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Le mouvement communiste
Deuxième partie : Le Mouvement Communiste 7



LE MOUVEMENT COMMUNISTE

De même que la période qui s'étend, pour l'Europe occidentale, de la fin du Moyen Age au XIXe siècle a été marquée avant tout par le mouvement ascendant du capitalisme, de même l'époque amorcée par la Première guerre mondiale est caractérisée par la poussée du mouvement communiste. Cela ne signifie pas que, selon leur nature propre, le mouvement du capital et le mouvement du communisme aient progressivement imposé leur loi et supplanté les rapports sociaux qui leur font obstacle. Au contraire, la force du vieux monde est telle que, dans un cas comme dans l'autre, non seulement la lutte est longue et difficile, mais surtout elle connaît des phases successives de victoire et de défaite, d'attaque et de recul. L'histoire procède par discontinuité. Il n'y a pas de progression linéaire continue vers le triomphe du nouveau mouvement social : tentatives révolutionnaires et réactions contre-révolutionnaires se succèdent et leur alternance conduit inévitablement une fraction importante du mouvement à douter de l'issue finale du combat. [128]  Le mouvement est bien loin de pouvoir dominer la société dont il est issu. Il paraît condamné à n'en rester qu'un aspect, élément certes non négligeable, mais incapable de réaliser les grandes ambitions qu'il avait semblé manifester au départ. En réalité, son importance va croissante, dans la mesure où peu à peu tout ce que fait son ennemi -- le vieux monde -- tend à être déterminé par lui, à s'organiser par rapport à lui, contre lui. Ainsi les hésitations et les efforts de changement dans la seconde moitié du XVIIIe siècle en France furent en fait imposés par la montée de la bourgeoisie à un système monarchique et féodal périmé et incapable de s'adapter. De même, la révolte nobiliaire, la veille de 1789. [129]  A ceci près qu'il ne saurait exister d' «  enclaves  » communistes au sein du capitalisme, tandis que les rapports de production capitalistes préexistaient à la révolution bourgeoise, le mouvement communiste présente la même caractéristique. [130]  

Au fur et à mesure de la croissance du capitalisme, de son extension géographique à la totalité du monde, et de son développement dans les pays hautement industrialisés, le communisme grandit dans les entrailles du capitalisme : c'est-à-dire qu'il s'affirme à la fois comme mouvement  « économique  » dévalorisant le capital et provoquant les crises périodiques; et comme mouvement «  politique  » dans des luttes où il tente de renverser l'Etat du capital et d'instaurer son pouvoir. Ces deux mouvements peuvent apparaître indépendants l'un de l'autre. Le premier semblera mettre en avant sa nature «  économique  », le second affirmer sa vocation «  politique  » ( sur le rapport entre la forme politique du mouvement et son contenu social, voir Troisième partie au début du paragraphe «  Révolutions  ». En fait, ils participent tous deux du mouvement communiste, mouvement avant tout social parce qu'il s'efforce d'instaurer de nouveaux rapports sociaux adaptés à l'évolution économique et sociale. Le capitalisme, devenu périmé et néfaste du strict point de vue économique, se présente alors comme une gigantesque organisation anticommuniste. [131]  Tous les événements majeurs de l'histoire du monde depuis 1914 ont visé la liquidation de la menace communiste. Non seulement les guerres et les crises ont eu un caractère antiprolétarien nettement accusé, à la fois parce qu'elles détruisent les organisations prolétariennes en tant que telles, et parce qu'elles le détruisent lui-même physiquement. [132]  Mais surtout les crises et les secousses périodiques n'ont plus seulement pour but de régénérer le capital, mais surtout de revenir en arrière, [133] de liquider des masses de forces productives parce qu'elles rendent inutile la perpétuation du capital et du salariat. Le malheur pour le capital, c'est que chaque crise, chaque guerre aboutit à moderniser encore davantage la société et la production : et le malheur pour l'humanité, c'est que le capital est par conséquent obligé de susciter des dévastations chaque fois plus catastrophiques. Par là, le capital reconnaît lui-même que le communisme est devenu le fait majeur de l'évolution actuelle de l'humanité.

Le mouvement communiste est unitaire : il présente dès le début la même revendication, le même programme fondamental. En même temps le mouvement, non seulement s'approfondit, mais affronte et distingue de plus en plus clairement ses ennemis. [134]  On peut d'une certaine façon se représenter le mouvement du prolétariat comme l'évolution ( physique ) d'un être humain. L'enfant possède toutes les données, tous les traits physiques développés ultérieurement par l'adulte. En même temps, il les précise peu à peu, et ses traits se dégagent progressivement de l'enfance pour se fixer à sa maturité. De même, le prolétariat est un. Il n'évolue que dans la mesure où il renforce ses traits. Il ne change que dans la mesure où il se confirme dans son être. Il devient lui-même et ne se métamorphose pas en un autre.

