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le roman de nos origines
histoire et petite histoire des quinze dernières années

 

L'automne de la Guerre sociale
1980, en France : une stratégie de la tension visant la « communauté » juive est à l'oeuvre. Ce qui a commencé par des mitraillages nocturnes de synagogues et d'écoles culmine avec l'attentat de la rue Copernic. État israélien, État arabe, politique française, jusqu'au-boutistes palestiniens, quelles qu'aient été les forces à l'origine de ces actes, il est clair que, comme plus tard lors de la guerre du Liban, elles visaient à obtenir une cristallisation défensive de la communauté juive, que les appareils politiques et les idéologues de tous poils s'employèrent à manipuler. Après l'attentat, une grande manifestation d'Union Sacrée eut lieu. Contre la résurgence d'une mythique barbarie néo-nazie défilèrent bien des gens qui avaient défendu d'autres barbaries, partisans du stalinisme d'hier et d'aujourd'hui, anciens membres de gouvernements qui ont couvert la torture en Algérie, défenseurs d'un sionisme qui avant d'avoir possédé un Etat tortureur de Palestiniens, avait été un mouvement terroriste qui massacra bien des victimes « innocentes ».
Au mois de septembre 1980, à l'initiative de la GS, un tract, « Notre royaume est une prison » fut publié, signé de divers groupes ultra-gauche et diffusé largement, notamment à la manifestation après Copernic. Ce tract dénonçant l'antifascisme eût été bon, s'il n'était entré dans le débat des chambres à gaz et s'il n'avait comporté un passage parfaitement faurissonnien sur les camps :
« La déportation et la concentration de millions d'hommes ne se réduisent pas à une idée infernale des nazis, c'est avant tout le manque de main-d'oeuvre nécessaire à l'industrie de guerre qui en a fait un besoin. Contrôlant de moins en moins la situation, la guerre se prolongeant et rassemblant contre lui des forces bien supérieures, le fascisme ne pouvait nourrir suffisamment les déportés et répartir convenablement la nourriture. » (Cité dans Mise au point.)
Ce passage a servi de prétexte pour rejeter tout ce qu'il y avait de juste dans ce tract. Mais tout de même ! En venir à parler comme Faurisson... régression par rapport au nº 3 de la GS qui traitait de la déportation dans toute son ampleur, la première phase de ce passage fait tout bonnement l'impasse sur la question juive. L'antisémitisme nazi n'existe plus. N'a-t-il pas pourtant joué un rôle dans la « déportation et la concentration » ? La thèse officielle explique tout par le racisme nazi. Oublier le racisme nazi, c'est prendre le contre-pied de la version officielle et non pas la critiquer. Avec une « omission » historique de cette taille, ce n'était pas non plus se mettre en bonne position pour écrire un tract percutant sur l'opposition dictature-démocratie. Les démocrates se sont évidemment jetés sur cette lacune.
La seconde phrase du passage est tout aussi déplorable. De la thèse : le nazisme voulait tuer, on est passé à : le nazisme ne pouvait plus nourrir les déportés. Deux explications aussi réductrices l'une que l'autre. Comment expliquer ces monstruosités, sinon par l'influence faurisonnienne dans nos rangs ?
Après Copernic et la débauche de bonne conscience qui s'ensuivit, la meilleure réaction fut la publication dans Libération du récit du massacre d'Algériens à Paris en octobre 1961. Que Libération fasse mieux que les révolutionnaires en dit long sur la désagrégation de leur courant.
Une doctrine violemment antisémite avait aidé la venue d'Hitler au pouvoir. Cette doctrine, portée par une hystérie populaire qu'elle avait exaspérée, a poussé ensuite Hitler à des actes qui ne s'expliquent pas toujours forcément par des motifs militaires ou économiques, même indirects, mais relèvent souvent de la logique idéologique. L'idéologie n'est pas un masque ou plutôt le masque et la peau ne font bientôt qu'un. L'antisémitisme, un des ciments de l'équipe au pouvoir et de l'ordre social dans le pays, avait ses exigences propres. Il a aussi conduit à l'émigration forcée, au refoulement, à la concentration, à l'extermination d'un grand nombre de juifs. Concevoir l'idéologie comme possédant une autonomie relative n'est pas contradictoire avec une vision matérialiste du monde. Le fait concentrationnaire dans l'Allemagne nazie inclut les nécessités purement économiques ou militaires, mais il n'inclut pas que cela. Il n'y pas eu de complot d'extermination ourdi dès les origines du nazisme, mais il y a eu plus qu'un enchaînement de circonstances dues à la guerre. Une continuité de violence verbale s'est transformée en violence physique d'abord sporadique (Nuit de Cristal en 1938), puis générale camps).
