Par Cédric Gérot
DE LA DIFFERENCE ENTRE LES ARTS

Les arts sont du domaine de l'intérieur ou encore du Temps. Permettez-moi avant tout de définir ce que j'appelle Espace et Temps. On peut diviser le monde en trois parties : l'une, matérielle est ce qui est perçu par nos sens et qui est l'objet des Sciences; c'est l'Espace. La seconde, immatérielle, est ce qui constitue les sentiments et les souvenirs : c'est ce que certains appellent l'âme et que j'appelle le Temps. Attention, il est immuable. Ainsi, lorsque vous vivez une nouvelle expérience et donc engrangez de futurs souvenirs, vous ne modifiez pas le Temps, mais la perception que vous en avez (il semble plutôt logique que la nouveauté donc le changement, qui est purement spatial, n'existe pas dans le Temps). Enfin, le souffle du Temps, cet élan qui établit la seule connexion possible entre l'Espace et le Temps et que j'appellerai Dieu ou la communion des âmes . Y-a-t-il une diffèrence de nature entre la substance de l'âme, autrement dit le Temps (attention, le temps chronologique est purement spatial : c'est une division mécanique) et l'Idée ? Oui et non (on ne renie pas ses origines normandes). Cette diffèrence est équivalente à celle qui sépare l'infiniment petit de l'infiniment grand : matériellement radicalement opposes, ils restent de meme nature infinie. Ainsi, pensez a cette thèse que relate Umberto Eco dans le Pendule de Foucault : l'univers, cet espace qui serait infini ne serait-il pas au contraire l'intérieur de la Terre, et l'intérieur de la Terre son extérieur? En quelque sorte, on aurait retourné la Terre comme un gant... c'est bien sur une vue d'esprit, mais la sphère des mathèmatiques qui est la plus eloignée de la patatoÏde réalité (Espace) est aussi parfaite que le point centre Intérieur des choses (Temps) : ils sont de même nature parfaite et immatérielle mais différents notamment parce que la première est une pure création et donc définissable, alors que la seconde échappe à notre raison. Il en est de même entre les idées et les sentiments.

Une oeuvre d'art est alors une porte entre l'Espace et le Temps : à la fois matérielle et immatérielle, née de la matière elle est source de l'immatériel. Ce qui traverse cette porte est, vous l'avez compris, Dieu, ou encore tout acte créateur . Bien sûr, il existe diffèrents types de portes : les particularités de chaque art, en dehors du support évidemment diffèrent, résident dans l'attitude qu'il exige de l'observateur. Je crois en effet que ce qui amène quelqu'un à créer est sensiblement indiffèrent aux moyens dont elle usera pour mener à bien son oeuvre. Ainsi, je prendrai pour critère de diffèrentiation entre les arts l'effort que demande l'oeuvre pour être appreciée.

La peinture est sans aucun doute l'art le plus exigeant. Une toile demande d'être attentif, ouvert, totalement ouvert pour la comprendre. Il faut tacher d'être à, la fois vide de tout à priori pour accueillir la toile toute entière, mais aussi plein de ses propres souvenirs qui constituent un matelas aux sensations reçues. Mais comme pour tous les arts, il y a trois regards possibles : en plus de celui que je viens de décrire, il y a celui de l'expert qui aura une appréciation technique de l'oeuvre qui lui permettra de dire si elle est conforme a des critères preétablis (comme la construction d'un tableau, son équilibre) mais en aucun cas si elle est belle ou non. En effet, la beauté n'a de sens que pour soi. Pour définir une beauté universelle, il faudrait pouvoir lier toutes les âmes entre elles, ce que seul permet l'art; et l'art n'a que faire des valeurs (elles appartiennent a l'Espace). Enfin, la troisième démarche possible est celle de la personne qui cherche une distraction, un plaisir plus immediat, sans réflexion. Attention ce dernier regard n'est pas infèrieur aux autres; il n'y a aucun jugement de valeur à porter sur ce qui concerne l'art. Ainsi, pour la peinture, une personne ayant le troisième regard appreciera plutot la période impressionniste "directement branchée" sur les sensations, sans aucune barrière d'abstraction ou culturelle. Je pense ici plutôt a Manet ou Renoir qu'à Turner ou au Monet des nymphéas dont les oeuvres sont plus délicates.

