4 Télé-placements «à la carte»
Jusqu'à ce jour, nous avons posé aux candidats des questions
générales, pour savoir où ils se situaient, quelle
était leur approche au problème de l'emploi. Désormais,
il va falloir aller plus en profondeur. Savoir les techniques qu'ils préconisent,
comprendre COMMENT ils ont l'intention de faire les choses, parce que les
meilleures intentions du monde ne suffisent pas si on ne les met pas en
pratique. Nous allons parler, dans ces trois derniers articles, du placement,
de la formation et, finalement, du partage du travail et de la sécurité
du revenu.
Les Québécois ne demandent pas que les candidats soient des
experts en ces domaines. Après tout, être politicien est un
job à plein temps. Les Québécois s'attendent, cependant,
à ce que les candidats puissent s'appuyer sur des experts qui connaissent
ces questions et à ce que leurs programmes reflètent la compétence
de leur équipe.
Car c'est cette équipe de conseiller technique qui va venir donner
la note pour orienter les fonctionnaires et qui va nous guider vers une
solution de la crise. C'est cette équipe qui devrait donc suggérer
aux deux candidats les réponses à apporter aux questions qui
suivront. Ce sont les candidats, cependant, qui doivent naturellement garder
la responsabilité des réponses qu'ils endossent.
Au départ, il faut parler placement. Parce que, quelle que soit la
potion magique que propose le candidat, les mécanismes qui permettent
aux employeurs et aux travailleurs de se rencontrer sont indispensables
et que, par surcroît, leur efficience est largement indépendante
des autres choix que fait le décideur. Qu'il soit d'obédience
"structurelle" ou "conjoncturelle" Celui qui nous réglera
la crise du travail devra compter sur des mécanismes de placement.
Les techniques de placement ne sont pas là pour régler le
problème à long terme. S'il y a une disparité entre
ce que veulent les employeurs et ce que les travailleurs ont a offrir, les
mettre en contact plus vite ne changera rien. Mais, à tout moment
donné, le placement est nécessaire pour tirer le meilleur
parti possible de la situation présente.
Le centre de placement est un lieu de rencontre. Dans un monde de solitude,
il est normal que les Clubs de rencontre prolifèrent: tout le monde
ne veut pas organiser sa vie sentimentale au hasard des rues et des bars.
Dans une société ou le chômage est omniprésent,
il serait normal qu'un vaste Bureau du Travail permettent de faire la paire
entre les demandes et les offres d'emplois. Ce grand Bureau du Travail,
actuellement, n'existe pas.
Il existe, bien sûr, des Centres d'Emploi et des Centres de Main-d'oeuvre.
Mais on est loin d'y faire tous les mariages heureux qu'on pourrait. On
ne le fait pas, nous dirons les candidats, parce que la confusion règne
entre le système du Québec et celui d'Ottawa. Je suis heureux
de leur donner raison... en partie. Il est vrai que les systèmes
de main-d'oeuvre du Québec et du gouvernement fédéral
sont mal arrimés, que la façon dont ils se repartissent les
tâchent est inefficace et que somme toute, il serait utile que l'un
ou l'autre disparaisse.
Ceci dit, le conflit Québec-Ottawa n'explique pas tout. Ni Ottawa
ni Québec n'ont vraiment posé les gestes qui auraient permis
d'appliquer les techniques modernes d'information pour faciliter le "mariage"
entre l'offre et la demande de travail. Personne, à ce jour, ne tire
vraiment parti des renseignements dont on dispose sur la main-d'oeuvre et
sur les postes de travail.
Parlons d'abord du travailleur. Un travailleur, pour celui qui l'emploie,
c'est le dépositaire d'une compétence, c'est à dire
d'aptitudes qui sont mises en valeur par des connaissances. Ces connaissances
que possède chaque travailleur, qu'il les aient acquises en formation
ou par l'expérience, nous sommes en mesure de les connaître.
Ses diplômes en font foi, les postes qu'il a occupé les confirment.
Au besoin, un examen et quelques tests permettraient de les établir
et de reconnaître formellement sa compétence.
Ceci, nous ne le faisons pas systématiquement. Nous sommes réticents
à reconnaître les acquis des travailleurs expérimentés,
et d'aucuns prétendent que cette réticence n'est pas parfaitement
pure. Qu'elle cache, en fait, aussi bien le désir du système
de formation de ne pas comparer son apport à celui de l'expérience
sur le tas, que la crainte de ceux qui sont reconnus pour pratiquer un métier
de voir s'y infiltrer de nouveaux concurrents.