Au milieu des passions soulevées par Copernic, de l'hostilité générale contre Faurisson, et dans une ambiance de chasse au néo-nazi, « Notre Royaume... » déchaîna une série d'attaques contre la GS dans la presse. Curieusement, la GS riposta par un tract distribué aux clavistes de Libération et à la rédaction de Charlie-Hebdo, journaux qui s'en étaient pris à elle. Le tract ayant été distribué à une manifestation d'avocats de gauche, et le Monde l'ayant présenté comme un texte « profasciste », des membres de la GS se rendirent au Monde pour exiger et obtenir le rectificatif qu'on peut lire ci-joint. La GS avait à juste titre qualifié de « conneries » nos lettres adressées a Libération au début de l'affaire Faurisson. Et voilà qu'elle se lançait dans cette pratique, non pas comme nous l'avions fait, pour défendre des individus, mais pour obtenir des médias qu'ils fissent connaître ses positions de fond !
Les auteurs du tract intitule « Notre Royaume est une prison », distribué le 10 octobre au Palais de Justice de Paris par deux personnes qui ont aussitôt été interpellées, nous prient de préciser qu'il ne s'agissait pas d'un texte « pro-fasciste » (le Monde daté 12-13 octobre). Ces tracts dénonçaient « la rumeur des chambres à gaz (...) horreur mythique qui a permis de masquer les causes et de la guerre », mais ils se terminaient par un appel à la lutte communiste des prolétaires, la destruction du salariat, de la marchandise et des Etats ». Plusieurs organisations libertaires avaient participé à la rédaction de ce tract.
Le Monde, samedi 18 octobre 1980

La GS et d'autres -- en particulier le groupe Jeune Taupe-P.I.C. -- se mobilisèrent vraiment pour Faurisson, lui apportant et apportant à la VT2 le soutien et la caution « révolutionnaire ». Ils se transformaient eux-mêmes en experts devant un tribunal qu'ils auraient dû récuser au même titre que tout autre tribunal.
En entrant dans la problématique de l'existence des chambres à gaz, la GS s'obligeait à devenir un nouvel expert. Il est évident qu'un minimum de documentation est nécessaire pour savoir de quoi l'on parle. Mais jusqu'à la venue de Faurisson, la plupart des révolutionnaires français faisaient une distinction entre les questions qui avaient un sens à l'intérieur des spécialités et celles qui avaient un sens pour tout le monde, et ne s'intéressaient qu'aux secondes. Tout ce que nous avons compris sur le monde, et sur la possibilité de le transformer, ne relève jamais d'une connaissance spécialisée, car ce que nous savons est inséparable de ce que nous avons fait et vécu. Faurisson, victime de l'illusion de sa spécialité (et quelle spécialité !) n'est que dépositaire des détails. Sa critique des textes peut au mieux décortiquer des écrits, jamais élucider des processus historiques. La critique révolutionnaire récuse tous les experts et tous les tribunaux. Des groupes radicaux en sont venus à soutenir un expert auprès du tribunal de Nuremberg.
Toute critique de texte suppose une esthétique, une norme, elle n'est jamais l'oeuvre d'un chercheur « neutre » introuvable. Faurisson croit à un texte naturel, à un récit non truqué, à un état des mots qui précède l'interprétation, et dont la découverte éclaircirait enfin le problème : le document révélant le fait brut. Illusion d'un « réel » existant sous forme pure, avant et sous les interprétations qui le recouvrent, et dont on pourrait l'extraire à l'état pur.
