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le roman de nos origines
compréhension de la contre révolution et reprise révolutionnaire

 

Vers une reprise révolutionnaire ?
Entre la fin de l'assaut révolutionnaire consécutif à la guerre de 1914-1918 et le milieu des années 60, le prolétariat avait progressivement cessé d'exister en tant que force sociale dans chacun des pays où il s'était manifesté, à partir de 1921 en Allemagne, après 1926 en Chine, après 1937 en Espagne, mais il n'avait pas pour autant disparu.
La classe ouvrière continua à agir entre autres dans les pays coloniaux mais souvent comme remplaçant ou comme appui d'une bourgeoisie nationale débile. Ce rôle, quoique déterminant dans sa transformation en objet du capital, n'étouffait pas entièrement un état de rébellion endémique. L'Afrique noire connut des grèves imposantes après 1945 : cheminots d'A.O.F. en 1947-1948, grève générale à Dakar et Conakry en 1953. En Guinée, au Mali, en Côte-d'Ivoire, s'opère une osmose entre les syndicats et les partis bourgeois démocratiques indigènes. Et après que ces États ont obtenu l'indépendance, les partis uniques qui gouvernent ont du mal à contrôler les tendances à l'insubordination (grande grève des dockers au Ghana en 1961).
Aux États-Unis malgré la clause antigrève, en Allemagne sous le nazisme, dans les pays de l'Est sous le stalinisme, une fraction rebelle des prolétaires continue de se manifester.
La grève générale chez Fiat en 1942 et les grèves nombreuses en mars 1943 en Italie sont détournées d'un sens prolétarien et réorientées par la bourgeoisie et l'État dans le sens d'un retour à la démocratie (volte-face anti-fasciste et pro-alliée du 25 juillet 1943). Le nazisme n'empêche pas non plus des grèves importantes à la fin de 1941 et en 1942 en Allemagne. A tel point que la renaissance de la gauche « italienne » se construit sur l'idée de la renaissance d'un mouvement. (Rappelons que même le groupe publiant Bilan puis Octobre se demandait à la veille de 1939 si la révolution n'était pas possible, et théorisait même à partir de sa probabilité.)
Aussi, dès avant la fin du conflit un débat s'instaure-t-il dans le mouvement révolutionnaire pour savoir si une issue révolutionnaire est possible. Munis n'en exclut pas l'éventualité. Bordiga n'y croyait pas. En effet, les pays vainqueurs -- y compris l'Italie -- ont été trop gagnés par la démocratie pour que cette dernière ne parvienne à absorber les tensions sociales qui règnent un peu partout. En Allemagne, l'existence de millions de soldats démobilisés, d'étrangers de toutes origines, d'anciens prisonniers, à un moment où l'État s'est effondré, crée une situation de troubles. Mais les différents groupes en présence, quoique potentiellement révolutionnaires, ne possèdent pas chacun la cohésion suffisante pour s'affirmer et chercher autre chose que la survie. Les exclus de la production, marginalisés, se montrent incapables d'agir; ceux qui y sont intégrés revendiquent son maintien, sa démocratisation, et veulent être reconnus. La relative passivité ouvrière s'explique aussi par la répression qu'exercent les milices patronales. Le rôle de la « police industrielle » ne déclinera que lorsque le capital pourra s'associer les ouvriers, vers 1950. Jusque-là, elle restera nécessaire pour prévenir ou réprimer les émeutes de la faim (1947) ou les grèves générales contre la réforme monétaire (1948).
« [...] une autonomie ouvrière fragmentaire s'épuisait, dans les mois décisifs de l'après-guerre, à résoudre les problèmes d'existence les plus importants de la classe et, loin derrière, un réformisme ouvrier impuissant, mais pourtant assez fort pour reprendre le contrôle au bon moment de toutes les tentatives embryonnaires, se proposait de construire un pouvoir ouvrier antagonique. » (K. Roth, L'autre mouvement ouvrier en Allemagne. 1945-1978, Ed. Bourgois, 1979, p. 21)
Après 1947, on assiste au Japon à des luttes très dures; des grèves de plusieurs semaines aboutissent a l'interdiction de la grève dans les services publics (1948), au licenciement de 30% du personnel chez Toyota (1950) et à des licenciements massifs chez Nissan (1953).
