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Ecouter le monde


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Ecouter le monde.




1. Israël-Palestine
2. Le devoir de dissidence
3. Avec un tel silence..."
4. La dignité dans la mort
5. Yom HaShoah



6. IBM et Garry Kasparov
7. Sous le prétexte d'élections...
8. Lorsque l'autre souffre et meurt
9. Danger en Israël-Palestine
10. Lorsqu'il s'agit de grandes personnalités





Israël - Palestine



Rien ne va plus. Le chemin qui devait conduire à la paix entre Israël et les Palestiniens est semé d’obstacles. La voie semble sans issue, puisque la violence est devenue maître d’oeuvre.
Les chancelleries sont à l’affût des solutions, mais que faire si les hommes sur place ne veulent pas s’entendre, - ou, plus probablement ne peuvent ou ne veulent plus reprendre le dialogue ?
Si enfin les uns reconnaissaient les autres, se décidant non seulement au respect mais à la confiance, peut-être le chemin serait-il renoué… Est-ce si sûr ?
La confiance est-elle un nouveau point de départ possible, alors que les préjugés habitent la région depuis si longtemps ? Certes Sadate et son historique démarche vers Jérusalem s’engendrait d’une attitude intérieure de foi en l’autre. Mais est-ce possible en dehors de quelques êtres d’exception !
Et si le chemin était celui d’une construction méthodique de la
paix ?
Pas plus simple, évidemment. Mais la confiance ne se construirait-elle pas de manière plus sûre et plus largement partagée dans une situation de sérénité et de paix enfin trouvée ?
Le préalable à la confiance ne serait-ce pas la paix ? Jamais la confiance ne surgira d’un climat de violence alimenté à la fois par les fantasmes du passé et les illlusions de l’avenir.
C’est dire que la confiance, sans laquelle aucune vie n’est possible, ne reviendra que lorsque les personnes se décideront, volontairement, à la paix concrète, sans se laisser aller à évaluer le degré de fiabilité des partenaires.


(8 avril 1997)

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L’Afrique, la Corée, le Timor…
ou le devoir de dissidence




Des visages d’enfants, de femmes, d’hommes disent la déréliction et le malheur.
La une des quotidiens, jour après jour, conte et compte la profondeur de l’abîme.
Comme on dit maintenant : "Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas !" Oui, en effet. Et après ? Est-ce mieux de savoir ou d’ignorer ? Quel sens trouve-t-on à pouvoir tracer les contours de l’enfer ? Comment peut-on rester à ne rien faire ? Je sais bien que le citoyen n’a guère de pouvoir et reste démuni devant ce qu’il faut bien appeler "la persévérance du mal"…
La radio, la télévision, Internet… A quoi bon si c’est pour être spectateur ? A quoi bon la création de logiciels interactifs si rien n’est possible pour agir avec celui qui est détruit par la famine ou par les armes de ses frères ?
Ce n’est pas du même ordre, dira-t-on ! Internet ne peut résoudre les malheurs du monde, pas plus que le reportage télévisé ou l’article le mieux documenté dans un magazine ! Ce n’est pas sa fonction ! Sans doute. Je n’en sais rien. Mais ce qui est sûr c’est que c’est la vocation de l’être humain de se faire proche de quiconque, à commencer par celui qui est le plus profondément cerclé par le sans avenir et la mort.
Les photos, rapidement regardées, laissent-elles des traces ? Oui bien sûr : elles nous habituent. Et nous déshabituent de l’essentiel : parler. Parler au nom de ces millions d’hommes, de femmes et d’enfants que nous ne connaissons pas mais qui ont le même nom de "personne".
Et agir. En commençant par agir sur soi en laissant ces informations devenir notre propre sang.
Comment faire ? Refuser le silence de tous ceux qui se réfugient dans la complexité des problèmes géo-politiques ou dans l’affirmation olympienne que ces difficultés là-bas ne sont pas de nos combats.
Oui bien sûr ce qui se passe au Rwanda, au Zaïre, au Timor, au Soudan me dépasse totalement, comme me submerge le malheur des personnes qui à quelques pas de chez moi ne parviennent pas à sortir de l’ombre infernale de la misère et de la violence ! Mais ce n’est pas une raison pour désespérer! C’est en revanche une raison pour résister.
Il y a un devoir de dissidence, quels que soient nos engagements respectifs.

