PROJET DE LOI 408
«Partenaires pour un Québec compétent
et compétitif»
MÉMOIRE
présenté
à
LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
Janvier 1992
- 1/2 -
Table des matières
Avant-propos
Introduction
1. Une gestion unifiée
2. Une nouvelle image
3. Les écoles spécialisées
4. Une formation - charnière
5. L'apprentissage
Conclusion
AVANT PROPOS
C'est avec joie que nous avons pris connaissance de cet énoncé
de politique, et le document « Partenaires pour un Québec compétent
et compétitif», même s'il reprend des données connues,
ne nous en semble pas moins un grand pas en avant vers la solution du problème.
Un grand pas en avant, dans la mesure justement où ce document fait
succinctement le point de la situation, identifie clairement les enjeux,
et présente de façon intelligible à la population cette
question de la main-d'oeuvre qui, faute qu'on ait pu depuis vingt-cinq ans
y apporter une réponse claire, était devenue de plus en plus
byzantine, de mieux en mieux voilée par le jargon technocratique,
de plus en plus inaccessible à la réflexion du monde ordinaire:
travailleurs ou employeurs, producteurs et consommateurs.
Ce document nous est apparu limpide et, par surcroît, prenant pour
acquis un maître d'oeuvre unique pour la politique de main-d'oeuvre,
il met enfin l'accent sur les problèmes à résoudre
et les options techniques à choisir plutôt que sur les questions
préalables de partage des compétence entre les paliers de
gouvernement. Nous sommes donc heureux de répondre à l'invitation
qui a été lancée, et de participer au processus de
consultation du milieu entrepris par le Ministère de la Main-d'oeuvre,
de la Sécurité du revenu et de la Formation professionnelle.
INTRODUCTION
Nous aurions voulu dire plus, nous aurions voulu le dire mieux. Mais le
temps alloué pour présenter ce mémoire ne représentant,
à cette période de l'année, qu'une douzaine de jours
ouvrables, il est clair qu'il nous aurait été impossible de
faire l'examen critique des chiffres de l'Énoncé de politique,
encore moins d'y ajouter des apports originaux. Nous nous sommes donc abstenus
d'en commenter les données quantitatives autrement qu'en prenant
acte des grandes tendances du marché qu'elles permettent de confirmer.
Les chiffres - qui changeront, bien sûr - ne feront d'ailleurs, à
notre avis, pour tout l'avenir prévisible, que confirmer des tendances
qu'on observe depuis un quart de siècle et qu'on a enfin choisi de
ne plus ignorer.
Nous ne nous sommes pas penchés non plus sur les mécanismes
de passation ou de transfert des pouvoirs entre les entités intervenantes,
ni interrogés quant à l'impact des changements proposés
sur le personnel en place, thèmes auxquels nous sommes sûrs
que d'autres organismes accorderont toute l'attention requise. Et, plutôt
que de tenter une revue exhaustive des principes de base, des priorités,
des hypothèses de travail, des prises de position, des options stratégiques,
des mécanismes de fonctionnement et des relations fonctionnelles
privilégiées qu'implique l'initiative du Ministère,
nous avons choisi de limiter plutôt notre intervention à la
discussion de quelques uns des éléments précis qui
nous en semblent être fondamentaux.
C'est sur ces points que nous voulons, en toute modestie, apporter à
la démarche entreprise les quelques observations et suggestions qui
suivent. Soulignons que nous souhaitons contribuer un apport constructif
plutôt que critique, et un apport concret et pratique. Ceci, même
si en l'absence des exemples et des citations que le temps disponible ne
nous a pas permis de colliger, ce mémoire n'est pas étayé
des preuves et des arguments qu'il est de mise de fournir, pour soutenir
même l'évidence. Nous le regrettons, et serons heureux cependant
par la suite, si les autorités le désirent, de présenter
une volumineuse documentation au soutien de tout ce qui est ici avancé.
C'est cet objectif d'un apport constructif et concret qui nous a guidé
pour choisir le scheme de présentation de ce mémoire. Plutôt
qu'une analyse globale de l'Énoncé de politique - qui nous
aurait amenés à réitérer, page après
page, notre accord avec presque toutes ses orientations de base - nous avons
préféré ne nous attarder que sur les points qui ne
nous ont pas complètement satisfaits. Et ces points, nous le soulignons,
n'en sont pas où nous sommes en désaccord de principe avec
ce qui est proposé; mais plutôt ceux où nous pensons
que le document ne va pas peut-être pas jusqu'au bout de la logique
de ses propres prémisses.
C'est sur ces points ou l'objectif fixé nous semble timide que nous
croyons utile d'amener le débat. Parce qu'alors qu'on peut difficilement
imaginer autre chose qu'un large consensus quant aux orientations elles-mêmes
que le Ministère propose, il pourra certainement encore exister des
divergences de vues réelles et honnêtes quand il s'agira de
décider jusqu'où on doit aller dans la transformation.
Pour inciter toutes les parties concernées à aller jusqu'au
bout des prémisses que pose l'Énoncé de politique,
nous avons pensé qu'il pouvait être utile, et ceci en un minimum
de mots et dans un langage accessible à tous, d'attirer l'attention
sur certains constats dont on n'a peut-être pas tiré toutes
les conséquences et sur certaines alternatives dont on n'a peut-être
pas exploré tous les avantages. C'est ce que nous avons voulu faire.
