Nous verrons le soleil

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Ecouter le monde




1. Israël-Palestine
2. Le devoir de dissidence
3. Avec un tel silence...
4. Et la dignité dans la mort ?
5. Le Yom HaShoah
6. IBM et Garry Kasparov
7. Sous le prétexte d'élections...
8. Lorsque l'autre souffre et meurt
9. Danger en Israël-Palestine
10. Où sont donc les grandes personnalités ?



11. Pour faire mémoire de New Orleans
12. Et s'ils avaient faim de Dieu !
13. A l'ombre de la rue qui pleure
14. Jusqu'à ce qu'un homme de paix...
15. L’éveil à la précarité de l’autre
16. Si loin
17. Pour que la nuit ne déborde plus...



Les dix premiers textes ne peuvent être lus qu'en Archives.






11. Pour faire mémoire de New Orleans





Il n’est jamais sûr
que le chemin à parcourir soit long…,
mais il suffit que le chemin soit aujourd’hui
pour qu’il soit essentiel…





Comment dire que New Orleans reste si présent en nous ? Pourquoi dire, d’ailleurs ? Et faut-il dire ? Autant de questions qui laissent en silence, dans l’attente de toutes les autres questions sur la vie et les êtres côtoyés, sur le lent parcours des fleuves (je pense à ce si large Mississipi…), la respiration qui prend le temps de regarder, la mort même qui fait partie de la route, et la mémoire de l’avenir entée sur les si grands estuaires qui font retour à leurs sources…

Nous n’imaginions pas être si attachés à cette ville en forme de croissant (Crescent City), s’abreuvant follement aux rires et à l’éclat des cuivres et des drums (la Big Easy). Nous nous contentions de vivre cet attachement, dans le déroulé des jours, sans y réfléchir plus qu’on ne pense à sourire.

Nous avons aimé cette ville. Intensément. Nous avons aimé son ambiance, son odeur, sa saveur, - car New Orleans est une ville qui se touche et se sent. On se laisse prendre par elle, on l’écoute, on la regarde, attiré, fasciné… Une ville fascinante, oui, voilà le mot, avec sa réserve, sa pudeur liée à ses lenteurs, son apparente paresse, toutes caractéristiques envers de la permanente déflagration musicale dont elle est le berceau.

Mais tout cela est mal dire… Encore une fois, comment dire ce qu’aucune carte géographique n’indiquera, ni aucun guide pour les citoyens du monde… ?

Nous avons tellement aimé ses habitants, ses rires, ses déferlements de joie, ses ruses pour traverser le mépris, ses esquives pour vivre encore malgré la fuite de ceux qui pensent bien. Nous avons vécu ses larmes aussi, ses plaintes, - constantes parce qu’entées sur une si lente histoire, un si long chemin, une si profonde mémoire. Nous avons prié à travers le chant de la souffrance et de l’intercession, à travers la danse et parfois même la transe.

New Orleans n’est plus pour nous un nom de ville qu’on pourrait tout aussi bien nommer La Nouvelle Orleans… Non, c’est New Orleans, de quelque manière qu’on la prononce. Nous en sommes, et nous vivons aujourd’hui de ce qu’elle nous a donné. Nous y avons laissé quelques amis (pas beaucoup, car il nous faut, à nous autres, un peu de temps pour nous lier plus avant, ou pour dire “amis” des visages rencontrés).

Nous ne connaissons pas grand chose des Etats Unis : notre séjour là-bas n’avait pas pour objectif de connaître un si grand pays, aux frontières multiples… Nous voulions simplement entrer dans une ville, lentement, pour tenter de comprendre ce peuple des plus pauvres qui y habitent. Alors nous avons (année après année, puisque nous n’étions chaque année là que pour un an) laissé New Orleans nous saisir ; nous nous sommes laissés prendre par ces racines des grands et magnifiques chênes de St Charles Avenue, ou d’Audubon Park, ces racines qui remontent vers la lumière par manque de terre, ces racines qui nous enseignent en silence la précarité et pourtant la longévité de cette ville. C’est comme cette humidité, insupportable, qui vous enveloppe et qui vous somme de marcher lentement.

