[ mercredi 5 novembre ]
J'aurai besoin de temps et j'aurai besoin de place, pour dire ce que c'était
j'aurai besoin de pleurer et rire, tour à tour chanter et me taire,
mais je prendrai le temps, et toute la place, si j'y parviens, rien n'est moins
sûr, si je parviens à écrire tout, tout ce que c'était.
Il y aura des jours sans, des jours loin, loin de là, des jours ici à dire et de
pas dire, peut-être n'y aura-t-il qu'un mot, quelques pages, peut-être
des dizaines de papiers brouillons et des centaines de cendres, des milliers de
cendres sur les tables. Il y aura des pages comme des nuits sans étoiles, et des soirs
où elles brilleront c'est sûr, entre les lignes il y aura un peu de poussières, et
leurs rires derrière, si j'y parviens, si je parviens à écrire tout, tout ce que c'était.
Mais pour l'heure il n'y a que la confusion devant une image, devant des sourires
statiques, pour l'heure, cette image ne peut se soustraire aux mots, que je
pourrais chercher, trouver, inventer, pour l'heure la parole ne peut
s'autoriser à déformer ce qui fut l'irréel. Ca viendra, il le faut. Ca
viendra, comme la toute première seconde où je suis entrée dans cette maison,
comme le tout premier instant où j'ai entendu leurs voix. Ca viendra, parce que
l'instant d'après je suis restée. Et je suis née pour la seconde fois.
Sans un Dieu, sans un amour, sans itinéraire à suivre, je suis née pour la
seconde fois, en n'étant rien d'autre que le fruit du hasard.
Mais pour l'heure il y a cette image devant mes yeux et tant d'autres dans
ma tête, et leur lumière étrangle ma voix.
Ecrire la lumière du premier jour ou du dernier dimanche c'est toujours un
peu l'éteindre, pour allumer des bougies qui en deviendraient funebres.