[ jeudi 5 septembre ][ 12:06 ][ la jeunesse tête haute ]

J'envie celui qui ici ne vit que de sa jeunesse. Celui qui inonde les rues de sa joyeuse ignorance, fier de ce qu'il croit posséder, alors que rien n'appartient à qui ne l'a pas construit, ou ne l'a pas alimenté. Et à cet âge, qu'a-t-on accompli, qu'a-t-on que l'on ai vraiment mérité... Fier de ce qu'il est, de ce qu'il fait, et davantage de ce qu'il sera. Les choses matérielles, son avenir encore si virtuel, rêvé, imaginé, ce qu'il croit maîtriser lui suffisent à penser que c'est là que repose toute existence. Sa vérité s'arrête là où les miennes commencent, sa réalité commence et finit à ses pieds, à peine plus loin, là où ses yeux ne peuvent distinguer le bleu du ciel de celui de la mer.
Moi j'envie celui qui ici ne vit que de sa jeunesse, jeunesse dorée, l'insolence aux yeux bleus, l'insouciance incarnée, du bout des doigts au plus profond de la chair, adolescence sans mise en scène, ou si peu, prestation de son arrogance, son air de se moquer de tout, tout, tout en ne laissant jamais rien s'échapper, simple sécurité.
Tout prendre, tout, des inscriptions sur les murs de la ville, des joues pâles des jeunes filles timides, des reflets moirés du ciel dans les flaques sur les pavés, de l'odeur des arbres et des gaz d'échappement sur les routes, de la ville tout prendre, des regards, des sourires et même des larmes, de la vie tout prendre, ses mercredis, ses dimanches, ses samedis soirs encore brillants, au goût du désir, au goût sucré de l'aventure, des samedis soirs qui un jour lui paraîtront sans saveur, dérisoires. Tout celà qui est encore si neuf, immaculé, tout celà qui est encore si beau, à travers ses yeux, pas encore corrompus, sous ses mains encore empruntes de la douceur de l'enfance. Tout prendre de ce qu'ici peux lui donner, et ici, ici comme n'importe où ailleurs, ici lui donne tout, sans rien attendre en retour. J'envie celui qui ici ne vit que de sa jeunesse, et prend, prend, prend sans jamais donner, jamais donner plus que les fantasmes qu'invite son jeune âge. Les pieds sur terre, toujours, le regard tourné vers ailleurs, pour pas croiser l'amour, pour pas grandir en un jour. Lui, la tête ailleurs mais les pieds sur terre, parfois tellement plus que nous, parfois tellement plus que moi.
Ici je tremble devant la superbe des grands enfants qui demeurent dans un état de grâce qui m'a quitté depuis longtemps, ici je rase tête baissée les murs qu'ils longent la tête haute, et à chacun de mes pas je laisse tomber derrière moi les pierres précieuses de mon envie, de cette petite jalousie, et de ma propre jeunesse insouciante et rebelle à la beauté évanouie.

Il en va ainsi dans ma ville, je m'en vais ainsi de cette ville, qu'elle garde en elle mes formidables frayeurs du temps qui passe et que l'on passe à d'autres, qu'elle garde en elle mes infimes obsessions de chair insolente, surréalistes et vaines, que ces lieux deviennent désormais le coffre où j'enfermerai ma rancoeur et mes plus cruels désirs, inutiles désirs, profonds désirs qui m'ont malmenés en eaux troubles.
Il en va ainsi dans ma ville. Que mes lieux soient autres désormais, mes déceptions autres désormais, qu'elles prennent une autre couleur, la couleur des étés à venir, et non plus de ceux passés. Que mes lieux soient autres et tout ira bien, peut-être, que mes lieux soient autres et tout ira mieux. Loin d'ici j'oublierai l'envie mordant à mon coeur, mordant à mon corps, une simple envie délibérée dont rien jusqu'alors ne m'a délivrée, l'envie du garçon aux yeux bleus qui ici ne vit que de sa jeunesse.

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