Nous avons regardé cette ville, en contemplant ses rues, ses maisons, quelques-unes si superbes et la grande majorité si délabrées, abandonnées, à l’image de ses visages dont le regard suintent la tristesse et le sans-attente… Nous avons laissé entrer en nous les sursauts quotidiens de ces gens si nombreux dans les rues de misère et si rares dans les quartiers d’or, ces sursauts qui ont pour nom le chant et le rire, l’alcool et la danse, le jazz bien sûr, présent partout à travers les trompettes ébréchées ou les saxo tordus que des enfants manipulent avec un talent déjà gâché, - mais ils jouent ces enfants, ils rappellent la ferveur de la musique, l’élan à jamais répandu dans le sang et l’âme qui entendent…, et alors ce talent deviendra beauté, si demain et dès aujourd’hui des coeurs sont là pour deviner le sens des cris du son, l’espoir caché dans les cuivres et les gorges…

Quatre ans… Quatre ans, nous y sommes restés… C’est le temps, tout juste le temps, pour commencer les présentations, échanger quelques mots, sentir les affinités, les résistances, les malheurs et les restes de joie profonde. C’est le temps nécessaire, le temps primordial, celui sans lequel rien de lointain ne se construit ; c’est le temps qui ne s’efface plus, car il n’est pas fait d’oeuvres ni d’efficace, mais de présence et d’affection. C’est le temps de l’affect, c’est-à-dire celui qui fonde. C’est le temps de l’essence.

(Décembre 2001)

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12. Et s'ils avaient faim de Dieu !





Ce n’est pas seulement de pain
que l’homme vivra...
Matthieu 4, 4





Ce qui me frappe lorsque chaque semaine dans la rue ou dans le métro je rencontre Georges, Ludovic ou Osman, Philippe, Dédé ou Henri, et bien d’autres,c’est qu’ils ne me demandent rien. Ni argent, ni vêtement, ni même hébergement. Et en même temps ce qui me hante, c’est la question qu’ils taisent, mais dont je sais (de quelle conviction ?) qu’elle les habite à l’endroit le plus secret et le plus vrai d’eux-mêmes : « Savez-vous ce que nous attendons ? »

Nous autres, hommes et femmes de cœur comme on dit, au-delà de ce qui manque à toutes ces personnes qui parcourent tant et tant d’impasses, au-delà de leurs difficultés..., entendons-nous leur soif la plus essentielle ? Cette soif et cette faim d’une Parole qui vienne d’ailleurs. Une Parole de Dieu. De ce Dieu dont ils parlent souvent, y croyant, n’y croyant pas, mais attendant que ceux qui disent y croire leur transmettent la seule Parole qui les libèrera, les guérira, les délivrera, les rendra enfin à eux-mêmes, les sortira du gouffre... Car, ne feignons pas d’y croire..., aucune réglementation, aucune institution, aucune œuvre humaine ne viendra jamais à bout de cette misère ! Il y faut d’autres armes, et c’est d’un autre combat qu’il s’agit : un vrai combat spirituel...

Mais voilà, nous n’entendons plus guère... ce qu’ils ne cessent d’espérer contre toute espérance... ! Cela fait en effet si longtemps maintenant que nous avons transformé la guérison des corps et des cœurs, la libération des âmes et des esprits, en distributions de multiples nécessités... Ils veulent manger, dormir et se vêtir, oui, bien sûr, et bien des gens s’y emploient avec efficacité et amour.

Mais cela ne leur suffit pas, ne peut pas leur suffire ! Ils sont comme la brebis perdue de l'Evangile que le berger va chercher laissant les 99 autres... Ils attendent, et nous questionnent : « Qu’attendez-vous pour nous annoncer cette Parole de vie pour aujourd’hui ? » Cette Parole qui les attend, ils l’attendent... ! Je sais bien qu’elle est aussi adressée à et pour tous les autres, mais les autres ne sont pas oubliés que je sache..., et il arrive même souvent qu’ils soient les sujets de bien des préséances !

Dans les bas-côtés de notre société, ils n’attendent pas des mots, répétés et usés à force de séjourner dans le cœur des nantis ! Ils ont soif de sentir en eux qu’ils sont aimés de Dieu ! L’Eglise peut-elle le comprendre ? Et le comprenant, peut-elle tout mettre en oeuvre pour que les coeurs changent, - c’est-à-dire pour que la priorité soit vraiment donnée aux plus pauvres sans condition ? Le veut-elle, à la place qu’elle ne doit jamais quitter, c’est-à-dire la dernière, avec ceux et celles qui sont depuis longtemps la pierre rejetée des bâtisseurs ?

(Octobre 2002)

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13. A l'ombre de la rue qui pleure





Parler de ces personnes qui vivent une grande partie de leur vie dans la rue n’est pas souligner je ne sais quelle spécificité, vouloir entrer dans des catégories, subdiviser l’humanité, - encore moins rendre compte d’une action, la justifier, l’évaluer...

