[ mercredi 24 septembre ]
Quelque chose a changé et je pourrais oublier
le matin au réveil dans une tasse de café je pourrais oublier
derrière les vitres où je ne vois pas mon reflet je pourrais oublier
je crois parfois peut-être je pourrais continuer
mais ce qu'il est fin ce fil qui me retient à la réalité
ce qu'il se casse plus vite que le temps dont j'ai besoin pour le tisser encore
de mes mains à mon coeur.
Quelque chose a changé que veut-il que j'en fasse
si ce n'est garder les yeux grand ouverts tout au long du jour
et redevenir petite fille petite garce
mon amour
mon amour
noyée dans le confort et la douceur des étoffes
quelque chose a changé que veut-il que j'en fasse
si ce n'est refaire mes quinze ans dans la chambre bleue que je barricade
qui n'est pas refuge
juste le seul endroit où j'échoue
j'échoue.
Et je fais la grimace et j'envoie balader en vrac
le dessert et le dehors
et mes années moi j'en dis
vivre dans l'imposture
dix ans c'est long
et je frappe du poing mais mes poings sur les draps
rien ne tremble
rien ne tremble
et je tords les pulls et mes nerfs et mords le rouge sur mes lèvres.
Quelque chose a changé et le bal n'a rien vu pas même un geste déplacé
et le bal
n'a rien entendu pas même le cri que je n'ai pas poussé
pour ça il fallait la force dont j'étais désarmée
pourquoi dire alors
quelque chose a changé
m'a mise à terre m'a éventrée m'a attrapé les deux poings serrés trainé le corps à la merci d'une âme une seule
que puis-je dire que les mots ne viendront pas maquiller
rendre beau rendre propre
que puis-je dire alors
juste que
peut-être
quelque chose a changé transformé mes nuits en une vaine mascarade où mon lit est
un théâtre
où mes jours sont fardés du brun profond de mes souvenirs souillés.
Petite fille petite garce moi je dis je voudrais encore sa souffrance et ses nuits
blanches au pied de mon théâtre rose
moi je dis je voudrais encore ses yeux baissés devant mes quatre mes mille volontés
ses joues livides de n'avoir pas été embrassées ses mains trop fines piétinées
par mon orgueil mon ignorance
petite fille petite garce je voudrais bien moi encore
les volets fermés de l'appartement pour ne pas que le jour le retrouve et l'emmène
hors de moi
les volets fermés sur les affres de sa solitude sans moi
je crois
et son sourire grand comme le ciel et desespéré comme la rue sa souffrance
peut-être
parce que sa souffrance contre la mienne
parce que ses nuits blanches contre mes nuits noires mon enfer
parce que ses yeux baissés contre mes yeux dans le vide et ce vide grand ouvert
parce que ses mains fragiles d'avoir trop frappé à ma porte contre mes mains glacées
d'être plongées dans la démence douce-amère des rôles trop vite changés
dans la chute
parce que ses joues livides contre mes joues détrempées de larmes et de sueur de rage et
de remords
parce que ses volets fermés contre mes fenêtres ouvertes pour laisser entrer dans la chambre bleue la
colère de la ville
parce que son sourire triste contre le manège de mon visage maquillé
parce que sa souffrance contre la mienne
semblait plus douce pour moi la porter
parce que sa souffrance contre la mienne
puisque je pouvais me haïr
mais pas avoir à me mentir
les matins clairs
parce que sa souffrance contre la mienne
je voudrais mieux de ça encore
petite garce sans un remord
sa souffrance contre la mienne
je fais un voeu et lance une phrase en l'air et c'est lui qui tombe
pas moi pas moi.
Tu m'as eu
mon amour
mon amour
mais je fais un voeu et lance un regard vers le ciel et c'est le sien qui tombe à mes pieds
ses yeux baissés contre les miens vidés de l'étincelle qui les faisaient
se baisser ces yeux-là oui je crois je voudrais bien
encore, encore
bercer une peine qui n'était pas la mienne soigner de flots de paroles sans geste un coeur qui n'était pas le mien.
Mais je fais un voeu et lance une phrase en l'air et c'est lui qui tombe
pas moi
pas moi.