Un devoir de dissidence.


(11 avril 1997)

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Avec un tel silence...



"Misère… je sais les choses
mais je vois les yeux fermés et les oreilles closes."

(Arthur Rimbaud)


Il est des malheurs impossibles à comprendre. Parce qu’ils sont comme des ruptures.
Ainsi du massacre de tant et tant de Juifs. Six millions, dont plus d’un million d’enfants, éliminés, brûlés… En raison de l’antisémitisme évidemment. Mais s’il put à ce point se déchaîner ce fut parce que nous nous sommes tus.
A l’horreur le monde répondit par le mutisme.
Ils étaient anéantis, et nous nous taisions. Déshumanisés avant d’être couchés dans la braise, et nous gardions le silence. Simplement.
"Nous ne savions pas", disent encore les braves gens. Et je les crois : tout le monde ne peut pas savoir, ou prendre conscience de ce qui se cache vraiment derrière ce qu’il sait… Mais je sais aussi et surtout qu’assez savaient pour que la parole put engendrer une totale résistance de ceux qui n’étaient point opprimés. La conscience d’être un être humain : n’était-ce pas suffisant pour dire l’interdit, pour s’opposer à l’inimaginable, pour faire obstacle à la Shoah ? Celle-ci est désormais gravée dans notre histoire, indélébile trace.

Entendrons-nous l’histoire ? Tirerons-nous quelques leçons du malheur ?

Aujourd’hui, en Egypte, des chrétiens sont persécutés. Au Soudan, des chrétiens sont soumis à l’esclavage. Parce qu’ils sont chrétiens. Simplement.

Si je fais référence à la Shoah, ce n’est point pour donner à croire que cet "événement des événements" (l’inverse du "chant des Chants") serait un parmi d’autres. Je pense quant à moi qu’il est et demeure unique, incommensurable, incomparable. Mais y faire référence est une nécessité intérieure pour rappeler que nous devons sans cesse et toujours non seulement demeurer attentifs à la résurgence de l’intolérance et de l’intolérable, mais vigilants, en état de veille. Non pas méfiants, jamais, mais ouverts constamment à l’appel des blessures infligées, dès qu’elles paraissent.

Des chrétiens aujourd’hui sont donc harcelés et traqués… Et le monde se tait. Le monde chrétien se taît. On peut lire par exemple, au gré des voyages du Pape et de ses rencontres, des discours qui sont parfois des morceaux d’anthologie en matière de droits humains fondamentaux. Mais le silence demeure sur les persécutions. Pourquoi ?

Hier les Juifs, donc ; encore une fois d’une manière unique et indicible.
Aujourd’hui encore les Juifs, car l’antisémitisme est très loin de s’être enfui avec la cendre balayée par le vent.
Et aujourd’hui aussi des chrétiens, coptes en Egypte, catholiques et protestants au Soudan.

Mais au fait, est-ce suffisant de parler ? Car quel est-il le pouvoir des mots ? Peut-être aucun. Quelle parole peut arrêter le cours apparemment inéluctable…? N’est-il pas juste cet aphorisme de René Char, "Si tu cries, le monde se taît" ! Et pourtant…
Quel sens de conduire à grande vitesse sur les autoroutes de l’information, si c’est pour continuer à garder le silence. Un silence respectueux. Indifférent.

C’est toujours les autres qu’on tue ! En silence. Sans danger pour nous autres ! Sauf que lorsqu’un être humain est de trop pour quelques-uns, chacun l’est aussi, et l’histoire elle-même devient bruit, fureur et meurtre.


