4 Télé-placements «à la carte»



Jusqu'à ce jour, nous avons posé aux candidats des questions générales, pour savoir où ils se situaient, quelle était leur approche au problème de l'emploi. Désormais, il va falloir aller plus en profondeur. Savoir les techniques qu'ils préconisent, comprendre COMMENT ils ont l'intention de faire les choses, parce que les meilleures intentions du monde ne suffisent pas si on ne les met pas en pratique. Nous allons parler, dans ces trois derniers articles, du placement, de la formation et, finalement, du partage du travail et de la sécurité du revenu.

Les Québécois ne demandent pas que les candidats soient des experts en ces domaines. Après tout, être politicien est un job à plein temps. Les Québécois s'attendent, cependant, à ce que les candidats puissent s'appuyer sur des experts qui connaissent ces questions et à ce que leurs programmes reflètent la compétence de leur équipe.

Car c'est cette équipe de conseiller technique qui va venir donner la note pour orienter les fonctionnaires et qui va nous guider vers une solution de la crise. C'est cette équipe qui devrait donc suggérer aux deux candidats les réponses à apporter aux questions qui suivront. Ce sont les candidats, cependant, qui doivent naturellement garder la responsabilité des réponses qu'ils endossent.

Au départ, il faut parler placement. Parce que, quelle que soit la potion magique que propose le candidat, les mécanismes qui permettent aux employeurs et aux travailleurs de se rencontrer sont indispensables et que, par surcroît, leur efficience est largement indépendante des autres choix que fait le décideur. Qu'il soit d'obédience "structurelle" ou "conjoncturelle" Celui qui nous réglera la crise du travail devra compter sur des mécanismes de placement.

Les techniques de placement ne sont pas là pour régler le problème à long terme. S'il y a une disparité entre ce que veulent les employeurs et ce que les travailleurs ont a offrir, les mettre en contact plus vite ne changera rien. Mais, à tout moment donné, le placement est nécessaire pour tirer le meilleur parti possible de la situation présente.

Le centre de placement est un lieu de rencontre. Dans un monde de solitude, il est normal que les Clubs de rencontre prolifèrent: tout le monde ne veut pas organiser sa vie sentimentale au hasard des rues et des bars. Dans une société ou le chômage est omniprésent, il serait normal qu'un vaste Bureau du Travail permettent de faire la paire entre les demandes et les offres d'emplois. Ce grand Bureau du Travail, actuellement, n'existe pas.

Il existe, bien sûr, des Centres d'Emploi et des Centres de Main-d'oeuvre. Mais on est loin d'y faire tous les mariages heureux qu'on pourrait. On ne le fait pas, nous dirons les candidats, parce que la confusion règne entre le système du Québec et celui d'Ottawa. Je suis heureux de leur donner raison... en partie. Il est vrai que les systèmes de main-d'oeuvre du Québec et du gouvernement fédéral sont mal arrimés, que la façon dont ils se repartissent les tâchent est inefficace et que somme toute, il serait utile que l'un ou l'autre disparaisse.

Ceci dit, le conflit Québec-Ottawa n'explique pas tout. Ni Ottawa ni Québec n'ont vraiment posé les gestes qui auraient permis d'appliquer les techniques modernes d'information pour faciliter le "mariage" entre l'offre et la demande de travail. Personne, à ce jour, ne tire vraiment parti des renseignements dont on dispose sur la main-d'oeuvre et sur les postes de travail.

Parlons d'abord du travailleur. Un travailleur, pour celui qui l'emploie, c'est le dépositaire d'une compétence, c'est à dire d'aptitudes qui sont mises en valeur par des connaissances. Ces connaissances que possède chaque travailleur, qu'il les aient acquises en formation ou par l'expérience, nous sommes en mesure de les connaître. Ses diplômes en font foi, les postes qu'il a occupé les confirment. Au besoin, un examen et quelques tests permettraient de les établir et de reconnaître formellement sa compétence.

Ceci, nous ne le faisons pas systématiquement. Nous sommes réticents à reconnaître les acquis des travailleurs expérimentés, et d'aucuns prétendent que cette réticence n'est pas parfaitement pure. Qu'elle cache, en fait, aussi bien le désir du système de formation de ne pas comparer son apport à celui de l'expérience sur le tas, que la crainte de ceux qui sont reconnus pour pratiquer un métier de voir s'y infiltrer de nouveaux concurrents.

