Le gouverneur général des Antilles redemande les Français prisonniers à Porto Rico (1673)


Introduction

Suite au naufrage de L'Écueil, portant un contingeant de flibustiers, boucaniers et habitants de Saint-Domingue, aux côtes de Porto Rico, le gouverneur de cette colonie espagnole, Gaspar de Arteaga, refuse de rendre la liberté aux survivants de ce naufrage (voir la lettre d'Ogeron du 1er octobre 1673). Il s'ensuit un échange de correspondance pour la libération de ces hommes entre Arteaga et le gouverneur général des Antilles françaises, M. de Baas. Dans le présent document, ce dernier, parmi ses arguments, invoque l'état de paix régnant entre la France et l'Espagne. Mais la guerre sera bientôt officielle avec l'Espagne (voir la lettre du ministre à d'Ogeron, du 24 janvier 1674). Et les survivants de cette affaire de Porto Rico, qui ne seront pas morts ou qui n'auront pu s'échapper comme leur gouverneur ou son neveu Pouancey ne recouvreront leur liberté qu'à la fin de cette guerre. Plusieurs, dont d'Ogeron le gouverneur de Saint-Domingue, reprocheront pourtant à Baas la manière dont il conduisit les pourparlers avec les Espagnols (voir la relation détaillée d'Ogeron concernant toute cette affaire ainsi que le résumé de la lettre du sieur de Ruau-Pallu).


contribution: Dominika Haraneder.

M. de Baas au gouverneur de Porto Rico

29 novembre 1673.

Je ne sais comment répondre à la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 24e de septembre dernier parce que, pour pouvoir délivrer les sujets du Roi qui sont détenus à Portorico, vous m'imposez deux conditions qui ne sont pas seulement trop dures mais il est impossible qu'elles soient exécutées. Pour la première, vous saurez que les vaisseaux qui sont au Roi ne vont point sur la mer sans canon et sans armes principalement dans un temps de guerre où l'on a des ennemis à craindre; et aussi il semble que vous nous marquiez obligemment de n'en point envoyer du tout. La seconde demande que vous faites d'envoyer trois mille pièces de huit est si exhorbitante qu'elle paraît vouloir mettre à rançon les sujets du Roi comme s'ils étaient prisonniers de guerre. Ainsi vous nous faites fort bien connaître que vous voulez que nos gens restent en votre pouvoir et qu'ils y soient accablés par les souffrances, puisque vous empêchez qu'on ne puisse les secourir.

Enfin ces considérations qui sont faites et qui me seront un jour mieux expliquées m'ont obligé de vous envoyer une frégate du roi pour savoir de vous précisément ce pourquoi vous avez retenu huit ou neuf mois l'équipage d'un vaisseau du roi qui a échoué sur les côtes de votre île et pourquoi ne pas permettre au nommé Bernard Dubois et Mesman qui ont été envoyés exprès à Portorico avec des barques de parler et de communiquer avec aucun officier ni soldat français, au moins pour nous informer de leur état et des moyens de les secourir. Croyez-vous j'aurais eu et usé de tant de rigueur avec aucune nation même lors qu'on est en guerre déclarée. Il n'y aura donc que les habitants de Portorico qui, sans considérer la parenté de nos rois et leur alliance, leur amitié et la paix de laquelle leurs sujets jouissent, feront des violences aux traités solemnels, à l'hospitalité et à la raison.

Je vous aie déjà écrit qu'un navire espagnol appartenant au sieur Juan de Barassoüete, qui échoua l'an passé à la Martinique, fut non seulement secouru mais lui et plus de six-vingts personnes traités si favorablement qu'après les avoir retenus près d'un mois et payé tous les frais de leur dépense, je leur donnai une barque pourvue de vivres et cent pièces en argent pour les conduire à la Terre ferme. Mais, en revanche, lesdits Français que le malheur de la mer a conduit à Portorico y sont plus mal traités qu'ils ne l'auraient été parmi les nations barbares. Je dis tellement maltraités que, si ce qu'on m'a rapporté est véritable, il en est mort la moitié par la rigueur de la faim et de la misère. Déclarez-moi donc M., s'il vous plaît, pourquoi vous avez retenu si longtemps les sujets du Roi, car vos raisons du président de St-Domingue et du relâchement de votre barque ne sont pas admissibles. On figure des ordres et des accidents quand on veut pourvu que la figure conduise à la fin qu'on se propose. Et cette fin est la mort réelle des sujets du Roi dans Portorico.

Si ma pensée n'est pas juste et si vous jugez qu'il y ait erreur, désabusez-moi en m'envoyant les Français qui pourraient contenir dans ce bâtiment du roi. Et après j'en envoierai un plus grand pour ramener ceux qui resteront; car, pour des vaisseaux sans canon et sans armes, l'on ne peut pas les envoyer en temps de guerre et, pour les trois mille pièces de huit, il faudra que vous preniez la peine d'écrire vos prétentions à M. l'ambassadeur d'Espagne, qui est à la cour de France, afin qu'il fasse cette discussion avec MM. les ministres du Roi qui, sans doute, auront égard au paiement de la dépense qui a été faite; mais il faudra savoir comment cette dépense a été administrée car en un fait semblable, on y procède avec connaissance et non pas en se faisant la loi soi-même.

Voilà M. ce que j'ai voulu vous faire savoir au sujet des Français qui sont retenus par votre ordre et pour satisfaire à mon devoir envers le Roy, auquel j'envoierai votre réponse, qui, sans doute, sera envoyée à la cour d'Espagne avec les éloges de votre générosité, si par cette occasion vous relâchez nos gens ou avec la plainte de votre rigoureuse procédure si vous refusez leur liberté et sur quoi vous prendrez votre parti comme je prend celui de vous assurer que je suis V. S.


source: Archives nationales, Colonies, F3 164: fol. 263-266.
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