[ samedi 28 septembre ][ 16:39 ][ au nom de / ou sans raison ]
Je parle de l'Homme en question comme d'un personnage de roman, à ceux qui veulent entendre de la littérature au quotidien, je parle de l'Homme en question comme d'une parcelle de mon identité, comme d'un trait de mon caractère ou bien de mon visage qui définirait qui je suis.
Derrière mes dires de lui, ce n'est pas l'Homme qui apparait, je le vois bien dans leurs yeux, ce n'est pas lui qu'ils imaginent. C'est mon histoire, celle par laquelle il vont se faire une représentation de moi. Ce n'est pas lui qu'ils imaginent, lui, l'Homme, ils s'en moquent bien de lui, c'est moi, c'est moi que l'on découvre, et je n'ai pas d'autre choix que d'effeuiller le passé, laisser croire qu'il me définit au présent. Même si c'est même pas vrai, même pas vrai. C'est moi la cible, même lorsque c'est Lui que je condamne. C'est moi la cible, et il est le détail. Le détail autour duquel mon personnage aujourd'hui prend forme à mon insu.
Au nom de nos retrouvailles passées, si anciennes qu'elles sont couvertes de poussières d'or dans nos mémoires. Au nom de ce que nous avons fait de beau, de ce que l'on faisait des quais de gare, des hotels sordides qui nous faisaient rire, au nom des nuits sans sommeil et de la fatigues douce-heureuse d'inconfortables voyages improvisés.
Au nom d'une euphorie qui depuis longtemps s'est éteinte, éteinte avec nos trains qui ne voulaient plus (toujours) se rencontrer et nos téléphones qui ne voulaient plus (toujours) se répondre, au nom de ce qu'on se souvient être la tension joyeuse, nerveuse, de ce que l'on sait être de grands moments. Au nom des quelques vieux qui ont bien dû se retourner, interpelés, sur nous, parce qu'il roulait trop vite, parce que je fumais trop de cigarettes, au nom de celà qui nous aurait fait bien rire. Au nom de ce que l'on était, avant, instigateurs d'émotions fortes et de bouts de joie à la pelle. Au nom d'un temps révolu, et parce qu'il est là, tout près, près du petit parc où nous nous sommes assis, un jour, après la nuit, dans cette ville que je ne connaissais pas, sous le soleil qui me mordait les bras. Et parce que je suis là, tout près, juste à l'autre bout de la route, et que je n'ai plus de sac à dos à traîner derrière moi...comme il pouvait, je le sais, avoir l'impression de porter à bout de bras l'ensemble de ma vie si souvent, avant...
Au nom du temps qui passe et des distances qui s'effacent, au nom de nos retrouvailles passées, si anciennes qu'elles sont couvertes de poussières d'or dans nos mémoires, et parce que je suis là. Et parce que je suis là. Et parce qu'on n'aurait jamais cru possible d'avoir envie, vraiment, sincèrement, cruellement, d'éviter ce rendez-vous-là, parce que les amoureux fous que l'on était ne se seraient jamais fait ce coup-là, non, pas eux, pas eux, alors ne l'évitons pas plus qu'ils ne l'auraient fait, retrouvons-nous. Là.
C'était la nuit, la nuit dernière.
Et dehors il ne faisait pas froid.
J'ai attaché mes cheveux.
J'ai tourné la clé.
J'ai filé tout droit.
Le ciel était noir.
Les panneaux bleu foncé.
Mégots dans le cendrier.
Musique trop forte.
Adrénaline.
Ni pour lui. Ni pour nous. Ni pour le corps, ni pour le coeur. Rien que pour le geste.
Bruit de moteur et cent cinquante kilomètres/heure.
Et puis le silence presque parfait.
Lorsque l'on coupe le contact.
Et que l'on sort, là devant, dehors.
D'un pas peu décidé il faut le dire. Parce qu'il y a ce que l'on ne dit pas et ce qu'il faut dire, dans ces cas-là.
Et l'on se tient bien droite. Fière. Faussement hautaine. Faussement distante. Jouer le jeu. De la désinvolture et de l'indifférence. Se mettre dans la peau du personnage. Le personnage qui ne sait pas que c'est ici que tout commence. De cet amour-là, tour à tour mort et résuscité à chaque instant, jouer le personnage qui ignore que c'est ici que tout commence, que tout finit. Que fait-on maintenant? Maintenant qu'il faut se regarder en face. Je ne suis pas sûre d'en avoir envie, je ne suis pas sûre de ne pas en avoir peur.
Ca commence là. Lorsque l'on coupe le moteur et que l'on sort, là devant, dehors, dans le silence presque parfait d'un vendredi soir en province.
Ca commence là.
Les nouveaux possibles. Son regard sur ma nouvelle vie, qui me change chaque jour un peu plus en un autre moi. Mon regard sur celui pour qui je voulais un jour poser mes bagages ici. Dieu ce qu'il semble petit parfois, lorsque je me dis qu'en ces quelques bouts de chair et de peau et d'éclats de voix il y a tout ce pourquoi j'ai fait tout ce chemin-là. Dieu ce que nous sommes petits et nous ne le savons même pas...
Ca commence là. Pas l'amour. Pas l'histoire. Pas même nos déchirures. Mais alors quoi? Quelque chose, un tout ou bien un rien, commence là.
Un tout dont je ne veux pas, un rien que je redoute, commence là tout de même, quoi que nous fassions l'instant, les heures d'après, il y a ce moment, suspendu dans le temps, où quelque chose se transforme, obligatoirement, pas d'autre choix que de se reconsidérer ainsi là. Moi dans le commun de ses vendredis soirs. Lui dans le presque commun de mon quotidien, dorénavant. Amis ou amants. Ou bien traîtres ou simplement différents. Peu importe ce qui peut bien changer de par ma venue ici, de par un rendez-vous de formalité bien sentie.
Peu importe ce que ça changera à l'histoire. L'essentiel n'est que l'instant, l'instant dont je sais sans le voir bien clairement qu'il va faire pousser hors de moi des années d'une errance tour à tour niée et reconnue. L'instant qui est celui pour lequel je suis arrivée jusqu'ici. L'instant que j'ai ressassé, organisé et en vrac en moi durant ces années. Cet instant-là, celui qui ne peut que décevoir mais dont on ne le sait pas, fort heureusement bien trop occupée à ne garder de la réalité que des images en flash idéalisées, cet instant j'ai finit par le vivre, respiré, bu et fumé.
Et je viens l'archiver. L'archiver au panthéon de mes grands tournants et braquages de volant.