Envers et contre tous, un gouvernement qui veut la justice et la rationalisation
de nos ressources humaines doit faire en sorte que la compétence
qu'ils possèdent soit reconnue à tous ceux qui possèdent
cette compétence.
Question #7 Mettrez-vous en place un mécanisme de reconnaissance
des acquis professionnels?
_______
Avec ou sans reconnaissance formelle de ses acquis professionnels, nous
ne faisons présentement que bien peu d'efforts mettre en forme accessible
le bagage de formation et d'expérience qui fait qu'un travailleur
est ce qu'il est et qu'il devient "séduisant" pour un employeur.
Nos 861 000 sans-travail ne sont pas des êtres anonymes, puisqu'ils
touchent une assistance financière de l'État, mais ils ne
sont pas efficacement identifiés en termes de toutes leurs compétences
et de tous les postes qu'ils pourraient occuper. Nous en sommes encore à
un stade folklorique où l'on ne tien compte que d'une parcelle de
la compétence du travailleur, souvent limitée aux exigences
du dernier poste qu'il a occupé
Pourquoi ne pas identifier complètement nos sans-travail, incluant
donc la compétence de faire tout ce qui est une composante reconnue
pour faire ce qui est leur principal métier ? Pourquoi ne pas identifier
TOUS les travailleurs du Québec selon leurs compétences ?
Pourquoi ne pas donner à chacun sa Carte de Compétence. Pourquoi
ne pas savoir de qui et de quoi on parle, quand on discute des sans-travail?
Pourquoi ne pas diriger en tout temps, vers l'employeur, le travailleur
le mieux qualifié ?
Pour ce faire, bien sûr, il faudrait interroger chaque travailleur:
on le fait déjà. Il faudrait que les réponses obtenues
s'inscrivent dan une grille commune, et que la correspondance soit établie
entre les codes du Ministère de l'éducation et les codes utilisés
sur le marché du travail. Ce travail n'a jamais été
fait...
Question #8 Voyez-vous l'intérêt d'un enregistrement
professionnel ?
______
On ne peut marier le travailleur à un poste de travail que si
on connait les caractéristiques de ce poste. Ceci est possible quant
on a fait l'analyse des tâches de ce poste. C'est un travail ardu.
Cependant - et pavoisons, Québec, quand nous en avons l'occasion
! - il y a des années que le Ministère de l'Éducation
du Québec développe un système d'analyse des postes
de travail, couplé à une méthode de préparation
de programmes didactiques, qui est probablement le plus performant au monde.
Nous avons exporté ce système en Tunisie, au Maroc, au Portugal
et ailleurs..., même au Ruanda !
Ce système pourrait-être généralisé à
toutes les entreprises québécoises de plus de 20 employés.
Avec quelques modifications, il pourrait peut-être même s'avérer
utile pour toutes les entreprises de 5 employés et plus. Si ce système
était généralisé, il fournirait l'autre ensemble
sur lequel viendrait s'appliquer la "Carte de Compétence"
qui résulterait d'un enregistrement professionnel. Nous pourrions
vraiment faire des mariages entre l'offre et la demande de travail
Question #9 Voyez-vous l'intérêt de l'analyse des postes
de travail ?
__________
Si nous le faisions, nous ferions un grand bond en avant. Le travailleur
pourrait alors, à partir d'un guichet automatique, introduire sa
Carte de Compétence et connaître tous les emplois disponibles
pour lesquels il est qualifié. Nous serions à la pointe du
progrès. Personne ne dispose d'autant d'atouts que le Québec
pour le faire.
A partir d'une opération supplémentaire, le travailleur pourrait,
s'il le veut, obtenir plus de renseignements sur l'emploi disponible. Il
pourrait transmettre par fax à l'employeur de son choix son nom et
ses coordonnées, voire tout son résumé déjà
inscrit au système. Ceci est aujourd'hui, sur le plan technique,
tout à fait possible.
Question #10 Allez-vous mettre en place un système de
placement moderne et vraiment performant ?
_______
Ne nous faisons pas d'illusions, faciliter le placement ne résoudra
pas à long terme le problème de l'emploi. Mais, à court
terme, on supprime ce qu'on appelle le "chômage frictionnel"
qui dépend en grande partie des délais de rencontre: c'est
1 à 2 % de la main-d'oeuvre qu'on retourne peut-être au travail.