Envers et contre tous, un gouvernement qui veut la justice et la rationalisation de nos ressources humaines doit faire en sorte que la compétence qu'ils possèdent soit reconnue à tous ceux qui possèdent cette compétence.

Question #7 Mettrez-vous en place un mécanisme de reconnaissance des acquis professionnels?
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Avec ou sans reconnaissance formelle de ses acquis professionnels, nous ne faisons présentement que bien peu d'efforts mettre en forme accessible le bagage de formation et d'expérience qui fait qu'un travailleur est ce qu'il est et qu'il devient "séduisant" pour un employeur. Nos 861 000 sans-travail ne sont pas des êtres anonymes, puisqu'ils touchent une assistance financière de l'État, mais ils ne sont pas efficacement identifiés en termes de toutes leurs compétences et de tous les postes qu'ils pourraient occuper. Nous en sommes encore à un stade folklorique où l'on ne tien compte que d'une parcelle de la compétence du travailleur, souvent limitée aux exigences du dernier poste qu'il a occupé

Pourquoi ne pas identifier complètement nos sans-travail, incluant donc la compétence de faire tout ce qui est une composante reconnue pour faire ce qui est leur principal métier ? Pourquoi ne pas identifier TOUS les travailleurs du Québec selon leurs compétences ? Pourquoi ne pas donner à chacun sa Carte de Compétence. Pourquoi ne pas savoir de qui et de quoi on parle, quand on discute des sans-travail? Pourquoi ne pas diriger en tout temps, vers l'employeur, le travailleur le mieux qualifié ?

Pour ce faire, bien sûr, il faudrait interroger chaque travailleur: on le fait déjà. Il faudrait que les réponses obtenues s'inscrivent dan une grille commune, et que la correspondance soit établie entre les codes du Ministère de l'éducation et les codes utilisés sur le marché du travail. Ce travail n'a jamais été fait...

Question #8 Voyez-vous l'intérêt d'un enregistrement professionnel ?
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On ne peut marier le travailleur à un poste de travail que si on connait les caractéristiques de ce poste. Ceci est possible quant on a fait l'analyse des tâches de ce poste. C'est un travail ardu. Cependant - et pavoisons, Québec, quand nous en avons l'occasion ! - il y a des années que le Ministère de l'Éducation du Québec développe un système d'analyse des postes de travail, couplé à une méthode de préparation de programmes didactiques, qui est probablement le plus performant au monde. Nous avons exporté ce système en Tunisie, au Maroc, au Portugal et ailleurs..., même au Ruanda !

Ce système pourrait-être généralisé à toutes les entreprises québécoises de plus de 20 employés. Avec quelques modifications, il pourrait peut-être même s'avérer utile pour toutes les entreprises de 5 employés et plus. Si ce système était généralisé, il fournirait l'autre ensemble sur lequel viendrait s'appliquer la "Carte de Compétence" qui résulterait d'un enregistrement professionnel. Nous pourrions vraiment faire des mariages entre l'offre et la demande de travail

Question #9 Voyez-vous l'intérêt de l'analyse des postes de travail ?
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Si nous le faisions, nous ferions un grand bond en avant. Le travailleur pourrait alors, à partir d'un guichet automatique, introduire sa Carte de Compétence et connaître tous les emplois disponibles pour lesquels il est qualifié. Nous serions à la pointe du progrès. Personne ne dispose d'autant d'atouts que le Québec pour le faire.

A partir d'une opération supplémentaire, le travailleur pourrait, s'il le veut, obtenir plus de renseignements sur l'emploi disponible. Il pourrait transmettre par fax à l'employeur de son choix son nom et ses coordonnées, voire tout son résumé déjà inscrit au système. Ceci est aujourd'hui, sur le plan technique, tout à fait possible.


Question #10 Allez-vous mettre en place un système de placement moderne et vraiment performant ?
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Ne nous faisons pas d'illusions, faciliter le placement ne résoudra pas à long terme le problème de l'emploi. Mais, à court terme, on supprime ce qu'on appelle le "chômage frictionnel" qui dépend en grande partie des délais de rencontre: c'est 1 à 2 % de la main-d'oeuvre qu'on retourne peut-être au travail. Si on ne créait de cette façon que 20 000 emplois, savez-vous que c'est encore 30 fois ce qu'a créé à Sept-Iles l'Aluminerie Alouette, laquelle a demandé un investissement de 1,5 milliard de dollars... et a créé 700 emplois ?



