[ lundi 8 septembre ]
Et le temps de rien, et pourtant le temps que ça me prend à le regarder passer, si je m’arrête je me noie, dans le temps et l’espace que je ne maîtrise pas. Maîtrise que dalle, ni le présent ni l’avenir, c’était trop facile de jouer à celle qui, le rôle de celle qui allait, de celle qui peut-être, toujours celle qui deviendrait, un jour, toujours en devenir, qui deviendrait, je croyais, moi, seulement moi, une seule et unique personne, sans plus se dédoubler enfin se trouver, celle qui irait, ferait, s’échapperait, reviendrait…si simplement…je croyais, j’étais celle-là. C’était trop facile toutes ces phrases en l’air, bien haut dans les airs, si haut, ces idées envolées échappées trop haut, trop haut, toujours plus loin au-dessus de l’eau… et moi en bas, tout en bas à regarder glisser au-dessus des plages les cerfs-volants, moi ce corps trop lourd pour s’envoler, qui reste à terre pendant que les grands oiseaux s’éloignent, moi ce corps trop lourd qui ne peut rien en faire, du vent jamais assez violent pour m’arracher à la terre, ce corps cloué au sol, la main mariée aux rocs immobiles et solitaires, solitaires qui regardent partir les bateaux, ce corps ni dans l’air ni dans l’eau non bien sur terre.
Dans le train qui longeait votre ville, j’écrivais, à vous, et à tous les autres, tout sourire que j’étais, j’écrivais un bout de joie une plénitude bienheureuse, la certitude d’un instant entier, ce moment comme un mot, comme un texte, comme on dit parfois d’un de ceux-là qu’ils se suffisent à eux-mêmes et c’est beau, toujours beau de dire ça, rien que ça, j’écrivais, à vous et à tous les autres, mon filet de voix masqué par le bruit des rails sous mes pieds, dans un train qui longeait votre ville, j’écrivais, tout sourire que j’étais.
Et qu’il ne s’arrêtait pas en gare, que vous étiez sans doute loin, que cela n’importait en rien, rien du tout, absolument, je disais le temps, qu’il y avait eu le temps pour m’apporter visages et voix et rires et des corps qui s’éloignent, mais qui existent encore dans l’ombre, qu’il y avait eu tout cela, absolument, qu’il y avait eu le temps, comme il passe comme il se hâte, et que le temps était splendide, le soleil rose au couchant, jusqu’ici en nos régions de hasard, tour à tour délaissées et encombrées, mais tout de même ce ciel-là et la chaleur qui n’en finissait pas de m’apprivoiser le souffle et la peau, je me disais je pourrais aller n’importe où, oui, n’importe où, les habitudes ce sont peut-être aussi celles-là, remonter à la surface et chercher l’air, ça aussi, le noir brillant sur les cils chercher l’air… les habitudes, il ne suffit que de ça, peut-être, pour appartenir enfin… Et moi j’écrivais, que j’avais cette chance derrière les vitres, toujours, cette chance d’être ramenée, baladée, sur des rives dites inconnues où je trompe un monde absurde, sur ces rives inconnues qui portent, en dépit de mes ignorances une identité. Et je faisais partie du monde à cet instant-là, partie de la foule, dans un train qui ne s’arrête pas au quai de la gare de votre ville, partie d’une multitude mais encore moi, moi toute seule après tout, prise à part par ces pensées, et au milieu du monde par ces pensées, dans ces pensées comme dans une danse, voyez j’étais sereine et apaisée, août était léger et je me sentais légère, et je pouvais il me semble longer toutes les villes du monde, tout sourire que j’étais.
Pourquoi aujourd’hui ce chaos, et ne plus supporter le silence, pourquoi remplir des pages pour rien, même pas pour rire, et la musique étourdissante… pour oublier ce que je fuis ce que je suis, sans même pouvoir dire vraiment ces centaines de choses qui me dérangent, pour toutes les fois où j’ai aimé ce monde ses couleurs ses langueurs lorsque tournaient les saisons…je pensais m’en suffire, m’en contenter, me contenir dans ces fugaces moments qui me semblaient entiers. Que dalle, que dalle pour savoir quel est ce rien qui m’a fait tenir et qui m’a laissée, quel était ce mot, cette voix, quel était cette présence cette absence ce lieu cette destination ce désir, quel était ce rien, ce rien puisque sans nom, qui me faisait tenir hier et qui noircit je le sais le vert de mes yeux aujourd’hui. Je me souviens, pourtant, tout sourire que j’étais. La terre était la même, absolument. Je ne comprends pas. Pourquoi aujourd’hui ce chaos, et la musique étourdissante… enivrante.