SOCIALISME SCIENTIFIQUE
![]() Au 19e siècle l'antagonisme entre la bourgeoisie et le prolétariat passe au premier plan. Le communisme va moins tendre à se réclamer de la raison ou de la philosophie en général. Il veut s'insérer et transformer pratiquement la réalité. La première tendance qui surgit est celle qui veut commencer à créer des îlots communistes et à s'étendre par l'exemple, éventuellement avec l'accord des puissante de ce monde. La deuxième tendance est celle du communisme révolutionnaire et insurrectionnel. En France elle sera associée notamment au nom de Blanqui : "Le Communisme, qui est la Révolution même, doit se garder des allures de l'utopie et ne se séparer jamais de la politique. Il en était dehors naguère. Il s'y trouve en plein coeur aujourd'hui. Elle n'est plus que sa servante... Le jour où le bâillon sortira de la bouche du travail, ce sera pour entrer dans celle du capital." ![]() Blanqui voit le communisme déjà à l'oeuvre, quoique d'une façon un peu trop généreuse à notre avis, dans le monde capitaliste : "L'impôt, le gouvernement lui-même, sont du communisme, de la pire espèce à coup sûr, et cependant d'une nécessité absolu... L'association, au service du capital, devient un fléau tel qu'il ne sera pas longtemps supporté. C'est le privilège de ce glorieux principe de ne pouvoir faire que le bien." ( Le Communisme, avenir de la société; 1869 ) ![]() Le communisme en se liant ouvertement au combat du prolétariat fait un pas décisif. nais il se pervertit aussi. Il cesse progressivement d'être une exigence immédiate. Il devient un projet, une mission, un stade historique coupé du présent. Vidé de son contenu pour les "niveleurs" et les"partageux" il va pouvoir devenir au 20e siècle un habit pour le capital. ![]() Le "socialisme scientifique" a été une façon de rationaliser l'éloignement historique du communisme. Au 19e siècle la classe ouvrière peut agir de façon autonome mais le communisme n'est pas possible. En proposant des biais politiques et des phases de transition, Bray, Marx ou Blanqui ont permis toutes les récupérations. ![]() Ce qui manque au célèbre "Manifeste Communiste", c'est précisément le communisme. On y trouve une apologie de la bourgeoisie, une analyse des luttes de classes, des mesures de transition. Le communisme, on en parle peu et plutôt mal. ![]() Le "Manifeste" a été rédigé pour la "Ligue des Justes" devenue "Ligue des Communistes". Avant l'arrivée de Marx et d'Engels la doctrine de cette association d'artisans et d'ouvriers allemande en immigration était plutôt fumeuse. Weitling, son fondateur et théoricien, était du genre mystique. Marx et Engels font accomplir un progrès incontestable mais provoquent un recul par rapport à une affirmation naïve mais plus positive et même plus juste du communisme. ![]() En juin 1847 le Congrès de la Ligue définit dans l'article I des Statuts ses intentions : "La Ligue a pour but la suppression de l'esclavage des hommes par la diffusion de la théorie ce la communauté des biens et, dès que possible, par son application pratique." ![]() En novembre 1846/février 1847 le Comité directeur écrit aux sections "Vous savez que le communisme est un système selon lequel la Terre doit être le bien commun de tous les hommes, selon lequel chacun doit travailler, "produire", selon ses èapacités, et jouir, "consommer", selon ses forces..." ![]() L'article I des nouveaux Statuts, rédigé par Marx et Engels, met l'accent sur les problèmes de pouvoir et de domination et définit le communisme négativement : "Le but de le Ligue est la chute de la bourgeoisie, la domination du prolétariat, la suppression de l'ancienne société bourgeoise reposant sur les antagonismes de classes, et la fondation d'une nouvelle société sans classes et sans propriété privée." ![]() Dans "Cris de détresse de la jeunesse allemande" ( 1841 ), Weitling définit ainsi son communisme chrétien : "Le problème qu'il ( le Christ ) s'était posé était la fondation d'un empire sur toute la terre, la liberté pour toutes les nations, la communauté des biens et du travail pour tous ceux qui professent l'empire de Dieu. Et voilà précisément ce que les communistes d'aujourd'hui ont adopté de nouveau..." ![]() "Il y a des communistes qui sont tels sans le savoir : l'agriculteur laborieux qui partage son morceau de pain bis avec l'ouvrier affamé, est communiste; l'artisan laborieux qui ne rançonne pas ses ouvriers et qui les paie en proportion du produit de leur travail commua, est communiste; l'homme riche qui emploie son superflu pour le bien de l'humanité souffrante, est communiste.. " ![]() Communisme et charité sont pratiquement confondus. Marx allait réagir avec raison et vigueur contre cette bouillie. Mais dans le "Manifeste Communiste" les communistes ne sont plus définis par leur communisme. Ils sont simplement les plus résolus des prolétaires et ceux qui ont l'avantage d'une intelligence claire de la marche du mouvement prolétarien : les possesseurs de la théorie. ![]() A la fin du 19e siècle et au début du 20e, et cela malgré les colères de Marx contre la social-démocratie, notamment avant le Congrès de Gotha en 1875, le communisme s'est vidé de son contenu véritable. Il ne gardera sa signification profonde que pour une poignée d'anarchistes. ![]() En 1891 Paul Reclus, pour justifier la "reprise individuelle" c'est-à-dire le vol, donne dans "La Révolte" cette courte et bonne définition du communisme : "L'activité de la vie que nous rêvons est également éloignée de ce qu'on nomme aujourd'hui le travail et de ce qu'on nomme le vol : on prendra sans demander et cela ne sera pas le vol, on