Une bonne piste, en partant de Sévaré, s'étend sur une soixantaine de kilomètres
jusqu'à Bandiagara, chef-lieu administratif du pays dogon. De là, une piste difficile
d'une quarantaine de kilomètres franchissant des seuils rocheux, serpentant entre les
éboulis de grès qui portent parfois un village à peine discernable, tant il se confond
avec l'environnement même en deux ou trois heures à la bourgade de Sangha. Localité
rassemblant 13 villages ayant chacun un nom celle-ci est établie au sommet de la falaise
et domine vertigineusement cette fantastique paroi rocheuse haute de 200 à 400 mètres,
qui s'allonge sur près de 20) km.
Au campement de Sangha, il est facile de trouver un guide pour une excursion dans les
falaises. Il est d'ailleurs fortement recommandé de partir à la rencontre des Dogon
accompagné.
Les guides connaissent la région, les villages et leur chef, chez lequel s'effectue
généralement la halte lorsque la randonnée dure plusieurs jours. De plus, ils
connaissent les rites et les interdits nombreux chez les Dogon ce qui évitera de
commettre des impairs. Le voyageur pressé peut faire un petit tour d'une journée, mais
une randonnée de plusieurs jours s'impose si l'on veut s'imprégner un peu du pays dogon
et vivre au rythme des villageois. Leur quotidien qui ne semble pas avoir changé depuis
des siècles, à l'image de ce qu'en avait perçu l'ethnologue français Marcel Griaule,
"se projette en mille gestes et rites sur une scène où se meut une multitude
d'hommes vivants ". Marcel Griaule a approché de près la riche et complexe culture
des Dogon parmi lesquels il a souvent résidé à partir de 1931. C'est lui qui est à
l'origine du premier barrage d'irrigation et de l'introduction de la culture des oignons
dans la région, qui reste la seule ressource d'échange. A sa mort, en 1956, les Dogon
lui ont organisé des funérailles traditionnelles. Son mannequin funéraire surplombe
aujourd'hui encore le barrage qu'il a fait ériger. Après les cérémonies funéraires,
la coutume exige que soit brisée la houe du cultivateur pour signifier la fin de son
labeur sur terre : le sens du symbole des Dogon les a alors poussé à briser l'outil de
travail de l'ethnologue... un crayon.
Une cheminée d'escalade, aménagée pour le passage conduit au premier village de la
falaise Banani. Chaque village est composé de cases d'habitation, qui se distingue par
leur forme rectangulaire et leur toit-terrasse d'où la vue est somptueuse. Les villages
sont parsemés de greniers, carrés à la base et coiffés d'un "chapeau " de
paille conique, dans lequel est stocké le mil.
Trônant dans chaque quartier du village, la grande maison de famille (guinna) est le
domaine du patriarche, gardien des autels des ancêtres, autorité morale et religieuse
incontestée. Un peu plus loin, sur une éminence d'où l'on peut embrasser d'un seul coup
d'œil le village et la plaine environnante, le togouna, ou maison de la parole, est
l'endroit où les hommes se réunissent pour discuter des affaires du village.
La togou-na est constituée de huit piliers sur lesquels reposent huit
couches de chaume ; le chiffre huit, selon la cosmogonie dogon, correspond au nombre des
premiers ancêtres des Dogon. Si le toit du togou-na paraît anormalement bas, c'est
simplement parce que les hommes y règlent les problèmes, assis, et si l'un d'entre eux
s'emporte en se levant pour mieux se faire entendre, il est rapidement calmé en se
cognant le crâne au plafond.
La "case à palabres " est restaurée chaque année, après la saison des
pluies par les hommes du village qui consolident le socle et en ravivent les symboles et
les couleurs.
A l'écart des maisons d'habitation se remarquent les cases rondes ou les femmes
doivent s'isoler pendant leur période menstruelle, tandis que, çà et là, autels et
sanctuaires totémiques portent la trace des libations de bouillie de mil ou du sang des
sacrifices.
Moins connus que Sangha, Banani et les villages avoisinants comme ceux d'Ireli et de
Tireli, d'autres villages s'égrènent à l'ouest des falaises au-delà de Kendié (au
nord-ouest de Bandiagara). A partir de ce dernier village, plus de piste ; seulement des
escaliers naturels gravissant jusqu'à Borko la succession de forteresses de grès dans
lesquelles se sont réfugiés les Dogon de l'Ouest.
