[ mercredi 15 octobre ]
Je me recompose, d'extérieur en intérieur je me suis recomposée,
seulement composée, peut-être, entre une vieille mélodie jouée à plusieurs
main et ma mélodie à moi seule, une mélodie qui ressemblerait à quelque chose
de bien quelque chose de calme quelque chose qui aurait à voir avec la douceur,
la liberté, qui aurait à voir avec un ciel blanc d'hiver ou le rouge d'un
autre automne. Enfin. Encore. Et les lumières de la ville. La ville si
elle s'endort, les lumières restent là, je les prends avec moi, tous le temps
maintenant. C'est une mélodie que j'aime tout simplement, si naïvement.
Je ne m'affranchirai jamais plus de ces années qui me pèsent qu'ici et maintenant,
je ne serai jamais plus libre et plus grande de ça qu'ici et maintenant, ici
où je vis maintenant que la belle saison s'installe à la table de la cuisine.
Je ne me sentirai jamais plus belle qu'à vivre là, à deux pas de chez toi et dans ton ignorance, jamais plus forte de ma
solitude qu'à vivre là, dans ton ignorance de cette vie-là, la mienne, maintenant.
Dans cette ville qui pourrait ne pas exister, qui pourrait aisément être rayée de la carte
pour une raison, une autre, parce que vu de l'extérieur le temps n'y passe pas
vraiment, le Temps ne se passe pas ici, et pourtant. Je ne vivrai sûrement
jamais plus qu'en étant là, j'ai jamais su pourquoi. Mais je suis là, maintenant, et si c'est un retour, il n'en a pas le goût.
Il n'a rien à envier aux grands départs, ce retour, il n'a pas à se soucier de l'ailleurs, il peut rester là et
attendre indéfiniment que les lumières de la ville finissent par s'éteindre, il peut dormir tranquille et se réveiller demain
sans que je le regrette ou le malmène. Il y a dans les villes anonymes de province de la place pour tous les endroits du monde, pour les
revêtir d'un jour à l'autre, pour en changer comme de chemises et de chaussures sans talons d'un matin à l'autre, selon la
couleur du jour et la saveur du temps. Il y a toujours dans les villes anonymes de province de la place pour construire
l'imaginaire, et pour le nourrir, ici, on a tout le temps. Dans ma ville il y a l'amérique l'italie la corée et l'afrique dans
ma ville on y parle toutes les langues on en invente pour celles qui disparaissent de par le monde dans ma ville il y a des jardins
des lacs de montagnes des plages de galets ou de sable fin des chateaux anglais et des ponts suspendus au-dessus de la méditerranée.
Pourtant dans ma ville, il n'y a rien. Je suis au-milieu du monde mais dans un endroit que le monde ne voit pas, le
monde vit sans ces villes-là. Dans ma ville il n'y a rien que des cailloux dont on fait des trottoirs des entreprises
dites industrielles des pavillons dits de banlieue - mon pire n'est pas celui qu'on croit - , pourtant dans ma ville il y a tout autre chose que ça. Je n'y ai
besoin de personne, personne ne m'y cherche et personne ne m'y trouve et je m'en moque, j'ai toute la place que je veux pour
m'imaginer ailleurs ou pour m'imaginer celle que je suis ici à cet instant. Et jusque là, il n'y a jamais qu'ici que je sache faire
celà. Moi voyez j'aurais bien laisser tomber le monde entier, je lui aurait fermer la porte au nez pour le rêver. J'aurais,
j'aurais... non, je l'ai fait. Voilà ce que j'ai fait. Penchée sur la mappemonde j'ai dit non. Dans ma ville je
suis partout à la fois, il n'y a qu'ici que je sache faire celà. Enfermée d'un trop bon gré dans une tour dorée des années
mille-neuf-cent-soixante-dix d'un coin sans charme et sans feux d'artifices, je ne me contente pas de peu: j'ai tout l'univers
à inventer rien que pour moi.
Et je n'ai rien de ce que vous appeleriez réussite, et je n'ai rien de la réussite des gens d'ici, je n'ai
rien dont je sois fière et je m'en moque, j'ai tout l'univers à inventer rien que pour moi. Même pas vu d'ici, vu
de chez moi.