emploiera ses facultés et son activité et cela ne sera pas le travail..." ![]() Avec la vague révolutionnaire qui suit la première guerre mondiale et dans le sillage de la révolution russe des tendances marxistes et communistes réapparaissent. Il y a des brides de communisme chez les bolcheviks. Brides qui vont rapidement se pervertir et disparaître avec le recul de la révolution mondiale et l'engluement dans les problèmes russes. ![]() C'est avec raison que l'on a dénoncé le rôle contre-révolutionnaire très précoce des bolcheviks, c'est avec raison que l'on a montré le caractère bourgeois de l'oeuvre théorique et pratique de Lénine. Mais il est idiot de vouloir rejeter sur les bolcheviks la responsabilité de l'échec de la révolution ouvrière en Russie. Les bolcheviks sont plutôt un cas précis d'exemple où une poignée d'hommes est arrivée à infléchir le cours de l'histoire à l'extrême des possibilités révolutionnaires. Leurs adversaires, même de gauche, n'ont eu généralement à opposer que des perspectives humanistes et démocratiques. ![]() Le contraste est frappant entre l'ampleur de la vague révolutionnaire et la faiblesse de l'affirmation communiste. ![]() En Allemagne et en Hollande notamment les "gauches" dénoncent dans le régime russe un capitalisme d'Etat. A cela ils opposent un communisme fondé sur la gestion ouvrière. On leur doit d'avoir mis l'accent sur l'action autonome des masses et les conseils ouvriers. Avec le reflux de la révolution ce courant, exprimé notamment par le KAPD., se fragmente en sectes infimes, alors qu'il avait au regrouper des centaines de milliers de travailleurs. ![]() Ce gestionnarisme ouvrier sera utilisé aussi par les anarchistes et les anarcho-syndicalistes. Le communisme est ramené à l'auto-organisation des producteurs. ![]() C'est en Italie que la gauche de Bordiga, qui domine à sa fondation le P.C.I., restaure le mieux la doctrine communiste. Elle se dresse contre la participation aux élections, refuse les fronts communs avec la social-démocratie, critique l'illusion démocratique. Elle met en avant l'abolition du salariat et de l'économie mercantile. Notamment après la deuxième guerre mondiale Bordiga développera son analyse de la contre-révolution capitaliste en Russie et sa conception du communisme. On ne construit pas le communisme, on détruit le mercantilisme. ![]() Malgré sa profondeur le bordiguisme n'arrive pas à se dégager de sa gangue léniniste. Son radicalisme et sa perspicacité se perdent dans les pires impasses. ![]() Après la deuxième guerre mondiale ce n'est que très progressivement que le communisme théorique renaît. La prospérité et la bonne santé du capital ne l'aident pas. Après avoir ressassé, plutôt mal d'ailleurs, son passé, il tente de le dépasser. Il se développe au fur et à mesure que la crise sociale, puis économique, du capital recommence à devenir visible. ![]() Après avoir repris la critique des pays de l'est et de la bureaucratie, les situationnistes élaborent une théorie de la société moderne fondée sur la marchandise et le "spectacle". Ils dénoncent la misère moderne. Si pertinente que puisse être souvent leur analyse, elle reste à la surface des choses. Prisonnière dans son style et son contenu de l'effet de spectacle qu'elle dénonce et qu'elle reflète. ![]() Les situationnistes produisent une brillante et corrosive critique sociale mais non une théorie du capital, de la machinerie qui soutient le spectacle, et de la révolution. Ils n'abordent pas la question de la communisation autrement qu'en applaudissant à la négation immédiate de la marchandise : pillage ou incendie, ou en sombrant dans le conseillisme : Pour le pouvoir absolu des conseils ouvriers auxquels tout est suspendu. Ennemis farouches du bolchevisme, ils font comme lui de la révolution une question d'organisation. ![]() La doctrine communiste doit se centrer sur la description dû futur et surtout du processus de communisation. C'est là-dessus qu'il faut débattre, s'unir ou au contraire se diviser. Il ne s'agit pas de fuir le présent mais de le vivre et de le juger à la lumière du futur. Le communisme est actuel et l'on peut opposer immédiatement ses perspectives à la glu capitaliste. ![]() La contestation, si elle ne débouche pas sur des perspectives positives et montre ainsi son manque de profondeur, devient un moyen de patauger dans la misère sous prétexte de la dénoncer. A la suite des clowns et des chansonniers les idéologues en arrivent à se nourrir de la décomposition même du système. Si on peut tout pardonner à ceux qui font rire, on ne peut rien leur pardonner. Ultime façon de masquer les possibilités gigantesques et inexplorées qui s'ouvrent à l'humanité : Ultime façon d'éteindre l'espoir au coeur des opprimés ! ![]() Au fil du temps l'idée et la lutte communistes ressurgissant sans cesse. Elles ne transforment pourtant au fur et à mesure qu'en récupérant, le capitalisme force au dépassement. Aujourd'hui que le capitalisme a généralisé la propriété publique et le travail concentrationnaire, le communisme est au-delà de l'opposition entre l'appropriation individuelle et collective. Tout ne repose plus sur la question de la propriété. Le communisme n'a plus à osciller entre un naturalisme asocial et un moralisme ou réglementarisme exaspéré. ![]() L'étape marxiste ne doit pas non plus être épargnée. Le communisme fut considéré comme un mode de production succédant au capitalisme. Il est à la fois plus et autre chose qu'une forme sociale. Il est le mouvement, présent au sein du capitalisme qui le refoule, par lequel l'activité humaine brise ses entraves et s'épanouit enfin ! ![]() |