Non pas en cherchant à épuiser les sujets abordés -
il aurait fallu des mois de travail - mais en ouvrant seulement quelques
pistes à la réflexion sur les thèmes mêmes que
suggère l'Énoncé.
Nous parlerons surtout, dans ce mémoire, de cette formation mal-aimée
qu'est la formation professionnelle. Nous aborderons le problème
de sa gestion unifiée et nous tenterons d'expliquer pourquoi, à
notre avis, elle devrait être mieux identifiée par son volet
strictement qualifiant et plus intimement intégrée à
la structure responsable de la planification de la main-d'oeuvre, transmise
en grande partie, comme l'Énoncé y fait brièvement
allusion, dans des écoles de métiers dédiées
à des secteurs occupationnels.
Nous soulignerons ensuite ce qui nous semble le rôle croissant que
joueront les programmes d'aide à l'emploi dans la structure globale
de formation professionnelle, maintenant surtout que le Québec en
assume la responsabilité, et nous
terminerons en suggérant que l'apprentissage puisse servir d'encadrement
à ces initiatives diverses d'aide à l'emploi qui permettront
aux entreprises de satisfaire leurs besoins de main-d'oeuvre plus spécifiques;
nous donnerons un exemple d'initiative-type ainsi présentée
dans le cadre élargie de l'apprentissage.
Il est d'autres sujets que nous aurions voulu aborder mais sur lesquels,
faute du temps nécessaire pour même ébaucher une solution,
nous ne pouvons qu'attirer ici l'attention. Par exemple.
- Les mesures à prendre pour faire face au fait que, dans vingt ans,
il ne restera sans doute pas 10% de la main-d'oeuvre dans le secteur industriel.
La moitié des travailleurs que nous allons donc former pour le secteur
secondaire cette année termineront certainement leur vie active dans
un emploi du tertiaire. Si même on peut encore parler d'emploi, car
la nature du travail dans le secteur des services favorisera l'accélération
du mouvement déjà engagé vers le travail à temps
partiel, vers des unités de production plus petites et, à
la limite, vers des structure de travail faisant appel à des professionnels
autonomes.
- La remise en question que le constat précédent impose quant
aux efforts, parfois démesurés, que le Québec doit
consentir pour créer des emplois "solides" dans le secteur
secondaire (parfois plus de 2 millions investis par poste de travail créé!)
alors que les industries où ces postes sont créés ne
pourront demeurer viables qu'en remplaçant de plus en plus leur main-d'oeuvre
par un équipement de pointe. La question n'est pas de développer
ou non une base industrielle forte, ni de produire plus ou moins; ceci est
indiscutable. Mais il convient certainement de s'interroger quant à
l'opportunité de vouloir garder attachées à cette production,
des ressources humaines dont nous avons besoin dans le tertiaire et qui,
dans le secteur industriel, sont en fait des obstacles à la productivité.
Protéger le revenu des travailleurs tout en maintenant leur pleine
participation au processus productif doit rester le premier objectif, mais
ne peut plus vouloir dire un combat d'arrière-garde pour freiner
la migration universelle de la main-d'oeuvre vers le secteur tertiaire qui
est maintenant en marche depuis 40 ans.
- La révision que ce même constat impose de notre attitude
envers le travail à temps partiel, dont on néglige souvent
de dire qu'il est tout de même le CHOIX des deux-tiers de ceux qui
ont ce genre d'emploi. Il n'est pas certain, si le revenu est protégé
correctement, qu'avoir deux cent mille emplois à mi-temps ne soit
pas socialement préférable à cent mille emplois à
plein temps... et à cent mille chômeurs de plus.
- Et, dans un autre ordre d'idées, l'importance de la reconnaissance
des compétences, elle-même liée à l'identification
individuelle plus précise - qualitative comme quantitative, de chaque
élément de cet ensemble des travailleurs qu'on veut apparier
à l'ensemble des postes de travail de notre système de production
de biens et services. Nous ne savons pas vraiment, et nous n'avons jamais
su, quelles sont précisément les caractéristiques professionnelles
des membre de cette main-d'oeuvre que nous voulons planifier. Ce qui n'était
pas nécessaire, en effet, jadis, quand on pouvait parler d'une "armée"
de travailleurs, la plupart d'entre eux largement interchangeables; mais
ce qui est indispensable aujourd'hui quand les travailleurs, dont chacun
de plus en plus devra développer un profil de carrière plus
spécifique et à la limite unique, peuvent redevenir enfin
des "personnes".
- Et, tout en comprenant l'élégance de la solution qui consiste
à créer des Sociétés régionales de
développement de la main-d'oeuvre dont le territoire recoupe
celui des grandes régions administratives, il faudrait peut-être
se demander, à l'heure des communications rapides et de la suppression
des paliers intermédiaires de gestion dans tout le secteur privé,
si l'aire efficace de concertation entre partenaires sociaux ne se situerait
pas plutôt au niveau des MRC, sans préjudice évidement
au droit des MRC voisines qui le jugeraient souhaitable de réunir
leurs ressources. Il n'est pas évident qu'il faille gérer
la main-d'oeuvre de Sept-Îles à partir de Baie Comeau, ou conjointement
celle de Chambly, de Valleyfield et de Sorel.