(20 avril 1997)

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La dignité dans la mort



Le 17 décembre 1996, c’est l’anniversaire de l’Empereur du Japon, Akihito. A Lima, l’ambassadeur nippon donne une réception, accueillant près de 600 invités.
C’est l’occasion saisie par le Mouvement révolutionnaire Tupac Amaru pour prendre en otage les invités et faire ainsi pression sur le gouvernement péruvien pour obtenir la libération de 453 militants de l’organisation guévariste, dont leur chef historique, Victor Polay Campos.
On connaît la suite. Des jours, puis des semaines et des mois d’attente. Les "révolutionnaires" libèrent un grand nombre d’otages, et en gardent 72. Négociation, refus de la négociation, et encore négociation. Finalement le 22 avril un commando de l’armée péruvienne investit l’ambassade et libère les otages. L’un de ceux-ci est tué, deux militaires également. Et les 14 rebelles.
Un reportage télévisé montrait, discrètement, les corps de ces hommes et femmes placés sur les marches d’un escalier. Et l’on sut, un peu plus tard, que 12 des 14 rebelles avaient été inhumés dans des tombes sans qu’aucun nom ne les désigne.

Lorsque la mort arrive, c’est de l’être humain qu’il s’agit et de sa dignité, - quoi que l’on pense de son action.
Pour ma part, je récuse tout acte de terrorisme, d’où qu’il vienne et quels qu’en soient les mobiles. Et cette prise d’otages dans l’ambassade du Japon n’est pas justifiable, - même pas par la condition effrayante dans laquelle sont détenus les prisonniers du Mouvement révolutionnaire Tupac Amaru. Et je sais combien la situation du pays n’avait pas besoin d’une prise d’otages.
Mais une fois mort, nous devons le respect à chaque être humain. Dans cette ambassade, les preneurs d’otages étaient des hommes et des femmes. Des hommes et des femmes à qui nous devons une digne inhumation.
Même l’avenir d’un pays secoué par quinze ans de guerre civile ne justifie pas l’absence de leurs noms sur la tombe des rebelles. Car il n’est plus question, à l’heure de la mort, d’un pays ou d’un autre, d’une opinion ou d’une autre, de cruauté ou de clémence, mais encore une fois, simplement, de l’être humain qui, par delà sa vie, est encore un appel à la dignité.


(27 avril 1997)

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Yom HaShoah :
la désolation ou la venue de l’autre.




"Une étoile, place-là,
place l’étoile dans la nuit."

Paul Celan
*




Le 4 mai est le Yom Hashoah. Le jour-mémoire de la Shoah. Un jour inoubliable pour la communauté juive de tous les continents, un jour inoubliable pour la communauté humaine dans son ensemble.

Cet événement "unique" a changé l’histoire du monde.

En effet, à Auschwitz, écrit Jürgen Habermas "on a touché à une couche profonde de la solidarité entre tout ce qui porte face humaine ; en dépit de tout ce que l’histoire universelle avait vu se commettre de bestialité crue, on avait admis sans examen que l’intégrité de cette sphère était restée intacte. Depuis lors un lien de naïveté a été rompue qui nous unissait" ( 1 ) "Et ce, précise Habermas, pas seulement en Allemagne."

L’extermination du peuple juif, en tant que peuple et en tant que juif, a radicalement bouleversé la "solidarité" minimale et le "lien de naïveté" entre les êtres humains qui leur garantissent, ou leur garantissaient, la vie dans un même monde. Bouleversement que vraiment personne auparavant n’avait imaginé possible.

Ce qui s’est passé (en conservant à ce verbe sa connotation symbolique de "passage") touche aux racines de l’humanité, - c’est-à-dire à la capacité d’édifier un monde et d’y contribuer activement.

L’inconcevable est arrivé. Et nulle explication n'en viendra jamais à bout... Comme une "tumeur dans la mémoire", selon l'expression d'Emmanuel Lévinas, l'ineffaçable question demeure : Pourquoi les Juifs ? Pourquoi les Juifs, principalement, devaient-ils être exceptés du présent et de l’avenir ? Pourquoi ne pas risquer quelques questions pour tenter d'avancer dans la sourde angoisse du monde ?