Si on ne créait de cette façon que 20 000 emplois, savez-vous
que c'est encore 30 fois ce qu'a créé à Sept-Iles l'Aluminerie
Alouette, laquelle a demandé un investissement de 1,5 milliard
de dollars... et a créé 700 emplois ?
5. Refaire le monde
On peut, à court terme, obtenir certains résultats en modifiant
le système de placement. Mais si on veut régler vraiment et
pour longtemps la crise du travail, il faut agir sur le travailleur lui-même.
Il faut, si on peut dire, refaire le "monde". D'abord, il faut
donner une nouvelle compétence utile à ce quart de la main-d'oeuvre
qui, actuellement, ne produit rien.
Cette compétence ne peut être qu'au niveau des services ou
du travail manuel non qualifié, car c'est de la haute fantaisie de
penser qu'on va former une main-d'oeuvre abondante pour l'«industrie
de pointe». Le propre de l'industrie de pointe, d'ailleurs, c'est justement
qu'elle n'utilise pas une main-d'oeuvre abondante. A 3 millions de dollars
pour un poste de travail, il faudrait d'ailleurs investir 2,5 TRILLIONS
de dollars pour remettre au boulot les sans-travail du Québec, ce
qui représente environ cinq fois le PNB du Canada tout entier.
Si même nous convainquions les investisseurs étrangers de nous
transformer en une espèce d'atelier technologique du 21ème
siècle, produisant à nous seuls autant qu'un pays comme la
France, nous ne saurions que faire de toute cette production "de pointe",
sinon la ré-exporter sans grandes retombées économiques
secondaires.
C'est d'ailleurs ce qui se passe avec l'aluminium d'Alouette dont nous parlions
hier. Le minerai vient d'ailleurs, la production part ailleurs. Le Québec
n'y met qu'un tout petit peu de main-d'oeuvre... et beaucoup d'électricité
vendue à rabais. Les candidats doivent nous dire s'ils s'aventurent
dans cette voie périlleuse ou, dans le cas contraire, s'ils visent
la création d'emplois dans les services ou dans les postes à
faibles qualifications.
Question # 11 Quels types de travailleurs voulez-vous former en grande
quantité; des techniciens de production, des travailleurs manuels
ou des travailleurs pour le secteur des services?
_______
Il y a deux ans, en Commission parlementaire à Québec,
j'ai eu le rare plaisir d'être félicité à la
fois par le Ministre Bourbeau et Madame Louise Harel pour un exposé
qui vantait l'apprentissage, la formation en entreprise, et le système
de formation professionnelle qu'on applique en Allemagne. Aujourd'hui, il
est tout aussi clair qu'il y a deux ans que la formation professionnelle
qu'on donne au Secondaire et dans les CEGEPS n'obéit pas aux besoins
du marché dans les diverses régions du Québec. Notre
premier critère pour décider de la formation qu'on donne dans
les CEGEPS semble être d'utiliser les enseignants et les équipements
dont nous disposons.
Question #12 Voulez-vous former des travailleurs strictement selon
les besoins de notre économie, ou en tenant compte d'autres facteurs?
_______
La façon la plus efficace et la plus économique de
former selon la demande est, la plupart du temps, la formation en entreprise
ou un jumelage qui permet de donner les cours théoriques en institutions
mais les cours pratiques en ateliers, au sein de l'entreprise, avec des
travailleurs professionnels comme instructeurs. On le fait en Allemagne
(Dual) , mais aussi en Angleterre depuis des décennies sous le nom
de «sandwich courses».
On peut intégrer la formation professionnelle à l'activité
de l'entreprise et ne confier aux institutions que la formation de type
"tronc-commun", c'est à dire celle qui ne sert que de base
générale à l'apprentissage de ce qui est vraiment utile
sur le marché du travail. Dans ce cas, nous pourrions avoir une formation
à temps partagé entre l'usine et l'école. Plus efficace,
plus économique, plus motivante.
Question #13 Voulez-vous transporter vers l'entreprise la formation
professionnelle spécifique?
______
Le défi colossal de la formation professionnelle, aujourd'hui,
c'est qu'il ne s'agit pas seulement de former le quart de la main-d'oeuvre
qui est sans-travail à des compétences et des attitudes nouvelles.
Tout change. Personne n'acquiert au départ une formation qui vaudra
pour toute sa vie active. il faut inscrire en perfectionnement continu,
en rotation, un autre 15% de la main-d'oeuvre, puisque même les tâches
de ceux qui sont au travail vont rapidement se transformer.
