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Un Monde Sans Argent : Le Communisme
IX. Le Devenir Humain



L'ACTIVITÉ COMMUNISTE

Le communisme est d'abord activité. D'abord, parce qu'il surgit au sein du capitalisme avant de pouvoir le renverser. D'abord, parce que dans le monde communiste l'activité humaine et les fonctions vitales ne sont pas prisonnières des formes sociales engendrées. L'organisation des taches n'a plus à se geler en des institutions.

Le communisme jaillit positivement au sein du capitalisme. Mais il s'affirme comme revers de la négation. Le communisme comme activité est à la fois négation et anticipation. Il n'y a pas deux moments successifs. Plus l'activité se dresse contre le capital, plus elle tend à dessiner le communisme; et vice versa.

Il ne s'agit donc absolument pas de construire des îlots de communisme au sein du capitalisme. Si l'activité tend à construire, elle se détruit du point de vue communiste.

Il n'y a pas de besoins communistes qui réclameraient leur satisfaction par-delà le système. Même s'il y a du communisme sous les besoins, lorsqu'ils apparaissent ils ne peuvent se dissocier de leurs possibilités de réalisation, même imaginaires, dans le système. L'incapacité du capitalisme à satisfaire les désirs débouche sur son dépassement et le dépassement des désirs qu'il permet.

Nous ne voyons pas non plus du communisme comme Weitling dans le sens moral ou avec Blanqui dans la montée du glorieux principe de l'association. Si c'est du communisme, c'est du communisme négatif, à ne pas confondre avec du mauvais communisme. C'est la montée du mouvement de dépossession capitaliste.

Dépossédés des instruments de production, privés de pouvoir sur leur travail, séparés les uns des autres, mais confrontés et animant une énorme puissance productive, rassemblée en grande masse, les prolétaires voient le communisme inscrit négativement dans leur situation. Ils n'ont pas, même s'ils sont propriétaires de leur caisse à outils, d'intérêts particuliers à défendre. Leur dénuement fait face à la puissance et à la richesse sociales qu'ils animent. Voilà ce qui fait du prolétariat la classe du communisme. Les prolétaires ne peuvent se réapproprier par morceaux les moyens de production. Il leur faut les mettre en commun.

Mais ce qui est fondamental, ce n'est pas tant, même si les choses sont indissociablement liées, le mouvement de réappropriation et de mise en commun des biens que l'activité nouvelle qui se développe, la réappropriation de la vie, la naissance de nouveaux rapports, le renversement de la relation de domination entre les hommes et les objets.

Certes le communisme, la communauté humaine est un stade du développement historique, un mode de production donné. Les antagonismes qui opposaient les groupes et les intérêts humains disparaissent.

Mais on ne peut comprendre le communisme si l'on en fait un but ou un mouvement finalisé, détaché de l'activité qui le produit. En soumettant l'activité au but, les moyens aux fins, on ne fait que projeter sur l'histoire la domination du capital-marchandise sur l'activité humaine qu'elle emprisonne dans la forme-travail. Le but, le résultat, la forme sociale communistes doivent être considérés comme une nécessité de l'activité cherchant à assurer et à reproduire ses conditions d'existence.

La communauté est dans la société à venir, l'unification de la planète, la fin de la division de l'économie en entreprises, dans une solution globale et sociale. Mais ceux qui ne la voient pas à l'oeuvre dans l'activité spontanée des prolétaires, dans la négation immédiate et particulière des racismes et des mensonges, ne peuvent rien y comprendre.

La relation entre l'activité immédiate et le monde à venir est centrale. L'universalité du communisme est contenue dans la particularité des situations.

Si l'universalité peut jaillir du particulier c'est parce que ce particulier est lui-même le produit de la logique universelle, unifiant et privative du capital.

Ceux qui ne saisissent pas le lien sont obligés de faire appel à un faux universel : le parti ( prolétarien ! ), l'Stat ( prolétarien ! ). ou même le prolétariat mais en tant qu'abstraction ou que représentation. Ce faux universel est lui-même considéré comme recelant le principe actif face à une pâte sociale inerte. L'instrument et son objet. L'esprit transformant ou chevauchant la matière.

La conscience communiste ne se généralise que lorsque la société est ébranlée dans ses fondements. Mais dans la vie qui ressurgit tout est déjà là, y compris la conscience qui cesse d'être le reflet passif de représentations et de situations gelées. La conscience idéologique se transforme en conscience pratique. En cela elle est déjà communiste.

Plus la lutte s'approfondit, plus ceux qui y participent se trouvent nettoyés des préjugés et mesquineries qui les habitaient. Leur conscience se dénoue et c'est un regard neuf et étonné qu'ils posent sur la réalité et l'existence qu'ils mènent.

