J'avais
à peine huit ans quand j'ai perdu mon ami. Pitou avait un seul défaut, celui
de s'accrocher aux queues des vaches et d'y rester suspendu le plus longtemps
possible. Il ne faisait cela que quand une vache ne voulait pas lui obéir.
Mon père en rageait parce que, quand ça arrivait, les crocs tranchants de
Pitou sectionnaient la queue et on devait alors abattre la vache. A part ça,
c'était le meilleur chien de ferme de tout le canton. Et, bien sûr, cela
faisait des jaloux et des envieux autour de nous.
C'est ainsi que durant l'été de mes huit ans,
sur le chemin de terre en face de la maison et qui passait tout près d'un
ruisseau, j'ai un oncle qui revenait de je-ne-sais-d'où et qui fit exprès
pour frapper le chien à son insu. Pitou s'en est sorti vivant mais pas exempt
d'un problème majeur: il était maintenant boîteux. Mon père, en tant que
fermier qui voyait surtout le côté pratique des choses, ne pouvait se
résoudre à garder Pitou. Sa logique lui dictait qu'on ne pouvait nourrir un
chien qui ne peut faire son travail. C'est pourquoi, quelques temps plus
tard, une balle de fusil a mis fin à la vie de mon ami.
Je passe rapidement sur
cet épisode parce que ça me brise le coeur quand j'y repense. Dois-je écrire
que sa perte m'a fait beaucoup de peine? Il n'y a pas de mots pour décrire ce
que j'ai ressenti alors et ce que je ressens encore aujourd'hui. Disons qu'il
y a eu de la peine et de la tristesse. Mais à ses sentiments se sont ajoutés
ceux de la colère et de l'amertume. C'est très fort en dedans de moi et j'ai
l'impression que ça ne me quittera jamais. C'est comme une plaie qui ne
cicatrise pas.
En ce bel été de 1958, alors que le chien marchait le long
du chemin de gravelle pour aller s'abreuver au ruisseau, un oncle jaloux a
essayé de le tuer en lui passant sur le corps.
Pitou a bien entendu le
tracteur qui venait vers lui mais ne s'en est pas préoccupé outre mesure
puisqu'il reconnaissait le bruit du moteur. Un oncle, c'est supposé être
gentil, d'habitude. Pourquoi s'en méfier? Aussi, Pitou, poursuivit son chemin
sans se retourner.
C'était un été très chaud. C’est pour cette raison
qu’il se rendait plus souvent que d'habitude se désaltérer au ruisseau, ce
ruisseau que papa avait creusé de ses propres mains avec l'aide de d'autres
hommes. Pitou avait son endroit préféré où il pouvait étancher sa soif. De
l'autre côté du jardin de maman, le ruisseau passait par un gros tuyau sous
le chemin de terre. L'eau froide et claire coulait, semblable à une petite
chute, sur de gros cailloux à l'autre bout du tuyau. C'est là que Pitou
s'abreuvait.
Langue pendante, le chien marchait
nonchalemment vers son point d'eau. Mon oncle Dérik embraya et appuya à fond
sur l'accélérateur. Moi qui étais à l'entrée du chemin qui mène à la ferme et
qui attendais le retour de mon ami, j'ai tout vu et j'ai crié: «Non! Méchant!
Méchant!» et je me suis mis à courir vers Pitou étendu de travers sur
le chemin de gravelle. Je me suis penché sur lui et je pleurais à chaudes
larmes.
Pitou respirait encore. J'ai regardé vers mon
oncle qui s'éloignait avec son tracteur, comme s’il ignorait tout du drame,
l’hypocrite. Si mes yeux avaient eu le pouvoir de tuer, je jure qu'à
l'instant même il serait tombé raide mort de son tracteur. Mais il n'y avait
que des larmes dans mes yeux et un enfant de huit ans est impuissant face au
monde absurde des adultes. Alors je me suis relevé et j'ai crié à nouveau en
brandissant mon petit poing dans les airs: «Attends que j'grandisse, toé!».
Mon père a essayé de
soigner Pitou, mais le chien ne voulait pas se laisser faire. Il passait son
temps sous la galerie. Durant les jours qui ont suivi, j'ai été témoin d'une
chose qui m'a toujours fasciné chez les animaux: l'art de l'auto-guérison.
