[ samedi 30 novembre ]

Le repos forcé, l'immobilité presque, dans ces deux pièces sans âme, me ramènent à l'observation du vide, à ne plus pouvoir nier encore le malaise intérieur, à ne plus pouvoir me soûler encore du vacarme extérieur.
Et c'est toujours comme au milieu d'un combat que je m'éveille.
Les mois passés m'ont amenée une vie sur un plateau, et m'ont pris mes mots. Ces mots par lesquels s'écrivaient mes douleurs, parfois mes passions sans nom, sans nom mais bien loin d'en être sans saveur.
Au fil des mois les mots se sont faits rudes à manier, comme des couteaux devant être toujours mieux aiguisés. Les mots se sont faits durs à détourner et à charmer. Les mots par lesquels je savais dire...oh combien j'admire, oh combien je peux jouer, oh combien demain sera... ou ne sera pas. Ces mots par lesquels je m'exprimais tout bêtement, naturellement, m'ont fait faux bond, nous le savons.

Et j'ai cessé d'explorer la source pour contempler la rivière, et la lumière, l'Extérieur, sans les mots. Sans trop les mots.

Mais aujourd'hui que reste-t-il lorsque sur le lit moi immobile je vois défiler mes défaites en silence, lointaines ou proches en silence, que me reste-t-il si je ne trouve jamais plus les mots, pour faire sortir, hors de moi, hors de moi, de quelles phrases ou injures que ce soit, ces trop lourds et trop longs sentiments d'abandon, de désarroi, d'ennui, de désamour sans fin ni fond, ni fondement sans doute, que me reste-t-il donc...
Presque rien au dehors. Puisque tout est enfoui au fond de moi une fois les mots en fuite ailleurs que chez moi. Plus à moi les mots, plus à moi. Ils ne veulent plus jouer, ils sont à peine là, ils sont allés se cacher, insolents, m'empêchent de m'exprimer. Ils ne veulent plus faire joli, c'est ce qu'ils m'auraient dit, s'ils pouvaient parler, les mots, s'ils pouvaient parler.

Ce serait trop dur, ce serait trop long, de reprendre au début toutes mes splendides défaites. Toujours ce mot-là, celui-là veut bien sortir de l'ombre. Défaites. Ce mot incertain ; suis-je mes défaites ou moi simplement défaite aujourd'hui ça ira mieux demain.

J'avais cessé - ou presque - d'écrire de simples faits, car quand c'est moi qui le fait, je trouve tellement bête cette énonciation, tellement ridicule ces semblants d'action. Conter le détail l'embellit parfois, mais sur mon papier à carreau, conter le détail vient tuer l'action, vient la prendre par la main pour la pendre par les pieds et montrer à tout le monde comme elle est bien futile, ma réalité.
Mais je m'égare. Encore.
J'avais cessé - ou presque - d'écrire de simples faits. Je ne m'étais autorisé que quelques pièces concrètes bien choisies, des yeux bleu ciel, ciel pour s'emparer du mien en été, un homme aux larges épaules pour m'évader, et puis ces amitiés-là, celles qui font que partout où je les écris je me sens chez moi, des détails inutiles, et des routes, toujours des routes, des routes et des trains, preuves tangibles d'un mouvement existant. Mais en dehors de ces matières-là, j'avais cessé, ou presque, d'écrire de simples faits.
Et puis parce que ce n'était finalement pas grand chose, ça compte pour presque rien ces choses-là, l'extérieur, dans l'écriture.

Mais survoler ces bribes de mon histoire, maintenant qu'ici elles sont tout ce que j'ai de tangible car tout ce qui m'a faite, ici où me gagne le mal-être d'être loin, si loin de mon passé et si loin de moi-même, survoler ces bribes en vers et en prose choisis ne suffit pas, ne me suffit plus pour en toute discretion me purger des passions, des poisons. Tout ce qui appartient à mon histoire. Tout ce dont je voulais m'interdire de parler, depuis un bon bout de temps. M'interdire parce que c'est pas beau. Parce que les larmes de petites filles n'ont pas raison d'être sur les joues des grandes filles. Parce que ça va bien. Parce que tant que rien ne va mal, tout va bien. M'interdire pas décence. Oui, c'est ça, par décence.

Le professeur condamne nos écrits, on line, que dalle.
Le professeur a rit, et je me suis dit je ne me mets pas à mal. Mes observations surplombent mon âme, ne l'exposent pas, plus, pas encore, pas à nouveau... Je n'écris pas le concret dans toutes ses couleurs, moi, Monsieur, je ne me confonds pas en exposition, en impudeur, moi, Monsieur.
Le professeur a rit, et moi, de honte, me suis jurée les yeux baissés, de ne plus jamais, jamais étendre des faits pour faire de l'effet, pour faire des effets ; c'était comme si l'on m'avait dit que jouer avec nos mots, les mots de nos vies contées, était jouer avec notre honneur, notre intégrité, notre moralité... Mais je ne suis pas exposée, Monsieur! Ce que je crois toujours, quoique j'écrive c'est toujours ce que je crois. Même dans les faits? Même dans les faits. Les écrits, lorsqu'ils étaient encore off line, n'étaient déjà pas moi nue dans un ordinateur. Les écrits, off line, on line, ne le sont toujours pas. Même dans les faits. C'est toujours moi en pull trop large comme à mes seize ans lorsque je traîne à la maison. Ces écrits-là aussi. C'est moi, comme ça. Pas plus exposée. A peine plus en prise au risque d'un courant d'air.