Et Il y a bien d'autres points dont il faudrait discuter. Mais pas au prix
de retarder la mise en marche de ce qui doit être fait. D'abord il
faut agir. Dans ce mémoire, nous avons choisi de ne parler que de
la formation professionnelle. Dans l'optique de sa gestion, de son contenu
et de ses modalités.
1. Une gestion unifiée
Nous abondons dans le sens du Ministère, lorsque l'Énoncé
de politique "réitère l'urgence de regrouper en une
seule administration l'ensemble des services de main-d'oeuvre" (3.3.1
§2). Le double emploi que font les services québécois
et fédéraux est indiscutablement un gaspillage de ressources
et une source de confusion, en plus d'imposer ou d'être prétexte
à une part significative des activités administratives d'autres
organismes existants - (les Commissions de Formation Professionnelle (CFP)
en sont l'exemple archétypal) - dont l'efficacité peut varier
d'une région à l'autre, mais dont l'utilité est sérieusement
remise en cause par le milieu, et dont les coûts de fonctionnement
- plus de 40% en certain cas, selon une étude indépendante
- prélèvent une part inadmissible de l'argent qui devrait
être disponible pour la formation de nos ressources humaines.
"Gestion unifiée", toutefois, ne peut pas et ne doit pas
uniquement vouloir dire le rapatriement au Québec des budgets et
des programmes qui ont été de la compétence des organismes
fédéraux. Il faut aller au bout de cette logique d'unification,
et réunir sous une seule autorité les moyens de diagnostic,
les moyens de concertation, les moyens d'intervention, les moyens de contrôle
et les ressources humaines et matérielles requises pour concevoir
et appliquer une politique de main-d'oeuvre cohérente. Et ceci fait,
il faut offrir un guichet unique à la clientèle.
Concrètement, ceci exige de regarder, avec la même lucidité
dont on fait preuve quand on parle du dédoublement des services entre
Québec et Ottawa, cet autre dédoublement des services dont
le Québec est victime, entre cette fois d'une part le Ministère
de la Main-d'oeuvre, de la Sécurité du revenu et de la Formation
professionnelle (MMSRFP) et, d'autre part, les ministères du secteur
de l'enseignement, Ministère de l'Éducation (MEQ) et Ministère
de l'Enseignement Supérieur et de la Science (MESS). L'émulation
fratricide entre les ministères québécois qui ont une
mission dans le développement de nos ressources humaines est aussi
une source de confusion et un gaspillage d'argent et de talent auquel il
faudrait mettre fin en clarifiant les rôles de chacun.
Nous ne saurions être plus d'accord avec l'esprit de l'Énoncé
de politique (2.4 §6) qui affirme que "la mission éducative
de l'État va au delà de la préparation au marché
du travail". Nous ne le sommes pas quand on propose "que
le secteur de l'enseignement demeure très attentif aux besoins de
la main-d'oeuvre et qu'il se reconnaisse une responsabilité dans
le défi de la compétitivité de l'économie"
, si cette sollicitude implique des interventions directes auprès
des partenaires sociaux pour monter, en parallèle au MMSRFP, des
stratégies de développement des ressources humaines pour le
secteur de production.
Nous soumettons que cette préoccupation pour la compétitivité
de l'économie n'est ni la mission première, ni l'intérêt
prioritaire du secteur de l'enseignement ­p; (définissant ce secteur
comme les MEQ et MESS) - ni le champ de compétence privilégié
de ses ressources humaines, et qu'il serait plus sage de s'assurer, au contraire,
que le MMSRFP soit l'interlocuteur unique des partenaires patronaux et syndicaux
comme de la clientèle pour les fins de la formation professionnelle.
Nous considérons comme déplorable que le MEQ ait "établi
un réseau de collaboration avec le marché du travail"
(2.4 §7 ) sans passer toujours par le canal du MMSRFP, et comme particulièrement
nocif, dans le cadre de la volonté affirmée d'une "gestion
unifiée" des programmes de main-d'oeuvre, que les commissions
scolaires "implantent des services aux entreprises" et
que "les cégeps effectuent des démarches proactives
d'offre de formation auprès des entreprises" (2.4 §7),
sans que le ministère dont c'est la responsabilité première
ne coordonne ni ne puisse contrôler ces initiatives.
Il faut noter, d'ailleurs, que ces initiatives intempestives s'éloignent
beaucoup du processus de "relations normales entre le secteur de
la main-d'oeuvre et celui de l'enseignement" que décrit
l'Énoncé de politique (3.4.1. §14). Le résultat
en est qu'il n'est pas rare au Québec que deux ministères
fassent l'analyse d'une même occupation, et produisent deux séries
de documents (fort bien faits, nous le soulignons), dont le seul tort est
qu'un seul eut suffi. Cette duplication représente un coût
non négligeable pour le contribuable à qui on demande tellement
d'efforts.
Le concept de gestion unifiée doit aller plus loin que le rapatriement
au Québec et sous une seule autorité des programmes de formation
courte. Il servira de peu, en effet, que les programmes de formation en
entreprise et les autres initiatives de
formation exceptionnelle que prendront les futures Sociétés
régionales de développement de la main-d'oeuvre obéissent
à des exigences décelées en régions, si la distribution
des options professionnelles dans le système d'enseignement, au secondaire
et au collégial, demeure essentiellement soumise à une politique
centralisée au sein du MEQ et du MESS et établie en fonction
d'autres impératifs.