C’est dire ce qui est : des hommes et des femmes sont dans la rue. Et peu à peu sont assimilés aux murs, aux recoins des portes, aux zones d’ombre… Et dire qu’ils me requièrent : en vérité la seule et ultime raison pour que je vienne vers eux...

« Alors, ça va ton travail ? Tu commences à voir un peu plus clair dans le quartier ? Finalement, toi, c’est d’être là, d’écouter. C’est s’effacer. C’est ça, hein ? Enfin, s’effacer, ça veut pas dire ne pas avoir son caractère, mais c’est laisser les autres vivre, juste leur suggérer. Tu veux pas faire pour les gens, quoi ! Mais tu dois te rendre compte que les gens de la rue ils ne sont pas facile à rencontrer, ils ne s’ouvrent pas facilement. C’est difficile de les connaître. Sauf si on vit avec eux. Mais toi, tu passes, c’est comme moi, je leur dis bonjour. Toi, tu passes, mais c’est pas assez pour connaître. Mais c’est déjà bien, ça aide à vivre. »

Ainsi me parlait un jour Henri. C’est une sorte de poète de la rue qui vit depuis des années dans la rue, tout en ayant une chambre prêtée par quelqu’un du quartier. Il connaît bien les personnes qui, elles, sont sans logement, mais il sait qu’il est en dehors de leur expérience, même s’il a partagé et partage encore une large part de leurs conditions de vie.

Ses mots sont importants pour moi : ils me rappellent clairement que je ne serai jamais qu’un hôte auprès des personnes qui vivent dans la rue et que je vais rencontrer. Quels que soient le temps passé et mes motivations profondes, je ne suis que de passage...

Je peux écouter la souffrance que ces hommes et ces femmes portent, l’histoire désarticulée qu’ils ont traversée avant d’échoir ainsi dans la rue, dépossédés qu’ils sont de leur passé, détachés de ce qui fait la vie des autres : l’histoire, la famille, les amis. Comme si leurs vies étaient devenues de la buée, trouvant refuge dans les multiples interstices de la ville, à l’abri des regards et des jugements, à l’abri aussi de l’humanité pourtant communément partagée.

Je peux entendre tout cela, mais je sais que je n’en suis pas, et je ne suis même pas vraiment sûr que d’en avoir été changerait quoi que ce soit quant à l’essentiel...


Des hommes et des femmes vivent dans la rue, délimitant succinctement leur territoire et leur horizon... La nécessité seule les fait sortir de ces frontières minuscules : aller manger, dormir lorsqu’il fait trop froid, se vêtir..., quelquefois aller se soigner à l’hôpital emmenés par les pompiers ou des passants. Certaines fois, ils suivent les membres de telle ou telle organisation pour participer à des activités culturelles... Malheureusement ils restent des météores...


Comme chacun de nous, comme moi-même, ils ont famille bien sûr : un conjoint, des enfants, des parents, des frères et des sœurs, une histoire, une route traversée d’émotions, de joie et de désespérance. On dit que leur expérience présente est en continuité avec ce passé, qu’ils s’en sont éloignés pour un temps, mais que le tout de leur aspiration est de faire retour à ce qui n’aurait jamais dû se clore.

Il me semble à l’inverse qu’il y a clôture de leur existence : ils sont partis, ils se sont échappés, ils ont fui..., et vite, trop vite, une chape d’absence s’est abattue sur eux. L’oubli n’est pas venu en raison de la longueur du temps, mais pour survivre. Pour continuer de parcourir le malheur sans qu’un surcroît de souffrance ne les taraude indéfiniment. Ils ont certes souvenir de tel membre de leur famille, et souvent je les entends me parler de leur conjoint ou de leurs enfants, parfois de leur père ou mère..., - mais comme s’il parlait d’un autre monde, comme si la rupture avait créé le vide... Vraiment le vide... Je ne pense pas que leur conscience se soit effondrée dans le rien et que le cercle de leur mémoire se soit restreint au seul périmètre de leur corps... Mais il me semble, non sans effroi, que la rupture est plus large et plus intérieurement mortelle qu’on ne croit... Bien sûr il arrive que quelques-uns s’en sortent..., mais l’arbre ne saurait voiler l’océan... En leurs vies un tremblement de la terre arracha les racines... Alors, déracinés, hors de tout vivant ? En tout cas, comme dévorés par la nuit...


