Qui suis-je? Moi... Toi?
Chapitre 3 : L'échange
Ryo se caressa le ventre. Une fois encore, il avait bien et trop mangé. Il sentait la torpeur l'envahir qui faisait lentement fermer les paupières. Il pensa à une bonne sieste mais il venait juste de se lever.
A vrai dire, c'était la faim qui l'avait tiré du lit. Il s'était réveillé en forme et voilà que maintenant, il ne pensait plus qu'à se reposer. C'était encore la faute de Kaori. Elle préparait toujours des plats délicieux, ce qui le poussait à ne laisser aucune miette. Bien sûr, jamais il ne reconnaîtrait devant elle qu'elle était un cordon-bleu, mais soutiendrait, comme toujours, que c'était la faim qui l'avait poussé à tout manger et qu'elle avait beaucoup de progrès à faire, dans ce domaine comme dans d'autres, d'ailleurs.
L'appartement était bien silencieux sans elle. Elle avait dû sortir pendant son sommeil. Il n'avait trouvé aucun message à son réveil. Il est vrai qu'il était plus de 14h quand il avait ouvert les yeux et elle devait sûrement en avoir eu assez de l'attendre.
Il se força à se lever de table et à marcher pour sortir de cette torpeur.
Il sortit de la cuisine et ses pas le menèrent tout naturellement vers la chambre de Kaori. Une chambre impeccable. Seuls quelques papiers étalés sur la table basse et les cosmétiques sur le boudoir attestaient que cette pièce était occupée.
Ryo referma le flacon de parfum.
Il détestait ce silence.
Pourquoi ne rentrait-elle donc pas?
Qu'avait-elle donc de si intéressant à faire dehors?
Encore une fois, il s'étonna de la place qu'elle occupait à présent dans sa vie, lui qui n'avait eu comme compagne que la SOLITUDE.
Ce silence lui pesait trop. Il fallait à tout prix qu'il sorte.
C'est alors que la sonnerie de l'entrée retentit.
'Saeko, tu tombes à pic!
- Vraiment? Expliques-moi ça.
- Eh, bien... Kaori n'est pas là, donc toii et moi, nous avons tout le temps de...
- Je suis venue pour le travail.'
Ryo fut décontenancé par cette réponse coupante. Généralement, la jeune femme jouait un peu plus avec lui. Il se demandait ce qui pouvait bien la mettre dans cet état.
Il la suivit dans le salon, admirant la jolie silhouette qui se mouvait devant lui.
Contrairement à son habitude, Saeko ne prit pas place sur le canapé, mais préféra s'adosser à la fenêtre.
Ryo remarqua son visage fermé. Il s'assit et attendit la suite.
'Le mari de Nina Kashima, Hino, s'est enfuit lors de son transfert à la prison. Il a sans doute bénéficié d'une complicité interne. Nous sommes en train d'enquêter et nous avons déployé tous les moyens nécessaires pour le retrouver. Nina-san est en sécurité : elle a pu prendre son avion ce matin, comme prévu. Sa destination n'est connue que de toi et moi. Le seul problème est que la date du procès de son mari est maintenue : il sera jugé, même si on ne le retrouve pas. Nina-san devra donc revenir pour témoigner contre son mari. Il faudra qu'on le rattrape avant qu'il ne s'en prenne à elle. Voila pour tout ce s'est passé depuis hier soir.'
Ayant fini son rapport, elle se dirigea vers la porte, mais s'arrêta au milieu de la pièce.
'Oh! J'oubliais! Elle m'a chargé de te remercier et elle a rajouté qu'elle aurait aimé te voir à l'aéroport pour son départ. Je pensais t'y voir aussi, étant donné que vous êtes devenus... intimes.' Sa voix avait une intonation accusatrice.
'Serais-tu jalouse, ma petite Saeko?' Sans qu'elle comprenne comment, elle se retrouva dans ses bras.
'Absolument pas.' Elle le repoussa avec assez de force pour le jeter contre le mur.