Il n'y a pas de connaissance de l'histoire indépendante du sens qu'on lui prête. La pire des mystifications contemporaines, celle qui est comme le présuppose théorique de toutes les autres, c'est l'objectivité, la négation de l'élément subjectif-objectif de toute pensée. Celle que tente de nous imposer l'école laïque et bourgeoise.
En 1981, une Mise au point de la GS montre qu'elle s'est enfoncée dans une polémique où elle n'avait rien à faire. « ... on pouvait apprécier et soutenir le travail de Faurisson sur des bases anticapitalistes... » (p. 41)
Comme la VT2, la GS arrange la biographie de Rassinier en minimisant son antisémitisme. Mais un antisémitisme même minime est-il acceptable ? La GS défendrait-elle avec la même ardeur un historien « un peu » stalinien écrivant sur des victimes du stalinisme ?
Au lieu de faire la distinction entre la question posée par Faurisson et la nôtre, la GS la critique sans montrer la différence radicale de point de vue. Faurisson et les révolutionnaires ne regardent pas les choses du même endroit, ils ne peuvent donc voir la même chose.
Sur la formule : « Jamais Hitler n'a ordonné ni admis que quiconque fût tué en raison de sa race ou de sa religion », la GS écrit que Faurisson « prend le contrepied de l'image courante répandue sur la "solution finale" et Hitler (...) Cette phrase était de toute façon par trop catégorique (...) » (pp38-39). Le moins qu'on puisse dire est que « trop catégorique » est une critique bien insuffisante pour une affirmation aussi énorme et erronée.
C'est la société, dit la GS, qui des chambres à gaz « fait une question de principe » (p. 40). L'article du nº 3 n'en faisait pas une affaire essentielle. Dès l'instant où des révolutionnaires ont « soutenu » Faurisson, lui-même obnubilé par le gaz, ils se sont lancés dans ce qui est une « question de principe » pour « la société », mais pas pour eux. Qu'est-ce que cela leur a apporté ? Quand la GS ignorait Faurisson, elle en disait bien plus sur les camps. Tout ce qui, dans cette mise au point, est important sur le nazisme et 193945, l'est sans recours a Faurisson.
Cette même brochure reproduit une lettre de P. Guillaume datant de 1979, et restée jusque-là inédite, qui expose ses positions théoriques initiales (avant la rencontre avec Faurisson) dans cette affaire. Si l'activité de Pierre s'était résumée à ce texte (pourtant critiquable), elle serait restée sur le terrain de la critique communiste. Publiée un an et demi plus tard, sa lettre apparaît comme une justification fallacieuse de la VT2. Fallacieuse parce qu'elle ne contenait pas l'ensemble faurissonnien qui s'est développé ensuite, et qu'elle sert ici a couvrir d'un manteau théorique, avec l'aide de la GS. Tout ce que dit la lettre sur les raisons révolutionnaires de l'intérêt pour la question concentrationnaire ne justifie pas l'intérêt exclusif pour le gazage, encore moins l'intérêt exclusif pour la recherche de Faurisson sur le gazage. Cette lettre que nous demandions tant à Pierre de publier, parce qu'elle abordait le problème de notre point de vue, est aujourd'hui mystificatrice.
Dans cette lettre pourtant, Pierre niait déjà l'antisémitisme de Rassinier. En outre, la confusion apparaît déjà dans un passage qu'il est remarquable que nous n'avions pas noté à l'époque. Concluant un développement sur le procès de Lischka, Pierre ajoute;
« ... Tu remarqueras que c'est moi qui apporte mon soutien à Kurt Lischka. Et je souhaite que dans son procès les droits de la défense soient scrupuleusement respectés. » (p. 90)
Une note de 1981 précise : ce passage très critiqué paraît à Pierre effectivement très critiquable. « Ce que je voulais dire en tout cas, c'est que, si je n'ai rien de commun avec un Lischka, je ne veux rien avoir de commun non plus avec l'horrible bonne conscience des chasseurs de nazis. »
Entre l'insatisfaction d'une action surtout théorique (revues, tracts parfois) et l'autodestruction violente (terrorisme), le problème des chambres à gaz à paru offrir a quelques révolutionnaires un tremplin utilisable pour faire avancer le mouvement communiste. Non seulement le gaz n'a pas fait progresser la critique révolutionnaire du nazisme, du mécanisme de l'horreur, mais il a provoqué une régression. On a perdu de vue la totalité. La revendication du « droit à la recherche », de la « liberté d'expression » devait aboutir à son terme logique, la défense des droits de l'homme.