Cette présence du communisme n'est pas le monopole de la lutte au sens étroit du terme : un heurt net et déclaré entre travail et capital. Elle se manifeste à travers toute la vie sociale et souvent déserte ces luttes ritualisées, figées et ennuyeuses qui n'en sont plus.

La communauté humaine véritable implique toujours une contradiction avec le capital. Elle tend à devenir lutte ouverte ou se voit détruite et récupérée pour devenir une image à coller sur la réalité. L'emprise croissante du capital sur la vie refoule de plus en plus, rend impossible toute humanité, tout amour, toute création et recherche véritable. Les hommes deviennent des carcasses vides qui déambulent sans vie au rythme du capital. La révolte, la réaction doit prendre alors un caractère de plus en plus humain. Cette humanité contradictoire au capital, phase précise du devenir de l'espèce, nous l'appelons communiste. Cette étiquette rente nécessaire tant que ce devenir humain ne peut prétendre représenter et embrasser toutes les manifestations humaines puisqu'elle reste antagoniste au capital.

Le communisme est possible parce que le capital ne peut transformer les hommes en robots. Même s'il robotise leur existence il ne peut se passer de leur humanité. L'activité la plus intégrée et la plus servile se nourrit de participation, de création, de communication, d'initiative même si elles ne peuvent s'épanouir. Le besoin et l'attente du salaire ne suffit pas à faire fonctionner l'ouvrier. Il lui faut d'autres motivations, Il faut qu'il y mette du sien. La forme-travail ne peut pas évacuer le caractère générique, humain de l'activité du travailleur.

Nous avons vu ( ch. IV ) que sous les séparations la vie se perpétue et maintient son unité : Il est impossible de dissocier complètement la production, l'éducation et l'expérimentation. La production, le travail le plus stupide exige une certaine adaptation du travailleur et la capacité de faire face à une situation non programmée. De même, l'éducation la plus abstraite, doit se concrétiser à travers certains "produits", ne serait-ce qu'une copié d'examen. Les nécessités du contrôle fait de l'extérieur retombent sur la production...

Le système de la production s'effondrerait si les travailleurs ne pouvaient plus expérimenter, s'entr'aider, se conseiller. L'organisation hiérarchique du travail ne peut survivre que si ses règles sont bafouées en permanence. Elle impose un cadre indépassable à ces illégalités et à l'activité spontanée des travailleurs pour les empêcher de se développer et de devenir réellement dangereuses et subversives. Lorsqu'une brèche s'ouvre ou qu'un conflit éclate cette activité tente à devenir autonome et à développer sa propre logique.

En luttant le prolétaire se nie immédiatement en tant que salarié, en tant qu'esclave, en tant que robot. Si limitée que puisse être la réapparition de la vie et de l'action, l'oppression capitaliste y est déjà mise en cause dans sen fondements.

Le prolétaire qui n'était plus qu'un rouage recommence à choisir, à s'engager, à prendre des risques. Il retrouve le contrôle de ses gestes. Ses yeux s'ouvrent, son intelligence se dégèle. Le sérieux oppressant, la grisaille qui enserre les hommes dans les bagnes du salariat et l'univers policé et mercantilisé s'effondrent. Tout redevient possible.

La révolte comme recherche de plaisir et d'efficacité se trouve déjà au-delà du travail. Son salaire se trouve directement dans la joie qu'elle éveille et les résultats qu'elle procure.

L'activité sauvage du prolétariat se voit réprimée dès qu'elle dépasse un certain seuil. Plus couramment elle est récupérée et digérée à l'état mort-né. Ainsi non seulement le communisme est le produit du capitalisme mais le capitalisme est le produit du communisme. Si nous insistons sur ce communisme latent ou balbutiant ce n'est pas pour le fétichiser. Il ne peut être lui-même qu'en se dépassant et en s'arrachant à l'orbite capitaliste. Lui reconnaître de l'importance ce n'est nullement s'agenouiller devant une spontanéité qui refuserait de s'organiser, de se discipliner et de devenir offensive.

Le capital récupère conformément à sa nature profonde. Par essence il est un vampire. Il convient donc de ne pas s'étonner devant tel ou tel aspect plus spectaculaire.

Les luttes ouvrières, malgré l'opposition qu'elles ont suscité, ont servi au système à se transformer et à réaliser ses virtualités tout en restant toujours lui-même. Les luttes salariales et politiques, ou à débouchés salarial et politique, ont secoué le système et lui ont permis de se moderniser.

La lutte arrive à être stérilisée à la base. La grève, la manifestation, l'occupation d'usine tendent au baratin. On ne cherche plus à blesser le capital mais à le prévenir d'un malaise, à exprimer un mécontentement. Au summum de l'aliénation la grève n'apparaît même plus comme un moyen de pression mais comme un sacrifice pour ceux qui débrayent. On prouve par l'importance de son sacrifice la gravité de sa protestation. La guerre sociale est remplacée par la parade.



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