Alors que mon père parlait d'abattre le chien parce qu'il était dans un piteux
état et, surtout, parce qu'il ne pouvait pas l'approcher — j'étais en fait le
seul en qui le chien gardait encore sa confiance —, j'ai tellement pleuré que
papa n'a pas passé aux actes. Du moins, il ne l'a pas fait tout de suite.
Chaque fois que je pouvais m'éclipser de la maison, je
courais retrouver Pitou sous la galerie. Un adulte ne pouvait pas y avoir
accès. L'ouverture était à peine haute d'un pied et demi. Il fallait donc
ramper puis on pouvait s'asseoir.
Il y avait des plaies
sur son dos, des touffes de poil manquaient, et sa patte avant droite
semblait beaucoup le faire souffrir. Mais il avait quand même réussi à
creuser un trou dans la terre. Puis, avec son museau, je l'ai vu en déposer
sur sa patte blessée jusqu'à ce qu'elle soit complètement recouverte. Il
restait là sans bouger. J'ai alors eu l'idée de recouvrir de terre ses plaies
sur le dos.
Quelques jours plus tard, Pitou pouvait marcher. Il
boîtait. Il n'avait plus la grande forme, mais il était VIVANT! C'est tout ce
qui comptait pour moi: avoir mon ami à mes côtés. C'était à mon tour de
le protéger. Je lui devais bien ça, comme je lui dois ces quelques lignes.
Je n'ai aucune
souvenance du chien qui a remplacé Pitou à la ferme. Il faut croire que dans ma
tête j'avais décidé qu'aucun autre animal ne pouvait et ne pourrait prendre
sa place. Ce qui fut effectivement le cas. Jusqu’à ce qu’un jour, en 1973 à
Vancouver, je rencontre ce chien-loup de race norvégienne que j’avais
prénommé Vagabond. Puis, bien plus tard, à l’aube de mes cinquante ans, cette
chère dame Soya (un croisement de Labrador et de Chowchow) et qui est couchée
à mes côtés alors que j’écris la présente.
Après la mort de Pitou, j'ai fortifié mon mur du silence
face aux adultes. J'ai préféré de plus en plus la solitude à la compagnie de
mes semblables. J'avais eu ma leçon et elle ne me plaisait guère. Je décidai
que désormais l'homme n'aurait plus ma confiance. Je ne voulais plus qu'on me
fasse du mal. Je me disais que si sa façon d'aimer était de faire souffrir,
je pouvais alors très bien m'en passer. À huit ans, j'ai fait mien la loi du
talion: Oeil pour oeil! Bien sûr que par la suite et tout au long de ma vie,
j'ai eu des copains et des amis... à deux jambes. Mais ils vous diront qu'il
y a toujours eu une certaine distance entre eux et moi. C'est comme ça. Et
c’est sûr que moi-même, plus tard, j’ai aussi fait du mal autour de moi. Je
n’étais pas un ange. Mais le mal que j’ai fait, était-ce parce que je n’aime
pas la société ou était-ce parce que je suivais simplement son exemple? A la
naissance, est-ce qu’un bébé est vraiment tout innocent? Y aurait-il des
exceptions, qu’un enfant naisse avec le désir inné de faire le mal et qu’un
autre l’apprenne des adultes et qu’il s’en serve pour se défendre et se
protéger? Je n’ai pas de réponse.
Pour me protéger donc,
j'ai appris à m'endurcir, à me faire une carapace et à ne plus dévoiler mes
sentiments. Avec l'âge, le temps et l'expérience, je passerai du côté des
durs, de ceux qu'on appelle des délinquants. Mais, au fond, ce ne sera qu'une
façade, un mur pour mettre à distance les gens qui seront un peu trop curieux
de ma personne. Et grâce à eux, les adultes, j'apprendrai très tôt comment on
fait pour mentir, voler, haïr, détester...
J'ai vécu mon
adolescence à la ville. J'avais environ 10 ans quand notre famille a quitté
Bouchette pour une jolie maison que papa avait acheté sur la rue Maisonneuve
à Hull. La première impression que j'ai retenu de cette ville: c'est
tellement grand qu'on risque de s'y perdre. Je n'étais plus dans mon petit
nid douillet à la campagne où je connaissais chaque centimètre de terre,
chaque recoin des bâtiments. Et puis, détail important, je ne pouvais plus
trouver refuge auprès des animaux.
