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le roman de nos origines
histoire et petite histoire des quinze dernières années

 

L'ultra-gauche
Nous avons dit n'avoir rien à ajouter ou à modifier au discours d'une gauche qui chaque jour nous prouve par ses actes et ses idées qu'elle travaille à la conservation du capitalisme. La bourgeoisie essaie de faire participer les salariés à son effort pour sortir de la crise. Giscard le tentait par la démagogie (revalorisation du travail manuel), Mitterrand associe directement les représentants du travail à la gestion de la crise. Mais attaquer sans cesse les partis de gauche et les syndicats en faisant comme s'ils « revélaient » à tout bout de champ leur fonction anti-révolutionnaire, c'est réduire la critique à la dénonciation d'un scandale, en oubliant de dire de quoi le prétendu scandale est le produit. Une telle attitude interdit la compréhension en profondeur de ce qu'est la gauche.
Le mouvement révolutionnaire n'a rien non plus de commun avec le gauchisme qui se consacre à soutenir. Que n'a-t-il pas soutenu, des luttes ouvrières à Mitterrand en passant par Mao... Les révolutionnaires n'ont rien à soutenir. Quand une lutte a un contenu universel, ils savent trouver un langage commun avec ceux qui la mènent, et l'activité des révolutionnaires prolonge naturellement la lutte dans laquelle ils se reconnaissent. Mais dans nos rangs, l'antigauchisme répandu à longueurs de pages a trop servi de moyen commode pour ne pas aborder de front l'examen de la situation du prolétariat aujourd'hui. Le gauchisme fait du PC et des syndicats l'écran entre les masses et lui. Les révolutionnaires n'ont pas a l'imiter en faisant du gauchisme l'arme ultime du capital qu'il faudrait inlassablement dénoncer.
La dénonciation permanente est fascinée par l'objet à critiquer. Elle prouve qu'on est vaincu par ce qu'on attaque le plus.
La critique de la gauche n'a pas de sens si elle la dénonce au jour le jour, ou même s'en prend à un gouvernement. Comprendre le Front Populaire, le molletisme, le mitterandisme... c'est d'une part comprendre la canalisation de conflits sociaux vers des objectifs capitalistes et étatiques, et d'autre part remonter à la source des idées de gauche, invariantes dans leur essence, comme 1' avait fait autrefois Programme Communiste dans une série d'articles sur le mouvement ouvrier français. Les positions de la gauche contemporaine française sont dans Hugo, Zola, Jaurès, etc. Puisqu'on parle de la lutte sur le plan des idées, mieux vaudrait montrer par exemple dans Les Misérables l'intégration morale des travailleurs par le capitalisme, que de relever triomphalement la nième déclaration « scandaleuse » du PC. Il suffit de voir ce que le peuple de gauche enseigne et voudrait qu'on enseigne toujours plus dans les écoles : la reconnaissance du travail par le capital.
Des groupes comme le PCI ou le CCI sont des sectes parce qu'en dépit de tout ce qu'ils peuvent dire ou faire de positif, leur existence se résume à une démarquation continuelle face au reste du monde. Ils exhortent le prolétariat à se constituer en classe. Leur principal adversaire sera toujours le groupe le plus proche. Ils vivent dans et par la concurrence. Dans leur vie d'organisations seules leurs crises sont positives : par exemple, celle qui conduisit au départ de Bérard de RI-CCI en 1974 pour former Une Tendance Communiste, ou celle du PCI aujourd'hui.
« La secte trouve sa raison d'être dans son point d'honneur, elle ne le cherche pas dans ce qu'elle a de commun avec le mouvement de classe, mais dans un signe particulier qui la distingue de ce mouvement (...) » (Marx, lettre à Schweitzer, 13 octobre 1868.)
Sans être autant enfermée dans la politique, l'ultra-gauche a mal compris la critique adressée autrefois par la VT à PO. Un journal comme Révolution sociale, au sens strict est sans public. Il vient d'ailleurs de le reconnaître en cessant de paraître. Un tel journal n'ajoute rien à la force de travail révolutionnaire, car il n'aborde les questions de fond que par le biais de l'actualité. Et il ne peut toucher l'ensemble des prolétaires tant soit peu en rupture avec la société, bien qu'il soit fait comme s'il devait être lu par cent mille d'entre eux. Il n'y a là ni théorie satisfaisante, ni action qui fasse avancer le mouvement.
Ces groupes vivent dans l'illusion de la propagande. Le mouvement révolutionnaire ne transforme pas les idées fausses en idées vraies. Il expose le sens du mouvement social dont il fait partie, et ce que ce mouvement sera « historiquement contraint » de faire pour réussir. Ce qui exclut toute exhortation.
La publication de textes ne fait pas seulement circuler des idées. C'est même sa fonction secondaire. La diffusion d'idées noue des liens pour autre chose qu'une réflexion. Mais cette « socialisation » est d'autant plus riche que le contenu théorique diffusé est moins étriqué.
