Introduction
En 1673, la France est en guerre avec les Provinces Unies des Pays-Bas. Le gouverneur général des Antilles françaises, le sieur de Baas, demande le concours de la colonie de Saint-Domingue pour aller attaquer la colonie néerlandaise de l'île de Curaçao, l'un des plus importants centres de commerce en Amérique (voir sa lettre de février 1673). La présente relation, rédigée par d'Ogeron, le gouverneur de la côte de Saint-Domingue, raconte ici le détail de l'aventure d'une partie des ces flibustiers, boucaniers et habitants qui s'engagèrent pour cette expédition. D'Ogeron ne parle pourtant pas de leur participation à celle-ci puisque ils ne purent jamais joindre Baas, lequel d'ailleurs ne fit rien qui vaille à Curaçao (voir sa lettre d'avril 1673). En effet, suite au naufrage de L'Écueil sur lequel eux et d'Ogeron lui-même s'étaient embarqués, les gens de la Côte se retrouvent à Porto Rico, littéralement à la merci des autorités espagnoles de l'île. Le gouverneur de Porto Rico, Gaspar de Arteaga, n'entend pas laisser passer pareille chance d'éliminer ces gens qui sont, pour la plupart, des flibustiers et aux yeux de l'Espagnol, et à ceux de ses compatriotes, des pirates. Mais la paix règne entre l'Espagne et la France. Il n'y aura pas de massacre mais l'arme des Espagnols n'en sera pas moins redoutable: la faim. Voilà pour la première partie de cette relation. Dans la seconde, d'Ogeron et une poignée d'autres parviennent à s'enfuir et à rallier l'île de la Tortue. De là, il monte une expédition à dessein d'aller libérer la majorité de ses compagnons restés prisonniers à Porto Rico. Il rassemble ainsi environ 500 hommes qui s'embarquent sur quelques petits bâtiments flibustiers dont un commandé par Dumoulin et deux prises que celui-ci vient de faire sur les Espagnols de Cuba (pour ces détails, voir sa lettre du 1er octobre 1673). Le mauvais temps et le manque de vivres vont pourtant faire de cette expédition un échec. Mais, dans l'esprit d'Ogeron comme il l'écrit lui-même presque ouvertement, la faute en incombe à son supérieur Baas dont la lenteur d'action a rendu impossible la libération des prisonniers. D'ailleurs il n'est pas le seul à blâmer le gouverneur général (voir le résumé de la lettre de Ruau-Pallu). Il faut avouer que les conflits entre le gouvernement général des Antilles françaises et de celui de Saint-Domingue, dont les intérêts divergeaient, entre autres, sur l'attitude à adopter envers la flibuste, furent nombreux jusqu'à la fin des années 1680 (voir la lettre de Baas de décembre 1669, l'affaire Lemoign, la campagne du marquis de Maintenon et l'introduction aux documents relatifs à l'affaire La Saulaye et le mémoire concernant les abus des armements des flibustiers).
Relation de M. d'Ogeron de sa perte et de celle des habitants de St-Domingue sur Portorico 12 avril 1674. Monsieur de Baas m'ayant envoyé L'Écueil et La Petite-Infante, deux vaisseaux du roi, afin d'embarquer dedans le plus de gens que je pouvais pour l'entreprise de Corossol, je fis promptement savoir cette nouvelle aux habitants de Léogane où j'étais et, sans attendre leur réponse, parce qu'il fallait un jour pour l'avoir, j'allai trouver au Petit Goave, à cinq lieues de là, M. Bodard, commandant l'Écueil. Quoiqu'il fût si tourmenté d'une colique qu'à peine pouvait-on lui parler, je ne laissai pas de lui faire connaître que les habitants de la côte St-Domingue auraient bien de la peine à se résoudre à quitter leurs habitations, d'autant qu'ils étaient dans le fort de la levée de leurs tabacs. M. du Bonneau, capitaine de la Petite-Infante, était présent, qui n'oublia rien pour m'obliger à faire ce que M. de Baas désirait de moi, jusques à me prier de sa part d'accompagner ceux que je lui envoyerais. Comme l'affaire pressait, j'allai à l'heure même parler aux habitants de Léogane que je trouvai, contre l'opinion que j'en avais conçue, résolus à partir. Ils demandaient seulement que je voulusse m'embarquer avec eux, étant persuadés que ma présence avancerait leur retour et empêcherait, si Corosol était pris, qu'ils n'y restassent en garnison. Quoique je ne visse rien à craindre du côté des risques de la mer à cause de la saison et qu'il fût d'ailleurs fort difficile aux Espagnols de prendre si justement le temps de mon absence, qui ne devait être que de cinq ou six semaines, pour faire des entreprises sur la colonie, je n'aurais pas accordé à nos habitants la prière qu'ils me firent si M. de Baas ne m'avait point fait faire lui-même prière par M. de Bonneau, de la parole duquel je ne pouvais me défier, M. de Baas m'ayant écrit que je prisse toute confiance en ce que M. Baudard et lui me diraient. Ayant donc donné ma parole aux habitants