La force du capital tient autant à la violence militaire ou policière, qu'à sa dynamique économique. En Allemagne fédérale, l'introduction massive de chaînes et l'embauche aussi massive d'O.S. pour les servir entraîne l'élimination progressive des Ouvriers Professionnels, et la marginalisation du PC (KPD), qui finit par être interdit en 1956, et ne reparaîtra qu'en 1969 sous le nom de DKP. La bourgeoisie allemande investit justement là où le PC était fort, dans les mines, dans la sidérurgie, afin de créer « un nouveau type d'ouvrier "dépolitisé" et dominé par les machines » (Roth), grâce à l'afflux des réfugiés d'Allemagne de l'Est, et recrée ainsi la division entre Allemands et étrangers, entretenue entre 1942 et 1944. Quand les réfugiés revendiquent à leur tour (1956-1957), le capital commence à importer des ouvriers d'Europe du Sud, qui seront déjà un million en 1961.
On constate donc la permanence d'une résistance ouvrière au capital et à la généralisation de l'OST. En 1946, près de trois millions d'ouvriers américains font grève contre la baisse des salaires réels, mais les syndicats dominent la grève. En 1959, 600 000 sidérurgistes américains restent 116 jours en grève pour que le syndicat conserve un droit de regard sur les méthodes de production, et obtiennent une victoire sur le papier. Mais tout cela n'empêche pas la croissance, qui est encore dans une phase ascendante, de digérer ces mouvements. Dès le milieu des années 60, en revanche, commence une baisse de la rentabilité industrielle, analysée aujourd'hui dans une optique quasi « marxiste » par les experts de l'économie.
Le capitalisme -- transformation du travail en marchandise -- domine toute la société quand il intègre dans son cycle les conditions de reproduction de la force de travail, c'est-à-dire quand il transforme toute la vie en marchandise. Mais cette domination se heurte à un obstacle qui tient au fait qu'on ne reproduit pas l'être humain, même prolétarisé, comme des objets en série. De plus, l'OST, qui parcellarise le travail, entre en contradiction avec la continuité indispensable au processus productif.
Enfin, la résistance ouvrière entraîne aussi une diminution de la rentabilité. En Italie, certaines grèves de 1960 annoncent 1969 par une remise en cause, non seulement des conditions de travail et de salaire, mais du « régime de l'usine lui-même » (Grisoni, Portelli, Les luttes ouvrières en Italie de 1960 à 1976, Aubier-Montaigne, 1976, p. 70), et la tenue de grandes assemblées au sein de l'usine. La grève des électromécaniciens (1960) mobilise des quartiers entiers, et les étudiants rejoignent les ouvriers. En 1962, la grève chez Lancia déborde aussi de l'entreprise vers la ville. Dans le triangle Milan-Gênes-Turin, les immigrés du Sud, moins encadrés par les syndicats, le PC et le PS que la classe ouvrière du Nord, vont être le fer de lance des grèves du miracle économique. Ces grèves culminent en 1962, à Turin, où les ouvriers se battent pendant trois jours contre la police et détruisent le siège de l'UIL, syndicat comparable à FO. En Allemagne fédérale, les années 1966-1967 marquent un tournant dans l'attitude capitaliste, non seulement vis-à-vis des immigrés (300 000 d'entre eux sont expulsés) mais du travail en général. Le capital impose désormais des normes à ceux des ouvriers qui échappaient aux taches les plus contraignantes ainsi qu'aux employés, grâce a l'introduction de la cybernétique et de l'informatique. Couche salariée en expansion, les postiers, soumis à une mécanisation accélérée du travail, lancent des grèves, mal maîtrisées par les syndicats, aux États-Unis et au Canada (1970), en Grande-Bretagne (1971), et en France (1974). En Allemagne, les étudiants s'agitent en 1966-1967, et sont bientôt suivis par les ouvriers, qui feront massivement grève en 1969. En France, les grèves des six mois qui précèdent mai 68, et surtout l'émeute ouvrière de Caen, sont le signe d'un début de rébellion chez les O.S., et marquant la rupture, encore superficielle, du consensus. La jeunesse universitaire constate que son avenir de cadre n'est pas aussi séduisant qu'on le lui promettait; la jeunesse ouvrière n'acceptait plus la discipline du travail posté aussi facilement que ses aînés mieux intégrés dans le capital. Le cycle économique (premiers grippages de la croissance) se combine à un cycle des générations.