Au bout de la logique d'une gestion unifiée de la politique de main-d'oeuvre,
il y a une planification - et une seule - des besoins en ressources humaines,
à court et à long terme, de notre système global de
production des biens et services. Ceci devrait être le responsabilité
du MMSRFP, comme d'ailleurs toute la logistique d'organisation des cours
et d'interaction administrative avec les intervenants individuels et corporatifs
du marché du travail, ainsi que les modalités de rémunération
et de certification professionnelle des participants.
Le rôle dévolu au secteur de l'enseignement - en ce qui a trait
à la formation professionnelle - devrait être uniquement celui
de pourvoyeur, à titre contractuel, d'une infrastructure qui lui
appartient déjà et des ressources humaines qui sont les siennes,
pour faciliter les aspects didactiques, pédagogiques et docimologiques
des activités du MMSRFP. Et encore, ce rôle n'étant
pas affaire de logique mais de simple opportunité, ceci dans la mesure
seulement ou des économies substantielles découlant d'une
utilisation en commun de ces ressources justifieraient que celui-ci ne se
dote pas le plus tôt possible des siennes propres.
Le secteur de l'enseignement - et il n'y a pas ici a discuter s'il est opportun
ou non qu'il demeure scindé en deux ministères après
que sa compétence en matière de formation professionnelle
aurait été dévolue à un ministère plus
près des partenaires sociaux - pourrait ainsi concentrer tous ses
efforts sur sa première priorité, qui est la transmission
des valeurs, d'une culture, et des éléments de connaissance
qui font un être humain complet et lui permettent de se développer
pleinement. C'est un défi qui déjà ne serait pas négligeable,
recouvrant toute une gamme de problèmes allant de l'alphabétisation,
au décrochage au secondaire, à l'éducation de base
des adultes, etc. Et la formation professionnelle deviendrait ainsi, elle
aussi, la "première priorité" de quelqu'un : celle
du MMSRFP.
Nous souhaiterions que l'État pousse jusqu'à leurs conclusions
logiques les hypothèses de l'Énoncé de politique, pour
atteindre l'objectif qui est de simplifier l'application de toutes les mesures
de formation en institutions comme en entreprises, assurant une véritable
gestion unifiée de la politique de main-d'oeuvre. Cet objectif ne
sera atteint que quand la formation professionnelle sera totalement intégrée
à la politique de main-d'oeuvre.
La véritable frontière naturelle en éducation n'est
pas par strates, allant du primaire à l'université, mais entre
l'éducation "culturelle" qui sert au développement
de l'être humain comme individu, et la formation "professionnelle"
qui doit assurer que chacun soit apte à remplir un rôle utile
dans le système de production de biens et services de la société.
1 Au delà d'une orientation de base aux métiers manuels et
techniques insérée au tronc commun de l'éducation -
et que l'on pourrait assimiler à une série de cours d'initiation
à la culture technique - la responsabilité de toute la
formation professionnelle qui est au secteur de l'enseignement devrait passer
au MMSRFP.
Non seulement il y aurait alors rationalisation des objectifs et des moyens,
facilitant l'arrimage de l'éducation et du marché du travail,
mais on réglerait du même coup une foule de problèmes.
Par exemple, le régime d'incitation au perfectionnement pour les
professeurs de l'enseignement professionnel n'aurait pas, comme le recommande
l'Énoncé de politique, à se "singulariser"
dans une même structure de celui des professeurs de l'enseignement
général (3.4.1 §9). Dans le cadre de cette nouvelle répartition
des responsabilités qui les feraient passer sous contrôle du
MMSRFP, leur régime serait tout simplement différent. Il s'appuierait
sur l'expérience en milieu de travail au moins tout autant que sur
la formation pédagogique, et les crédits accordés tiendraient
donc naturellement compte des stages de perfectionnement des enseignants
professionnels en entreprise.
Unique maître d'oeuvre d'une politique cohérente de formation
professionnelle, le MMSRFP devrait aussi compléter sa prise en charge
des éléments chauds d'une politique de main-d'oeuvre par deux
ajouts importants. D'abord une politique de reconnaissance universelle des
compétences professionnelles, et particulièrement
des acquis en milieu de travail, et, aussi un inventaire permanent de la
main-d'oeuvre.
La reconnaissance des compétences professionnelles, à notre
avis, ne devient une entreprise sérieuse que lorsque le principe
est accepté que les moyens pédago-giques doivent être
laissés TOTALEMENT à la discrétion de celui qui apprend,
tandis que la certification d'une compétence pour fins professionnelles,
pour quelque métier ou occupation formelle que ce soit, doit toujours
être la respon-sabilité finale exclusive de l'État,
celui-ci décidant ensuite, pour des raisons d'opportunité,
de déléguer ou non cette responsabilité à des
corps professionnels compétents. En clair, il ne devrait jamais être
nécessaire d'avoir suivi un cours quelconque pour se présenter
à un examen; l'examen, avec les progrès de la docimologie,
devrait pouvoir faire foi de la compétence.