Est-ce que vous êtes conscients de l'urgence de mettre en place un
programme universel de formation professionnelle continue et de le doter
des ressources des entreprises comme de celles du réseau de l'éducation
? Entendez-vous intégrer totalement ce programme au système
d'éducation, de telle sorte que jamais aucune formation ne devienne
un cul-de-sac, que personne ne soit jamais à la fin de son apprentissage
?
Question #14 Mettrez-vous en place une formation continue ?
_____
Quand on parle de formation, les techniques didactiques et pédagogiques
du Québec sont remarquables. Le problème qui se pose est au
niveau des structures et surtout des moyens financiers. Êtes vous
prêts à mettre le paquet sur la formation professionnelle ?
Et nous ne parlons pas de millions, nous parlons de milliards. C'est le
passage obligé vers l'avenir.
Êtes-vous prêts, si nécessaire, à taxer et à
imposer les entreprises pour réaliser ce programme ? Et si un fardeau
fiscal supérieur met en péril vos industries, êtes vous
prêt à faire jouer la solidarité et à taxer et
imposer la population elle-même pour garder toute la main-d'oeuvre
au travail ? C'est un choix de société. Faites ce que vous
voulez, mais dites nous franchement ce que vous allez faire.
Et savez-vous ce qu'il en coûtera pour le faire ? Si vous n'avez pas
estimé le coût de l'investissement requis en formation professionnelle,
vous m'inquiétez. Si vous le savez et nous le cachez vous m'irritez.
Calculez et parlez, c'est ça la démocratie. Je crois que l'exercice
en vaudrait la peine et que le résultat intéresserait les
électeurs.
Question #15 A combien estimez-vous l'investissement en formation
?
_____
Le financement de la formation professionnelle dépend d'Ottawa. Oui,
il faudrait ramener cette compétence au Québec, mais il n
y a rien à ajouter puisque vous êtes tous deux d'accord. La
question n'est pas là, mais sur l'ineptie de maintenir des discussions
sur le sujet.
Le financement de la formation professionnelle semble dépendre d'Ottawa.
En fait, compte tenu de la situation politique, il dépend de votre
compétence. Car aucun gouvernement fédéral ne fera
obstacle à une politique de formation qui serait indiscutablement
plus efficace et qui contribuerait visiblement à ramener les chômeurs
au travail. Les sans-travail votent à Ottawa comme à Québec.
Préparez le plan dont nous avons besoin et appliquez-le. Il ne s'agit
pas de négocier, il s'agit d'avoir raison: le reste se fera sans
problème. J'attire votre attention sur le fait qu'aucune Loi 101
ni aucune négociation n'a été nécessaire pour
convaincre tous les grands restaurants du monde d'établir leurs menus
en français. Il a suffi d'être les meilleurs.
Question #16 Allez-vous préparer et appliquer sans délai
un plan global de formation professionnelle ?
_____
En fait, on fait porter à Ottawa bien des torts dont nous sommes
responsables. Quand Ottawa et Québec offrent des services similaires,
ce n'est pas toujours à la porte québécoise qu'on est
le mieux reçu et que le service est le plus efficace. Il est vrai,
que la confusion règne entre Ottawa et Québec dans le domaine
de la formation et qu'elle est source de difficultés. Mais la confusion
règne aussi entre le (ou les) ministères québécois
qui s'occupent de travail et de main-d'oeuvre, et entre ceux-ci et le (ou
les) ministères québécois qui s'occupent d'éducation.
La confusion règne aussi entre tous ces ministères et la Société
Québécoise de Développement de la Main-d'oeuvre, laquelle
est venu faire la synthèse de toutes les confusions des Centres de
Formation Professionnels qu'elle a remplacés... et n'a pas de rôle
utile, étant seulement en attente d'hypothétiques transferts
de fonds fédéraux.
Les Universités ont aussi leurs propres approches indépendantes,
chacune la sienne, pactisant quand il le faut avec Ottawa comme Québec;
les CEGEP sont autant de centres de profit indépendants, court-circuitant
les Centres de main-d'oeuvre auprès des employeurs pour vendre leurs
programmes de formation. Les centres de formation privés jouent aussi
leur propre jeu, et la formation en entreprise, subventionnée ou
non, a aussi ses règles.
Le Québec ferait mieux de mettre de l'ordre dans sa propre maison
et dans le grand bazar de la formation et des politiques de main-d'oeuvre.