Sur les escarpements et les parois souvent difficilement accessibles des falaises, les
Tellem, premiers habitants de la région, ont laissé de nombreuses constructions
troglodytes. Celles-ci servent aujourd'hui de cimetière aux Dogon qui, à l'aide de
cordes, hissent les corps des défunts jusqu'à leur dernière demeure, suspendue entre
ciel et terre. Nul ne sait ce qu'il est advenu des Tellem : supplantés par les Dogon, ils
disparaissent de la falaise au XV siècle, sans qu'on ait pu retrouver leur trace ou
identifier leurs descendants de façon certaine.
L'origine des Dogon, elle aussi, est mystérieuse. Provenant du Mandé, ils quittèrent
cette contrée entre le XIe et le XIIe siècle ; leur départ fut sans doute déterminé
par leur refus de se convertir à l'islam. La clémence du climat a servi d'élément de
sédentarisation.
A leur arrivée dans la région des falaises, Ils se scindèrent en plusieurs groupes
établissant des villages le long de l'escarpement sur le, plateau ou dans la plaine. Mais
Ces derniers sont les plus exposés aux menaces extérieures et les attaques des Mossi au
XVe siècle et des Peul au XVII siècle les obligèrent à se replier dans les
anfractuosités de la falaise, ce qui explique la généralisation du choix de sites
défensifs par les villageois et les caractéristiques si particulières de cet habitat.
Une cosmogonie digne de celles des peuples antiques |
Sommaire |
Outre l'architecture, l'intérêt que présente le pays des Dogons tient à l'extrême
richesse de leurs mythes et de leurs rites. Pour ce peuple, l'univers a été créé par
Amma, le Verbe de Dieu, lequel engendra des jumeaux : Nommo, le Dieu d'Eau, maître de la
vie et le Renard Pâle, incarnation de la révolte, de l'inceste et du désordre, mais
aussi de l'émancipation individuelle hors des normes sociales. Ces deux principes
complémentaires, et les oppositions qui en découlent (vie/mort, jour/nuit, homme/femme,
sécheresse/humidité), régissent tous les aspects de la culture et de la vie matérielle
des Dogon. Chaque masque remplit une fonction sociale. Les sauts périlleux des guerriers
qui lancent leurs flèches vers le ciel ou bran dissent leur fusil en prenant à partie
les mauvais génies sont autant de gestes réglés comme une horloge, destinés à
faciliter l'entrée du défunt dans l'univers des ancêtres, à la fois parallèle et
complémentaire de celui des vivants.
Le culte des morts est un élément essentiel de la religion dogon. Lors des cérémonies
funèbres, et plus tard lors des "levées de deuil ", les masques sculptés par
les danseurs se mettent à vivre, transmettant de génération en génération les mythes
essentiels. Pour les voyageurs qui ont la chance d'y assister, ces danses constituent un
superbe spectacle mais aussi par-delà l'aspect folklorique, un événement bouleversant
car il touche à l'essence même d'un peuple.
Mais la plus grande cérémonie dogon, celle qui pare du plus de prestige l'initie qui y a
assisté est le Sigui. Lorsque le masque du même nom, haut de sept mètres se met danser,
le corps de celui qui le porte est animé par la respiration même du premier souffle de
la création. Le visiteur devra hélas s'armer d'une patience à toute épreuve s'il veut
assister à ce spectacle car cette cérémonie dont la dernière eut lieu en 1974 ne se
reproduit que tous les soixante ans.
Pourtant, même s'il ne fait qu'un bref séjour en pays dogon, le voyageur gardera le
souvenir d'un peuple fier, parfois farouche, dur à la peine qui n'hésite pas à
travailler sans relâche sur de minuscules parcelles où la terre a été apportée à dos
d'homme -- mais aussi d'un peuple qui veille sur ses traditions, sachant ce qu'elles
représentent pour lui : son plus précieux trésor. Les Dogon s'étonnent du reste de
l'intérêt quelque peu envahissant que leur civilisation suscite chez les étrangers. Ils
ne comprennent pas que leurs villages soient devenus des "musées vivants " dont
on voudrait fouiller l'âme. Bref, ils ne comprennent pas qu'on cherche à les comprendre.