[ lundi 20 octobre ]

J'ai veillé jusque tard dans la nuit après qu'il eut quitté la table et que je sois repartie de l'autre côté de la ville sous les lumières oranges. J'ai veillé jusque tard tard la nuit après ces heures-là passées sous le clocher au milieu de cette assemblée de hasard qui n'avait été là réunie qu'une seule fois, qui ne le serait qu'une seule fois. Je n'ai pu que veiller ce soir-là, tremblante. Parce que c'était de l'essence de la vie dont il s'agissait, je n'ai pu que veiller c'était un vendredi soir j'avais dit you shouldn't have, son écriture comme un voyage sur le papier j'avais dit you shouldn't have. Caressant le papier je ne voyais pas les mots j'avais bien assez de vie là-dedans déjà, dedans le soir déjà bien assez à garder, à emmener, avec quoi m'encombrer, pas de mots encore, j'avais bien assez à supporter. Il n'y avait que le dessin de l'écriture alors que je caressais le papier, ce n'était pas là déjà des mots, du sens, non il n'y avait que le dessin de son écriture comme un voyage sur le papier, un voyage que je faisais du revers de ma main, celui qui m'avait porté là, c'était ce voyage-là, peut-être. Ou bien tous les autres que je n'avais pas faits, que je ne ferai pas, les siens, ceux passés et à venir, pourquoi pas, oui, uniquement les siens, posés là, pour moi, son écriture comme un voyage. Alors je n'ai pu que veiller, tremblante jusqu'au lever du jour. Pour un rien. Ce que j'avais appelé un rien toujours jusqu'au lendemain, pour un rien je suis restée fièvreuse auprès de la fenêtre jusqu'à l'aube, pour ce que j'appelais un rien moi l'ombre me suis terrée dans un filet de lumière. Résonnaient maintenant les mots qui s'étaient frayés un chemin, avaient atteint le jour sur le papier, m'arrachaient un sourire ces mots sans ponctuation aucune la parfaite affirmation sans début et sans fin, it's all over now
aucune signification autre aucune supposition superflue, all over now, il s'était penché vers moi sous les lumières oranges, aucun geste superflu rien que ça. Autour on s'était tû et l'on baissait les yeux, on attendait l'indécence. Il s'était penché vers moi sous les lumières oranges, un baiser sur ma joue incandescente. Je n'avais pas fait un geste ni baissé les yeux. J'avais regardé autour où l'on s'était tû et où le soir sous leurs paupières était devenu sinistre. J'avais enfin tourné la tête là où il s'était tenu, là où nous avions fait de la bienséance une affaire personnelle, là où une politesse de plus à mon oreille s'était égarée, j'avais enfin tourné la tête là où l'on ne voyait plus que la pesanteur de l'air s'écraser contre les glycines. Pourtant longtemps encore j'avais deviné son corps tendu dans l'ombre du clocher, ce corps fier les traits du visage à peine durcis par quelque conversation de circonstance les mains à l'écriture fuyante, l'écriture des voyages, du mouvement, et celle de l'immobilité instantanée d'un ici et maintenant. Trop tard j'avais tourné la tête où son fantôme écrasait les glycines, la voix presque éteinte j'avais murmuré, me too...
Le vacarme avait repris, la petite foule du vendredi soir, son bruit de verre cassé. J'avais avancé comme aveugle dans les rues que je ne reconnaissais pas, j'avais laissé le tunnel sur ma droite j'avais traversé le rond-point en courant et piétiné les fleurs sur le terre-plein, sur ma gauche la petite gare, devant moi le chemin de la maison, devant moi le retour, ou le départ, devant moi le lendemain, mais avant ça, bien avant ça j'ai veillé jusque tard dans la nuit. Parce qu'il n'y avait plus qu'un clocher, parce qu'il n'y avait plus qu'une petite gare, parce que l'essence de mon existence peut-être se trouvait là j'ai veillé, puisqu'il n'y avait que celà à faire, puisqu'il n'y avait que celà à être, tremblante, dans le filet de lumière de la fenêtre de la chambre.

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