Les sans-travail seraient mieux servis si on créait ici, comme on
vient de le faire à Ottawa, un Ministère des Ressources Humaines,
tel que le Bureau International du Travail le recommande depuis des lustres.
Question # 17 Allez-vous créer un guichet unique pour la formation
?
______
Il y a bien plus à dire sur la formation. Il faudrait revoir
l'arrimage entre l'éducation générale et la formation.
Accorder aux besoins professionnels l'importance qu'ils devraient avoir
lorsqu'on décide du contenu des programmes...
Question #18 Allez-vous revoir l'éducation de base pour qu'elle
soit aussi une préparation à la vie professionnelle ?
_______
6. Un filet sous le trapèze
On parle toujours pudiquement du plein emploi et de la sécurité
d'emploi, mais il faut décoder et comprendre que ce que tout le monde
demande, en fait, c'est un plein revenu et la sécurité du
revenu. Avec un quart des travailleurs qui ne travaillent pas, cette sécurité
du revenu est obtenue actuellement, au Québec, par le versement chaque
année d'une dizaine de milliards de dollars aux sans-travail.
C'est beaucoup et ça augmente. C'est en mars cette année qu'on
a atteint, pour la première fois, le seuil des 300 000 000 $ par
mois pour les seuls versements du B.S. C'est beaucoup pour celui qui paye,
c'est bien peu - 657 $ par mois en moyenne par ménage - pour celui
qui reçoit. Il est surtout clair que ce qu'on verse aux sans-travail
n'est manifestement pas suffisant pour faire tourner à plein les
roues de notre économie... mais qu'il n'est pas évident que
ce sont nos roues qui tourneraient à plein si on leur en donnait
plus.
Attention, je sais que ce que je viens de dire n'est pas simple. Je vais
l'expliquer pour que tout le monde comprenne, au risque d'avoir bien des
ennuis, car ce sont des choses que tout le monde ne tient pas à ce
que tout le monde comprenne.
Comprenez d'abord que si on verse dix milliards par année aux sans-travail,
ce n'est pas uniquement par charité chrétienne. Ils sont chrétiens
aussi au Pérou, ils sont charitables aussi à Bombay, mais
là-bas, on ne donne rien à personne. Ici, on donne parce que,
dans une société industrielle comme la nôtre, la richesse
est investie directement ou indirectement dans la production. Si la production
restait invendue faute d'argent aux mains des consommateurs, c'est la valeur
des entreprises elles-mêmes qui s'effondrerait et ce serait la ruine
pour ceux qui possèdent les entreprises, lesquels ont aussi un mot
à dire sur la façon dont on gère l'argent dans notre
société.
Notre société ne peut pas fonctionner sans qu'il y ait l'argent
qu'il faut dans les mains des consommateurs qu'il faut... et qu'une très
grande part au moins de ce qui est produit soit vendu et vendu avec un profit.
C'est en fait la première fonction d'un gouvernement moderne de maintenir
cet équilibre.
Autre fait intéressant à noter, ce sont les pauvres qui sont
de bons consommateurs. Ceux qui ont tout ce dont ils ont besoin ont la mauvaise
habitude de ne pas dépenser l'argent qu'on leur donne mais de le
garder. Il n'y a donc rien d'étonnant, mais rien d'édifiant
non plus, à ce que les sans-travail, devenus inutiles comme producteurs,
reçoivent une pitance - assurance-chômage, B.S, allocations
diverses - pour demeurer des consommateurs. Ils achètent, les entreprises
vendent; une partie des profits des entreprises va en impôts, avec
lesquels on donne aux sans-travail le revenu qui leur permet d'acheter...
etc.
Le problème se pose, toutefois, si le consommateur à qui on
verse l'argent le dépense à acheter autre chose que ce que
produit celui qui a autorisé le versement. Plus de profits, plus
d'impôts, plus de transferts. Au Québec, comme dans les autres
pays d'ailleurs, nous ne produisons pas tout. Tout ce que consomme le sans-travail
à qui on donne un revenu n'est donc pas produit au Québec,
il faut donc être prudent, et il y a des limites concrètes
à notre "générosité".
Il y a des "produits" que l'on consomme au Québec, cependant,
qui sont presque entièrement du Québec: les services. Ça
ne règle pas le problème de base, car si on peut aujourd'hui
produire des biens presque sans main-d'oeuvre, on ne peut et on ne pourra
jamais survivre sans produire des biens: nous sommes dépendants,
pour les biens que nous consommons, d'une structure de production qui est
internationale et qui le restera quoi qu'on fasse. Produire plus de services
ne règle donc pas totalement le problème... mais ça
nous donne une marge de manoeuvre.