C’est pourquoi, bien paradoxalement, cette présence auprès des personnes qui survivent dans la rue m’a fait prendre conscience de l’importance de ce qui relie profondément l’être humain à son histoire. « Vivre en famille », de quelque manière que ce soit, est la route essentielle pour poursuivre le but que chacun s’assigne secrètement : vivre au mieux l’héritage transmis pour le transmettre à son tour, rejoindre les traces d’hier qui sont le seul moyen pour imprimer les nôtres dans le présent et l’avenir. En dehors de ce qui se tisse là, même si c’est de souffrance en malheur, entre les membres d’une même famille (et la famille est plus étendue que les seuls père-mère-frères-sœurs) et à partir d’eux, c’est le désert où nulle source n’engendre plus la vie : c’est la mort.


Pourquoi donc, pensant ce que je viens de dire, continuer de vouloir me faire présent à ces hommes et femmes que rien ni personne ne retient encore dans le monde commun ?

C’est que ce qui se vit là, dans les lieux aveuglés de la ville, me requiert... Même si les yeux qui me regardent passer semblent vides, ils sont un appel que je perçois...

Et c’est si vrai qu’il suffit de m’arrêter pour que de la fatigue et de l’horreur vécues j’entende sourdre la vie : un prénom échangé, une poignée de main, quelques instants accroupi auprès de cet homme inconnu, et c’est quelqu’un qui renaît ; ou bien pour ceux/celles que je connais déjà depuis des mois, c’est une conversation reprise bien que atrophiée par la survie qui les tenaille et les empêche d’entrer de plain-pied au lieu de la gratuité...


Je ne suis qu’un hôte, c’est vrai... Mais ceux-là qui m’accueillent, parfois avec une vraie chaleur, une véritable attention, de la tendresse, exigent que je m’approche. Et de cette présence, nous autres, les autres si j’ose dire, nous en avons nécessité, car ce qui se joue en cette expérience qu’il est si difficile de découvrir n’est autre que l’humanité de l’humanité.


Au moment même où je rencontre cet homme ou cette femme désarmés, je vois clairement combien la volonté de notre Mouvement de se tenir à la « nécessité » (comment dire ?) de la famille comme garantie d’une existence encore possible est fondamentale : en elle résident l’assise, la raison et la consistance pour la personne d’un présent qui s’autorise à enfanter l’avenir. Mais à ce même moment, j’entends parfaitement combien cette requête du plus faible m’enjoint de le rejoindre, fut-ce de manière passagère, et de me laisser atteindre, mettre en cause et en mouvement. L’impuissance alors est ce que je perçoit le plus implacablement... D’ailleurs parler ici d’efficacité serait instrumentaliser ma présence, la réifier. Peut-être la profaner pour la rendre utile.


Alors, encore et encore, il est à parcourir cet inconnu chemin. En son long cours. Comme une respiration. Une lente attention à ce qui passe, et se passe. Lente et longue. Comme l’attente. Tendue, dans la crainte et le désir, sans rien jamais réduire à ce qui se connaît déjà.

Sans non plus me cacher la question qui demeure : Et si cette présence à leur malheur n’était que la trop subtile route, ouverte à force de désespérance, qui permette de résister à l’insondable agression qu’ils sont ?

Et si la présence n’était qu’un mot, - dissimulant du mieux qu’il peut sa réelle signification : absence.

Et si, et si…

Autant de questions que toutes les réponses ne font qu’aviver…

« Car c’est de l’homme qu’il s’agit, et de son renouement. (...) Et la maturation, soudain, d’un autre monde au plein midi de notre nuit » (Saint-John Perse, Vents).

(20 juin 2003)
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14. Jusqu'à ce qu'un homme de paix...




Les peuples s’opposent. En Israël-Palestine, - comme il est maintenant normal d’appeler cette région meurtrie par tant d’idéologies et de préjugés, autant que par la guerre, l’humiliation et la honte.

Deux peuples s’opposent. Se méprisent. Se haïssent et rêvent de se détruire. Et dans le même temps, espèrent pouvoir créer ensemble une terre où coûlent enfin le lait et le miel.

Les mots qui précèdent ne circonscrivent en rien la réalité. Tout est beaucoup plus complexe... Et il faut avouer, malheureusement, que ceux dont on attendrait des paroles et une réflexion constructives, les religieux, ne font bien souvent qu'attiser le malheur, quand ils ne l'engendrent pas...