'Mais je pensais que tu te comporterais en gentilhomme.
- Je ne suis qu'un homme, Saeko.
- Je vois ça. Mais as-tu pensé à Kaori-sann?' Sans attendre de réponse, elle sortit, laissant Ryo à ses réflexions.
Kaori...
Kaori savoura son café. Il était délicieux. Les clients autour d'elle discutaient. Dehors, les passants et les voitures offraient un spectacle sans cesse renouvelé. Elle avait l'impression d'être une spectatrice regardant les autres jouer dans cette grande scène qu'était cette ville. De temps en temps, un bout de conversation parvenait à ses oreilles: des jeunes hommes parlaient de leur travail, de jeunes femmes de la dernière tenue à la mode... Des dialogues maintes fois entendues, mais qui jamais ne lassaient.
Elle n'était pas au Cat's Eye, mais dans un autre café. D'habitude, elle aimait discuter et boire avec Miki. Mais depuis quelque temps, elle sentait une certaine gêne dans le comportement de son amie. Kaori s'était demandé quelle pouvait en être la raison mais n'avait pas osé poser la question directement. De toute façon, elle ne pouvait laisser perdurer cette situation. Il fallait éclaircir la situation et comprendre...
Peut-être avait-elle fait quelque chose qui avait ennuyé Miki? Elle avait beau réfléchir, elle ne voyait pas quoi.
Et, surtout, elle ne se sentait pas coupable.
Peut-être Miki avait-elle des problèmes? Dans ce cas, elle se devait d'aider son amie.
Elle posa sa tasse et, prenant son sac, se dirigea vers la sortie.
'Miki-chan!!!! Dans mes bras...' Mais avant qu'il ne put terminer sa phrase, il se retrouva encastré dans le sol du Cat's Eye. C'était Umibozu qui l'avait projeté ainsi, en lui saisissant la cheville. Pestant contre le monstre, Ryo se remit debout et recracha les morceaux de carrelage qui restaient dans sa bouche. Son regard rechercha instantanément la jolie propriétaire des lieux. Celle-ci était auprès de son mari, en train de servir Mick.
'Qu'est ce que tu fais ici?' demanda Ryo.
Mais aucun des trois ne lui prêta attention.
'Si vous ignorez vos clients, c'est normal que ce café soit aussi vide. Il faudrait que vous les accueilliez plus chaleureusement. Et vous pouvez commencer par moi qui laisse ici une fortune à chaque fois!' Il était vrai que Ryo et Kaori laissaient une grande partie de leur argent durement gagné dans ce café pour rembourser les tables, chaises et autres tasses qui avaient fait les frais de leur dispute.
Mais seul le silence répondit à sa requête.
Ryo sentit les yeux accusateurs de Miki qui le fixaient. Il savait qu'elle ne se contenterait pas de le fixer, mais qu'elle ferait tout pour défendre son amie Kaori.
Ryo hésita. Il n'avait vraiment pas envie de subir les reproches de ses amis au sujet de sa conduite. Après tout, il était seul juge de sa vie. Il n'était pas un enfant à qui on devait dire ce qu'il avait à faire. De toute façon, il n'avait jamais eu le temps d'être un enfant insouciant. Très tôt, il avait du adopter un comportement qui lui avait toujours permis de survivre. Quelle que soit la situation.
Avant qu'il ne puisse décider entre rester ou fuir, Miki eut le temps de se poster en face de lui. De son aura émanait une colère difficilement contenue, sur le point d'éclater. Et la gifle qu'elle lui donna ne calma pas ses sentiments.
Ryo ne bougea pas. Il était fasciné par cette femme qui prenait la défense d'une personne qui n'était pas même pas là. Il ne laissait personne lui porter atteinte. Quelle que soit la situation. Mais cette fois-ci, c'était différent. Cette femme savait qu'elle ne faisait pas le poids contre lui et pourtant, elle n'hésitait pas à lui exprimer ce qu'elle pensait de lui.
