Ça vous amuse, de jouer à la loterie? Je
ne parle pas de Loto-Québec; je parle du jeu de hasard qui détermine
si nous avons ou n'avons pas un emploi. La loterie où on ne gagne
rien mais où chaque Québécois peut perdre ses économies,
le respect des autres, et sa propre estime de soi.
Tu te lèves un matin avec une job, des enfants qui comptent sur toi,
des voisins qui te saluent, et ton plus gros problème dans la vie
c'est d'organiser tes vacances de Noël. Tu rentres le soir, chômeur,
en évitant les voisins, en sachant qu'il n'y en aura pas de vacances
de Noël, cette année, pour tes enfants, et en sentant que tu
n'as pas été à la hauteur. Tu as gagné le mauvais
lot à la loterie des emplois.
Tu peux avoir perdu parce que tu es trop jeune ou trop vieux , parce que
tu n'as pas assez d'éducation, parce que tu es une femme, un émigrant,
un peu marginal ou que le boss n'aime pas ta gueule. Mais tu peux aussi
avoir été mis à pied parce qu'on vient d'appliquer
une nouvelle technologie et qu'on n'aura plus jamais besoin de gens comme
toi.
Le chômage, puis le B.S. Pour la vie. Le système actuel d'utilisation
de la main-d'oeuvre laisse de coté à peu près 20% des
travailleurs. Et en comptant les enfants, les malades, les vieillards et
ceux qu'on a convaincu de ne même pas essayer de travailler, le Produit
National Brut du pays est le fait de 45% de la population.
Chaque paire de bras au Québec a plus de deux bouches à nourrir.
Ce qui est bien épuisant pour ceux qui travaillent... et une catastrophe
pour ceux qui ne travaillent pas.
Il y a beaucoup à dire sur le travail, mais commençons
par la base: il faut que tout le monde travaille et il faut que tout le
monde ait un revenu. La Loto-Job n'amuse personne, et c'est une connerie
de dire qu'on manque de travail. Le travail, c'est un effort qu'on fait
pour obtenir un résultat; et tant que tous nos besoins et tous nos
désirs ne seront pas satisfaits - ce qui n'arrivera jamais - il y
aura toujours du travail. L'idée qu'on puisse "manquer de travail"
est une absurdité.
Comme il est absurde qu'il n'existe pas, au Québec, un revenu annuel
garanti pour tous. Non seulement c'est injuste - ce qui est évident
- mais c'est absurde, parce que, de toute façon, notre société
assure un minimum vital à tout le monde en payant l'assurance-chômage,
le B.S. et tous les autres paiements de transfert. En donnant sous forme
d'aumônes à ceux qui en ont besoin, de façon vexatoire
et humiliante, ce qui est en fait un revenu annuel garanti , on perd de
trois façons: on démotive et on marginalise ceux qui le reçoivent,
on augmente les coûts de distribution de ce revenu, ... et on perd
cette richesse considérable que repré-senterait le produit
du travail de tous ces gens qu'on a laissés pour compte.
Le système actuel est une folie. Il faut que tous ceux qui le veulent
puissent travailler, et il faut que chacun ait un revenu. On pourrait se
demander à qui la faute si notre marché du travail fonctionne
comme une loterie; c'est une question bien intéressante, mais que
nous n'aborderons pas, parce qu'elle nous préoccupe moins que les
mesures concrètes à prendre pour changer la situation. Pour
donner au monde ordinaire la sécurité d'emploi.
L'État est le croupier qui fait tourner le boulier
du Loto-Job. Parce que c'est bien l'État qui fixe les taux d'intérêts
et qui établit les politiques fiscales et douanières. Parce
que c'est l'État qui choisit les infrastructures à créer
et qui privilégie ainsi une avenue de développement plutôt
qu'une autre, et que c'est donc l'État, en définitive, qui
détermine indirectement quels types d'emplois sont créés,
et combien.
D'autre part, c'est l'État qui évalue les besoins de main-d'oeuvre
à tous les niveaux, qui planifie les programmes d'éducation
et de formation et décide de l'aide financière qui permet
à tous et chacun d'obtenir cette éducation et cette formation.
C'est donc l'État, en définitive, qui détermine le
genre de compétences qu'ont à offrir ceux qui cherchent un
emploi.
Si quelqu'un fabrique à la fois des vis et des tarots, est-ce qu'on
ne peut pas exiger qu'ils s'ajustent? Puisque l'État a un rôle
si primordial quant à la détermination de l'offre et de la
demande d'emplois, n'est-il pas raisonnable de penser qu'il devrait être
responsable de leur équilibre?
L'individu, lui, n'a aucun contrôle réel sur toutes ces décisions
de l'État qui font que la main-d'oeuvre et la demande s'ajustent
et qu'il y a plein emploi. Pourquoi donc, alors, serait-ce la responsabilité
de l'individu de porter le poids des erreurs qu'ont faites et que continuent
à faire nos gouvernements? C'est la collectivité qui doit
assumer le risque du chômage, pas l'individu. S'il y a une chose que
le monde ordinaire veut de son gouvernement, plus que n'importe quoi, c'est
bien un travail et un revenu. Qu'on en fasse une priorité.
Comment l'État doit-il assumer cette responsabilité?
En mettant en place un système de placement qui prenne automatiquement
la relève quand les mécanismes naturels du marché ne
suffisent pas à assurer le plein emploi.
Tout citoyen adulte, s'il ne trouve pas un emploi par ses propres moyens,
devrait pouvoir se présenter à un Bureau du Travail
et, si ce n'est déjà fait, y être enregistré
avec ses aptitudes ses connaissances et son expérience. Il devrait
être embauché sur le champ, et recevoir sans délai une
affectation selon les besoins de notre économie, ainsi qu'une avance
sur son premier chèque de paye.