Serait-ce pour étouffer la question dont est, à jamais, porteur ce peuple de l’Alliance ? Pour éliminer ce dont il est le témoin par excellence : l’exigence éthique, et un certain rapport à la loi comme événement, à la promesse, au temps ? Ou bien encore, serait-ce pour faire disparaître et oublier l’essentiel chemin du rejet des idoles et des mythes . Pour "libérer" le monde de ce peuple inventeur de la liberté, depuis la sortie d’Egypte, et inventeur de la responsabilité, depuis la traversée du désert : liberté face aux images faites de main d’homme, responsabilité par rapport à une Loi qui résonne infiniment au-delà de toute autorité ou Nation ?

Quoi qu'il en soit, Auschwitz est devenu l'invraisemblable paradigme de la dissolution de tous les repères qui font que l’humanité aurait pu se considérer comme unifiée ou s’unifiant. Davantage encore, il est l’exact miroir de ce qui habite notre monde lorsqu’il laisse libre cours à sa volonté de maîtrise politique, où que ce soit.

Mais, dira-t-on, Auschwitz est loin maintenant ! Auschwitz fait partie de l’Histoire ! Et n’a plus à être convoqué ! Non, l'argument n'est qu'une fuite. Car le "contexte de vie dans lequel Auschwitz a été possible", pour parler encore une fois comme Habermas, perdure à travers un long et large faisceau de traditions culturelles et spirituelles qui a construit notre histoire et notre esprit occidentaux. Et qu’en serait-il si nous jugions ou interprétions cet humus commun précisément à partir de cet événement diabolique ?

Aujourd'hui Auschwitz est un appel à une conscience critique du passé qui nous constitue pour ce que nous sommes. Notre histoire occidentale est désormais marquée par une rupture. Depuis la Grèce et sa métaphysique de l’Etre et de l’Un, l’Occident a su créer une philosophie du pouvoir, et donc une philosophie de l’injustice. Il nous faudrait pouvoir fonder l’avenir à partir de chemins qui résistent à l’épreuve d’un regard instruit par l'expérience et la mémoire de l'incommensurable.

Il est sans doute un chemin, - celui de l’éthique telle que nous y conduit la tradition biblique, habituellement occultée parce qu’elle ouvre à l’irréductible et donc au respect, parce qu’elle récuse la maîtrise de l’humain sur l’humain et souligne la passibilité de l’homme et de la femme face à ce qui vient toujours d’ailleurs, de l’autre et/ou de l’Autre.

Auschwitz alors pourrait, malgré la désolation et la désespérance, être et devenir le lieu du futur. C’est pourquoi il est inoubliable. Et que le Yom HaShoah est un jour de mémoire nécessaire. Pour l’Occident. Et pour l’univers, - car là s’est inscrit la faille possible en même temps que la parole inaltérable de l’autre.


(4 mai 1997)

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IBM et Garry Kasparov



Deep Blue, cette merveille informatique conçue par IBM, vient de battre, en match de retour, le plus grand joueur d’échec connu, Garry Kasparov.

Oui bien, mais qu’en est-il de la machine après la victoire ? L’avez-vous aperçu fêtant l’événement avec ses amis ? L’avez-vous vu se frotter les mains à l’idée de gagner en notoriété et en argent , ou froncer les sourcil en imaginant Kasparov redoubler de vigilance et peut-être demain gagner la troisième partie ?

Deep Blue reste de marbre. Monstre froid, diront les uns. Une machine, simplement, diront les autres.

