Le chantier de l'emploi -2
REVENU GARANTI
L'identification des travailleurs et des emplois est une tâche préliminaire.
Urgente, indispensable, relativement facile, mais on doit faire plus. Le
bon sens suggère que l'on n'attende pas le référendum
pour agir, mais suggère aussi qu'on ait la prudence de développer
des programmes qui soient compatibles avec les deux "systèmes
d'exploitation" et qui fonctionnent donc aussi bien en "Québec"
qu'en "Ottawa".
Allant de l'avant avec son projet de prise en charge des ressources humaines,
le Québec doit s'assurer, jusqu'à avis contraire, que les
initiatives qu'il prendra pourront s'intégrer aussi bien à
la réforme des programmes sociaux que proposera incessamment le Ministre
Axworthy qu'à une éventuelle stratégie de réforme
strictement québécoise..
Que peut-on faire tout de suite, au Québec, pour améliorer
la situation du travail et dont on soit certain que la décision référendaire
ne remettra pas en question l'utilité? Il y a deux tendances du marché
du travail qui semblent bien devoir se maintenir quelle que soit la décision
référendaire: nous savons qu'il y aura demain de plus en plus
de travailleurs autonomes et de plus en plus de travailleurs à temps
partiel.
Ceci veut dire précarisation croissante des emplois et insécurité
financière pour de plus en plus de travailleurs, à moins que
l'on n'aille vers un partage du travail salarié et une forme de revenu
garanti. Revenu garanti et partage du travail, nous pouvons travailler dans
ces deux voies en toute quiétude; c'est très certainement
ce que fera aussi le gouvernement fédéral.
L'essence du travail partagé, c'est que chaque travailleur qui le
désire ait un emploi - dont la durée varie selon les excédents
de main-d'oeuvre dans les catégories professionnelles où il
travaille - et qu'il retire de cet emploi un revenu garanti..., tout en
conservant la pleine liberté de travailler simultanément de
façon autonome, hors de la structure des emplois, et d'amener ainsi
ses revenus à la hauteur que justifient son initiative, sa créativité
et ses efforts.
L'essence du revenu garanti, c'est d'abord le constat que notre société,
en partie par solidarité mais aussi parce que le système de
production ne peut fonctionner sans qu'il y ait quelque argent dans la bourse
du consommateur, ne laisse personne absolument sans revenu. Ceci admis,
c'est la conclusion qu'il vaut mieux rationaliser la prise en charge des
consommateurs que de poursuivre la distribution erratique de subsides à
tort et à travers, ce qui ne peut que favoriser le jeu des petits
malins au détriment des besoins des vrais défavorisés.
Les deux concepts se rejoignent, dans la mesure où il vaut mieux
qu'une prestation de travail corresponde au salaire garanti. Le partage
du travail assure cette participation de tous à l'effort commun dans
la dignité, tandis que le soutien au travail autonome parallèle
apporte la touche d'entrepreneurship chère au néo-libéraux
et dont il faut reconnaître qu'elle a eu bien du succès.
Le Québec peut s'approprier l'avenue du partage du travail, dans
le cadre d'une concertation avec les partenaires sociaux que facilite la
Société Québécoise de Développement de
la Main-d'oeuvre. C'est à ce type de concertation que sert la SQDM
qui, autrement, serait une structure inutile. Le partage du travail mène
inexorablement à une révision des définitions du chômage
et de l'emploi, bouscule la frontière entre chômeurs et assistés
sociaux, et donne à qui l'organise le pouvoir de justifier le passage
de milliards de dollars d'un gouvernement à l'autre.
Le Québec doit s'approprier l'idée du travail partagé,
mais sans la prendre en otage. Il est vital que le partage du travail se
fasse au vu des seuls impératifs techniques et sociaux, et sans arrières-pensées
quant à qui des deux gouvernements en tirera un avantage. Il faut
que le système et les mécanismes de partage du travail soient
conçus en toute impartialité, en concertation avec travailleurs
et employeurs, presque à l'écart du débat référendaire.
De la même façon, le Québec doit prendre l'initiative
de remplacer les douzaines de programmes actuels d'aide aux défavorisés
par un revenu garanti. On parle toujours pudiquement du plein emploi et
de la sécurité d'emploi, mais il faut décoder et comprendre
que ce que tout le monde demande, en fait, c'est un plein revenu et la sécurité
du revenu. Avec un quart des travailleurs qui ne travaillent pas, cette
sécurité du revenu est obtenue actuellement, au Québec,
par le versement chaque année d'une dizaine de milliards de dollars
aux sans-travail.