Un chèque un peu plus mince que celui auquel il est habitué
puisque, pour un niveau de compétence donné, on le payerait,
au Bureau du Travail, 15% de moins que le prix du marché. L'État
pourrait alors "revendre" à plein tarif, aux employeurs
qui en auraient besoin, ces services obtenus à prix d'aubaine, faisant
du même coup un profit qui permettrait de payer un salaire à
ceux qui ne trouveront pas preneur sur le marché. Disons que ce 15%
serait la prime à payer pour une véritable Assurance-Travail.
Si on planifie bien le développement de nos ressources humaines,
il y aura très peu de travailleurs dont les services ne seront pas
requis. Si au contraire on se trompe, il y en aura beaucoup, et il se peut
même que le 15% de marge ne soit pas suffisant pour payer les salaires
et la gestion du système. Dommage. Mais même si le système
est déficitaire, chacun doit toucher le salaire qu'il mérite;
ce n'est pas la faute du travailleur si l'État fait mal son travail
de planification.
Si un individu se présente au Bureau du Travail
et est disponible pour travailler, il mérite son salaire. Tout comme
les employés d'une entreprise et les fonctionnaires sont payés
pour être à la disposition de leur employeur et que c'est à
celui-ci de les utiliser. L'État a été élu pour
être responsable du plein emploi; il est l'employeur de dernier recours.
Qu'il assume ses responsabilités, ou alors on changera de gouvernement.
Et l'État doit payer au travailleur son plein salaire selon ses qualifications.
Pas une aumône, mais son plein salaire. Un salaire de médecin
au médecin et un salaire de plombier au plombier, salaires que nous
indiquent déjà, dans la plupart des cas, les normes de la
Fonction publique.
C'est ça que veut le monde ordinaire: un contrat avec l'État
qui garantisse à chacun - comme au fonctionnaire - le revenu qui
va avec une compétence qui lui est reconnue et qu'il est prêt
à mettre au service de notre société. Et c'est possible.
Si l'État analyse, planifie et enregistre au Bureau du Travail toutes
les offres d'emploi et les dossiers de travailleurs et n'accrédite,
pour pratiquer chaque métier - sauf manoeuvre - que le nombre de
travail-leurs dont on prévoit avoir besoin
Comprenons nous bien. Si 25 000 Québécois, par exemple, désirent
obtenir un diplôme en archéologie, il ne s'agit pas de le leur
interdire: c'est une décision qui ne regarde qu'eux.. Mais à
combien des diplômés doit-on accorder une accréditation
qui leur permettra ensuite d'exiger de l'État un salaire d'archéologue?
Ça, ce doit être une décision de l'État, et un
choix qui devrait être fait par concours.
Quand le nombre de travailleurs accrédités
dans chaque métier ou profession correspond aux prévisions,
chaque travailleur peut exiger de l'État un contrat ferme de travail.
Que faire chaque matin, au Bureau du Travail, des travailleurs qui ne sont
pas en demande? D'abord, on verra si l'individu a la compétence de
faire autre chose, même un travail qui commande un salaire moins élevé.
Mais sans oublier que le médecin qu'on place comme infirmier, parce
qu'on ne peut pas mieux l'employer, doit toucher un salaire de médecin,
même si l'hôpital qui l'utilise ne paye qu'un salaire d'infirmier.
Il vaut mieux que l'État récupère un salaire de dessinateur
tout en versant un salaire d'architecte plutôt que de subir une perte
totale. Mais surtout, il vaut mieux que l'architecte dessine, car personne
ne doit être exclu de la population active.
Mais sous-employer n'est évidement pas l'idéal. Une meilleure
solution, c'est de profiter de la disponibilité du travailleur pour
améliorer son éduca-tion générale et sa formation,
selon ses aptitudes et les besoins précis du marché du travail.
Durant sa formation, le travailleur touchera son plein salaire, moins le
15% dont nous avons parlé; d'autre part, on tiendra compte de ses
goûts mais ce ne sera qu'un des facteurs de décision; si un
travailleur refuse le travail ou la formation qu'on lui offre, il pourra
faire ce qui lui plaît... mais il devra cesser d'embêter la
société pour un revenu jusqu'à ce qu'il ait compris
que lui aussi doit tenir sa part d'un contrat ferme: être disponible.
Il faut bien comprendre que, dans une Nouvelle Société,
personne n'obligera quiconque à venir travailler à 85% du
prix de son travail sur le marché! Chacun pourra trouver son propre
emploi, lancer sa propre entreprise, créer sa propre oeuvre d'art,
et mener sa vie comme bon lui semble. L'État posera seulement un
filet sous le travailleur, pour le cas où il ne s'en sortirait pas
seul: un emploi et un revenu garanti pour un travail que la société
juge utile, et pour lequel sa compétence aura été reconnue
par concours.
Ce système ne coûte pas plus cher. Il est plus juste, plus
motivant, donc plus performant que le système actuel. Il donne toute
sa valeur à la formation et garantit le travail dans la dignité
à tous ceux qui acceptent de travailler. Il ne rejette que ceux qui
ne veulent pas pousser à la roue, ceux qui prétendent avoir
des droits acquis dans un monde en changement: les petits exploiteurs du
système, dont une Nouvelle Société doit se protéger
tout autant que des grands.
En garantissant au travailleur qu'il peut toujours avoir un emploi, on lui
offre un filet; il lui deviendra d'autant plus facile de marcher sur la
corde raide: de prendre des risques, de manifester son initiative. On favorise
chez chacun l'entrepreneurship, la vraie solution dans un monde où
les emplois tendent à disparaître.