Et le professeur toujours condamne nos écrits, on line, que dalle.
Et bien moi aujourd'hui je viens vous dire, Monsieur et tous ceux qui se désignent pas un vous anonyme, je viens vous dire qu'il est bien difficile parfois de se contenir en de jolies images, de jolies phrases déjà moins jolies, souvent, ces derniers temps. Qu'il est difficile de ne pas s'exposer, au sens où certains l'entendent, quand le papier c'est vous et que je ne veux qu'écrire un bout de mes pensées torturées pour m'en débarasser, m'en débarasser, il n'y a qu'en écrivant, encore, peut-être, que je pourrais toutes mes grandes défaites par-dessus bord balancer.

Parce que tout est resté là. Rien ne s'est passé ici mais tout est resté là, cette existence, ce personnage que je m'étais choisie depuis...il y a bien dix ans maintenant, je crois. Dix ans pour devenir adulte, dix ans pour trouver mille raisons de ne jamais rien regretter, à rétorquer à ces mille autres raisons qui voudraient me faire tout regretter. Tout sans concession. Ou presque.
Ces années de mauvais choix, ces voix un jour à mon oreille, tout reste là.
Les diables qui m'ont appris qu'il est plus simple en étant femme de souffrir que de se sentir bien.
Les démons qui trop tôt m'ont fait comprendre l'humiliation, la haine de soi, et des autres aussi.
Les sorciers qui m'ont montré que dans toutes les vies même des plus banales, rien qu'en passant sous des échelles, des drames à petite échelle surviennent, et c'est normal.
Tout ce que j'ai vu, tout ce que j'ai su, que j'aurais pu ne pas voir, que j'aurais pu ne pas savoir, pas si tôt, pas si vite.
Les gardiens de ma mémoire qui n'étaient pas des anges, ceux-là qui m'ont ouvert les yeux sur les chemins à prendre, tant que j'avais encore le temps, tant que j'avais encore le choix, tant et si bien que je ne les écoutais pas
ceux-là de qui j'ai appris qu'en quelques tours de magie, de trop, de trop, on peut perdre les amis, et se perdre dans sa propre vie, que tout tient à fil, peut-être moins que ça, peut-être à moins que rien.
Ceux et celles connus ou moins connus de moi, mais dont je me souviens encore, auprès de qui pendant des heures je vantais les mérites d'aimer la vie jusque dans ses épreuves, à qui j'ai murmuré mes petites philosophies avec des rires dedans pour que le sourire soit rendu, qui l'avait volé? Je ne sais plus.
Ceux-là à qui je disais, en y croyant - mais peut-être je me trompe - en y croyant pour de vrai ou pour de rire, il n'y a rien à regretter, jamais.
Et puis ces ogres qui m'ont prise au piège.
Ces hommes dont trop tard, ou trop tôt encore, j'ai compris que leur coeur-même étaient traître. Et la morale sur la terre inexistante.
Et puis, et puis...les gentillesses qui sont reparties dans leur paisible quotidien - et je leur en veux pour celà sans doute - et des autres qui ont bousillé la moitié du mien. Je leur en veux, pour ça aussi.
Les courses sur lesquelles j'ai tout misé, et perdu presque autant.
Ceux qui m'ont soutenue, amoureux jusque dans mes déboires fabuleux, jusqu'à ce qu'il découvrent que je n'en valais pas mieux. Je leur en veux, aussi, aussi.
Et puis il y a...
Celui qui me disait même lorsque le monde entier de toi se sera détourné et qui n'a pas attendu le monde entier pour me gommer de ses cahiers.
Et celui qui m'a noyée ici, noyée ici, dont la trahison me serre encore à la gorge, lorsqu'ici je ne suis pas bien, pas bien.

J'ai mille raisons de regretter les fonds boueux, minables, odieux, du passé. Mais je leur ai tenu tête jusque là, leur ai plongé la tête sous l'eau jusque là. C'est pas maintenant que je vais lâcher. Et regretter. Mais au bout du compte, toutes les failles à la surface remontent. Et j'enrage de ne pouvoir tout recoudre, rapiècer, racommoder. Parce que ces failles-là ne peuvent plus être comblées.

Tout le bien et le mal je l'ai choyé, avant de me donner des raisons de vouloir tout enterrer, tous ces visages et tous ces lieux, reflets du bien, reflets du mal. Tous ce que je hais, puisque je suis capable de haine, et aujourd'hui j'en susi capable à l'écrit, tout ce que je hais je l'ai un jour choyé.

Chaque bribe de mon histoire une défaite. Obsessions au jour le jour, qui s'accrochent.
Comme les petites filles qui riaient, pas moi,
obsessions au jour le jour, qui ne me laissent pas,
comme les bras d'amitié qui se reserraient, protection autour de moi,
obsessions au jour le jour, qui m'enserrent,
comme les ébats laissez-moi me débattre, comme je voudrais pouvoir me débattre,
obsessions au jour le jour, qui ne me quittent pas.
Comme les yeux bleus, juste les yeux bleu qui apaisent, à jamais trop loin, je n'étais pas assez bien, pour eux jamais assez bien,
obsessions passions qui ne me quittent pas.
Et mon ami là-bas. Que je n'entends plus. Et les ennemis aussi, tout celà...
Tout celà est bien loin, dans le temps, tout ce temps, le passé m'a quitté et pourtant tout est là. Tout est encore là.

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