Je me souviens de la journée avant le grand
départ pour Hull. Nous sommes allés à Maniwaki pour y faire des achats. Dans
un magasin, qu'on nommait alors un "Cinq-Dix-Quinze", papa m'avait
acheté un déguisement d'indien. Cela comprenait un bandeau et deux plumes
d'oiseau pour mettre autour de la tête, un arc et des flèches avec bouts en
caoutchouc et un poignard gris en plastique. Mon coeur débordait de joie et
j'avais l'impression d'être invincible. Mon père, en homme intelligent, avait
sûrement compris que ce subterfuge me ferait momentanément oublier la
compagnie des animaux et, surtout, la perte de Pitou et de mon autre copain,
à deux pattes celui-là, le p'tit Matheus au village de Bouchette.
Mais j'étais loin d'être
invincible. Je m'en suis vite rendu compte à notre arrivée à Hull. Pendant
que des gens s'affairaient à décharger les meubles du camion pour les
transporter dans la maison, je me promenais librement sur le trottoir en
exhibant ce poignard en plastique tout en pourfendant des ennemis
imaginaires. Je me prenais pour Pierre Esprit Radisson et je devais avoir un
air fanfaron car, au coin des rues Maisonneuve et Saint-Laurent, trois
adolescents sont venus à ma rencontre. Ils avaient le regard agressif de ceux
qui se croient tout permis.
Le fait que déjà ils étaient plus grands que moi
m'impressionnait beaucoup. Enfin, juste assez pour rester figé, avoir la
sagesse de ne pas ouvrir la bouche et de concentrer mon regard sur le bout de
mes espadrilles. Quand ils furent à ma portée et que l'un d'eux a fait de
l'ombre devant mes chaussures, je n'ai pu faire autrement que de lever les
yeux pour voir à qui j'avais affaire. C'était le plus grand, le plus
costaud du trio.
Il mit ses deux mains
sur ma poitrine et me poussa si fort que j'en perdis l'équilibre et tombai
assis sur le trottoir. Je ne savais pas pourquoi il agissait de la sorte et
il ne m'était pas venu à l'idée de le lui demander. Le coeur me débattait et
on aurait dit qu'il était parti se cacher dans ma tête. Et j'ai pensé très
fort à Pitou. Sûr qu'il les aurait mis en pièces s'il avait été à mes côtés.
Mais j'étais seul et soudainement ce nouveau monde me faisait terriblement
peur.
Le grand garçon pointa son doigt vers moi et dit:
— T'es le p'tit nouveau
qui vient d'emménager dans l'quartier. Alors apprends à pas venir nous faire
chier avec ton poignard en plastique si tu veux pas qu'on te le plante dans
l'cul et pis qu'on l'agrandisse!
J'étais
traumatisé. Pour un premier contact avec les citadins ce n'est pas ce que
j'appellerais une réussite. L'objet de l'altercation, le maudit poignard, je
l'ai lancé de toutes mes forces et il est allé atterrir sur la toiture de la
maison des Poirier. Mes trois protagonistes ont tourné les talons et s'en
sont allés en riant de moi. J'étais pas bien gros dans mon pantalon.
Ce n'est qu'après avoir
reçu deux ou trois coups de poing au visage et quelques bousculades, au cours
de ma première année à Hull, que j'ai très vite appris à réagir aux
provocations de la sorte. Si quelqu'un pouvait me frapper, c'est donc dire
que j'avais aussi le droit de répondre du tac au tac.
Je
suis dans ma chambre et je ne trouve pas le sommeil. Je pense à quitter la
maison pour voyager. Comment dois-je annoncer la nouvelle à mes parents?
Comprendront-ils mon désir d'être libre, indépendant, de faire ma vie comme
je l'entends?
Je ne suis pas encore majeur. Cela ne joue
pas en ma faveur. Ils chercheront à me retenir. Non, ils sont gentils, ils
vont comprendre. Je ne sais pas. Je ne sais plus. J'ai un peu peur de leur
réaction. Je décide donc de me taire.
J'étouffe. Et je le
répète, ce ne sont pas mes parents qui en sont la cause. C'est la ville. Ce
sont les professeurs. Ce sont... Je ne veux plus être conforme aux lois
bêtisantes qui régissent à l'école. J'en ai ras-le-bol des niaiseries
qu'enseignent les professeurs. Je ne veux plus accumuler des connaissances
sans comprendre de quoi il en retourne, sans savoir à quoi ça pourrait me
servir dans la vie.