5. Refaire le monde



On peut, à court terme, obtenir certains résultats en modifiant le système de placement. Mais si on veut régler vraiment et pour longtemps la crise du travail, il faut agir sur le travailleur lui-même. Il faut, si on peut dire, refaire le "monde". D'abord, il faut donner une nouvelle compétence utile à ce quart de la main-d'oeuvre qui, actuellement, ne produit rien.

Cette compétence ne peut être qu'au niveau des services ou du travail manuel non qualifié, car c'est de la haute fantaisie de penser qu'on va former une main-d'oeuvre abondante pour l'«industrie de pointe». Le propre de l'industrie de pointe, d'ailleurs, c'est justement qu'elle n'utilise pas une main-d'oeuvre abondante. A 3 millions de dollars pour un poste de travail, il faudrait d'ailleurs investir 2,5 TRILLIONS de dollars pour remettre au boulot les sans-travail du Québec, ce qui représente environ cinq fois le PNB du Canada tout entier.

Si même nous convainquions les investisseurs étrangers de nous transformer en une espèce d'atelier technologique du 21ème siècle, produisant à nous seuls autant qu'un pays comme la France, nous ne saurions que faire de toute cette production "de pointe", sinon la ré-exporter sans grandes retombées économiques secondaires.

C'est d'ailleurs ce qui se passe avec l'aluminium d'Alouette dont nous parlions hier. Le minerai vient d'ailleurs, la production part ailleurs. Le Québec n'y met qu'un tout petit peu de main-d'oeuvre... et beaucoup d'électricité vendue à rabais. Les candidats doivent nous dire s'ils s'aventurent dans cette voie périlleuse ou, dans le cas contraire, s'ils visent la création d'emplois dans les services ou dans les postes à faibles qualifications.


Question # 11 Quels types de travailleurs voulez-vous former en grande quantité; des techniciens de production, des travailleurs manuels ou des travailleurs pour le secteur des services?
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Il y a deux ans, en Commission parlementaire à Québec, j'ai eu le rare plaisir d'être félicité à la fois par le Ministre Bourbeau et Madame Louise Harel pour un exposé qui vantait l'apprentissage, la formation en entreprise, et le système de formation professionnelle qu'on applique en Allemagne. Aujourd'hui, il est tout aussi clair qu'il y a deux ans que la formation professionnelle qu'on donne au Secondaire et dans les CEGEPS n'obéit pas aux besoins du marché dans les diverses régions du Québec. Notre premier critère pour décider de la formation qu'on donne dans les CEGEPS semble être d'utiliser les enseignants et les équipements dont nous disposons.

Question #12 Voulez-vous former des travailleurs strictement selon les besoins de notre économie, ou en tenant compte d'autres facteurs?
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La façon la plus efficace et la plus économique de former selon la demande est, la plupart du temps, la formation en entreprise ou un jumelage qui permet de donner les cours théoriques en institutions mais les cours pratiques en ateliers, au sein de l'entreprise, avec des travailleurs professionnels comme instructeurs. On le fait en Allemagne (Dual) , mais aussi en Angleterre depuis des décennies sous le nom de «sandwich courses».

On peut intégrer la formation professionnelle à l'activité de l'entreprise et ne confier aux institutions que la formation de type "tronc-commun", c'est à dire celle qui ne sert que de base générale à l'apprentissage de ce qui est vraiment utile sur le marché du travail. Dans ce cas, nous pourrions avoir une formation à temps partagé entre l'usine et l'école. Plus efficace, plus économique, plus motivante.

Question #13 Voulez-vous transporter vers l'entreprise la formation professionnelle spécifique?
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Le défi colossal de la formation professionnelle, aujourd'hui, c'est qu'il ne s'agit pas seulement de former le quart de la main-d'oeuvre qui est sans-travail à des compétences et des attitudes nouvelles. Tout change. Personne n'acquiert au départ une formation qui vaudra pour toute sa vie active. il faut inscrire en perfectionnement continu, en rotation, un autre 15% de la main-d'oeuvre, puisque même les tâches de ceux qui sont au travail vont rapidement se transformer.