Quant à l'inventaire de la main-d'oeuvre, il saute aux yeux que dès
que les travailleurs, en nombre significatif, ont cessé d'être
interchangeables, il est devenu impossible de réaliser une adéquation
optimale des travailleurs et des emplois sans connaître les caractéristiques
des uns et des autres. Le processus d'analyse de tâches initié
au Service des Plans de Carrières du Ministère du Travail
et de la Main-d'oeuvre, il y a plus de vingt ans, a doté le Québec
d'un outil de planification hors-pair, appliqué avec l'assistance
de l'expertise québécoise au Maroc, au Portugal et dans divers
pays d'Afrique. Corollaire à cette mesure, il avait été
prévu, dès cette l'époque, de dresser éventuellement
un inventaire de la main-d'oeuvre qui permettrait le placement et le recyclage
des travailleurs, "par le plus court chemin", en tenant compte
de leurs acquis au vu des exigences des postes à remplir. 2
Le MMSRFP devrait mettre à profit la gestion qu'il entend assumer
du régime d'assurance-chômage fédéral pour obtenir
une connaissance plus personnalisée, qualitative et quantitative,
de l'offre comme de la demande de travail. Impraticable aussi longtemps
que la responsabilité du placement et des prestations liées
au non-emploi demeurait divisée entre les deux paliers de gouvernement,
cette idée d'un inventaire de la main-d'oeuvre, en effet, redevient
possible dès qu'il existe un guichet unique pour le placement, le
paiement des prestations et la formation.
Un inventaire de la main-d'oeuvre permet non seulement de traiter les travailleurs
comme des individus plutôt que comme des données statistiques,
mais aussi d'augmenter efficacement de 10 à 20, à 50, ou éventuellement
à 100% le pourcentage des fonds de soutien au revenu allouées
aux mesures d'aide dites actives (2.1) aux personnes sans emploi.
Il devient dès lors possible d'orienter chaque individu vers le développement
continu de son potentiel en tenant compte des besoins du système
de production, donnant enfin tout son sens à la formation professionnelle
vue comme un investissement lucide dans notre productivité globale
et notre enrichissement collectif. Et notons que posséder les renseignements
qu'apporte cet inventaire permet aussi de mieux éviter les incohérences
et les irrégularités dans la distribution des paiements de
transferts et de mieux contrôler le travail au noir.
2. Une nouvelle image
L'Énoncé de politique identifie tout a fait correctement,
à notre avis, les deux causes du rejet de la formation professionnelle
par les candidats potentiels, et donc du hiatus énorme, quantitatif
et qualitatif, qui s'est ainsi créé entre l'offre et la demande
de travail dans certains métiers. Ces deux causes sont: "la
perception sociale (négative) à l'égard des métiers
et des techniques" (3.4.1 §3), et l'absence de "passerelles
entre les niveaux de formation" menant des métiers aux carrières
universitaires, ce qui crée chez l'étudiant une sensation
d'enclave, le sentiment que la formation professionnelle est une voie sans
issue (3.4.1 §4).
Il faut changer la perception sociale à l'égard des métiers
et des techniques, car la cause fondamentale de la désaffection dont
sont victimes les programmes de formation professionnelle n'est pas l'absence
de débouchés; il y a des centaines de diplômés
universitaires sans emploi, mais il faut des des semaines, parfois, obtenir
les services d'un homme de métier compétent. Ce n'est pas
la différence des attentes salariales, puisqu'un plombier ou un électrotechnicien
peut gagner aujourd'hui largement plus que le col blanc moyen. Le problème,
c'est l'image sociale négative des métiers et de presque tout
travail manuel.
Une image véhiculée trop longtemps par les parents et les
enseignants. Les premiers, parce qu'ils étaient souvent des cols
bleus, des travailleurs peu instruits qui avaient connu des jours difficiles
à une époque ou un diplôme universitaire était
une garantie de vie facile; les seconds, parce que leur inclinaison première,
celle qui les avait poussés à devenir enseignants, les portait
spontanément aussi à valoriser davantage l'intelligence verbale,
et les apprentissage théoriques. Nous voulons croire, sans en avoir
cependant la certitude, que cette situation a changé.
Ce dont nous sommes persuadés, toutefois, c'est de l'effet pervers
que joue sur le problème de la motivation aux métiers la fusion
plus étroite qu'on a voulu réaliser, depuis les années
"60, entre les composantes «culturelles» et «professionnelles»
des programmes d'éducation et de formation. Sans nier l'importance
des attitudes des parents et enseignants sur le phénomène
de désaffection à l'égard de la formation professionnelle,
c'est donc de l'impact de cette fusion que nous voulons ici parler un peu
plus en détail.
Avant la réforme qui a suivi le rapport Parent, le peu de culture
générale accessible à tous était transmis en
bloc à l'élève avant que ne débute sa formation
professionnelle ou sa formation classique 3 . Puis est venu la réforme
et, après l'élitisme des collèges classiques, il semblait
raisonnable, il y a 30 ans, d'espérer que la création de polyvalentes
pour tous et la réunion au cégep des enseignements général
et professionnel mèneraient, non seulement à la démocratisation
de l'enseignement, mais à des études plus longues pour tous
et à la diffusion quasi universelle d'un minimum de culture.
Il est donc alors apparu normal, dans cette optique de la création
des polyvalentes et des cégeps, de répartir sur toute la durée
élargie de scolarisation minimale prévue, les éléments
désormais plus nombreux de connaissances générales
sans applications professionnelles spécifiques jugés nécessaires
à l'épanouissement de l'individu. Ce sont ces éléments
de connaissances générales que nous appellerons ci-après
le «volet culturel» de l'éducation.
