[ mardi 15 avril ]
On voudrait leur dire barrez-vous les gens, circulez y'a rien à voir non ça n'a vraiment rien à voir avec vous cet endroit-là, il n'y a que moi pour le voir,
circulez y'a rien à faire, d'autre ici que de se rappeler d'un bon vieux temps qui n'est pas vôtre.
On voudrait leur dire qu'ils sont assis dans la trace de nos pas, sur nos traces qu'ils ne font que prendre notre place, que celle-là n'est pas la leur, ici c'est encore nous, ici c'est encore nous,
vous ne nous aurez pas et nous ne sommes pas encore morts. Et après encore lorsque vous serez à genoux dans nos cendres nous serons encore là.
On voudrait leur dire qu'ici on écrase les mégots dans la terre, les grands enfants sont paresseux, ici on osait l'irrévérence pour devenir moins vieux. Moins vite.
Qu'ici avant que les fleurs ne poussent on piétinait les cailloux à la force de nos colères d'août, à grand renfort de pneus de vélomoteurs, de vélos rapiecés.
Et que s'il pousse aujourd'hui des fleurs entre les cailloux c'est encore notre futur qui s'écrivait, pas le vôtre pas le vôtre.
On voudrait leur dire nous avons passés bien plus d'heures ici à se crever le coeur en plein soleil, bien plus que vous ne serez jamais capables, car pour vire ces
heures il nous fallait des rêves que ce lieu seul décide, que ce lieu seul nourrit.
A quatre heures de l'après-midi je reviens seule à cet endroit de toi. Quelques silhouettes se meuvent au loin.
On ne m'a pas dit ne t'approche pas fait demi-tour retourne d'où tu viens, tu le sais comme moi, on ne m'a pas dit ça.
Mais leur présence m'effraie, me fait fuir, me jette me projette malgré elle de l'autre côté de la rue et je fais demi-tour, déclare forfait sur ce terrain conquis, un jour par moi aujourd'hui
par d'autres que je ne connais pas.
On voudrait leur dire, je le sais comme toi, qu'on y a jamais cru, d'aussi loin que l'on s'en aille, d'aussi près que l'on en soit, qu'on n'y croira jamais vraiment, si nos belles années
d'ivresses ne furent qu'un banc public, finalement.