[ dimanche 25 août ] [ 11:21 ] [ acknowledgement ]
Insomnie. Réveil difficile. Encore plus difficile s'il fait soleil et qu'il est huit heures du matin. Cette chambre me semble trop blanche. Me semble si triste. Lever difficile. Reconnaître que l'on est dimanche, que rien ne va, que tout s'en est allé. Mais se lever tout de même, même la tête qui tourne, même les larmes qui coulent. Reconnaître le passé, reconnaître le présent. Faudra bien voir l'avenir. Faudra bien se redresser. Alors je suis allée voir maman, me suis forcée à sourire, et puis je lui ai dit, tu sais, je vais me soigner la tête. Je lui ai dit, tu sais, ça va aller. J'ai souri encore une fois. Et puis j'ai refermé la porte derrière moi.
Névrosée, fatiguée, suicidaire, désarmée, on est dimanche et je suis malade.
[ 15:10 ]
Je ne m'allongerai pas sur le lit. Je n'attendrai aucun signe du monde extérieur, ni aucun signe avant-coureur de rémission au fond de moi. Je n'attendrai pas aujourd'hui.
Je n'irai pas marcher dans le bois. Je n'irai pas m'asseoir seule sur le banc. Je n'écrirai pas sur le carnet en mordant le bout du stylo. Je ne chercherai pas le rayon de soleil qui pourrait réchauffer mon visage. Je n'irai pas m'asseoir aujourd'hui écouter le bruit des vélos qui passent sans me retourner vers la route. Je n'appellerai pas pour crier ma douleur. Je ne crierai pas à l'aide. Je n'attendrai personne. Je n'attendrai pas aujourd'hui.
Je ne regarderai pas les yeux dans le vide les reflets du ciel sur l'eau en bas au loin. Je n'irai pas me recroqueviller en haut des marches comme en haut d'une tour en râlant chaque fois que les passants me frôleraient. Je ne poserai pas la tête sur mes genoux en me sentant m'assoupir, là, ici, maintenant, parce que. Je n'aurai pas à convaincre ces pieds qui ne supportent plus mon poids lorsque je marche, je ne me sentirai pas perdre l'équilibre parce que j'ai le ventre vide, creusé par l'abcès que le passé m'a laissé. Je n'aurai pas peur de tomber, je n'aurai pas peur qu'un inconnu vienne me ramasser, je n'imaginerai pas que le désiré vienne me retrouver. Je ne passerai pas devant chez lui. Je ne passerai pas devant sa vie comme on passe derrière une fenêtre le soir de Noël. Je ne penserai pas qu'avec le temps. Je ne penserai pas que finalement. Je n'attendrai pas qu'il comprenne différemment. Je n'attendrai rien de lui. Je n'attendrai pas aujourd'hui.
[ 16:41 ]
De l'autre côté du téléphone, de l'autre côté de la ville, au milieu de la nuit il dit en tremblant Pourquoi me dis-tu ça, pourquoi me dis-tu ça à moi, je lui dit que je suis désolée. Il me dit ne parles pas comme si ta vie était terminée. Je lui dit c'est l'impression que j'ai. Il me dit ce n'est qu'une impression. Je lui dit de ne surtout pas me dire que ça va aller. Il me dit je ne pourrai pas te dire ça, ne t'inquiètes pas je ne te le dirai pas. Il me dit ne dis pas que c'est de ta faute, dis-toi juste que c'est la vie. Je lui dit que c'est trop dur. Il ne répond pas. Je lui dit c'est tellement trop, j'ai l'impression de me noyer. Il ne dit rien. Mais dit qu'il est toujours là. Oui tu es là, bien sûr que tu es là, comment serai-je encore vivante si toi mon meilleur ami à cet instant tu n'étais pas là, de l'autre côté du téléphone, de l'autre côté de la ville pendant que du rebord de ma fenêtre j'entends passer devant ma porte les insouciants. Il dit qu'il y a des choses qui ne changeront pas, et des choses qu'il faut changer. Je lui dit que c'est l'enfer, et de l'autre côté de son silence s'il le pouvait, je le sais, il m'en déchargerait d'un bras. Je lui dit que les hasards ont été inventés exprès pour nous embêter. Il dit que s'il retrouvait le coupable qui a fait que notre histoire n'a été qu'un jeu de cache-cache qui finit sur mon chagrin, il dit qu'alors il lui tordrait le cou, que sous ses airs il pourrait en être méchant, il dit qu'il lui tordrait le cou, et je lui dis, tu sais, ça peut être dangereux de s'en prendre au bon dieu.