Bien sûr. Mais quel extraordinaire travail il aura fallu pour le construire, le programmer… Invraisemblable réussite. Surtout lorsque l’on apprend que l’équipe IBM en charge de ce génie de matière avait conçu un programme pour que Deep Blue puisse être capable de changer de jeu, de transformer sa stratégie, au fur et à mesure du développement du match. Deep Blue est devenu plus flexible. Non pas seulement un instrument beaucoup plus rapide que l’être humain ; mais capable d’apprentissage au cours même de la partie disputée : il peut donc en tirer (j’allais dire en "comprendre") les conséquences et donc décupler sa puissance contre un Kasparov qui, lui, ne peut qu’opposer agacement, fatique et tension nerveuse. Extraordinaire performance humaine donc, - car la machine vous le saviez n’y est pour rien.

En apprendrons-nous la modestie ? Sans la machine, bien des choses nous échappent... En définitive, nous ne serons jamais que des hommes ou des femmes qui, face à Deep Blue, ne peuvent qu’avoir le "blues" !

Faut-il le regretter ?

Que nenni ! Parions que nous ne pourrons jamais que reproduire le sourire d’un enfant, nous en approcher sans doute dans l’imitation, mais jamais le créer au moment même de son jaillissement, - éclat des yeux autant que des lèvres !

Si nous pouvions rester chacun à notre place : la machine pour nous aider à conquérir le temps du silence et de la paix, l’être humain pour aider l’autre être humain à ne pas céder à la tentation du tout-maîtriser ! Pas si simple, et peut-être trop tard !

Peut-être. Voilà un mot que ne prononce pas la machine. Programmée par celui qui continue de douter, elle ignore ce sentiment. Tant que nous douterons il y aura de l’espérance…

Y auraient-ils des vivants devenus machine ? En dehors de la science fiction ? Est-ce la machine qui parfois ressemble à l’humain qui l’a construite, ou les besoins de la machine en sont-ils venus (par le pouvoir de qui ?) à transformer nos propres désirs ?


(15 mai 1997)

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Sous le prétexte d'élections...



Toujours difficile d’émettre un jugement politique. C’est risquer d’être injuste. Et souvent se laisser prendre par le parti-pris, donc l’aveuglement.

Conscient du risque, et puisque les élections toutes récentes sont un beau prétexte, juste quelques lignes.

Ce qui m’a toujours porté à gauche, c’est le tragique de la droite. De manière globale, elle m’a toujours semblé refuser, par habitude (?), la fécondité mutuelle du coeur et de la raison. Un coeur qui se réduit à la superficialité du sentiment, et une intelligence limitée à sa fonction technicienne et programmatrice. D’où sa double religion de la pitié et de la Bourse !

Injuste ? Oui sans doute, puisque je sais bien que certains pourraient tenter de me prouver le contraire. Caricatural ? Je le concède…

La politique et son rôle : la réduction des absurdités les plus fondamentales. J’ai toujours pensé que la gauche en avait davantage la volonté… Je n’ai pas pour autant jugé qu'elle y était davantage parvenu… Mais ce qui, sans illusion, me fait résolument rester sur la gauche de l’échiquier politique de la France d’aujourd’hui, c’est d’abord que ce côté-là demeure pour moi le lieu où le courage et l’imagination peuvent se conjuguer pour le bien de tous. Il faut inventer, et trouver une autre voie. Le pays a nécessité d’autre chose. La gauche me semble capable de cette invention, - même si l’expérience a prouvé que ce n’est jamais si simple. "Tu seras déçu", me dira-t-on. Je ne fais pas de château en Espagne ! Je n'imagine pas la rupture des inégalités pour demain matin, ni le partage des richesses et du savoir ! Mais, que voulez-vous c'est ainsi, j'ai plus d'espérance avec la gauche qu'avec d'autres : ce n'est pas qu'elle me paraisse meilleure... Elle me paraît plus humaine.

C’est ensuite l’arrogance de l’autre camp. Est-il prêt à reconnaître que les "autres" ont aussi quelque chose à dire ? Même dans notre démocratie, et après 14 ans de "socialisme" (comme disent les belles âmes, laissant par là entendre les pires horreurs), qu’ils sont nombreux ceux qui pensent que la gauche n’a pas de légitimité ! Les princes seront toujours princes ! Les princes de l’explication, ceux qui ont compris avant tout le monde… Quoi qu’ils affichent par ailleurs, la boue du chemin sur le revers d’un pantalon continue d’être pour eux de l’ordre de la malséance ! Il y a ceux qui sont nés pour gouverner, et les autres ! Cela n’empêche évidemment pas de vouloir être bon et généreux, parfois même d’y bien réussir !