La même comparaison peut être appliquée à la doctrine, à la théorie du communisme. Celle-ci contient dès le départ les éléments essentiels qui la composent. Mais elle les précise peu à peu, à mesure que les tâches de la révolution sont de plus en plus imposées par le capitalisme. C'est pourquoi il n'y a aucune révision fondamentale à effectuer. La théorie du capital est donnée dès le milieu du XIXe, siècle avec l'analyse de la plus-value. Mais c'est également pour cette raison qu'il n'y a pas à craindre de développer la théorie, de préciser, d'unifier, de synthétiser toujours davantage en mettant progressivement le programme communiste dans toute sa lumière. Le programme existe si l'on veut dès 1848, mais en fait il ne peut se présenter dans toute sa profondeur et dans sa dimension totalement communiste qu'à une époque où la contradiction du capital est suffisamment explosive pour laisser pleinement apercevoir le contenu social de la révolution communiste. [135]  

L'humanité en général ne pose que les problèmes qu'elle peut résoudre. [136]  De même, le mouvement communiste ne peut qu'élaborer au fur et à mesure de son évolution un programme dont le fondement est cependant présent dès son apparition. Comme le montre Marx en 1844 à propos des émeutes des tisserands silésiens, [137] dès que naît le prolétariat naissent également ses revendications essentielles. [138]  Mais elles sont au départ négatives : le prolétariat sait ( par sa conscience pratique, en acte ) à quoi il doit s'attaquer, ce qu'il doit détruire mais il ne discerne pas encore, ni dans sa pratique, ni dans sa théorie, les caractères du monde nouveau qu'il bâtira. Ce monde est alors impossible parce que le capital n'en a pas encore posé les bases. Avec le développement du capitalisme apparaît le côté positif du programme : et lorsqu'on entre dans la phase où la contradiction devient explosive, la nature du programme apparaît dans sa totalité.




[128]  En outre certains moments de succès ne sont pas «  la  » révolution, mais seulement le moyen d'accéder à un stade de développement permettant le communisme. Ainsi la Commune ne supprimait pas, si elle triomphait, la lutte des classes ( Marx, La guerre civile en France, 1871, Ed. nouvelle accompagnée des travaux préparatoires de Marx, Ed. Sociales, 1968.,, p. 216 ).

[129]  G. Lefebvre, La Révolution française, P.U.F., 1951, Livre II, chapitres I et II.

[130]  Sur la révolution de 1789 et le mouvement ouvrier français, cf. Invariance, no. 10.

[131]  Lénine, Theses sur la démocratie bourgeoise et la dictature du prolétariat ( 1919 ), dans Thèses, manifestes et résolutions des quatre premiers congrès de l'I.C., Maspéro, 1969 ( fac-similé ), pp. 6 suiv.

[132]  Thèses de la gauche communiste, ( 1945 ), Invariance, no. 9, pp. 31-43.

[133]  Voir les données fournies par Mandel, Traité d'économie marxiste, U.G.E., t. IV, 1969, t.II, pp. 273 suiv.

[134]  Luxembourg, Mehring, L'expérience belge, Spartacus, série B, no. 30, et l'importante préface de P. Guillaume.

[135]  Bordiga, Le marxisme des bègues, La Vieille Taupe, 1971. Mais Bordiga ne voit pas -- ou mal -- que Marx souhaitait que l'on prolonge son travail, sans se contenter de le répéter : cf. la lettre de Marx à Kugelmann, 28 décembre 1862, Marx, Engels, Lettres sur «  Le Capital  » , Présentées et annotées par G. Badia, Ed. Sociales, 1964., p. 130.

[136]  Marx, Engels, L'idéologie allemande, Présentée et annotée par G. Badia, Ed. Sociales, 1968., pp. 52-53.

[137]  Gloses marginales critiques à l'article , Le roi de Prusse et la réforme, dans Marx, Engels, Textes ( 1842-1847 ), Spartacus, 1970., pp. 84 suiv.

[138]  En 1845, Marx et Engels affirment : «  Le parti communiste... ex réellement en France, avec sa production théorique.  » ( Marx, Engels, L'idéologie allemande, Présentée et annotée par G. Badia, Ed. Sociales, 1968., p. 513. )



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