Est-ce que vous êtes conscients de l'urgence de mettre en place un programme universel de formation professionnelle continue et de le doter des ressources des entreprises comme de celles du réseau de l'éducation ? Entendez-vous intégrer totalement ce programme au système d'éducation, de telle sorte que jamais aucune formation ne devienne un cul-de-sac, que personne ne soit jamais à la fin de son apprentissage ?

Question #14 Mettrez-vous en place une formation continue ?
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Quand on parle de formation, les techniques didactiques et pédagogiques du Québec sont remarquables. Le problème qui se pose est au niveau des structures et surtout des moyens financiers. Êtes vous prêts à mettre le paquet sur la formation professionnelle ? Et nous ne parlons pas de millions, nous parlons de milliards. C'est le passage obligé vers l'avenir.

Êtes-vous prêts, si nécessaire, à taxer et à imposer les entreprises pour réaliser ce programme ? Et si un fardeau fiscal supérieur met en péril vos industries, êtes vous prêt à faire jouer la solidarité et à taxer et imposer la population elle-même pour garder toute la main-d'oeuvre au travail ? C'est un choix de société. Faites ce que vous voulez, mais dites nous franchement ce que vous allez faire.

Et savez-vous ce qu'il en coûtera pour le faire ? Si vous n'avez pas estimé le coût de l'investissement requis en formation professionnelle, vous m'inquiétez. Si vous le savez et nous le cachez vous m'irritez. Calculez et parlez, c'est ça la démocratie. Je crois que l'exercice en vaudrait la peine et que le résultat intéresserait les électeurs.

Question #15 A combien estimez-vous l'investissement en formation ?
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Le financement de la formation professionnelle dépend d'Ottawa. Oui, il faudrait ramener cette compétence au Québec, mais il n y a rien à ajouter puisque vous êtes tous deux d'accord. La question n'est pas là, mais sur l'ineptie de maintenir des discussions sur le sujet.

Le financement de la formation professionnelle semble dépendre d'Ottawa. En fait, compte tenu de la situation politique, il dépend de votre compétence. Car aucun gouvernement fédéral ne fera obstacle à une politique de formation qui serait indiscutablement plus efficace et qui contribuerait visiblement à ramener les chômeurs au travail. Les sans-travail votent à Ottawa comme à Québec.

Préparez le plan dont nous avons besoin et appliquez-le. Il ne s'agit pas de négocier, il s'agit d'avoir raison: le reste se fera sans problème. J'attire votre attention sur le fait qu'aucune Loi 101 ni aucune négociation n'a été nécessaire pour convaincre tous les grands restaurants du monde d'établir leurs menus en français. Il a suffi d'être les meilleurs.


Question #16 Allez-vous préparer et appliquer sans délai un plan global de formation professionnelle ?
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En fait, on fait porter à Ottawa bien des torts dont nous sommes responsables. Quand Ottawa et Québec offrent des services similaires, ce n'est pas toujours à la porte québécoise qu'on est le mieux reçu et que le service est le plus efficace. Il est vrai, que la confusion règne entre Ottawa et Québec dans le domaine de la formation et qu'elle est source de difficultés. Mais la confusion règne aussi entre le (ou les) ministères québécois qui s'occupent de travail et de main-d'oeuvre, et entre ceux-ci et le (ou les) ministères québécois qui s'occupent d'éducation.

La confusion règne aussi entre tous ces ministères et la Société Québécoise de Développement de la Main-d'oeuvre, laquelle est venu faire la synthèse de toutes les confusions des Centres de Formation Professionnels qu'elle a remplacés... et n'a pas de rôle utile, étant seulement en attente d'hypothétiques transferts de fonds fédéraux.

Les Universités ont aussi leurs propres approches indépendantes, chacune la sienne, pactisant quand il le faut avec Ottawa comme Québec; les CEGEP sont autant de centres de profit indépendants, court-circuitant les Centres de main-d'oeuvre auprès des employeurs pour vendre leurs programmes de formation. Les centres de formation privés jouent aussi leur propre jeu, et la formation en entreprise, subventionnée ou non, a aussi ses règles.

Le Québec ferait mieux de mettre de l'ordre dans sa propre maison et dans le grand bazar de la formation et des politiques de main-d'oeuvre. Les sans-travail seraient mieux servis si on créait ici, comme on vient de le faire à Ottawa, un Ministère des Ressources Humaines, tel que le Bureau International du Travail le recommande depuis des lustres.

