Un certain soir quelque chose d'imprévu s'est produit. Je soupais avec mon père. Invitation transparente, informelle. Tout (se) travaillait dans le silence, les conjectures, la distanciation, comme ce jeu / jouet qu'on avait tous à l'école quand j'étais enfant — on frappe la balle à l'aide d'une raquette minuscule, l'élastique se tend, la balle revient. Je réfléchissais à tout cela, songeant en fait que plus on frappe fort, plus l'élastique se tend, et plus la balle revient en force. À coups répétés. Et voilà, dans le souvenir que j'en avais, l'élastique finissait toujours par se briser, se rompre.

Ç'aurait pu être jouer au “ tennis ” contre un mur, aussi. On frappe fort mais de loin, car si c'est de trop près on risque de rater la balle et de la perdre, et alors on devra aller la chercher, et à force de cela on finira par se lasser de ce jeu. Or en jouant à quelque distance du mur, qu'on frappe fort ou non le jeu sera d'autant plus plaisant qu'il continuera jusqu'à l'essoufflement. La tâche dès lors réside en le fait de garder le rythme.

En écriture aussi il y a de ce principe. Le souffle, le maintien du rythme, ce qui implique qu'on doive de distancier quelque peu du texte de manière à ce que ce qu'on y projette nous revienne, et surtout que nous ayons le temps de réagir, d'interagir. Le nez collé contre la feuille, trop collé, il me semble que nous risquons de perdre le rythme, le souffle, la balle. Avec quelque distance, malgré les déviations relatives à la forme, les exigences esthétiques, nous sommes quand même disposés à nous déplacer pour nous réajuster.

Ainsi se manifeste tout cela, en rapport à l'investissement, à la projection, dans l'optique du maintien du jeu, du plaisir. Ainsi peut-on jouer pendant des heures, à coups répétés, suivant les mouvements non plus comme spectateurs mais bien comme acteurs joueurs.

©  Yann Ropers, 2003-2008