Les internautes face à
l'Etat et à l'entreprise
2) Face : barrage contre les dérives
Pour tout ce qu'elle a d'inavouable, la "net-emprise"
dans un Etat de droit démocratique ne peut s'exercer que de façon
muette, masquée. C'est dire qu'entre la compilation de donnée
et, par exemple, leur production lors d'une instruction judiciaire, subsiste
tout l'écart de l'acceptable en démocratie. D'aucuns rétorqueront
– jamais en retard d'une dénonciation – que toute menace
abreuve son acuité et son efficacité à la source même
de sa clandestinité. Si l'on en détecte aucune, ce n'est
pas qu'il n'en existe pas, mais qu'elle est plus totale et parfaite qu'on
ne l'aurait cru : les boulimiques du soupçon sont insatiables. Il
n'est pas douteux que bons sens bistrotier et littérature du complot
de conserve vont trouver là matière à de beaux développements.
Big Brother ou Lycurge ?
Car sous couleur de nouveauté, ce sont
souvent de bien vieilles thématiques qu'on accommode à
la sauce Internet, et donne ensuite pour inédites. Pourquoi la réflexion
sur l'Etat échapperait-elle à ce recyclage ? Voyons le cas
d'Echelon. Ce système
d'écoute électronique permet à la N.S.A (National
Security Agency) de s'inviter à toutes les discussions téléphoniques,
de jeter un œil sur tous les fax, e-mail et autres, échangés
d'un coin à l'autre de la planète. Le procéde est
haïssable, bien entendu. Mais faut-il en imputer la responsabilité
aux nouvelles technologies ou incriminer la persistance d'une conception
réaliste (comprendre : cynique) des relations internationales ?
Dénoncer l'outil, c'est parfois absoudre par défaut celui
qui le manipule : quand le comment oblitère l'intelligence du pourquoi.
D'ailleurs, la croissance exponentielle du trafic sur la toile met à
rude épreuve les capacités de tels systèmes de surveillance,
notamment à l'occasion d'initiatives comme le Jam
Echelon Day, où des milliers d'internautes se sont plu à
truffer leurs courriers de mots-cibles destinés à sursaturer
lesdits systèmes. Big Brother est vorace ? Offrons-lui une indigestion.
Stigmatiser l'influence néfaste d'Internet,
c'est en effet oublier un peu vite quel formidable instrument de contre-pouvoir
il peut constituer. Si la tutelle
exercée par Beijing sur ses internautes est réelle, la
tribune que le Net offre à la dissidence chinoise émigrée
ne l'est pas moins, qui le dispute à la première en efficacité.
Or c'est un truisme de dire que l'histoire de la démocratie a partie
liée avec celle des contre-pouvoirs. Pourquoi alors Internet ne
jouerait-il pas auprès de notre époque le rôle jadis
tenu par la presse au XIXè siècle, en tant qu'agent de démocratisation
? Sans compter qu'il n'est plus loisible aux gouvernements, comme par le
passé, de censurer une information dont chaque internaute peut désormais
se faire le relais.
Point de paranoïa excessive, donc, mais
une juste vigilance ; la réflexion sur les NTIC est suffisamment
touffuse pour qu'on ne la complique pas encore de phantasmes. Dans le cyber-espace
de même qu'ailleurs, la place de l'Etat doit être pensée
à l'intersection de la liberté individuelle et de l'ordre
public. Entre respect de la vie privée et répression de la
cyber-criminalité,
entre droit d'expression et lutte contre les propos et contenus illicites,
les solutions doivent participer d'un équilibre du juste-milieu.
Tout cela a un sérieux air de déjà-vu. Ce qui est
nouveau en revanche, c'est moins la nature de la régulation à
opérer que son envergure, son échelle nécessaire :
mondiale, à l'image du réseau lui-même. Et à
régulation planétaire, autorité de régulation
globale, pense-ton spontanément. Certes, mais laquelle ? L'ICANN,
un avatar d' A.R.T. ou une instance démocratique encore à
inventer ? Voila la politique ramenée à son défi le
plus pressant et le plus ardu : la délégation des souverainetés.
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