Mais je veux ici souligner combien, de part et d’autre, des forces de résistance aux extrémismes aspirent à vivre autrement pour créer autrement. De part et d’autre, des hommes et des femmes se manifestent clairement comme combattants de la paix, ne se contentant pas de la souhaiter… Ils la font chaque jour, à leur mesure et selon leurs moyens.

Vu de loin, on pense à la diplomatie, à la négociation…

Mais comment faire ? Qui commencera ? Qui consentira à faire le premier pas, risquant d’être accusé de faiblesse ?

Comment ne pas espérer un Gandhi, de chaque côté ! Un Gandhi, ou un Martin Luther King, capable de rassembler les forces de résistance et de non violence présentes en ces deux peuples !

Ce dernier disait le 16 août 1967 :

"And so I say to you today that I still stand by nonviolence. And I am still convinced that it is the most potent weapon available to the Negro in his struggle for justice in this country. And the other thing is that I am concerned about a better world. I’m concerned about justice. I’m concerned about brotherhood. I’m concerned about truth. And when one is concerned about these, he can never advocate violence. For through violence you may murder a murderer but you can’t murder murder. Through violence you may murder a liar but you can’t establish truth. Through violence you may murder a hater, but you can’t murder hate. Darkness cannot put out darkness. Only light can do that.
And I say to you, I have also decided to stick to love. For I know that love is ultimately the only answer to mankind’s problems. And I’m going to talk about it everywhere I go.”

« Je vous le dis aujourd’hui, je continue de m’en tenir à la non violence. Et je suis encore convaincu que c’est l’arme la plus puissante dont puisse disposer le Noir dans sa lutte pour la justice de notre pays. D’un autre côté, je me soucie également de rendre le monde meilleur. Je suis soucieux de justice. Je suis soucieux de fraternité. Je suis soucieux de vérité. Et qui se soucie de ces choses ne peut jamais prôner la violence.
Par la violence, vous pouvez mettre à mort un meurtrier, vous ne pouvez tuer le meurtre. Par la violence, vous pouvez mettre à mort un menteur, vous ne pouvez établir la vérité. Par la violence, vous pouvez mettre à mort celui qui professe la haine. Les ténèbres ne peuvent venir à bout des ténèbres. Seule le peut la lumière.
Et je vous le dis, j’ai également décidé de rester fidèle au principe d’amour. Car je sais que l’amour est la seule réponse aux problèmes de l’humanité. Et je vais me mettre à en parler partout où j’irai. »

(20 novembre 2003)
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15. L'éveil à la précarité de l'autre ( 1 )




Quelle paix peut bien être la paix que nous recherchons si nous ne nous décidons pas, radicalement, à la construire avec les plus pauvres du monde ? A en inventer, à partir d’eux et de leur indispensable expérience, le parcours et les étapes, eux qui savent mieux que quiconque que "sans amour la vie est impossible, exclure signifiant condamner à mourir ( 2 ) " ? Radicalement, parce que faire oeuvre de paix est exigence de conversion qui aille jusqu’à la racine de nos préjugés, de nos volontés de tout maîtriser, en même temps qu’elle est volonté de tout mettre en oeuvre pour la faire advenir. Conjonction de passivité et d’activité, pas l’une sans l’autre.

Nous sommes nombreux à nous passionner pour davantage de justice, en en payant le prix humain. Mais nos actions de libération sont-elles davantage que la permanence de notre désir de nous sentir vivre, et donc de nous contenter de l’illusion de l’utilité sociale ? Ne faut-il pas reconnaître que "(nos) bonnes volontés s’usent vite, quand il s’agit de faire cause commune avec une population très pauvre dont nous ignorons l’expérience de vie ( 3 ) " ?

Les pauvres sont une prophétie pour nos sociétés et nos Eglises ! Une parole qui donne à penser autrement la vie en société. Car les très pauvres du monde exigent que nous pensions les uns avec les autres la révolution sans la logique de la domination. Une révolution qui conduise enfin à la paix, parce qu’elle sera le fruit d’un chemin de transformation radicale de nos regards et de nos intelligences, de nos manières d’être et de penser, sans doute aussi de prier.

Qui se lèvera pour que ce défi s’incarne dans un combat (oui, un combat, - mais dont la non violence et la paix sont le moteur) pour l’être humain, qui prenne appui sur et s’engendre des forces des plus pauvres ? C’est un chemin spirituel exigeant, mais essentiel pour qu’ils soient pleinement acteurs et sujets de cette paix que le monde ne peut donner, et qui pourtant ne se fera que par les êtres humains qui le peuplent ? A commencer par les plus faibles…

(25 novembre 2003)

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16. Si loin


A propos d’un ouvrage de la collection Terre humaine :
"Les naufragés",
de Jacques Declerck




On cherche son propre regard
dans la glace du mur d’en face (p. 143).