C'est beaucoup et ça augmente. C'est en mars cette année qu'on
a atteint, pour la première fois, le seuil des 300 000 000 $ par
mois pour les seuls versements du B.S. C'est beaucoup pour celui qui paye,
c'est bien peu - 657 $ par mois en moyenne par ménage - pour celui
qui reçoit. Ce qu'on verse aux sans-travail n'est manifestement pas
suffisant pour faire tourner à plein les roues de notre économie...
mais il n'est pas question d'imposer davantage ceux qui travaillent pendant
qu'une partie croissante de la population ne travaille pas. Il faut créer
de la richesse en mettant tout le monde au travail.
D'où le concept d'un revenu garanti sous forme d'un emploi salarié
allant de paire avec une contribution parallèle comme travailleur
autonome, producteur de services. C'est une façon d'assurer un revenu
décent à tous sans mener la classe moyenne à la banqueroute
- et à la révolte !
Produire plus de services ne règle pas totalement le problème,
puisque nous sommes dépendants, pour les biens que nous consommons,
d'une structure de production qui est internationale et qui le restera quoi
qu'on fasse. Produire plus de services, cependant, nous donne une marge
de manoeuvre, puisqu'il en résulte une valeur pour laquelle il existe
une demande effective. Si le «4ème travailleur» actuel
peut offrir un service utile, la société lui garantira encore
un filet sous le trapèze, mais ils gagnera vite correctement sa vie
lui-même.
Nous parlons de services, mais nous pourrions ajouter tout travail qui ne
requiert pas une structure industrielle pour produire un bien. Il y a une
demande pour ces biens comme pour les services. La rénovation en
est un bon exemple, comme la petite construction résidentielle, et
la loi 142 a été une tentative pour ouvrir ce marché.
Il est dommage qu'elle n'ait pas pris en compte les droits acquis des travailleurs
et qu'elle ait mené à une confrontation plutôt qu'à
une concertation où tout le monde aurait trouvé son compte,
surtout les syndicats.
La crise actuelle est une transition de l'emploi salarié vers le
travail autonome et cette évolution est inévitable: elle correspond
au besoin de laisser le travailleur mettre à profit son initiative
et sa créativité. Il ne s'agit pas de lutter contre cette
évolution, mais de soutenir financièrement le travailleur
en transition pendant qu'il apprend à vendre ses services hors de
la structure actuelle des emplois et pour qu'il démarre sa propre
entreprise. Le travail autonome - et son corollaire, le travail précaire
- rendent indispensable une nouvelle structure d'assistance aux sans travail:
une assurance travail et revenu plutôt qu'une assurance chômage.
C'est pour ça que le revenu garanti devient incontournable. Le partage
du travail, quant à lui, s'il n'est pas incontournable, est bien
la façon la plus souple de faciliter la transition vers l'autonomie.
Quand à la formation professionnelle et au soutien au travail autonome,
ce sont les outils indispensables des nouvelles politiques de main-d'oeuvre.
La réforme Axworthy, quelle que soit la façon dont on l'habille
sera une avance concertée vers ces quatre (4) objectifs: revenu garanti,
formation, aide à la petite entreprise, partage du travail. Je souligne
qu'il ne s'agit pas ici de prophéties à long terme: la réforme
sera annoncée d'une semaine à l'autre.
La réforme du fédéral ne procédera pas d'une
volonté d'ingérence dans les pouvoirs du Québec...
elle sera une prise de possession tranquille des seuls outils efficaces
pour résoudre la crise. Le Québec n'a rien à gagner
à retarder le lancement de ses propres programmes vers ces mêmes
objectifs. Au contraire, le Québec a le devoir, comme le Premier
Ministre l'a annoncé, soit de faire ici la trêve et de mettre
le besoin de changement à l'abri des remous référendaires,
soit de relever le défi et de présenter, avant le référendum,
une stratégie alternative cohérente à celle qu'aura
offerte le gouvernement fédéral pour mettre fin à la
crise.
Préparer cette stratégie serait le choix de noblesse pour
le Québec; mais il faudrait alors commencer tout de suite, car peu
a été fait, et le gouvernement qui offrira la meilleure solution
à la crise du travail méritera d'avoir le mandat de la mettre
à exécution.
Pierre JC Allard