En pratique, ce volet culturel s'étale maintenant sur toute la période
de formation en institution, de sorte que les connaissances qui ont un impact
direct sur la compétence professionnelle de l'élève
et les prérequis indispensables à l'acquisition de ces connaissances
- ce qu'on peut appeler le «volet professionnel» de l'éducation
- ne représentent, même au niveau du cégep, qu'entre
le tiers et la moitié du temps de formation. Ce que corrobore le
fait que les cégeps peuvent offrir de former, en un temps réduit,
en tranchant dans le volet culturel des programmes, des finissants détenteurs
de certificats (CEC) dont ils assurent que les connaissances professionnelles
ne sont pas inférieures à celles des détenteurs du
DEC.
Une assurance qu'ils donnent avec raison, selon toute vraisemblance, quand
on voit le succès en Allemagne, en France, en Grande Bretagne et
ailleurs, des systèmes de formation professionnelle accélérée
dont la compétence des finissants pour l'exécution de ce
qui leur a été enseigné n'est en rien inférieure
à celle des diplômés de la formation traditionnelle,
pourtant deux ou trois fois plus longue. En fait, les programmes de formation
élaborés à partir d'une analyse stricte des tâches
et de leurs seuls prérequis essentiels (TWI aux Etats-Unis dès
les années "40, ANIFRMO en France après la guerre, PPO
en Espagne c.1965, et maintenant à peu près tout le monde)
ont prouvé qu'on peut former, en moins d'un an, les travailleurs
pour tous les postes de travail spécifiques de niveau "métier"
qu'on peut raisonnablement trouver dans une entreprise industrielle. Une
formation ou un recyclage peut être très rapide, si on prend
le chemin le plus court
Face à cette réalité, la question évidente à
se poser est naturellement: "Le volet culturel qui, dans la formation
traditionnelle longue en institutions, est inextricablement mêlé
au volet professionnel, apporte-t-il un élément supplémentaire
significatif à la compétence professionnelle du travailleur,
ou n'est-il là que pour répondre à l'image que notre
civilisation s'est faite il y a déjà longtemps et que notre
système d'enseignement perpétue, de ce que DEVRAIT savoir
une personne "éduquée"? Il y a, à deux niveaux
de réponse à cette question; le premier qui respecte la prudence
qui sied à une évaluation scientifique, et le deuxième
très pragmatique.
Au premier niveau, la réponse est que nous avons de bonnes raisons
de penser que ce volet culturel ajoute un plus à la compétence
de l'individu, mais que nous n'en sommes pas sûrs. Les études
faites indiquent bien une différence positive qui apparaît
dans la capacité de synthèse et d'abstraction de celui qui
a reçu ce volet culturel et, concrètement, dans sa capacité
d'adaptation à de nouvelles situations de travail et à la
nécessité d'un révision continue du contenu de son
apprentissage. Nous le pensons, mais nous ne le savons pas avec certitude,
car l'hypothèse reste encore ouverte que la différence positive
que l'on constate ne soit pas le résultat du volet culturel reçu,
mais que ce soit plutôt ceux qui possédaient au départ
cette capacité supérieure de synthèse et d'abstraction
qui aient voulu - et aient pu - recevoir ce volet culturel. On peut en discuter.
Au deuxième niveau, l'importance de cette réserve méthodologique
disparaît, puisqu'il apparaît à toutes les enquêtes
que les employeurs préfèrent de loin embaucher des diplômés
"complets" qui aient reçu ce volet culturel. Ce qui s'explique
par deux raisons. D'abord, cette capacité supérieure d'adaptation
du diplômé du volet culturel est un FAIT. Un fait d'une importance
primordiale dans un système
de production en continuel changement; il importe donc peu aux employeurs
que ce soit l'éducation qui ait créé cette capacité,
ou que le système d'éducation n'ait en fait servi que de filtre
pour ne laisser passer ceux qui avaient cette capacité au départ.
L'important, pour eux, c'est que cette capacité supérieure
d'adaptation existe. L'autre raison, c'est que l'employé qui a reçu
ce volet culturel est plus proche, dans sa façon de penser et de
voir le monde, de l'employeur qui, lui aussi, a généralement
reçu un volet culturel: ils parlent donc le même langage.
Dans la mesure où le volet culturel est très majoritairement
perçu comme la cause ou du moins comme un indicateur sûr d'une
plus grande capacité d'adaptation, équivalant en fait à
une plus grande compétence professionnelle, il est un peu futile
de discuter son utilité réelle ou de vouloir modifier à
court terme cette perception: il est clair qu'une politique de main-d'oeuvre
doit favoriser et encourager pour tous l'accès le plus large possible
à l'acquisition des volets culturels. Cette obligation d'ailleurs
ne fait que s'inscrire dans celle plus vaste, mais de même objectif,
du secteur de l'enseignement et de notre société toute entière,
toute velléité d'éliminer le rôle discriminant
de la culture comme facteur de différenciation sociale étant
une entreprise tout à fait chimérique.