Aux États-Unis, par exemple, les jeunes des années 30 et 40, syndiqués au CIO, sont les « intégrés » de 1950-1960, qui défendent leurs privilèges, grâce aux structures syndicales américaines (closed shop, union shop), faisant le jeu patronal de la division. Le mouvement des années 60 naît en partie en dehors d'eux et contre eux, d'une dégradation des conditions de vie de certaines fractions de la classe ouvrière (femmes, minorités ethniques, jeunes), alors que le « niveau de vie » des ouvriers blancs, d'âge mûr et de sexe masculin, continue à s'élever. Après 1950, le syndicalisme ouvrier américain commence à décliner, les nouveaux ouvriers se syndiquant peu, et toute une partie de la classe ouvrière voit ses conditions d'emploi, de santé, etc., se détériorer.
La fin des années 60 marque donc bien un changement. La rébellion se radicalise plus vite, à la fois parce que le capital est encore dans une phase ascendante, et que cette ascension est perturbée par des ratés. Les premières restrictions de ce qu'offre le capital amènent à critiquer justement ce qu'il offre et non, comme en période de récession prolongée, à exiger qu'il continue à offrir, en mieux si possible, la même chose qu'avant.
La bourgeoisie va riposter par des réajustements politiques. En 1969, l'Allemagne voit l'arrivée au pouvoir de la coalition SPD-libéraux, la légalisation du PC, souhaitée par une fraction du patronat, et la mise au rancart des milices d'usine créées au lendemain de la guerre, et qui comptaient 60 000 hommes. Le projet d'auto-milice d'entreprise, organisation de masse regroupant la majorité silencieuse contre la minorité radicale, est abandonné. Les socialistes au pouvoir se chargent de renforcer l'appareil policier et d'introduire une législation d'exception (interdictions professionnelles). Mais l'existence d'une solution de rechange politique -- la gauche -- n'implique pas que cette dernière doive automatiquement venir au pouvoir dès qu'il y a crise. En France, par exemple, un gouvernement de gauche qui se serait maintenu sans interruption depuis 1968 ou même 1974 se serait usé. Pour rester crédible et jouer son rôle, la gauche doit demeurer un espoir, réalisé de temps en temps, mais pas trop souvent. C'est ce qui se produit en France en 1967, où la droite ne remporte les élections législatives que d'une voix de majorité.
Le rapport de force évoluant en faveur des ouvriers, la répression, les licenciements, le chômage même, ne suffisant pas à les discipliner, il faut trouver autre chose, retourner contre les ouvriers leur aspiration à ne plus être des pions, à dire leur mot. A un bout, c'est la politique contractuelle, la démarche unitaire syndicale. A l'autre, c'est la dérive à gauche (parfois gauchiste) des syndicats, l'idéologie autogestionnaire.
A la fois effet et cause de la chronique insubordination ouvrière, la réorganisation industrielle conduit à séparer une couche d'exécutants, dépourvus de la compréhension du procès de travail, d'une couche de surveillants maîtrisant mieux la marche de l'ensemble de l'entreprise, et reformant (c'est du moins l'espoir du patronat) une nouvelle aristocratie ouvrière. Mais les patrons ne parviennent pas à faire des syndicats des « associations de chefs de services, de préparateurs, de chronométreurs, de contremaîtres disposant d'un certain appui chez les ouvriers requalifiés [...] » (Roth, p. 121) D'ailleurs serait-ce souhaitable ? Il serait dangereux pour le capital d'exclure systématiquement les salariés défavorisés de toute forme de représentation.