Il y a tellement d’entrées dans un livre…
La couverture, la quatrième de couverture. Les derniers mots ou la dernière page, la table des matières aussi. Parfois simplement le titre…
Les photos… Celles-ci sont une prise sur le vif, un rapt d’humanité, un oubli, un déni de dignité…
On ne juge pas un gros livre au vu de quelques pages…
Alors on le juge à quoi ?
Tout dépend du siège, ou de la chaire, sur laquelle on nous assied… Et de l’air du temps… De ce que l’on défend… De quoi l’on se protège… De ce que l’on espère, et aussi du désespoir dont nous sommes tissés…

Les personnes dont parle Monsieur Declerck sont des naufragés. En effet. Des naufragés ! C’est ici le point d’exclamation qui a sens ! Le substantif utilisé pour le titre, lui, ne désigne pas grand chose tant qu’on n’a pas ouvert le volume. Il faut entrer dans le livre pour entendre la mort et laisser chaque page se revêtir de silence. Le silence de l’œil du cyclone.

Fallait-il écrire ce livre ? Je me surprend à poser la question… Fallait-il laisser filer la plume, et les yeux, et le cœur, - au risque de manquer le cœur ?
Tout le monde ne peut pas tout faire… A chacun son métier… L’auteur est psychanalyste, et il entend les corps à partir de son point de vue. Enfermé dans une vision du monde, il nous enferme dans un savoir. A défaut de nous rendre visionnaire, il nous transforme en voyeur…

- Ah ! Etes-vous si sûr de ce jugement ?
- Non ! il faut être sûr ?

Bien sûr que non, un tel livre ne nous enferme pas, et ne nous transforme en rien d’autre qu’en nous-mêmes… Pourquoi donc, et surtout comment pourrait-il nous enfermer ? Nous le savons bien que la misère est l’enfer, et que l’humanité des personnes qui vivent dans la rue est à deux doigts de mourir… parce qu’elle a déjà disparu…

- En êtes-vous si sûr ?
- Non, mais à force d’errer dans les champs de ce que l’on dit…
- Continuez. Pourquoi garder soudain le silence ?

Un dédale, une route sans issue. Un champ de mines. Une dislocation de l’humain. Des larmes au désert du rien.

Lisez ce livre. Il est affreux. Horrible. Infernal.
Un reflet. Un miroir, aussi trouble que ceux de la Grèce antique.
Une grande part de la vérité, triste et nue.
Que reste-t-il de l’être humain, lorsque son sang se coagule ? Et que deviendrions-nous si nous ne prenions le temps d’entendre la respiration des hommes et des femmes, comme autant de cris sourds qui nous requièrent ?

Ce livre est un livre. Simplement.
N’y cherchez pas la rencontre d’hommes et de femmes. C’est un livre.
Derrière les pages, ou dans les marges, en dehors du livre, le lecteur peut inventer des clairières…, car la forêt nous perd quand elle devient labyrinthe.
Dans nos sociétés, des hommes et des femmes sont devenus des arbres. Et nous autres, gens de bien ?
Rien de ce qui se dit dans ce livre n’est faux. C’est vrai. Simplement, cruellement.
Ce qui ne veut pas dire que le style de l’auteur soit le meilleur pour donner à entendre. Il se peut même qu’il soit un obstacle irrémédiable pour entrer dans l’intelligence et dans l’esprit de ceux qui se hasarderont à l’ouvrir et à s’y plonger.
On peut s’y noyer. S’y désespérer. On peut critiquer la manière.

Avec un livre on peut tout faire. C’est l’avantage.
Avec des êtres humains, on ne peut qu’essayer de les aimer, en sachant que quoi qu’il arrive, qu’ils s’appellent Declerck ou n’importe qui, que ce soit vous-mêmes ou moi, ce ne sont que des êtres qui appellent du fond de l’angoisse… Pour voir le soleil. Ou bien parce que, sous la neige, au printemps, la jeune pousse que l’on attend se laisse broyer juste avant de paraître…
Rien n’est jamais sûr, même pas le pire, dit-on.