La littérature demande elle aussi un effort, mais qui est plus naturel: chaque lecteur invente et reécrit avec sa propre imagination l'histoire qu'il lit. Ce qui fait le lien entre la peinture et la littèrature est la poèsie. Plus encore, la poèsie est comme le mélange de la peinture et de la musique sur le support de la littèrature : l'écrit. La poèsie semble donc être l'art le plus complet.

La musique, en dehors du regard de l'expert, est l'art dont l'accès est le plus simple. Encore une fois, il y a musique à plaisir immediat, physique que l'on peut entendre en boîte, et celle qui me semble nettement plus artistique, qui demande plus d'effort.Si la peinture est surtout spatiale, la musique est essentiellement temporelle car perçue comme un souvenir. A peine a-t-on entendu une note qu'elle s'est deja echappée...mais Proust le dit mieux que moi : "Ainsi à peine la sensation délicieuse que Swann avait ressentie était-elle expirée, que sa mémoire lui avait fourni séance tenante une transcription sommaire et provisoire, mais sur laquelle il avait jeté les yeux tandis que le morceau continuait, si bien que quand la meme impression était tout d'un coup revenue, elle n'était déjà plus insaisissable." On voit une peinture sur une toile et on écoute une musique dans nos souvenirs. De plus, les sensations directes sont plus fortes, on est plus facilement touché par une musique que par une toile : qui n'a pas frissonné à l'ecoute du Carmina Burana de Carl Orff, qui n'est pas perturbé, ému quand un ami joue au piano à ses côtés, mais qui a déjà pleure face à une toile? Pour frissonner devant une toile, il faut un passé de rapports entre notre âme et les images assez chargé, il faut savoir casser toutes nos barrières, protections et masques indispensables à la vie en société pour être comme à "fleur de peau". Par contre on ne maîtrise pas une musique, on ne peut l'isoler, elle ne cesse de nous échapper... ce qui n'est que très rarement le cas avec une toile.

Enfin, le cinema. Est-ce un art? Un acteur a dit un jour que "le cinéma ne sera véritablement un art que lorsque l'on cessera de dire devant un film de Fritz Lang qu'il est en noir et blanc". Non pas qu'il faille coloriser tous les films, au contraire! Il voulait dire que, lorsque l'on sera assez ouvert jusqu'à ignorer l'âge que porte chaque film, lorsque l'on considerera un film comme une oeuvre d'art, pouvant être belle en soi, alors le cinéma sera un art. Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que le cinéma demande un rituel : on sort, on marche, on fait la queue, on pénètre dans la salle chaude, entouré d'inconnus, et on regarde, écoute et sent... bref, on vit le film. Généralement, un film demande des efforts avant et après lui. Pendant, on vit; et c'est déjà beaucoup (c'est l'essentiel). Après, on remue toute notre âme afin d'y graver à jamais le film que l'on vient de voir, de vivre. Bien sur, il y a une démarche qui n'est pas moins honorable, et même, qui me semble nécessaire au cinéma, qui est celle de divertissement : on vit un film pour s'éclater. Hot Shot ou l'un des Die Hard sont ainsi de très bons films, tout comme Ususal Suspects ou La Belle Noiseuse peuvent l'être dans la démarche exigeante de l'art (ces jugements sont bien sûr personnels).

Je concluerai sur une consèquence importante de la nature des diffèrents arts : ceux qui usent de la rationnalité, qui donc peuvent véhiculer explicitement des idées ont aussi un devoir envers la societé... Ou est la frontière entre le film d'auteur et le film de propagande (en témoigne de ce flou le houleux débat entre Emir Kusturica et quelques intellectuels français à propos de son dernier film Underground)? Comment discerner l'oeuvre de l'homme qui accuse et qui veut casser les chaines qu'une dictature impose à une société (1984 de Georges Orwell) de l'oeuvre qui, parfois sous les mêmes apparences, veut briser la société (Mein Kampf)? Il est des arts qui ne peuvent s'isoler de la société où ils vivent, il est des arts qui ont une reponsabilité citoyenne... Mais je parle là aux createurs et non aux observateurs, mais je parle la aux artistes tout comme je pourrais parler aux scientifiques. L'Art comme la Science ne sont pas indépendantes de la société et se ses lois. L'artiste rebelle n'existe pas, tout comme le scientifique dans sa Tour d'Ivoire n'existe pas, car tout homme et toute femme qui se met hors de la société n'existe pas.


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