Le manque de communication vient évidemment en bonne partie du fait que de part et d'autre, les pauvres et ceux qui les approchent, ne se connaissent pas. Il y a entre eux comme une étrangeté ; ils sont étrangers les uns aux autres. Il y a là beaucoup plus qu'un problème de mots et de langage ; c'est toute l'expérience de vie de l'autre qui est ignorée. Il y a entre le bienfaiteur et celui qui reçoit sa bienfaisance autant d'ignorance qu'entre un caillou et le chant de l'eau qui coule dans la rivière. Le caillou ressent la caresse de l'eau, matin, midi et soir, mais il ignore tout de sa mélodie. De même, il y a une ignorance profonde entre les pauvres et ceux qui sont chargés de leur venir en aide. Ils ne se connaissent pas.

Cette ignorance est favorisée par le fait que, justement, nous pensons tout savoir. Il me semble que nous avons comme une attitude d'auto-défense. Il nous faut légitimer que nous n'arrivons à rien ; alors, nous prétendons tout savoir et ce que nous savons n'est jamais à l'honneur des pauvres. (…)

A chaque fois que nous proposons d'aller vers les pauvres pour les connaître, tout le monde semble dire qu'il les connaît déjà. C'est le signe qu'en réalité, nous ne les connaissons pas, puisque pour connaître et pour avancer dans la connaissance, nous devrions avoir une attitude contraire. Notre attitude de tout savoir d'avance, et cela sur la base d'impressions et de faits anecdotiques, ne peut que faire durer notre ignorance.

Ecrits et Paroles. Tome 1,
éd. Quart Monde/Saint Paul, 1992, pp. 313-314.