Il ne me dit pas que ça va aller. Il dit qu'il y a des choses qui doivent changer. Même si ça doit me faire pleurer. Même si ça lui fait de la peine de me savoir si mal. Mais il dit. Mais il dit. Il y a des choses qui ne changeront jamais. Il y a des choses qui ne pourront jamais changer. J'ai souri. Et j'ai pleuré. Et puis je suis allée me coucher.
[ 21:33 ]
Le sommeil est sur la table de nuit. Le sommeil en billes blanches m'attend à une heure plus avancée de la nuit. Voilà tout ce que je peux gérer, ce mot qu'il répétait tout le temps, gérer le sort, gérer sa vie. Le sommeil m'attend sur la table de nuit, douze heures d'obscurité de plus dans mon ennui. Obscurité passagère, obscurité mensongère, obscurité qui s'avale à la petite cuillère. Pour ne pas remuer la poussière, la poussière des cendriers, et puis la poussière du passé. Le sommeil m'attend sur la table de nuit, je me sens si petite d'en être à sa merci. Ce sommeil en barre lorsqu'il n'y a plus d'autre recours à nos amours. Ce sommeil embué sous des vitres teintées, sommeil artificiel, masque de réalité.
Le sommeil m'attend là où l'amour ne m'attend plus, là où sa main ne se tend plus, le sommeil m'attend pour tromper la vie, tromper la mort, tromper le sort, le sommeil m'attend pour faire semblant de trahir mes promesses, mentir à ma détresse.
Le sommeil m'attend, jaloux de toi, toi lorsqu'hier tu disais je ne sais pas qui tiendra à toi autant que moi. Mon ami je te disais le jour viendra, et pourtant au fil du temps il fait nuit encore, et le jour, le jour ne revient pas sur mon âme mon amour.
C'était moi qui pleurais et c'était moi qui disais ça passera. C'était moi qui pleurais, c'était lui qui tremblait. C'était moi qui pleurais tout bas, c'était lui qui inventait un scénario de fortune à base de coca-cola. C'était encore ça. C'était encore ça, cette connivence qu'à coups de poings, qu'à coups de pieds je voulais enterrer, c'était encore là, ce cruel semblant de fraternité qu'à la sortie de l'enfance nous avions trouvée. C'était encore là, tout ça, là comme des pétales de rose étalées à nos pieds, sans qu'aucun de nous deux daigne se pencher pour les ramasser. C'était encore l'histoire que nous écrivions en cette nuit d'infortune, encore une autre conversation nos corps froids dans la brume, ici où l'été ne demeure jamais plus longtemps que le temps qu'il faut pour ne pas se faire pardonner.
Mais le sommeil en billes blanches m'attend sur la table de nuit, encore un autre voyage en solitaire dans ma vie. Douze heures de plus à voyager sans toi, sans wagon-couchette cette fois. Demain encore une autre escale, demain encore un autre dédale, demain une autre partie à jouer, pour joueur unique prêt à tout miser.
[ 22:31 ]
Je sortais souvent seule. Je partais parfois loin. Je marchais souvent seule. Je revenais souvent. Je revenais souvent, le sourire aux lèvres lui dire que je n'allais pas bien.
Je m'en allais toujours seule. Fermais la porte en partant pour qu'il ne me suive pas. Je m'en allais insaisissable, allais fouler d'autres sables que ceux sur lesquels nous avions bati nos maisons imaginaires.
Je sortais souvent seule, et revenais souvent lui dire, et lui dire comme c'était ailleurs, et allongée sur son lit par les mots peindre les murs en d'autres couleurs.
