[ dimanche 21 septembre ]

Il marchait la ville avec eux, je remontais la rue où le jour s'était éteint
ils souriaient tous
je lui souriais, moi
composition/décomposition de mon équilibre, dans ma rue c'est plus facile
mais dans ma rue on se laisse aller
dériver
avec rien qu'un sourire sur mes lèvres c'est tout ce qu'il en faut
dans un moment de félicité, moment fragile suspendu dans le temps suspendu à mes lèvres.

Je ne pouvais pas poser les yeux
les poser non je ne pouvais que balayer
la rue où le jour s'était éteint et les lumières rouges allumées
les fenêtres closes et au-dessus les toits gris de la ville
deviner
deviner comme c'est grand alors que dans mon corps j'étais à l'étroit
les pavés et le mélange fou de tous ces gens tous ces gens que je ne reconnaissais pas
ne voulais pas reconnaître
puisque mes yeux avaient décidés de ne pas les voir
puisque mes yeux ne voulaient pas se poser
nulle part
pas même dans les siens
auxquels j'essayais de me raccrocher
dans lesquels j'essayais de me tenir
composée, composée
composition/décomposition de mon équilibre.
J'ai chuté.

Il savait sans que je dise les mots
il savait
un café sans sucre à sept heures du soir dehors sans parasol encore le soleil sur mes épaules découvertes
il savait
un restaurant bondé à dix heures mon rire et mon amie sur les canapés rouges et des mots sur lui
il savait
la petite peine à l'évoquer et les regrets et le temps que l'on ne rattrape pas
il savait
la course de mes pas le long du fleuve la colère dans mes yeux pour chaque regard posé sur moi
un gin and tonic et l'heure qui passe dans nos sourires des heures durant pour rien pour aller où,
on ne sait pas,
et le bruit assourdissant
étourdissant des endroits des samedis soirs d'ici
il savait
la fraîcheur de la nuit qui met un pull sur mes épaules
il savait tout celà je n'avais pas besoin de dire les mots
je n'avais pas besoin de faire des phrases d'y mettre des majuscules des virgules et des points
de suspension
comme lui toujours
des points de suspension à la fin de tout pour qu'il n'y ai jamais de fin vraiment
aucune fin qui soit
nécessaire.

Il me devinait d'un regard
je lui parlais d'un geste un seul,
mais il fallait le son de nos voix puisqu'on était pas là-bas
puisqu'on était pas tout seuls pas du tout sous les étoiles là-bas où l'on oublie le monde
là-bas dans la sphère où l'on s'enfermait quand tout était trop fort
ou quand rien n'était assez
il fallait le bruit des sous-entendus des talons qui claquent des éclats de voix
des éclats de voix dans la nuit
puisqu'on était en bas de la rue, cette rue qui semblait s'être soudain dévêtue
de toute forme tangible concrète
concrete sous mes pieds
pas le ciel et les étoiles
puisqu'il y avait le monde autour
tough like concrete
et notre proximité dans le silence aurait probablement semblé
indécente.
Indécente.

J'ai planté un jardin dans ma chambre
j'ai aimé cette journée, tu vois
j'ai pris un train pour Paris
oui, moi, les trains... étrange n'est-ce pas
j'ai marché dans ta rue hier
il fait un peu froid, là
je sais que tu devais m'appeler
non je ne t'en veux pas
il fait un peu froid, là
je ne me sens pas très bien
non je n'ai pas froid
ça va aller ça va aller
les yeux baissés,
composition/décomposition de mon équilibre
ça fait plaisir de te voir.
Je ne l'écoutais pas, ses paroles flottaient dans notre air trop lourd de n'être plus tant de choses,
là, devant les autres dans le monde, dans l'extérieur à composer au hasard
je n'écoutais pas ses paroles, les mots c'est quelque chose, et parfois tellement rien au fond, dans le fond
il faudrait que l'on se parle
il faudrait que l'on se voie
je pars demain matin
douce traversée de nos dimanches, et moi
je reste là
je reste là tout le temps
maintenant

mais ces yeux sont un miroir et j'y vois que dalle j'y vois que dalle
je n'y vois que moi et moi encore perdue
perdue
ces yeux-là qui tour à tour m'accueillent et me tiennent à distance
ses yeux sont un miroir et lui, et lui je ne le vois pas
il faudrait que l'on se voie
mais les yeux dans les yeux je ne le vois pas
pas vraiment
le moment va venir où
mais je n'en veux pas de ce moment, finalement, je ne suis pas sûre, tiens-moi la main je vais tomber
je ne suis pas sûre, je ne suis sûre de rien
peut-être j'ai peur retiens-moi
je ne me sens pas très bien

et je souris encore parce qu'il est là et que tout est étrange et que j'aime ça aussi
la décomposition de ce qu'on croyait être à l'intérieur de notre sphère qui est là-bas
loin de la rue là-bas sous le ciel peut-être sans étoile ce soir
je ne sais pas.
Je souris encore mais je manque d'air et les voix autour et la course des visages
s'accelèrent
et rien pas même ça, ce bout de calme à l'intérieur de moi
ce bout de calme, ce visage de lui devant moi
souviens-toi je te disais
la meilleure moitié de moi

et rien pas même ça ne suffit à me maintenir debout
contenue, suspendue à un rien au bout de ma rue
j'ai chuté.

Et les sourires se sont fermés gâchés gâchés si simplement Et le mal m'a volé ma pudeur
je suis désolée, désolée
parce que sur les pavés gris de ma ville mes genoux tremblent entre mes bras
et je voudrais que tout le monde parte mais tout le monde reste là
et toutes les courses s'accelèrent de mon coeur à son regard désarmé
je ne veux pas ça je ne veux pas ça je n'y peux rien et je suis désolée
et le mal m'a volé m'a pudeur
j'ai pris un coup à mon coeur, ce bout de calme en moi ce bout de colère en moi
ce n'est qu'un coup de chaud et froid
ça va aller ça va aller
c'est seulement tous les éléments de l'univers entre toi et moi
et les satellites souviens-toi
ce soir nous ont rattrapés
nos dires et gestes mesurés,b
tous les satellites souviens-toi
... c'est seulement tous les éléments de l'univers entre toi et moi
l'insaisissable oui l'insaisissable
chaque fois que je veux l'attraper je tombe à terre
je manque d'air
et si tu es là je lâche prise
et si tu es là alors que je tombe les mots s'échappent

et le mal m'a volé ma pudeur
regarde ce que les certitudes ont fait de moi
mais non c'est pas ta faute
c'était une chose
formidable
de s'avoir là
c'était une chose
très belle oui très belle
de se voir là
mais moi... moi je dérive et m'écroule et cherche l'air sous le poids de mes certitudes
de n'être que la moitié d'une entité insaisissable
mais moi je dérive et m'écroule et nos sourires se ferment lorsque je cherche l'air
à ne jamais te trouver vraiment
.

Et les sourires se sont fermés j'ai remonté la rue où depuis longtemps le jour s'était éteint
je t'appellerai
peut-être
demain

je me suis étendue les yeux posés
sur mes mains contenues qui avaient cessé de trembler
derrière une fenêtre à l'autre bout de la rue.
Je n'étais pas sûre de vouloir savoir
si un jour le soleil se lève
sur l'insaisissable
peut-être.

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