On a déjà beaucoup écrit sur ce livre, on en a longuement parlé… Pour le justifier, ou pour l’attaquer… Pour le rendre muet, ou lui faire dire ce qu’il ignore…
Lisez-le, ne le lisez pas. Comme vous voudrez. Mais ne cessez pas de descendre vers la source : nous y trouverons ensemble la tendresse pour ceux qu’une trop immense vague a submergés…

Ce papier que vous avez peut-être lu jusqu’ici, il faudrait le réécrire, pour dire autre chose, autrement. Le contraire. S’insurger, crier au scandale. Assurer à l’inverse que la peau de chaque page est une révélation, et qu’à force d’entendre l’inaudible l’auteur a parfaitement su transcrire sur du papier le gouffre dont il a réussi à se sauver.
Je ne sais. Je suis incapable de juger mon jugement sur ce livre.

Lorsqu’on est en voyage, il ne faut pas oublier de marcher. Continuer à marcher.

(10 décembre 2003)

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17. Pour que la nuit ne déborde plus...




Je vais à la rencontre de personnes qui vivent dans la rue.
Voilà en quelques mots ce que je fais.
Et ces mots suffisent. Ils disent l’essentiel : aller, rencontre, personne et rue. Quatre termes qui désignent les centres possibles d’un cercle dont la circonférence n’est nulle part.

Dans cette phrase, j’ai omis de souligner un mot, et c’est le verbe vivre !

Leur dire bonjour. Rester auprès d’eux pendant un petit moment, plus ou moins longtemps selon les circonstances. Poursuivre une conversation, continuer le silence, demander des nouvelles. Simplement aller les voir. Parce que l’être humain, où qu’il soit et quelle que soit son expérience de vie, a nécessité de l’autre être humain pour comprendre qu’il fait partie de l’aire commune.

Une grande souffrance, visible souvent.
Des corps délaissés.
Des visages défaits.
Maladies multiples sur la peau, dans la gorge, les bronches. Fièvres, fractures. Tuberculose.
Des corps disjoints.
Une grande douleur.

Des mots que l’on peut reconnaître dans les lexiques ordinaires, - mais qui viennent et parlent d’ailleurs, de l’autre côté, de l’autre rive, de très loin, de si loin que pour les rejoindre les journaux, les revues, les livres ont inventé toutes sortes d’explications. Comme pour griffer le réel, l’enserrer dans le bien connu.

Des hommes, quelques femmes pourchassés. Je ne parle que des personnes que je rencontre.
Une souffrance ? Des souffrances. Réfractaires au discours.
Souffrances qui disent la si difficile relation aux autres, et à soi-même, le si effrayant rapport au passé.
A la fois cri et langage. Qui ne cessent de raconter une histoire, la leur, faite de ruptures, de cassures… Qui ne cessent en même temps de se taire, de se figer dans un mutisme qui exprime l’horreur, qui traduit ce qui ne se transmet que par quelques gestes, des soupirs, des plaintes, des cris, souvent, le plus souvent le silence et la violence qui se conjuguent de manière surprenante.

C’est le corps qui parle, comme pour tout le monde. Mais là, symptôme de tant de malheurs. Ces corps d’hommes et de femmes qui sont les signes d’un espace muré à l’intérieur, cerclé, et qui ne trouve plus à se relier aux lieux vivants des autres.

C’est pourquoi je vais les rencontrer.

La question est souvent posée : que vivent ces personnes, que vivent-elles dans la rue ?
Je n’en sais rien ! Eux seuls peuvent le dire… Et le drame est que leur voix se tait.
Je suis témoin de quelque chose en eux qui se terre… : cela qui demeure vivant, quand même, et qui pour être rejoint exige une forme de déracinement…

Ce qui arrive, là, dans la rue, est en dehors de ce qui se comprend. Ce qui se donne à voir sur les quais du métro n’est pas vraiment transmissible. Car c’est d’un désastre qu’il s’agit…
J’ai lu, comme tout le monde. J’ai feuilleté les livres. J’ai écouté des conférences. Je n’ai pas compris davantage. Je ne voyais pas les mêmes gens. Voici une difficulté : lorsqu’on parle des personnes qui vivent dans la rue, on ne sait pas de qui l’on parle. Des statistiques disent que 29% des personnes vivant dans la rue ont un travail. Quant à moi, je ne connais pratiquement personne qui travaille. D’ailleurs je me demande bien comment ils feraient. La nuit dans un train. Dans une salle d’attente. Sur une bouche de chaleur. Dans un couloir de métro. Dehors, à l’abri d’une porte, ou sans abri. A l’air libre. Sans liberté. Emprisonné par un sommeil qui s’enfuit. Par la peur aussi, les agressions. La seule réponse au statisticien : de qui parle-t-on ?