Le mouvement révolutionnaire est pris entre deux tendances qu'il lui faudra dépasser. Les uns remettent leur montre à l'heure, jetant un regard rétrospectif sur 150 ans de capital, de classe ouvrière et de révolution. On conclut a la nécessité d'un dépassement. Le bilan se termine par un « Socialisme ou Barbarie », que l'on soit en 1914, en 1917, en 1945 ou en 1983.
Les autres, plus classiques, décrivent toujours un mouvement en train de se faire. Portugal, Pologne... chaque cas montre les limites du prolétariat et ce qu'il pourrait faire si... On appelle à faire en mieux ce qui a déjà été fait.
La première attitude coupe le passé du présent. Elle pose un passé radicalement différent du présent. La seconde répète ce qu'elle a toujours dit. La première opère une coupure historique. La seconde a une vision quantitative : comme avant, mais plus loin. La première coupe la filiation, la seconde la reconnaît ou la réclame. C'est l'opposition fondateurs-héritiers. Ces deux tendances trouvent chacune une illustration dans deux ouvrages révolutionnaires récents.
En finir avec le travail et son monde, du CRCRE (nº 1, juin 1982, nº 2, décembre 1982), exprime bien la première attitude. Un grand nombre de remarques en elles-mêmes justes expliquent et justifient tout. Les échecs passés avaient des causes aujourd'hui disparues. C'est un a posteriori. On n'admet pas d'erreurs (pour soi, pour nous), passées ou présentes. Tout devait arriver. On s'enlève à soi-même le sens de son action. Création d'« un nouveau système de référence », d'une vision du monde. On n'est pas loin de la philosophie.
Pologne, 1980-82, d'Henri Simon (Spartacus, 1982), incarne la deuxième tendance. Il analyse au plus près le mouvement polonais, ce qui fait son grand intérêt, mais cela ne l'empêche pas de confondre la pression exercée par le travail sur le capital avec la remise en cause du rapport travail, capital. On ne peut se contenter de dire : « chaque lutte n'est qu'une étape, tant que subsiste le capital » (p. 30). C'est vrai, mais toute lutte n'est pas une étape vers l'action communiste.
Pour Simon, « Faire les choses (...) pour que le travail et la vie soient plus faciles, c'est agir selon son seul intérêt de classe, c'est détruire la base de l'ordre capitaliste (...) (pp. 56-57).
Cette phrase résume ce qui ne doit plus aller de soi dans notre mouvement. L'« action de classe » ne se confond pas avec la revendication, elle n'est pas non plus son contraire, elle ne l'exclut pas. Elle naît par et contre elle, elle est son dépassement.
L'ouvrage de Simon reproduit également l'erreur ultra-gauche reprise par l'I.S. : « Et, de fait, tout en restant en place, tout en conservant intact (apparemment) son appareil répressif, le capital a pratiquement perdu tout pouvoir réel : même le nouveau syndicat Solidarité (...) est déjà, avant de fonctionner [comme "nouvel appareil de domination sur les travailleurs"] réduit au même rôle que les appareils existants avant juillet 1980. » (p. 59).
Les révolutionnaires ont du mal à prendre le capital au sérieux, et à voir sa force là où elle est : dans son dynamisme comme dans sa force d'inertie. Le « pouvoir réel » du capital est bien dans ces deux composantes, comme on a pu le voir en France en 1968 et en Pologne en 1980. Pourtant 1980 ferme une porte (il y en a d'autres) ouverte en 1968 en France et en 1970 en Pologne. Parce que justement la révolution n'est pas une affaire de pouvoir. Le pouvoir découle des rapports de production, de la nature du capital comme relation omniprésente. Tant qu'on ne s'en prend pas à lui en tant que rapport social, par des atteintes à la marchandise, au salariat, tant qu'on se borne à occuper le terrain (France, 19681 ou à vouloir organiser mieux l'économie, de façon sauvage, certes, mais sans communisation (Pologne, 1980-81), on n'entame pas le pouvoir du capital. La force de celui-ci n'est ni dans la rue ni dans l'usine, et encore moins dans les ministères. Le capital est un rapport social qui s'incarne dans un réseau de relations. Commencer de produire un autre rapport en constituant un autre tissu social, c'est cela s'attaquer au pouvoir du capital.
Henri Simon renouvelle l'erreur commise (notamment par l'I.S. : cf. la GS, nº 2) à propos du Portugal en 197475 :
« Pendant 18 mois, la Pologne n'était plus réellement un État -- son autorité était constamment bafouée et l'économie semblait aller à la dérive. » (p. 93).
L'État était bien là pourtant, en sommeil. Il a prouvé le 13 décembre 1981 qu'il pouvait se réveiller le moment venu, toutes ses forces intactes. Car celles du capital n'avaient pas été entamées.
La pratique prolétaire ne s'attaque pas a la racine. Et il en est de même de la théorie communiste.

 

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