Je me sais tout de même un adolescent choyé. Je suis assez
libre de mes mouvements et de mes amitiés. À la maison, je fais ce que je
veux en autant que je respecte mon entourage. J'ai aussi un avenir prometteur
si je poursuis mes études. Mais plus que tout, j'ai un privilège que bien
d'autres enfants ne connaîtront jamais: j'ai des parents à moi.
J'ai mal à la tête. Il
faut que je trouve le sommeil parce qu'au matin je dois donner ma réponse à
ce nouvel ami que j'ai rencontré à la Polyvalente. C'est avec lui que je
ferai le grand voyage. Notre destination est Calgary. C'est marrant car je ne
sais même pas où l'endroit se trouve sur une carte géographique. Qu'importe.
C'est décidé. Je quitte tout et je pars à l'aventure avec Donald. Nous irons
travailler au stampede et se faire assez s'argent pour s'acheter chacun une
Harley.
Il me semble que l'hiver
se soit installé pour de bon. Le mois de novembre est très froid et sec. Je
déteste le froid. C'est une raison de plus pour partir vers les pays chauds.
Penché à la fenêtre de ma chambre, je regarde la neige qui descend à gros
flocons. Je pense à Donald. Je me demande si je peux avoir confiance en lui?
Après tout, je ne le connais que depuis peu. Qui me dit qu'entre temps il
n'aura pas changé d'avis? J'aurais l'air d'un idiot si demain, en arrivant à
la Polyvalente, il me disait qu'il ne part plus.
Ce qui semble nous lier pour l'instant, c'est
qu'il ne se passe rien d'extraordinaire dans nos vies. On est écoeuré de
tout. Pourquoi les adultes font-ils toujours des choix à notre place? Comment
peuvent-ils savoir ce qui est bon et ce qui l'est pas pour nous? Pourquoi ne peut-on
pas prendre nos propres décisions? Pourquoi toujours demander la permission
pour aller pisser? Pourquoi ne peut-on pas, nous aussi, donner un sens à
notre vie? La vie est-elle comme l'un de ces flocons de neige qui vient
me saluer puis mourir bêtement en plongeant à toute vitesse sur le rebord de
ma fenêtre? Rien d'autre, rien de plus? Pfuit! Y en a vraiment marre de cette
zone grise dans ma tête!
Je
n'ai pas beaucoup dormi cette nuit. A peine deux heures. Je prends mon petit déjeuner
et me rends ensuite attendre l'autobus scolaire au coin de la rue, en face du
Freeman Road. C'est un joli nom de rue. Je me demande pourquoi ce nom est
anglophone? Peut-être parce que notre village est situé tout près de celui de
Chelsea et que la majeure partie des habitants qui y vivent sont des
anglophones. Ce n'est pas une bonne raison. Ne sommes-nous pas en territoire
québécois, donc supposément un pays francophone? Pourquoi tous ces noms
sont-ils en anglais?
Depuis quelques temps, je me rends rarement à
mes cours. Je n'y vois que peu d'intérêt. Les professeurs sont chiants et
endormants. Alors je me réfugie à la cafétéria où je fais ce qu'on appelle
l'école buissonnière.
Puis, à un moment donné,
après la rentrée des classes au début de septembre, j'ai entendu parler que
le directeur de la polyvalente se cherchait un DJ pour faire jouer de la
musique durant les heures du midi à la cafétéria. J'ai pris mon courage à
deux mains et suis allé le voir à son bureau. Je lui ai vanté mes connaissances
en musique populaire. Ça a tellement marché qu'il m'a remis la clé de la
petite salle où j'ai trouvé deux superbes tables tournantes et une petite
console pour contrôler le son. A la maison, j'ai fait un choix parmi mon
énorme pile de 45 tours et j'ai apporté le tout à la polyvalente. Au
commencement, à la cafétéria, je n'y venais que sur les heures du dîner. Mais
je me suis vite aperçu qu'il y avait un va-et-vient perpétuel
d'étudiants dans la grande salle, que ce soit dans l'avant-midi ou dans l'après-midi.
Alors je passe presque tout mon temps en compagnie de mes
disques. Mes chums, eux, flirtent les filles. Si ça marche, ils quittent la
polyvalente, suivent un sentier situé tout près et qui les amène dans le parc
de la Gatineau. Ils se la coulent douce. En fin d'après-midi, ils reviennent
pour prendre à nouveau l'autobus scolaire. Quant à moi, depuis un an, j'ai
une petite amie qui s'appelle Francine. Il n'est donc pas question que je
m'associe aux jeux de mes chums.