Injuste ? Oui, et c'est pourquoi il faut aller plus loin. Dépasser les apparences, - qui sont dures parfois, - et faire confiance. Eperdument, mais sans laxisme, - c'est-à-dire en ne cessant de redire ce en quoi nous croyons. Il faut travailler ensemble pour plus de justice. Ensemble. Sans tolérer bien sûr de n’être accepté qu'à la manière du valet dans le manoir d’avant-hier ! Il n’est de respect que réciproque.

Laissons l'être humain aller plus loin que nous n'imaginons. Et d'abord l'être humain en nous-mêmes, en moi-même. C'est alors que chaque visage sera vu dans une autre lumière. Sans illusion, mais comme appel à une plus grande fidélité à une radicale transformation des points de vue. A commencer par le mien.

Sur tout cela je reviendrai.


(2 juin 1997)

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Lorsque l'autre souffre et meurt



"Un mot dit en son temps, quel bonheur !"
(Un Maître du Talmud)


"Est-il trop tard ?" Telle est la rumeur. Comme une vague ourlée d’écumes, elle submerge la part en chacun la plus pessimiste. Ou la plus lucide. Allez savoir ! Ce qui dit donc qu’il faut y aller voir pour savoir ! Trop tard pour que la parole ait capacité de faire naître et de garder la vie ?

Quelles que soient les vérités de surplomb que les experts déclinent et que les médias répètent, la question demeure. Encore audible. Et engendre un peu partout recherche et responsabilité (1).

Je ne veux pas, en ce qui suit, arpenter de manière logique, explicative, les sentiers de l’actualité. Ni les ornières du malheur. Seulement quelques jalons, pour clarifier mon propre chemin. Comme une parole viatique.

1. - Les plus abîmés par les événements de ce siècle et ceux qui étaient et demeurent le plus enfermés dans l’oubli des autres, m’ont appris la nécessité de la mémoire. Fragile, malléable, parce que sans cesse oublieuse ou contestée, elle reste l’antidote de l’abîme… Comment rester une personne si la frontière de la nuit jamais ne
s’ouvre ?

2.- La mémoire de ce qui advient à ceux qui sont "déchirés de leur propre chair" ( 2 ) est impossible, dit-on, car tout se définit, et donc se limite, à l’intérieur des processus de causalité, - et finalement s’évanouit dans la conscience de la complexité. Quel monde fabuleux que celui de la toujours plus grande complexité, à classer, à expliquer, à comprendre, à gérer, à capitaliser ! Tout cela pour mieux appréhender la complexité du lendemain ! Mais lorsque c’est de l’être humain qu’il s’agit…

3. - Le plus fragile est l’être humain : emportés dans le cercle infernal des refus de l’autre, l’agressé tout comme l’agresseur se retrouvent dans la même "fraternité" (!) du malheur. Et lorsque l’autre souffre, meurt, l’essentielle question du "scrupule à exister", pour emprunter l’expression d’Emmanuel Lévinas (3), ne doit pas être occultée… La douleur du voisin ou du plus lointain entame vraiment notre droit à être : il y a là une responsabilité qui investit, parfois submerge, sans qu’elle ait été choisie. D’où le refus si fréquent d’y adhérer… Ou l’acharnement à justifier le malheur par la culpabilité des autres…, ou par la complexité de ce qui arrive.

4. - L’histoire pourrait sans doute nous enseigner ces choses, et les chemins pour ne pas fuir les éclats de larmes du monde. Donc nous engendrer à la nouveauté. A condition toutefois que précisément la parole soit laissée à ceux dont l’angoisse nous agresse tant et trop. Laissée, puis entendue, écoutée, comprise et finalement ajoutée au grand patrimoine de l'humanité.
Pas de mémoire créatrice sans éthique.