Quoi qu'il en soit, cette réorganisation ne permettra pas de prévenir les conflits. Alors qu'en 1969, en Allemagne, les cadres et les ouvriers qualifiés avaient pris la tête du mouvement au bout de deux jours, lors des grèves de 1973, les O.S., qui demandaient entre autre des augmentations non hiérarchisées, resteront autonomes et iront jusqu'à former des comités de grève non syndicaux; ce qui n'empêchera pas le patronat de contrer ces grèves efficacement. Le centre de gravité de la classe se déplace. Chez Ford-Allemagne, grand mouvement, grand échec : la direction doit écraser une grève qui va trop loin. Les ouvriers n'ont pas la force (la volonté, le besoin) d'aller au-delà de la grève, même lorsqu'elle est très dure. On se heurte ici à l'éternel problème : une usine occupée est un point vulnérable même si l'on s'y retranche comme dans un bastion car l'État peut toujours concentrer des forces supérieures. Si les grévistes veulent sortir du quartier ou de l'entreprise qu'ils maîtrisent, ils se font arrêter ou refouler. Comment donc éviter le repli forcé sur le lieu de travail sinon en faisant autre chose, en allant au-delà du simple arrêt et refus du travail ? Comme disait le président du Conseil d'entreprise de Ford-Allemagne en 1973 : « Il n'y a pas de place ici pour des améliorations, ou on la ferme ou on fait la révolution. »
A partir de la fin de la prospérité triomphante, les couches salariées défavorisées (ouvriers de fraîche date, jeunes peu qualifiés, immigrés, femmes sous-payées) mènent des actions dures. Les premiers cas se produisent en 1967-1968 (automobile, en France) et les exemples vont ensuite se multiplier (postiers, intérimaires en Italie, etc.). Ces luttes se distinguent des actions « de crise » liées à l'emploi, comme en France chez LIP ou dans la métallurgie. Elles conservent en effet des traits revendicatifs classiques : hausse uniforme des salaires, allongement des congés, rattrapage du retard par rapport aux autres couches de salariés (retard qui était une des conditions de la croissance). Elles ne sont pas forcément anti-syndicales -- 1968 fut parfois l'occasion d'implanter le syndicat dans des entreprises archaïques.
En France, cette lutte de nouveaux salaries éclate souvent dans des entreprises excentriques, loin des grandes villes et des forteresses ouvrières comme Renault -- qui sont aussi des prisons, même sans mur d'enceinte ni barrière. Le capital croyait n'avoir rien a craindre d'un personnel docile dans des entreprises créées lors de la décentralisation industrielle des années 60, et qui avaient permis de combattre la résistance de l'Ouvrier Professionnel à l'OST, c'est-à-dire de faire éclater les banlieues rouges en implantant des usines « différentes » à la campagne. L'usine s'était installée comme une école neuve, et les anciens paysans, les femmes, les jeunes y étaient allés jouer leur rôle sous la houlette paternelle d'un patron devenu « chef d'entreprise ». Ces salariés avaient commencé par revendiquer ce que les patrons accordent « normalement » aux prolétaires. Et leur protestation finit par les conduire à remettre en cause non seulement leurs conditions de salaire et de travail mais aussi ceux qui gèrent (patrons), défendent (police) et aménagent (syndicats) ces conditions. Mai 68 sera la prise de conscience vague du fait que toutes ces forces conservatrices vivent de l'ordre établi et ont besoin de son maintien. Contre elles, ou plutôt malgré elles, « mai » n'imaginera qu'une auto-gestion généralisée, dont on parlera sans l'amorcer. Mais le mouvement apparu vers 1965 est assez puissant pour ne pas s'épuiser dans les limites d'un mai 68.