Si nous produisons plus de services, nous augmentons notre qualité
de vie et nous créons une valeur pour laquelle il existe une demande
"effective" , c'est à dire une demande de la part de ceux
qui produisent aussi une valeur pour laquelle il y a une demande. Si nous
pouvons donner aux sans-travail un préparation qui leur permette
d'offrir un service utile, nous aurons les moyens de leur offrir un revenu
décent. En fait, nous n'aurons plus à leur offrir quoi que
ce soit: ils gagneront correctement leur vie à vendre leurs services.
Nous parlons de services, mais nous pourrions ajouter tout travail qui ne
requiert pas une structure industrielle pour produire un bien. Il y a une
demande pour ces biens comme pour les services La rénovation en est
un bon exemple, comme la petite construction résidentielle, et la
loi 142 est une tentative pour ouvrir ce marché. Il est seulement
dommage qu'elle n'ait pas pris en compte les droits acquis des travailleurs
et qu'elle ait mené à une confrontation plutôt qu'à
une concertation où tout le monde aurait trouvé son compte...
et surtout les syndicats. La transition, en fait, va de l'emploi salarié
vers le travail professionnel autonome, hors la structure traditionnelle
des emplois.
Le problème est de financer la transition: le temps pendant lequel
les sans-travail et une bonne partie de ceux qui sont encore au travail
mais qui en seront bientôt chassés par les machines plus performantes
apprendront à vendre leurs services comme travailleurs professionnels
autonomes, hors de la structure actuelle des emplois.
On ne peut pas payer la transition en imposant davantage ceux qui travaillent
pendant qu'une partie croissante de la population ne travaille pas. Il faut
créer de la richesse en mettant tout le monde au travail. La seule
façon d'assurer un revenu décent à tous sans mener
la classe moyenne à la banqueroute - et à la révolte
! - c'est de mettre en place un système de revenu minimum garanti.
Mais ne parlons pas d'un revenu minimum garanti sans contrepartie. Le revenu
minimum garanti doit aller de paire avec une prestation minimale de travail,
sans quoi nous allons à la ruine. Il faut exiger de tous une contribution
à l'effort collectif.
Une contribution qui revête la forme, d'abord, d'un emploi à
temps plus ou moins complet en échange d'un salaire - c'est ce qu'on
vise par le travail partagé. Une contribution parallèle, ensuite,
par le travailleur qui ne passant qu'une partie de son temps dans un emploi
salarié peut développer une compétence de fournisseur
de services et la mettre en valeur comme travailleur autonome.
C'est cette double approche qui permet de financer la transition. Le travailleur
a son salaire minimum garanti, en échange d'un emploi, et c'est la
responsabilité absolue de l'État de lui procurer cet emploi.
Il développe une compétence supplémentaire et en tire
en parallèle un revenu comme travailleur autonome, à la mesure
de son travail et de son ambition, ce qui est tout à fait dans la
ligne de la philosophie économique actuelle. La seule responsabilité
de l'État, à ce titre, est de lui donner accès à
la formation pour qu'il développe cette compétence.
Question #19 Mettrez-vous en place un système de revenu minimum
garanti ?
Question #20 Accepteriez-vous un système qui permettrait
au travailleur, à certaines conditions, de toucher ce minimum garanti
mais de parfaire son revenu par un travail autonome ?
______
Cette évolution vers l'autonomie du travail est inévitable.
Elle correspond au besoin de laisser un travailleur plus instruit et mieux
formé mettre à profit son initiative et sa créativité
sans les contraintes rigides d'un emploi. La structure des emplois a été
créée parce qu'elle collait aux nécessités de
la production en chaîne dans une structure industrielle. Elle ne répond
pas aux besoins d'une économie de services, alors que c'est la relation
humaine et la motivation qui sont les grandes exigences.
Pendant que nous allons vers une structure de travail qui encadrera des
professionnels autonomes plutôt que des employés, il ne faut
cependant pas perdre les acquis de la sécurité qui devrait
aller de paire avec le développement de notre richesse collective.
Des douzaines de programmes de soutien au revenu et à l'emploi apportent
aujourd'hui une grande confusion et sont souvent source d'injustices et
de frustration. L'heure du revenu minimum garanti a sonné. Le gouvernement
qui offrira de le faire mériterait d'avoir le mandat de le faire.
Pierre JC Allard