Étant admis sans aucune réserve qu'une politique de main-d'oeuvre
doit favoriser de toutes ses forces l'accès de tous les travailleurs
à toute la culture qu'ils désirent, il est loin d'être
évident, toutefois, que cet objectif de diffusion de la culture soit
bien servi par la fusion qui s'est faite d'éléments culturels
et professionnels pour constituer les programmes de formation offerts dans
le cadre de l'éducation professionnelle traditionnelle. Nous suggérons
qu'il est bien possible, au contraire, que cette fusion ait eu un effet
pervers et soit contreproductrice.
En effet, et c'est le point que nous voulons développer, le lien
qui a été établi entre les volets culturels et professionnels
des divers métiers et professions est souvent tout a fait artificiel.
Au palier des professions universitaires, le volet culturel est dissuasif
dans un contexte où la demande de formation excède l'offre,
et joue donc un rôle de sélection qui est avantageux pour ceux
qui y sont astreints, sur le plan du prestige et de leur rémunération
éventuelle. Au palier des métiers, le volet culturel est tout
aussi dissuasif; mais c'est dans un contexte où c'est l'offre de
formation qui excède la demande et ou le contenu du volet culturel
est insuffisant pour garantir un prestige et une différence de rémunération
qui justifient les efforts supplémen-taires exigés du candidat.
Il contribue donc au déséquilibre entre l'offre et la demande,
et devient même un obstacle majeur à l'acquisition d'une culture
par les travailleurs et donc à une revalorisation des métiers
manuels. Voyons comment.
En constituant, à partir de connaissances diverses, un volet culturel
qu'on a joint aux exigences professionnelles des métiers et qui est
devenu incontournable pour en obtenir le diplôme, on a évidement
rebuté bien des candidats qui auraient eu les aptitudes requises
pour combler les poste actuels. Ceci est connu. Moins commenté est
le fait qu'on a aussi du même coup, associé à ces métiers,
dans l'esprit de la population, un certain niveau de culture qui reste trop
bas pour être valorisant et qui est probablement inférieur
au niveau culturel que pourraient atteindre ceux qui peuvent poursuivre
avec succès les études conduisant à ces diplômes
professionnels.
Ce qui est grave. Car en voulant n'avoir que des hommes de métiers
qui auraient une "certaine culture" - bien relative, d'ailleurs
- on a collé sur les hommes de métiers l'image de ne pouvoir
avoir que cette culture bien relative. Or, la culture étant un facteur
fondamental de positionnement social, on a aussi rebuté tous ceux
qui, ayant la capacité d'acquérir ces métiers, volet
culturel inclus, avaient aussi la capacité de poursuivre d'autres
études. D'autres programmes menant à des professions où
les possibilités d'emplois étaient plus aléatoires
et le travail souvent moins bien rémunéré, mais dont
l'image "culturelle" était et demeure plus gratifiante.
On a en fait, par l'introduction de volets culturels exigeants mais qui
n'atteignent pas le seuil du prestige, réduit dangereusement, avec
la meilleure volonté du monde, la couche cible entre ceux qui, en
bas, ne peuvent plus rencontrer les exigences du volet culturel des métiers
et ceux qui, en haut, ne s'en contentent plus. On ne peut rectifier cette
situation qu'en dissociant clairement les volets professionnels des volets
culturels des métiers.
En encourageant donc, d'une part, les étudiants à obtenir
de façon accélérée, et préférablement
dans un système en alternance école-entreprise (3.4.1 §7),
le volet professionnel qui leur apportera la compétence pour exercer
un métier et/ou occuper un poste de travail dans le système
de production; une compétence qui pourra leur être reconnue
par un certificat ou quelqu'autre parchemin dont on conviendra. En mettant
en place, d'autre part, les mécanismes d'entente entre les individus,
les entreprises et les institutions qui faciliteront, non seulement aux
finissants des institutions mais, en toute justice à tous les travailleurs,
des disponibilités de temps qui leur permettront l'accès aux
volets culturels menant aux divers niveaux de diplômation. A tous
les niveaux de diplômation. En respectant les exigences du bon sens,
mais sans en exclure a priori aucun.
Il n'y a aucune raison, à la limite, pour qu'un travailleur qui tire
son revenu de l'exercice d'un métier ne puisse pas faire une maîtrise
ou un doctorat, et nous ne sommes pas persuadés que nos ébénistes
ne nous produiraient pas des thèses tout aussi passionnantes que
nos économistes. Aucune raison, hormis un préjugé tenace
qui voudrait que la dextérité manuelle soit, de quelque mystérieuse
façon (sauf pour les dentistes et les chirurgiens...), un obstacle
au raisonnement. En fait, sans vouloir être méchants mais pour
marquer que le refus d'obtempérer aux exigences du bon sens pourrait
mener à des remises en question délicates, on se doit de constater
que le lien entre les volets culturels et professionnels de bien des carrières
libérales est affaire de tradition bien plus que de nécessité.
Si la durée des cours universitaires de sociologie, d'économie,
de droit, de psychologie, etc., est la même, ce n'est certainement
pas parce qu'une analyse de tâches a déterminé que ces
professions, par miracle, ont toutes des exigences professionnelles qui
requièrent des études de même durée. La durée
en a été rendue égale pour que le prestige en soit
égal, et on y est arrivé en ajoutant a leurs volets professionnels
réels respectifs des volets culturels variables, plus ou moins pertinents.