Dans mon autobus jaune,
il y a des anglophones qui habitent le village de Chelsea. Comme je vis à
Ironside, qui est également en banlieue de Hull, on doit nécessairement se
cotoyer. La plupart de ces anglos fréquentent l'école technique de la
polyvalente Cité des jeunes et quelques autres, dont les parents sont plus
fortunés, vont à l'école St-Patrick de la paroisse St-Jean Bosco.
Ils ne sont pas un cadeau, les anglos. Il y a toujours eu
une sorte de guerre entre francophones et anglophones dans l'Outaouais. Ce
sont surtout les plus jeunes qui nourrissent un climat malsain d'agressivité,
de mépris et de haine à notre égard. Les anglos ne nous aiment pas et c'est
réciproque. C'est stupide parce que je ne sais pas pourquoi c'est ainsi. On
partage pourtant les mêmes goûts musicaux, les mêmes salles de danse, le même
autobus scolaire et la même polyvalente. Où est le problème? Je n'avais rien
contre eux jusqu'à ce que, en ce vendredi matin, on me prenne comme tête de
turc.
Tout d'abord, il faut
que je dise qu'en dehors de l'école je fais plein d'activités qui n'ont aucun
lien commun entre elles. Je travaille les fins de semaine dans un garage
Shell. J'y suis pompiste, répare les crevaisons, lave les autos, nettoie la
place, fais les changements d'huile... Cela me permet d'avoir une autonomie sur
le plan financier. Le lundi et le mardi soir, je me rends au Centre St-Joseph
y rejoindre Raymond Périard et Serge Chagnon pour nos soirées d'éducation
physique et de poids et haltères. Il y a là de nombreux enfants a qui nous
enseignons comment utiliser la trampoline, les anneaux, le cheval allemand,
les barres parallèles. Un samedi avant-midi sur deux je rejoins Hervé au
ranch chez Cook sur le Chemin de la Montagne. Hervé est trail rider et
l'homme à tout faire de la propriétaire. C'est un débrouillard, «un cowboy!»
qu'il aurait dit, s'il pouvait lire la présente. Je partage son travail de
façon bénévole durant trois ou quatre heures, mais la plupart du temps je
reste au ranch jusque tard dans l'après-midi. Nous attelons les chevaux pour
les gens qui, eux, payent pour les chevaucher et se promener sur les sentiers
de la Gatineau. Puis, outre de fréquenter assidument les copains de chez Ann
et quelques autres gangs de quartier, je fais aussi parti d'un groupe qui
fait de la musique. Nous sommes trois: Luc Laflamme (guitare), Daniel Joly
(basse), et moi... au vocal. Il nous manque un bon batteur mais, à défaut
d'en connaître un, on s'en passe. On joue un rock pur et dur. Pas de chichis.
On fait des
adaptations des succès de l'heure: Wild Thing, Here comes the night, Mellow
Yellow, Satisfaction, See see rider. Jouer les
chansons des groupes québécois ne nous intéressent pas. Nous allons puiser à
la source de leur inspiration. Donc, en gros, je suis le genre de personne
qui ne s’ennuie jamais.
Le problème de mon altercation du matin, c'est qu'au dos
de mon veston je porte l'écusson du band où on peut lire The Young
Counts. Cela devrait se traduire par «Les jeunes Comtes». C'était là notre
idée. Mais cet énergumène d'anglo s'en est moqué en se mettant à crier à
répétition, en anglais bien sûr, «les jeunes plottes! Les jeunes plottes!».
J'ai senti la colère monter en moi. J'ai vu rouge, me suis levé de mon siège
et l'anglo a reçu mon poing en plein sur l'oeil droit. Cela s'est passé si
vite que je n'ai pas eu le temps de réfléchir au geste que je venais de
poser. Je suis vite retourné m'asseoir et je m'attendais à le voir arriver et
m'en foutre toute une sur la gueule, surtout qu'il était bigrement costaud,
le gars. Mais non, d'où j'étais, je l'ai entendu pleurer. Durant le reste du trajet ce
fut presque le silence complet dans l'autobus alors que d'habitude il y a un
brouhaha indescriptible. Le chauffeur n'avait rien vu ou il s'en foutait
éperdument. Tandis que mon copain, Jean-Pierre Huppé, n'en revenait tout
simplement pas. C'était la première fois qu'il me voyait frapper quelqu'un.
Moi aussi.
|