Question # 17 Allez-vous créer un guichet unique pour la formation ?
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Il y a bien plus à dire sur la formation. Il faudrait revoir l'arrimage entre l'éducation générale et la formation. Accorder aux besoins professionnels l'importance qu'ils devraient avoir lorsqu'on décide du contenu des programmes...

Question #18 Allez-vous revoir l'éducation de base pour qu'elle soit aussi une préparation à la vie professionnelle ?
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6. Un filet sous le trapèze



On parle toujours pudiquement du plein emploi et de la sécurité d'emploi, mais il faut décoder et comprendre que ce que tout le monde demande, en fait, c'est un plein revenu et la sécurité du revenu. Avec un quart des travailleurs qui ne travaillent pas, cette sécurité du revenu est obtenue actuellement, au Québec, par le versement chaque année d'une dizaine de milliards de dollars aux sans-travail.

C'est beaucoup et ça augmente. C'est en mars cette année qu'on a atteint, pour la première fois, le seuil des 300 000 000 $ par mois pour les seuls versements du B.S. C'est beaucoup pour celui qui paye, c'est bien peu - 657 $ par mois en moyenne par ménage - pour celui qui reçoit. Il est surtout clair que ce qu'on verse aux sans-travail n'est manifestement pas suffisant pour faire tourner à plein les roues de notre économie... mais qu'il n'est pas évident que ce sont nos roues qui tourneraient à plein si on leur en donnait plus.

Attention, je sais que ce que je viens de dire n'est pas simple. Je vais l'expliquer pour que tout le monde comprenne, au risque d'avoir bien des ennuis, car ce sont des choses que tout le monde ne tient pas à ce que tout le monde comprenne.

Comprenez d'abord que si on verse dix milliards par année aux sans-travail, ce n'est pas uniquement par charité chrétienne. Ils sont chrétiens aussi au Pérou, ils sont charitables aussi à Bombay, mais là-bas, on ne donne rien à personne. Ici, on donne parce que, dans une société industrielle comme la nôtre, la richesse est investie directement ou indirectement dans la production. Si la production restait invendue faute d'argent aux mains des consommateurs, c'est la valeur des entreprises elles-mêmes qui s'effondrerait et ce serait la ruine pour ceux qui possèdent les entreprises, lesquels ont aussi un mot à dire sur la façon dont on gère l'argent dans notre société.

Notre société ne peut pas fonctionner sans qu'il y ait l'argent qu'il faut dans les mains des consommateurs qu'il faut... et qu'une très grande part au moins de ce qui est produit soit vendu et vendu avec un profit. C'est en fait la première fonction d'un gouvernement moderne de maintenir cet équilibre.

Autre fait intéressant à noter, ce sont les pauvres qui sont de bons consommateurs. Ceux qui ont tout ce dont ils ont besoin ont la mauvaise habitude de ne pas dépenser l'argent qu'on leur donne mais de le garder. Il n'y a donc rien d'étonnant, mais rien d'édifiant non plus, à ce que les sans-travail, devenus inutiles comme producteurs, reçoivent une pitance - assurance-chômage, B.S, allocations diverses - pour demeurer des consommateurs. Ils achètent, les entreprises vendent; une partie des profits des entreprises va en impôts, avec lesquels on donne aux sans-travail le revenu qui leur permet d'acheter... etc.

Le problème se pose, toutefois, si le consommateur à qui on verse l'argent le dépense à acheter autre chose que ce que produit celui qui a autorisé le versement. Plus de profits, plus d'impôts, plus de transferts. Au Québec, comme dans les autres pays d'ailleurs, nous ne produisons pas tout. Tout ce que consomme le sans-travail à qui on donne un revenu n'est donc pas produit au Québec, il faut donc être prudent, et il y a des limites concrètes à notre "générosité".

Il y a des "produits" que l'on consomme au Québec, cependant, qui sont presque entièrement du Québec: les services. Ça ne règle pas le problème de base, car si on peut aujourd'hui produire des biens presque sans main-d'oeuvre, on ne peut et on ne pourra jamais survivre sans produire des biens: nous sommes dépendants, pour les biens que nous consommons, d'une structure de production qui est internationale et qui le restera quoi qu'on fasse. Produire plus de services ne règle donc pas totalement le problème... mais ça nous donne une marge de manoeuvre.