Il ne faut pas raconter. On ne peut y croire. J’entends tellement de choses. Vrai, faux ? Là n’est pas la question : les regards disent que c’est pire que ce que j’entends. Bien au-delà. En deçà de ce que l'on imagine pour un être humain.

Alors, à quoi bon ? A quoi bon passer du temps ? Aller rencontrer ? Parler ? Ecouter ? Oui, à quoi bon continuer d’entendre ?
A de telles questions, je ne peux que répondre que je ne sais pas. Parfois je me dis même que je ne veux pas répondre à ces questions. Comme si en tenant la réponse j’allais justifier ma présence. Comme si la présence avait à se justifier.
Parfois tel ou tel me demande pourquoi je viens le voir. Sa question a sens. Mais pas la mienne.
Vous comprenez ?

Peut-être ne faudrait-il pas passer du temps, mais le perdre, sans autre pensée (?) que la gratuité. L’ouverture gratuite. Entendre, à travers la route qui conduit du silence à l’écoute : en l’écoutant, cet homme, je lui permets de s’entendre lui-même, et j’ignorerai toujours ce qu’il entendra. Ce n’est pas mien.
Comment dire ce qui est vécu par l’autre ? Dans un langage qui n’est pas le sien ? Je ne veux pas faire semblant. Je ne sais pas. Je ne comprends pas. Je vois, j’entends… Et pourtant je n’entends pas ce que je vois, je ne vois pas ce que j’écoute. Eux, qui vivent l’insupportable, demeurent incompréhensibles !

Alors pourquoi ce temps passé ?
Pas de réponse.
Seulement une phrase, viatique au sein de l’obscur. Elle est de Wresinski. En la prononçant, il l’a sans doute simplement déposé comme une route ouverte, comme un impossible pour lui comme pour moi. « Connaître le contenu du désespoir. » « Connaître », oui si l’on entend pas ce mot : entrer. C’est-à-dire se tenir dans le face à face.

C’est alors que je peux connaître un quelque chose qui se vit. Non pas objectivement, par analyse. Mais par l’effet que cela engendre en moi.
Je ne peux pas partir à la recherche de ce qu'il en est, en eux qui souffrent. Je ne peux que recevoir ce hurlement du regard ou du geste, cette plainte inlassable, cette supplication du corps qui ne demandent pourtant rien, plus rien. Qui à travers ce qu’ils demandent n’exigent plus rien. Qui ne font qu’attendre…
Je ne peux alors que prêter mon esprit à ce qui ne se dit pas dans la langue ordinaire.

Certains parmi ceux qui regardent, de près de loin, ces personnes préfèrent souligner la continuité entre leur vie passée et leur vie présente. On me l’a dit. Ce n’est pourtant pas ce qu’il me semble...J’entends des êtres tellement envahis par leur histoire que leur présent en est totalement obturé. Ce qui s’est cassé en eux, hier, n’est plus un des éléments du devenir… Tout s’est arrêté là… Comme si l’aujourd’hui était un hier figé, qui empêche toute sortie. J’ajoute encore qu’il y a relégation. Rejet. Dénégation. A la marge.

La violence devant mes yeux fait appel à tant de malheurs ! Et en appelle à tant de respect ! Elle excède ce que j’en perçois, parce qu’elle obstrue ce dont elle provient. Et c’est cela même qu’il faut écouter, parce que c’est cela même qui est libérateur. Qui un jour peut-être sera libérateur. Nul n’est maître jamais du devenir d’un autre, non plus que le prophète.

Alors qu’est-ce que j’apprends ? Rien d’autre que ceci, me semble-t-il : elle est longue et lente la route qui mène à la liberté, et au respect et à la confiance, lorsque l’humain de l’humain paraît attaqué à ce point.
Devant ce mur, quelle brèche ?
Elle ne peut venir que d’ailleurs, dont la révélation ne se fait qu’ici et maintenant…
Mais c’est une toute autre histoire qu’il faudrait raconter. Et tout reprendre par une autre route… pour finalement découvrir que lumineuse est la ténèbre que la nuit n’envahit plus.

(Mars 2004)

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Origine Une Parole quotidienne Discussion Poètes Ecouter le monde Musée Père Joseph Refus de la misère











































1. Selon la définition que donne Emmanuel Levinas de la paix dans son article “Paix et proximité”.
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2. Père Joseph Wresinski, Igloos , 87-88(1975-1976).
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3. Père Joseph Wresinski, Les pauvres sont l’Eglise, éd. du Centurion, 1983, p. 103-104.
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