[ mardi 2 juillet 2002 ] [ 12:11 ]

Tant que je ne pleure pas, tout va encore bien. Ces larmes, si faciles, si naturelles d'habitude, je les ai retenues, je les retiens. Et tant que j'y arrive, tout va bien. Personne ne sait si j'ai tort ou raison. Je ne crois pas que je serais mieux après si je me laissais aller. Je ne crois pas que ce serait mieux, ne sais pas si ce serait pire. Sans aucun doute, sans aucun doute, c'est pour celà que je ne me laisserai pas aller cette fois. Je n'en ai pas le droit, par loyauté pour moi-même, je ne peux pas me laisser tomber.

Un jour vous décidez qu'il faut partir. Vous voyez autour de vous des endroits où vous n'avez pas votre place de toute façon. Alors vous décidez que vous êtes capable, que vous êtes courageuse. Et à moitié pour vous, et à moitié all for love, vous prenez des trains, vous remplissez des papiers, vous puisez dans vos ressources de confiance. Et lorsque tout semble s'éclairer, vous vous reposez le corps et l'esprit. Sur les grands voiliers de l'avenir vous vous laisser voguer. En paix. En paix.
Vous écrivez que vous avez un peu fait ça pour lui, mais il ne lit pas ces pages. Vous le dites tout de même. Vous souriez aux gens, dites que vous atteignez enfin une existence normale, paisible. Vous comprenez leurs angoisses, pour les avoir vécues. On dirait presque que vous parlez d'une vague connaissance en relatant vos embûches et vos déroutes. Les premiers jours, vous êtes la bonne parole pour donner des conseils, la bonne oreille pour écouter les uns et les autres. Vous êtes libérée d'avoir besoin des autres. Vous voulez vous dévouer pour les autres, peut-être pour vous divertir. Et puis vous dites je vais partir. Ca y est, j'y vais. Alors on vous sourit en retour. Et vous souriez aussi, les yeux pleins d'interrogations et d'excitation, mélange de crainte et de curiosité.
Et en rentrant, vous n'êtes pas peu fière de ce sentiment d'avoir accompli. Vous vous remettez en selle dans votre réalité, vous appelez l'homme. Il n'est pas là, trop occupé. Alors vous souriez quand même sur le répondeur. VOus souriez quand même, car les kilomètres vont s'effacer, car la lutte est terminée, car de toute façon, ça pouvait bien attendre demain.
Alors vous achevez en beauté ce que vous aviez commencé ici. Vous écrivez des adieux émouvants, mouvants, mouvants. Vous rayez les mots, vous êtes un peu triste, mais le lendemain s'annonce déjà et vous n'avez plus rien à craindre, peut-être deux, trois choses à regretter.
Lorsqu'une autre femme vous appelle. Et puis vous comprenez. Vous comprenez que tout est fragile, que vos routes sont fragiles, que vos projets sont fragiles, et vous avec. Et vous avec. Vous comprenez, mais dans le fond, vous préfereriez ne pas le comprendre. Ne pas comprendre, rien, rien. Vous tremblez un peu, vous restez calme. Très calme. Vous parlez avec finesse, avec pertinence. Vous improvisez une désinvolture masquée. Vous comprenez que vous avez fait une erreur, une erreur à porter à bout de bras pendant une année qui s'annonce. Vous comprenez que vous allez avoir mal. Vous comprenez que vous allez vous retrouver seule. Que tout ce qui vous appartenait à quelques dizaines de secondes d'ici vous est enlevé. Que le bonheur que vous vous êtes donné tant de mal à organiser, planifier, classer, vous est arraché. L'avenir s'assombrit. L'avenir devient froid même au soleil. L'avenir sera solitude dans l'ombre d'un homme un seul. L'avenir sera souffrance dans l'ombre d'un homme un seul. L'avenir n'était qu'un homme, l'avenir le restera. Je ne peux plus changer de cartes, les dés étaient pipés, ce jeu est une impasse. Je ne peux faire demi-tour, et ne sais comment grimper par-dessus les murs. Peut-être des cordes vont tomber du ciel pour me faire passer de l'autre côté. Peut-être un avion va-t-il passer au-dessus de ma tête et comprendre mes signaux, du feu dans les cendres de mon histoire. Je ne sais pas. Je ne sais pas. Je ne pleure pas. Juste je regarde ce mur. Comment vais-je le franchir. Va-t-on le franchir ensemble. Je n'y crois pas. Je n'y crois plus. Pourtant je ne pleure pas. J'attends tes explications, même si je sais qu'il n'y en a pas. J'attends que tu m'entendes, même si je sais que tu ne m'entendras pas, ne comprendras pas ma douleur. Je te connais, je te connais si bien. Mais trahie. Trahie comment veux-tu que je me batte encore. Que je lutte encore, combattre et s'élancer contre des moulins à vent. Combattre et s'élancer sur un champs de bataille à des centaines de kilomètres de toute âme qui puisse me comprendre. Comment vais-je supporter de devenir l'ombre d'une femme bafouée dans les parfums d'une autre. Comment vais-je trouver la force encore. Tant d'années ces cauchemars étaient finis, finis.

