonction de la situation sans se retrancher derrière un arsenal de lois formelles.

Le conseil ouvrier se constitue en tribunal pour régler les conflits, pour juger, trancher et punir. Cette action se fait en fonction d'une situation concrète. Ce que l'on juge, ce n'est pas la gravité de la faute, ce sont les dommages et risques objectifs pour la révolution et la société.

Le conseil ne voit pas sa légitimité garantie par des élections démocratiques qui en feraient l'oint du peuple. Il n'est pas le représentant des masses. Il est les masses organisées. Les individus et les groupes qui s'occupent de tâches particulières ne sont pas nécessairement élus. Mais quand ils engagent l'ensemble du conseil ils sont responsables devant ses assemblées générales. Le conseil ne prétend pas être l'expression de toute la société par-dessus les conflits qui la traversent. Il est un organe de classe et de lutte. Cela implique un minimum d'accord en son sein. Il ne peut tolérer des divergences qui le paralyseraient.

On peut voir dans le conseil ouvrier une forme ultra-dictatoriale ou ultra-démocratique. Il est à la fois les deux et autre chose. Il est ultra-dictatorial dans le sens où il ne prétend rendre de compte qu'à lui-même et où il foule aux pieds les principes sacro-saints de la division des pouvoirs. Il est ultra-démocratique dans le sens où il permet un débat et une participation des masses jamais atteints avec l'état le plus démocratique.

Surtout le conseil ouvrier n'est plus un organe politique. Il ne sépare plus le citoyen de l'individu social. En cela il est au-delà de la dictature ou de la démocratie qui sont les deux faces de la politique. Même s'il utilise des procédés ou des formes encore démocratiques ou dictatoriaux.

Le conseil n'est ni l'instrument d'une démocratie populaire, ni l'instrument de la dictature du prolétariat. Ces expressions n'arrivent pas à caractériser la phase de rupture entre capitalisme et communisme.

Les conseils ouvriers du passé ont été bien en-dessous, à part quelques rares moments, du programme que nous traçons. Ils ont été gestionnaires, bureaucratiques, tatillons, discutailleurs, incapables d'avoir une perspective en accord avec leur propre nature. Ils en sont morts. Cela ne prouve pas que la forme conseilliste ne vaut rien, mais plutôt qu'elle a été ébauchée sur un terrain encore trop aride.

Eh 1956 le conseil ouvrier du grand Budapest qui administrait l'ensemble de la région réclamait son propre suicide avec le rétablissement de la démocratie parlementaire.

Les conseils ouvriers du passé ont eu néanmoins le mérite d'exister. Ils ont montré la capacité des travailleurs à s'occuper de leurs affaires, à prendre en main et à administrer des usines et des villes. Ils sont liés aux formidables mouvements par lesquels les ouvriers ont mis à bas, au moins provisoirement, bourgeois et bureaucrates. Si on dissimule et déforme ces expériences c'est que l'on ne veut pas que le prolétariat recommence ce qu'il a fait en Catalogne, en Pologne, en Chine se passer de maîtres et s'en bien porter.

La contre-révolution, y compris en Union Soviétique, n'a jamais pu s'en accommoder. Que les conseils fassent preuve de modération est une chose, que la contre-révolution soit modérée à leur égard en est une autre.

Les meilleures manifestations des conseils ouvriers ont eu lieu lors qu'ils ont dû répondre rapidement, clairement et durement à leurs ennemis. Ils sont directement forgés comme l'organisation de la lutte. Leur programme est peut-être limité mais ils le connaissent.

D'autres fois ils s'enlisent dans l'administration, dans l'attente. Leur seule raison d'être semble la vacance du pouvoir bourgeois. L'on voit se développer de magnifiques constructions organisationnelles. Mais cela se fait dans le vide, en dehors des impératifs d'une lutte. L'absence apparente du péril pousse aux pires illusions.

Le conseil apparaît comme la réponse ouvrière au vide laissé par la bourgeoisie plus que comme un niveau d'organisation imposé par la radicalité de la lutte elle-même.

Nous sommes pour les conseils ouvriers. Mais nous sommes contre l'idéologie conseilliste. Cette idéologie ne voit pas dans les conseils un moment de la révolution mais son but. Le socialisme c'est le remplacement du pouvoir de la bourgeoisie par le pouvoir des conseils, de la gestion capitaliste par la gestion ouvrière. L'échec ou la victoire de la révolution sont affaire d'organisation. Là où les léninistes misent tout sur le parti, les conseillistes misent tout sur le conseil.

Les conseils ouvriers seront ce qu'ils feront. Leur seule chance de victoire est d'entreprendre et d'être l'organisation de la communisation.