5. - Là où l’humiliation règne et fait le partage entre la dignité des uns et la honte des autres, l’attitude éthique exige de se lever. Simplement pour être là. Faible sans doute, mais fidèle à ce qui fait que l’humanité où que ce soit est toujours l’humanité. Incapable d’enrayer le processus certes, mais ne pactisant avec aucun déni de justice. Jamais ne taisant que l’humanité est en danger en chaque être humain attaqué, bafoué ou avili.

6. - L’écran de télévision : ce qui me regarde ainsi, me regarde. Comme une invitation à un geste : s’ouvrir à ce qui se dit dans l’extériorité des images et qui n’est autre que la profondeur oubliée du visage humain. Nous sommes dans le champ de gravité d’autrui, - que nous le voulions ou non. C’est pourquoi se taire n’est pas simple mutisme mais trahison de la voix qui vient sans cesse interrompre le cours habituel du quotidien. L’habitude qui nous déshabitue de l’essentiel.


(13 juin 1997)

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Danger en Israël-Palestine



La situation s'est aggravée en Israël et en Palestine. C'est le moins que l'on puisse dire... L'avenir est totalement incertain si un acte de la volonté n'est pas posée par l'un et l'autre des deux leaders, Benjamin Netanyahu et Yasser Arafat. Un acte qu'ils doivent poser ensemble, et qu'ils doivent fonder sur la confiance en leurs peuples respectifs.

Il n'est pas vrai de dire que deux peuples sont en train de s'affronter. Ce n'est pas vrai parce que la majorité des Israëliens et la majorité des Palestiniens souhaitent la paix. Ces deux majorités (qui ne sont pas si silencieuses que ça, mais qui sont bien muselées par une double propagande et parfois par la police) ne veulent plus de la menace incessante de la violence, et elles savent que le seul chemin est la paix. Non pas un vague compromis, mais la paix.

Bien sûr il faut dire que des deux côtés quelques-uns sont prêts à tout pour faire échouer le processus qui s'est miraculeusement et intelligemment mis en marche à Oslo. Des extrémistes ne veulent pas de la paix, parce que leur vision de l'avenir est fondé sur d'autres critères, et notamment sur ceux du fondamentalisme : la terre, la vérité, les promesses, et aussi malheureusement sur le racisme le plus primaire.

Faut-il attendre que ces extrémistes (dont il ne faut évidemment pas sous-estimer la volonté ni l'efficacité) soient neutralisés pour continuer les relations entre les deux peuples ? Faut-il continuer de faire semblant de croire que les attentats meurtriers et le terrorisme (armé, mais aussi intellectuel et spirituel : ce qui n'est pas moins dangereux !) sont la raison essentielle de l'arrêt des négociations ?

Non. Car rien ne sera possible sans la paix. La paix est le seul préalable. Le seul. Une situation de paix, volontairement décidée par les deux leaders en s'appuyant sur le désir le plus profond de leurs peuples, est la seule condition de possibilité pour enrayer durablement les méfaits du terrorisme. Et non l'inverse.

Si Benjamin Netanyahu et Yasser Arafat ne vont pas dans ce sens dans les jours qui viennent, les hostilités reprendront (non pas avec des pierres seulement, car les Palestiniens ont maintenant des armes en grand nombre !), la guerre approfondira encore une fois le fossé qui sépare (artificiellement ?) ces deux grands peuples. Si rien n'est fait, les majorités dont je parlais plus haut perdront confiance et espérance ; elles prendront peur, et les extrémismes seront les maîtres du présent, engendrant le chaos et rendant non maitrisables les réactions de ceux qui ont pour tâche (et mission, je le crois) de conduire leurs peuples vers la construction sur les rives de la Méditrranée d'un double pays où puissent enfin couler le lait et le miel, pour le plus grand profit des habitants de toute la région.