Dehors, la nuit était tombée et la rue s'était vidée. Un silence s'était fait dans cette ville pourtant si bruyante, comme si l'univers entier en voulait à Ryo.
'Saeba-san, comment avez-vous pu? Je ne pensais pas que vous pouviez être aussi égoïste. Je viens de me rendre compte que le plus important à vos yeux est votre propre personne. Les autres ne sont là que pour votre bon plaisir. Si vous gardez Kaori auprès de vous, c'est parce qu'elle est une bonne cuisinière et une bonne ménagère. Vous vous fichez des sentiments qu'elle a pour vous. Mais ne serait-ce que parce qu'elle s'occupe de vous, vous pourriez lui en être reconnaissant. Non, au contraire. Vous n'hésitez pas à la bafouer, à tromper ses sentiments. Pas la peine de le nier. Je sais ce que vous avez fait la nuit dernière et je sais aussi qui était cette femme. Ce n'est pas parce qu'elle a eu une vie difficile qu'il fallait passer la nuit avec elle. Kaori aussi a une vie difficile et...'
La phrase resta en suspens. Le visage de Miki se figea. Ses yeux fixaient quelque chose derrière Ryo. Ce dernier se retourna pour connaître l'objet qui avait réussi à en venir à bout de la colère de Miki. Et il vit...
Kaori était debout à l'entrée du café. Elle avait tout entendu depuis la porte restée ouverte. Son visage était un masque de douleur.
'Malédiction... Kaori...'
Ces paroles ramenèrent Kaori à la réalité. Ses yeux se fixèrent sur Ryo. Ils n'exprimaient pas de la colère. Juste une infinie tristesse... et de la honte.
Avant que Ryo ne puisse lui expliquer quoique ce soit, elle s'enfuit. Il courut derrière elle, essayant de la rattraper.
Miki avait aussi vu les yeux de son amie. Elle se sentait coupable. Elle n'avait pas voulu la faire souffrir. Maintenant, elle avait peur de ce qui pouvait arriver. Elle se mit à la poursuite de son amie.
Ryo n'avait jamais vu sa partenaire courir aussi vite. Il aurait pu la rattraper, mais il n'osait pas l'affronter. Il aurait pu la laisser mais là aussi, il aurait fait preuve de lâcheté. Il la suivit de loin et la vit entrer dans le parc de Shinjuku. L'endroit était sombre et Ryo la perdit rapidement de vue. Il fallait qu'il la retrouve. Il la rechercha longtemps, dans le noir.
Le ciel semblait s'être ligué contre lui, les nuages cachant les rayons de la lune. Ses yeux se firent tant bien que mal à cette obscurité. Tous ses sens étaient en éveil, mais il ne parvenait pas à la localiser.
Finalement, de petits bruits attirèrent son attention. Il s'approcha doucement du lieu d'où ils provenaient. Il se retrouva dans une petite clairière. Et il la vit, penchée au-dessus d'un puits, son corps secoué par les sanglots.
Ryo prit peur. Et si elle se jetait dans le puits...?
'Kaori...' Il l'appela doucement.
Elle ne se retourna pas, mais lui dit d'une voix brisée:
'Va-t’en, je ne veux plus te voir.
- Écoute-moi, je t'en prie... Viens près dde moi.
- Non, je ne veux plus entendre tes excusees. Laisse-moi.'
Elle était déterminée. Lui inquiet.
Il se demandait quoi faire quand...
Une petite boule de lumière lentement s'éleva du puits et s'arrêta devant Kaori. Celle-ci ouvrit les yeux, surprise et fascinée.
Ryo était aussi intrigué. Il s'approcha de Kaori et du puits.
La boule soudain se mit à grossir et enveloppa Kaori qui poussa un cri et mit ses mains sur ses yeux.
'Kaori!'
Ryo se précipita vers elle, mais fut lui aussi enveloppé par la lumière. La dernière chose qu'il ressentit fut une douleur intense, comme si son âme se séparait de son corps.
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