En RFA, les interdits professionnels ont frappé des milliers de progressistes, gauchistes, révolutionnaires, pendant une dizaine d'années. Il faut attendre que l'auteur d'un livre iconoclaste sur Auschwitz se voit appliquer le même traitement, pour que la VT2 lance en France une campagne pour la défense des libertés démocratiques en RFA.
Tout en signant dans la GS des notes de lecture favorables aux livres qu'il publie dans des maisons d'édition, P. Guillaume lutte non seulement pour la « liberté du chercheur, la déontologie de l'historien et la liberté d'expression », mais aussi pour la formation « de nombreux juristes (...) amenés à travailler sur le texte gravement tronqué d'un jugement, publié dans le Recueil Dalloz-Sirey (tract du 12 novembre 1982). Le contre-procès de Nuremberg, conduit à travers une bataille judiciaire que la GS n'a jamais publiquement critiquée, va jusqu'au bout du juridisme.
Comme 1'indiquaient les notes du nº 1 de LB (pp. 60-63), l'histoire officielle se révise constamment de manière indolore. La VT2 et la GS ont voulu agir pour que cette révision ne puisse s'opérer en douceur. Or l'idéologie dominante, en démocratie, inclut sa critique. De là le risque que l'exercice de l'esprit critique ne se confonde avec l'évolution normale de l'idéologie et du spectacle et n'en devienne un moment, fût-ce le plus extrême, celui qui bouscule les choses, mais seulement pour les faire aller vers une « révision » supplémentaire.
Pour ne pas se briser sur cet écueil, la critique doit s'en prendre au principe même de la révision, et ne pas se consacrer à en exiger une. Les « révisionnistes » ne dénoncent pas la page « Idées » du Monde : leur grande victoire serait d'y figurer. Tout le programme de la VT2, soutenue par les fantassins de la GS, se réduit à chercher ce type de victoire.
Le cas du massacre de Sabra et Chatila est exemplaire. L'État israélien a reconnu et (un peu) sanctionné le forfait. Voilà la différence entre une démocratie et une dictature. La démocratie massacre aussi et le dit. Avec quel effet ? Epuration de l'État, renforcement du système dans sa totalité.
Réponse de la devinette de la p. 45
Non, ce n'est pas Faurisson. C'est M. Fraile, auteur d'une thèse qui traite entre autres de la « guerre bactériologique » prétendument menée par les Etats-Unis en Corée, bobard de Guerre repris et défendu par toute la presse stalinienne de l'époque. Le Quotidien de Paris, 28-29 septembre 1981

Que signifie lutter pour la reconnaissance du droit à ouvrir un débat ? Pousser l'opinion publique, faire ce que fera un jour l'opinion. Demain peut-être, il sera admis qu'il n'y avait pas de chambres à gaz dans les camps de concentration nazie. Une telle révision renforcera la confiance dans le sérieux des recherches historiques et dans les vertus éternelles de la démocratie. La « mise en scène par laquelle le monde moderne se sert de la misère et de l'horreur qu'il produit pour se défendre contre la critique réelle de cette misère et de cette horreur », cette mise en scène n'aura nullement change parce qu'on aura retiré un élément de son décor !
En 1949, il était essentiel que S. ou B. affirme que la Russie était un pays capitaliste. Trente ans après, cette opinion est largement répandue, jusque chez des gens qui n'en tirent pas de conclusion révolutionnaire. Mais pour que les choses soient aujourd'hui plus claires, jusque dans la tête des révolutionnaires, il fallait le dire, à contre-courant, en 1949. C'est une question fondamentale que la nature d'un régime sous lequel vivent des milliards d'êtres. Rien de tel dans la question des chambres à gaz, produit typique du monde de l'idéologie et de l'information. On peut poser des questions subversives à partir de la nature de l'URSS. Il n'y a, dans la question de l'existence des chambres a gaz, que la question de l'existence des chambres à gaz.

 

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