[ vendredi 16 août ] [ 11:36 ] [ road trippin' ]
On a pris des pulls au cas où le soleil descendrait un peu en deça de la mer du nord.
On est sorties sans bagage.
On s'est arrêté au kiosque pour acheter une carte routière. On a décidé de ne pas prendre de carte finalement. Décidé de rouler libres. Libres.
On a attaché nos ceintures et nous nous sommes battues pour une station de radio. On n'a pas pris de cds, on n'a pas pris de k7s, on a décidé de rien prendre, pour voir.
On a pris la route qui n'était pas belle.
On s'est arrêtées sur une station d'essence déserte, on en est parties aussi sec. On a continué jusqu'à la suivante. On a marché un peu, on a acheté un sandwich. J'aime pas les sandwichs. Tant pis. J'ai toujours mes clopes, et puis les bonbons dans le vide-poche.
Il faisait un soleil terrible, on a roulé jusqu'aux pays-bas, on s'est arrêtées dans des villes dont on ignorait le nom à quelques heures de ça. Il faisait un soleil terrible, on a marché dans les rues, on s'est asssises à l'ombre, on a regardé les gens, on s'est moquées un peu. J'ai mis du lait dans le café, et puis un sucre. On a éclaté de rire. J'ai horreur du lait. J'ai horreur du sucre dans le café. Mais il y a des jours comme ça où l'on sent qu'il n'y a rien de mieux qui puisse nous arriver que de changer ses habitudes.
Il faisait bon, il faisait beau, on s'est dit que c'était une belle journée pour partir sans bagage.
On a repris la route, et encore roulé un peu plus au nord.
Que la mer soit polluée, que le ciel bleu soit souillé de part en part de fumée blanche, n'a pas froissé mon sourire un seul instant. J'ai souri à la liberté de partir sans bagage. Et un peu aux reflets scintillants du soleil sur la mer. On a suivi les panneaux, on a marché, si petites, si petites dans une ville immense. Lorsqu'il fit un peu frais on a remis les pulls et mangé italien. L'Italie était à trois semaines de moi, et l'Italie était toujours un peu là. J'ai dit que c'était une chose curieuse.
Et puis on a imaginé tous les endroits du monde où l'on pourrait aller, ce qu'on y ferait, ce qu'on y trouverait. Tout semblait presque possible, sauf qu'il fallait bien se dire qu'on n'aurait plus le temps, qu'il faudrait attendre les prochaines vacances, qu'il faudrait attendre, maintenant. Je me suis dit que j'aurais mieux fait d'en profiter. Pendant des mois j'avais hiberné, ce soir-là je ne comprenais plus trop pourquoi. Qu'est-ce qui m'avait poussée à rester raisonnable, poussée à ne pas vivre ces voyages, les laisser dormir pendant que je me faisais un devoir de rester bridée à ma sacro-sainte tranquilité.
Mais tout de même, on dit plus tard, un de ces plus tard qui ont un goût de jamais, on le sait.
On a défié les kilomètres dans la nuit. J'ai serré les dents, la peur au ventre ne tient parfois qu'à une jauge d'essence qui descend rageusement au milieu du désert. Sur les routes de campagne il ne fait pas bon se raconter des histoires, des histoires de fantômes, des histoires à pas dormir debout pour pas s'endormir au volant.
Et puis sur le chemin du retour j'ai réalisé que la liberté ne tient qu'à la fuite de mes démons. Je les avait chassés en partant sans bagage, leur ai fait un pied de nez en partant sans carte ni destination pour brouiller les pistes. Moi-même incapable de m'y retrouver comment eux auraient-ils pu le faire? J'ai un peu craint qu'ils ne reviennent me chercher, maintenant que nous étions rentrées, maintenant que nous pouvions être retrouvées. Les amours et les passions, les obsessions et les déceptions, ces regards dans ma mémoire qui m'empêchent d'avancer, qui m'empêchent d'être libre, libre de dire je vis pour moi et pas pour vous, libre de dire je vis comme je le veux et je m'en fous.
Jusqu'ici je suis encore en fuite. C'est-à-dire prête à ne pas être retrouvée. Prête à oublier, oublier des réconciliations qui appartiennent à un autre temps, oublier des retrouvailles qui n'arriveront probablement jamais. Prête à oublier tout ce qui m'empêche de voir le futur, prête à envisager un nouvel avenir, sans plus ceux que j'ai aimés, sans plus ceux que j'ai déçus, sans plus tout ceux-là qui n'existent plus devant mes yeux, n'existent plus que dans mes rêves de gosse bornée, tellement bornée.
Jusque là. Jusque là je veux garder cette liberté. Partir sans bagage, partir sans dommage. Jusque là je tiens bon, jusque là je peux encore mettre des jupes trop courtes sans plus avoir peur, sans plus avoir peur de rien, rien, rien du tout. Jusque là, seulement jusque là.