Aux États-Unis, il y a confluence d'un refus étudiant (de la guerre du Vietnam), d'un ample mouvement d'O.S., et d'émeutes (depuis Watts en 1965) mettant en question non les rapports de production mais les rapports de distribution, non le capital dans sa totalité mais la forme marchande qu'il imprime à la vie. La « reprise révolutionnaire » de la fin des années 60 se signale par la convergence mais non l'interpénétration ni la fusion d'actions nées dans la production avec celles portant sur l'échange marchand. Comme système social, le salariat moderne synthétise l'acte productif dans l'entreprise et la « libre » disposition de l'argent qu'on y gagne hors de l'entreprise. Tant que la remise en cause porte seulement sur l'une ou l'autre de ces sphères (travail/extra-travail), le système salarial conserve son unité et sa force.
Une erreur de perspective, due à la poussée du nationalisme noir aux États-Unis (anti-révolutionnaire comme tout nationalisme), a fait croire à l'existence d'un mouvement ouvrier noir spécifique, plus radical. En fait, la révolte prolétarienne américaine ne fut pas plus virulente chez les ouvriers noirs que chez les blancs. Le conservatisme ouvrier, qui existe par exemple dans le bâtiment, n'est pas pire aux États-Unis qu'en France. Il n'y eut pas plus d'ouvriers américains à soutenir Nixon contre le Viet Cong que d'ouvriers français derrière leurs gouvernements successifs pendant la guerre d'Algérie.
Les événements de Lordstown (Ohio) sont à la charnière de deux époques. A la fin des années 60, c'est l'une des dernières grandes applications du fordisme. Pour produire la Vega, General Motors attire les jeunes (l'âge moyen est de 26 ans), accroît la productivité, augmente la proportion d'O.S., déqualifie tout en offrant plus d'argent (comme Ford 40 ans plus tôt), mais introduit aussi la robotisation. En 1970, il est le premier constructeur automobile à installer des chaînes robotisées avec engins Unimation (premier fabricant américain de robots). Les autres firmes attendront le milieu des années 70 pour l'imiter (Renault en 1979 seulement). La cadence de production y est alors le double de la moyenne mondiale (100 véhicules à l'heure au lieu de 50). Conçu pour contrecarrer la rébellion passive et active des jeunes, ce système entraîne un absentéisme redoublé et un sabotage larvé. Le capital a voulu rehausser les cadences sans proposer tellement mieux aux salariés que ce qu'il leur donne depuis longtemps : la consommation de masse ne compense plus l'aliénation du travail comme en 1920 ou 1930, sa nouveauté s'épuise. La révolte endémique n'empêche pas le syndicat de mener et de saboter la grève de 1972, sans doute le « premier grand conflit antirobotique aux E.-U. » (Le Quément, p. 197), avec celui des dockers de la côte Ouest contre la containeurisation (1971-1972). Le conflit de Lordstown se solde par 800 mises à pied, mais il montre surtout à la bourgeoisie que la robotisation doit s'installer progressivement sous peine de faire rebondir la contestation (déjà latente et parfois explosive) du travail industriel. On fera donc coexister chaînes automatisées et chaînes d'assemblage classiques.
Le mouvement anti-guerre américain, pacifiste dans son ensemble, va jouer néanmoins un rôle subversif en s'opposant à l'État et à l'armée en guerre. C'est la critique d'un monde ascendant qui entre en crise (nous ne disons pas décadence). Est-ce un hasard si c'est en 1965 que les États-Unis envoient 500 000 soldats occuper le Vietnam du Sud (pas même y faire la guerre : peu combattirent le Viet Cong et les troupes du Nord) ? Un tel corps expéditionnaire, dont les experts dirent dès le début qu'il était inefficace, est bien le produit typique d'un capitalisme occidental trop sûr de lui, confiant dans son modèle industriel comme dans la supériorité de la forme de guerre qu'il mène par rapport à celle de « sous-développés ». Le refus de la guerre par une bonne partie de la jeunesse américaine attaquait le fondement même de la civilisation marchande et étatique contemporaine. Du même mouvement, le pacifisme américain accusait l'État et le capital d'occuper tout le terrain, de ne pas accorder assez d'autonomie et d'espace social aux « gens ». Socialisme ou Barbarie, dont le dernier numéro parut en 1965, était, là encore, une expression adéquate de cette quête réelle d'un monde nouveau, même si elle ne s'en prenait pas aux racines de l'ancien.

 

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