Avec la fumée il était si facile de croire que tous les voyages du monde me ramèneraient toujours ici, avec la fumée il était si facile de nous croire éternels, eternellement voués à s'aimer enlacés, même séparés, séparés par mon air défiant quiconque de m'emprisonner, séparés par mes voyages décalés, avec la fumée... Avec la fumée qui noyait l'avenir dans un lac de suppositions démodées, qui ne restaient que suppositions qu'on inventent sur une chanson, l'avenir qui n'avait jamais ce goût figé d'éternité que porte ma peine à la fin de l'été. Ce soir comme si c'était la fin de ma vie. Mais ce soir n'est que la fin d'une autre journée. La vie, elle est juste à recommencer. Le meilleur des amis sera peut-être celui que je ne saurai jamais autant aimer. Le meilleur des mondes reste peut-être à inventer. Si ce monde que j'appelais meilleur n'était pas le nôtre, alors il me reste encore à le trouver.
[ 22:51 ]
Il dit ton histoire, c'est un peu la mienne aussi. Mon histoire à moi, c'est neuf ans de choses qui n'ont pas de prix. Lui ai-je seulement dit.
Il dit "tout ce que je souhaite", et puis il laisse place au silence avant de dire encore tout ce que je souhaiterais c'est te voir heureuse. Je ne lui dit pas j'en pense autant de toi. Je ne suis pas de ces filles qui se taillent les veines pour un peu plus d'ignorance. Je ne suis pas de ces filles aimantes qui se sacrifient pour un peu plus de mépris. Je ne lui dit pas, pour tout ce qu'il a de meilleur, mon ami, je ne lui dit pas je voudrais te voir heureux, si le bonheur de toute façon n'existe pas. Une vision de son bonheur sans moi n'est qu'une vision de nous sans âme, une vision de lui sans moi n'est qu'une vision de nos corps sans coeur, rien qu'une vision de nous sans plus autour ni banc ni arbre ni ciel d'hiver blanc comme neige toutes ces choses, toutes ces choses qui pour ce qu'elles ont abritées nous appartenaient. Héritage indivisible, le bonheur et la peine en deux vies mises à part ne sauraient être équitablement partagés. Combien de temps encore devrons-nous se leurrer...
Le jour où son bonheur devant mes yeux se posera, je ne nierai rien de mon infortune pour le plaisir inutile de sentir mon corps se tendre vers l'envie plus forte de devenir poussières. Ce jour-là je ne souhaiterai l'extase à quiconque me demanderait son chemin, ce jour-là il n'y aura pas de satisfaction altruiste dans mon coeur de voir que tout celà encore existe. Je ne suis pas de ces gens qui savent rire de se voir se détruire, je ne suis pas de ces filles qui peuvent sourire de se voir se faner en une femme aigrie et dérangée, je ne suis pas comme ce garçon, qui me souhaite le bonheur tout en ayant bien peur de pâlir et d'en rougir, le jour où dans une autre vie j'aurai posée mes valises et mes souvenirs. Je ne suis pas comme ce garçon qui m'aimait à déraison, non, mon coeur à moi n'est ni brave ni bon, non je ne suis pas comme ce garçon, qui pleurait pour mes yeux avant de s'élancer à corps perdu dans un autre océan d'un amour qu'il croit plus sûr, qu'il croit plus grand. Je ne suis pas comme ce garçon-là qui a passé tout son temps à souhaiter mon bonheur, qu'il en rit qu'il en crève, ce garçon qui a passé la moitié de nos vies à vouloir me voir sourire, jusqu'à hier, jusqu'à hier en creusant, encore de tout son coeur, la tombe de mes plus beaux espoirs. Non, moi, je n'ai jamais été comme ça. Pas moi. Le meilleur de moi, ça a toujours été lui. Ca a jamais été moi.
[ 23:49 ]
Le sommeil m'attend sur la table de nuit. Ephemère oubli pour étouffer les cris d'une conscience qui se perd. Sans plus attendre un signe, sans plus entendre un bruit. Quelques heures sans plus songer, sans plus sombrer, sans plus chercher à savoir la fin du film, le fond des choses. Avant que toute chose ne recommence.
Quelques heures seulement, dans le sommeil respirer vraiment. Oublier qu'il y a le vide, par-delà la fenêtre et à mes côtés. Oublier qu'il y a le vide, par-delà la nuit, avant que demain encore je ne me remémore.
Le sommeil m'attend sur la table de nuit.