Si on définissait, par exemple, le volet professionnel de l'avocat
comme ce qu'il doit savoir pour pouvoir exécuter correctement 95%
des tâches journalières d'un l'avocat "normal", telles
qu'identifiées par le même genre d'analyse de tâches
qu'on utilise pour définir le volet professionnel d'un électrotechnicien
ou d'un plombier, croyez-vous vraiment qu'on ne pourrait pas donner à
celui-là comme à ceux-ci une "formation professionnelle"
qualifiante plus rapide, "en alternance" entre une institution
et un cabinet d'avocats?
Mais qu'on ne nous accuse surtout pas de vouloir réduire la durée
des formations universitaires! Si nous disons que la pratique d'un avocat
moyen ne fait pas plus appel au Droit Romain que celle du plombier ne se
réfère aux systèmes de ventilation des palais minoens,
ce n'est pas pour rendre moins sélectif le volet culturel des juristes;
c'est pour souligner qu'il n'y a pas de raison valable pour qu'on refuse
à l'homme de métier l'accès à toute la culture
dont il veut s'enrichir et à tous les diplômes de tous les
niveaux dont il est prêt à rencontrer les exigences.
La différence essentielle aujourd'hui entre la formation d'un avocat
et celle d'un plombier, c'est qu'on traite les connaissances culturelles
qu'on donne au premier comme si elles faisaient partie de son volet professionnel
et lui étaient indispensables - et qu'on s'attend donc à ce
qu'il les accroissent au cours de sa carrière - alors qu'on s'attend
implicitement à ce que l'homme de métier n'aille pas plus
loin dans la voie de la culture à laquelle on l'a initié,
mais qu'il l'oublie plutôt, au contraire, après qu'elle aura
servi uniquement à le départager des autres aspirants moins
doués pour la pensée abstraite.
Il faudrait être bien naïf pour croire qu'on empêchera
la culture de jouer son rôle discriminant. Mais en séparant
clairement le culturel du professionnel au palier de la formation des travailleurs
qualifiés, et en créant des options d'études supérieures
qui soient pour ceux-ci, soit des passerelles (3.4.1 §4) vers des professions
de niveau universitaire, soit des volets culturels permettant d'obtenir
des diplômes de prestige, on réglerait une bonne partie du
problème d'image qui fait obstacle au recrutement pour la formation
aux métiers. Et quant au prestige qui s'attachera à ces diplômes,
il sera, comme dans toutes les autres disciplines, en proportion de la connaissance
qu'aura la population des difficultés qu'on devra vaincre pour les
obtenir.
Ne craignons surtout pas que le travailleur de métier, une fois son
emploi assuré, fasse ensuite peu de cas de la culture. Car, si tel
était le cas, pourquoi verrions-nous aujourd'hui cet engouement pour
des carrières universitaires à tout prix, carrières
pour lesquelles la demande est faible et qui souvent ne sont pas plus rémunératrices
que des métiers de base? Pourquoi cette ruée des adultes vers
les cours du soir de toutes sortes, si ce n'était du facteur prestige
qui s'y rattache et qui est lui-même lié à la culture?
Si on scinde les volets professionnels et culturels de la formation aux
métiers, et qu'on donne d'abord à tout travailleur les connaissances
qui lui sont nécessaires pour maîtriser son volet professionnel
et assurer son emploi, mais en rendant son diplôme académique
conditionnel à un volet culturel à compléter et en
lui ouvrant la porte d'une formation supérieure directement ou même
indirectement liée à son travail, on ne prive pas le travailleur
de son accès à la culture; on lui donne, au contraire, la
chance d'avoir accès à une culture à la mesure de ses
ambitions
Et d'avoir la position sociale que la population accole à cette culture
et au diplôme qui en fait foi, tout en continuant à faire un
travail socialement utile et qui corresponde à ses goûts, les
lois du marché déterminant si cet apport culturel vaudra ou
ne vaudra pas pour le diplômé une rémunération
supérieure. Quant à celui qui ne veut pas ou ne peut pas bénéficier
de cette passerelle vers le prestige, on ne l'aura pas privé - et
de façon tout à fait absurde - de mettre à profit l'aptitude
plus simple qui est la sienne pour rendre à la société
des services professionnels pour lesquels nous manquons présentement
gravement de ressources.
Nous sommes conscients que cette suggestion peut surprendre. Mais nous sommes
convaincus qu'une réflexion en profondeur en fera apparaître
le sérieux. En fait, l'inévitabilité, dans un contexte
où certains métiers - nous avons mentionné l'électrotechnique
- se complexifient et rejoignent sans solution de continuité réelle
les aptitudes qu'on exige des diplômés universitaires, alors
que les travailleurs d'autres métiers, la rareté aidant, peuvent
de plus en plus compenser par des exigences pécuniaires exorbitantes
le respect professionnel qu'on leur refuse.
Il est indispensable de remettre à jour la structure de prestige
académique fort ancienne et déphasée qui nous sert
de référence, et de mettre à profit cette réforme
pour créer la motivation qui nous aidera à satisfaire nos
besoins professionnels réels. C'est, à notre avis, la façon
la plus efficace de ramener les ressources humaines nécessaires vers
la formation professionnelle et la pratique des métiers .
(A suivre) Suite et fin de ce rapport: 3. Les écoles spécialisées;
4. Une formation-charnière;
5. L'apprentissage; Conclusion.)
PJCA