Pour les communistes la révolution n'est pas une affaire d'organisation. Ce qui détermine la possibilité du communisme c'est un certain niveau de développement des forces productives et de la classe prolétarienne. Il y a des problèmes d'organisation mais on ne peut les poser indépendamment de ce que l'on organise, des tâches que l'on se fixe. Est-ce que les règles d'organisation sont neutres ? Est-ce qu'elles sont de pures questions techniques ? Certainement pas. Leur choix est d'une grande importance. Certaines sont adaptées et favorisent une action communiste. D'autres l'entravent. Mais c'est une grave illusion que de croire que la mise en avant de certaines règles, notamment sur le contrôle des délégués, suffit à éviter la bureaucratisation, le mensonge, la division. Les bureaucrates sont des professionnels de l'organisation en tant qu'organisation séparée. Ils aiment mettre l'accent sur les préalables à l'action, les mécanismes démocratiques, plutôt que sur l'action elle-même. Des règles tatillonnes et inadaptées, même formellement antibureaucratiques, risquent de leur faciliter la tâche.

Pour peu que les conseils se développent et ne puissent plus être liquidés aisément et les pires ennemis de la révolution se prétendront conseillistes pour mieux venir à bout des conseils. Ils essaieront d'en faire le champs clos de leurs magouilles, d'en exclure les révolutionnaires. Contre le communisme les oripeaux du vieux monde n'hésiteront pas à se rebâtiser conseils.

Du caractère souvent peu communiste des conseils du passé ne peut-on déduire que leur temps est révolu ? Toute institutionalisation n'est-elle pas contre-révolutionnaire ?

Nous ne voyons pas dans les conseils ouvriers des institutions. La révolution, qu'elle le veuille ou non, va se retrouver avec sur les bras des problèmes d'administration, de maintien de l'ordre, d'unification de tendances opposées. Il faudra encore gouverner sinon les hommes tout au moins certains hommes. L'on peut estimer que le pillage est une saine réaction à la provocation marchande et à la pénurie. Il peut jouer un rôle bénéfique dans une phase de rupture : défoulement et enfoncement de la marchandise. Mais on ne peut institutionaliser le pillage, en faire le mode normal de distribution communiste des produits. Il est impossible de laisser tous les produits en distribution libre. Il faut organiser, répartir, restreindre. C'est la tâche des conseils.

Au fur et à mesure que la rareté des biens diminuera et que la contre-révolution reculera les conseils perdront leur caractère étatique. Ils ne seront pas supprimés. Ils se fondront dans la vie sociale.

Refuser les conseils par purisme c'est, lorsqu'ils apparaîtront en fonction des besoins réels, se mettre en dehors du processus révolutionnaire. Il vaut mieux participer à leur création, à leur fonctionnes ment, à leur éventuelle dissolution en fonction de la lutte et du rapport de force entre révolution et contre-révolution.

La participation aux conseils ne signifie pas que les révolutionnaires doivent renoncer à agir et à s'organiser de façon autonome. Les conseils sont des organismes de masse. D'où une certaine pesanteur, d'où un rythme de radicalisation plus lent que celui de certaines fractions de la population. L'évolution des conseils sera en partie déterminée par ce qui se fera à côté d'eux.

Ce qu'il faudra combattre et saboter ce sont les conseils corporatistes, les organisations gestionnaires, les groupes néo-syndicaux ou néo-politiques qui voudront confisquer l'organisation de la vie sociale au profit d'une minorité. On ne peut considérer comme un soviet un organe qui préserverait la production marchande, ce constituerait une police, réclamerait le retour des patrons...

Le conseil est nécessaire lorsqu'il s'agit d'administrer un territoire. Il s'évanouit lorsque cette nécessité disparaît provisoirement en fonction d'un certain rapport de force ou définitivement à cause de la consolidation du communisme. Des groupes peuvent en fonction d'une situation révolutionnaire intervenir et communiser des stocks de marchandises sans pouvoir ou sans vouloir prendre en main leur production et leur distribution de façon permanente. Il s'agit de savoir quand on a les moyens de passer de ce type d'action ponctuelle et sauvage à l'administration directe d'une zone. L'avantage est que l'on peut mieux disposer de ses ressources pour nourrir la population ou mener le combat. Le désavantage est que l'on s'érige en cible. A partir du moment où l'on accepte ce risque se pose le problème de l'organisation conseilliste de cette zone. Le problème de la constitution d'un pouvoir révolutionnaire.

Ce pouvoir même s ! il doit chercher la plus large adhésion et participation des masses ne cherche pas à se fonder démocratiquement, par exemple en organisant des élections.

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