Je prends le téléphone, et je ne l'appelle pas. Je sais qui appeler. Mon meilleur ami dont je croyais qu'il ne l'était plus il y a encore deux semaines. Mais dans le désespoir on reconnaît nos valeurs, on reconnaît nos compagnons dévoués, aimants et aimés. Parce qu'il comprend, comprend cet enfer-là pour savoir quelle vie je voulais, et laquelle j'ai obtenu. Parce que je sais qu'au-milieu de la nuit comme au-milieu du désert il est la seule personne que je peux appeler au secours. Au secours. Au secours. Même s'il ne dit rien, même si je répète sans cesse les mêmes paroles, juste pour donner consistence à mon appel. Je l'entend se décomposer à ma place, se révolter à ma place, moi qui en suis incapable, moi imperméable à mes propres émotions, parce qu'il le faut, parce que je ne peux pas me laisser aller, non, je ne le peux pas. Je pourrais me taire, et il pourrait se taire, et on pourrait rester là au bout du fil des réseaux qui m'ont apportés le paradis et puis l'enfer aussi, on pourrait rester ainsi, je n'aurais même pas besoin de bouger, la tête penchée sur la vitre ouverte, les pieds contre le mur, et le coeur au pied du mur. On pourrait rester ainsi et je serai tout aussi forte, même si tout aussi fragile, et je serai tout aussi apaisée dans la tempête, tout aussi rassurée dans cette nuit infernale, tout au mieux que je puisse l'être que lorsqu'il parle un peu et que je répète sans cesse les mêmes paroles. Et dans la nuit même le téléphone raccroché c'est lui qui me berce pour que je trouve le sommeil. Ben sait tout. Il sait mes batailles et il sait mes peines, il sait que je suis perdue, et se désole de ce qu'il est impuissant face à mon destin, mais au fond sait aussi qu'il m'apporte tout ce qu'il peux, et qu'une nuit comme celle-ci, aussi peu means the world to me. Il me porte à bouts de mots, et veille mon sommeil. Le monde s'écroule et je sens sa présence, à l'autre bout de la ville, et respire pour moi lorsque je suffoque.

L'homme dit qu'il n'y a aucun problème. Il dit qu'il sait. Il dit que tout va s'arranger. Il dit que tout va bien, ou que tout va aller. Rentrer dans l'ordre et viens. Je rentre dans le désordre et j'ai honte de moi et des persuasions auxquelles je me raccroche. J'ai honte de me dire tout va bien, tout va bien, alors que rien ne va. Personne ne saura. Juste Ben et moi. Personne ne saura que l'homme m'a trompée, lui qui m'avait créée, et que pendant ce temps je continue de dire que tout va bien. Personne ne saura, lorsqu'on me parlera de mon homme. Personne ne saura que ce n'est pas un voyage au bout de l'amour mais un voyage au bout de l'enfer. Personne ne saura dans quelle misère psychologique je m'installerai loin d'eux. La couleur des larmes qui ne brilleront pas en déballant des cartons qui me rappelleront qu'un jour je croyais que ça allait s'arranger. Qu'il ne suffisait que d'un départ. Personne ne saura, alors j'oublierai. J'oublierai que dormir est devenu difficile. J'oublierai que la bataille continue encore, que je devrai reprendre armes et armure. Et retrouverai l'espoir terni et vain qu'un jour encore tout va s'arranger. Le plus drôle est que je doive encore faire confiance à celui qui m'a détruite, confiance en son coeur puisqu'il sera tout ce que j'ai. Confiance en ses mots puisque ce sera tout ce que je peux entendre, et parce que même au milieu d'une cruelle trahison je n'ai pour toutes fondations qu'une putain d'estime pour un homme qui a oublié de grandir, d'arrêter de jouer, pour un homme qui fut mien, qui le sera, parce que sans lui là-bas je ne serai rien, pour un homme qui voulait être bien et que je mets au défi de dénouer mes mains des foudres de nos faiblesses.

hier

archives

imèle