La situation est particulièrement grave, en raison du tempéramment des deux leaders : à l'erreur ou à la provocation de l'un, l'autre répond de manière déraisonnable. Le chemin de la paix est pour eux deux difficile : l'effort sur eux-mêmes pour l'emprunter est sans aucun doute considérable. Et c'est pourquoi ils "méritent" le soutien inconditionnel des nations. Un soutien sans arrière-pensée stratégique, ni commerciale, ni religieuse.

Mais rien n'autorise à désespérer : ils savent, l'un et l'autre, que maintenant le très proche avenir est entre leurs mains : la paix immédiate (laissant les négociations pour après) ou la guerre. Ils savent qu'il n'est pas d'autres alternatives. Plus maintenant. Et il faut bien reconnaître qu' une nouvelle guerre entre Israël et les Etats arabes (car les Palestiniens ne seraient pas laissé seuls), pour aussi courte sans doute qu'elle serait, d'une part ferait un nombre considérable de victimes, d'autre part entraverait pour des années le processus de paix. On ne construit que très difficilement sur l'humiliation !

Parfois l'histoire montre que les êtres humains sont capables de dépasser leur amour-propre pour le bien commun... C'est précisément de cela qu'il s'agit en ce moment en terre d'Israël et de Palestine. Il ne sert plus a rien de riposter, de surenchérir, de discourir et de faire le contraire de ce que l'on vient d'affirmer devant les journalistes ! Il faut faire la paix. La décider, sans condition. Entre eux deux qui représentent leurs peuples. Ceux-ci attendent. Mais le temps est court à présent. Très court.

Impossible de ne pas imaginer la paix à Jérusalem et à Gaza ! Impossible d'y imaginer la confrontation armée ! Il reste l'espoir, ou plutôt l'espérance fondée simplement sur la conscience de ces deux hommes, placés au carrefour de l'avenir.

La terre là-bas voudrait continuer de respirer ! Et le désert, nous le savons, pourrait s'y transformer en ruisseau !


(5 août 1997)

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Lorsqu'il s'agit de grandes personnalités



Trouverait-on 365 personnalités ? Autant que de jours en une année ? Davantage sans doute, tant la grandeur s’est toujours jugée à l’aune du pouvoir ! (Ce qui, je l'accorde, ne rend pas pleinement compte de la réalité, mais je simplifie...)

En cherchant une personnalité liée au pouvoir et qui fut assez libre pour s’en libérer je pensais au bon Cincinnatus dont parlaient abondamment mes livres de latin. Pour le rédacteur des livres, Cincinnatus était-il plus important que César ? Je ne sais, mais ce qui est sûr c'est qu'il lui accordait une capitale importance.

On se souvient que Rome était menacée par l’ennemi et que le Sénat avait nommé Cincinnatus, Commandant en chef. En 458 avant J.C. Le messager qui lui avait été envoyé pour lui communiquer la nouvelle l’avait trouvé en train de labourer son jardin. Il partit aussitôt à la tête des armées, fut vainqueur et entra dans une Rome prête à tout accepter de cet homme fidèle, habile et courageux.

Seize jours après avoir été promu commandant en chef, Cincinnatus démissionnait de sa charge et retournait dans son village.

George Washington est parfois appelé le "Cincinnatus américain" car, lui aussi, ne tint sa fonction que le temps qui était nécessaire. Je ne compare pas les deux hommes, je relate seulement un fait.

Cincinnatus ! On ne sait pas grand chose de lui. J’imagine pourtant qu’il devait être animé d’une très forte spiritualité, tant sont liés pouvoir et spiritualité. Ou plutôt tant l’abandon du pouvoir (après avoir servi comme il fallait bien sûr) est le signe d’une confiance en l’autre. D’une sérénité liée à la reconnaissance que personne n’est le centre de rien. Que personne non plus n’est indispensable !


(16 mars 1998)

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*. Strette, trad. J.-P. Burgart, Paris, Mercure de France, 1971, p. 89. Retour au texte.
1. Ecrits politiques, éd. du Cerf, 1990, p. 228. Retour au texte.