Si nous produisons plus de services, nous augmentons notre qualité de vie et nous créons une valeur pour laquelle il existe une demande "effective" , c'est à dire une demande de la part de ceux qui produisent aussi une valeur pour laquelle il y a une demande. Si nous pouvons donner aux sans-travail un préparation qui leur permette d'offrir un service utile, nous aurons les moyens de leur offrir un revenu décent. En fait, nous n'aurons plus à leur offrir quoi que ce soit: ils gagneront correctement leur vie à vendre leurs services.

Nous parlons de services, mais nous pourrions ajouter tout travail qui ne requiert pas une structure industrielle pour produire un bien. Il y a une demande pour ces biens comme pour les services La rénovation en est un bon exemple, comme la petite construction résidentielle, et la loi 142 est une tentative pour ouvrir ce marché. Il est seulement dommage qu'elle n'ait pas pris en compte les droits acquis des travailleurs et qu'elle ait mené à une confrontation plutôt qu'à une concertation où tout le monde aurait trouvé son compte... et surtout les syndicats. La transition, en fait, va de l'emploi salarié vers le travail professionnel autonome, hors la structure traditionnelle des emplois.

Le problème est de financer la transition: le temps pendant lequel les sans-travail et une bonne partie de ceux qui sont encore au travail mais qui en seront bientôt chassés par les machines plus performantes apprendront à vendre leurs services comme travailleurs professionnels autonomes, hors de la structure actuelle des emplois.

On ne peut pas payer la transition en imposant davantage ceux qui travaillent pendant qu'une partie croissante de la population ne travaille pas. Il faut créer de la richesse en mettant tout le monde au travail. La seule façon d'assurer un revenu décent à tous sans mener la classe moyenne à la banqueroute - et à la révolte ! - c'est de mettre en place un système de revenu minimum garanti.

Mais ne parlons pas d'un revenu minimum garanti sans contrepartie. Le revenu minimum garanti doit aller de paire avec une prestation minimale de travail, sans quoi nous allons à la ruine. Il faut exiger de tous une contribution à l'effort collectif.

Une contribution qui revête la forme, d'abord, d'un emploi à temps plus ou moins complet en échange d'un salaire - c'est ce qu'on vise par le travail partagé. Une contribution parallèle, ensuite, par le travailleur qui ne passant qu'une partie de son temps dans un emploi salarié peut développer une compétence de fournisseur de services et la mettre en valeur comme travailleur autonome.

C'est cette double approche qui permet de financer la transition. Le travailleur a son salaire minimum garanti, en échange d'un emploi, et c'est la responsabilité absolue de l'État de lui procurer cet emploi. Il développe une compétence supplémentaire et en tire en parallèle un revenu comme travailleur autonome, à la mesure de son travail et de son ambition, ce qui est tout à fait dans la ligne de la philosophie économique actuelle. La seule responsabilité de l'État, à ce titre, est de lui donner accès à la formation pour qu'il développe cette compétence.


Question #19 Mettrez-vous en place un système de revenu minimum garanti ?

Question #20 Accepteriez-vous un système qui permettrait au travailleur, à certaines conditions, de toucher ce minimum garanti mais de parfaire son revenu par un travail autonome ?
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Cette évolution vers l'autonomie du travail est inévitable. Elle correspond au besoin de laisser un travailleur plus instruit et mieux formé mettre à profit son initiative et sa créativité sans les contraintes rigides d'un emploi. La structure des emplois a été créée parce qu'elle collait aux nécessités de la production en chaîne dans une structure industrielle. Elle ne répond pas aux besoins d'une économie de services, alors que c'est la relation humaine et la motivation qui sont les grandes exigences.

Pendant que nous allons vers une structure de travail qui encadrera des professionnels autonomes plutôt que des employés, il ne faut cependant pas perdre les acquis de la sécurité qui devrait aller de paire avec le développement de notre richesse collective. Des douzaines de programmes de soutien au revenu et à l'emploi apportent aujourd'hui une grande confusion et sont souvent source d'injustices et de frustration. L'heure du revenu minimum garanti a sonné. Le gouvernement qui offrira de le faire mériterait d'avoir le mandat de le faire.


Pierre JC Allard

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