de Léoganes, je fis embarquer, le lendemain, cent d'entre eux dans la Petite Infante et j'en menai cent autres au Petit Goave, qui furent embarqués dans l'Écueil avec deux cents autres hommes qui furent tirés des autres quartiers de la côte St-Domingue. Nous prîmes ensuite la route de la Tortue où M. Baudard, étant arrivé le 18 février 1673, y séjourna un jour seulement pour y prendre des victuailles, aussi était-il fort pressé, le rendez-vous général étant assigné à l'île Ste-Croix au quatrième jour du mois suivant. Nous eûmes le temps et le vent si favorable que nous aurions pu arriver le premier mars sans les pilotes qui firent échoir l'Écueil, la nuit du 25 au 26e février, trois heures devant le jour, sur des cayes qui sont au nord de l'île de Porteric. Nous crûmes d'abord être perdus, ce qui serait assurément arrivé si le fond du vaisseau s'en fut allé en morceau comme l'on appréhendait. Le petit jour étant venu, nous connûmes que ces rochers escarpés, vis-à-vis desquels nous nous étions perdus, n'étaient point si hauts qu'un homme ne pût sauter dessus. Alors on porta des cordages à terre et, avec la chaloupe, on sauva plus de la moitié des gens du vaisseau. Et on aurait tout sauvé sans le mauvais temps qui survint et qui fut cause qu'on remit à sauver le reste à un premier beau temps qui n'arriva que trois jours après. Comme il était impossible de rien retirer du vaisseau, nous fûmes obligés, sans savoir où nous étions, de prendre le premier chemin que nous rencontrâmes, qui nous conduisit au lieu appelé St-Hillaire de la Résive, à douze lieues de la ville de Porteric, vers l'est, où il y avait cinq à six habitants qui nous reçûmes assez bien. Dès le lendemain, M. Bodard qui se portait mal envoya son lieutenant avec un mien neveu au gouverneur de Porteric, qui savait déjà que nous étions presque tous sauvés, en chemin pour le prier de nous secourir et nous permettre de dépêcher à Ste-Croix pour informer M. de Baas du malheur qui nous était arrivé. Mais, bien loin de nous accorder cela, il retint nos envoyés prisonniers et nous envoya son major, qui fit camper nos gens et nous fit garder aussi exactement qu'il pût. Le lendemain [27 février 1673], le gouverneur de Porteric envoya exprès une barque au président de St-Domingue pour l'informer de ma détention et de celle de plusieurs habitants de la côte St-Domingue afin de l'obliger de se servir de cette occasion pour chasser tous les habitants français de son île. Ce président, quelque temps après, lui envoya deux officiers qui, après avoir été trois jours à Porteric, me vinrent voir en repassant et me firent plusieurs menaces jusqu'à me dire qu'ils allaient visiter Léoganne et le Petit Goave, nos principaux quartiers. Je ne leur répondis quoi que ce soit: je ne voulais pas même me plaindre de mon extrême misère dont ils avaient été informés, et savaient que je couchais dans le même lieu où l'on renferme les criminels, ayant pour compagnie une infinité de fourmis, dont les morsures me causaient mille incommodités, qu'un peu d'herbe sèche à mettre sur ma tête, quoique la terre où je reposais fut extraordinairement humide. Dans ce même temps-là arriva de la ville du Portoric une barque pour emporter toutes nos armes et quelques menus cordages de l'Écueil. Sur cela, la pensée m'étant venue de nous emparer de ladite barque, je le proposai à M. Bodard qui n'y trouva aucune difficulté. Je lui dis que je me rendrais maître des Espagnols et de leurs corps de garde que nous mettrions le contador, major de la ville et le major du lieu, qui étaient là présents, prisonniers dans ladite barque et qu'à leur considération on ne nous maltraiterait pas apparemment ceux de nos gens qui resteraient à Porteric. Toute la difficulté que me fit M. Bodard fut que tout le monde voudrait s'embarquer, à quoi je répondis que aucun des habitants de la côte St-Domingue ne s'embarquerait que je demeurerais avec eux pour servir de victime, s'il le fallait, et que je ne craindrais point de dire que j'était l'auteur de cette entreprise. Avec tout cela, M. Bodard ne put s'y résoudre, de crainte d'avoir le déplaisir, à ce qu'il disait, d'apprendre qu'on eût égorgé tous les gens du vaisseau, et que ce serait un reproche qu'on pourrait lui faire qui serait capable de le faire mourir. Mais ce qui, selon toutes les apparences, l'empêchait d'être de mon sentiment c'est qu'il espérait toujours que M. de Baas nous envoyerait chercher. À la vérité, on pouvait l'espérer avec raison. Voyant le refus que me venait de faire M. Bodard, je pris résolution de me saisir de la barque. Mais M. Bodard s'en était défié sur ce qu'un mien domestique, à qui j'avais donné la conduite de cette affaire, me vint parler devant le jour. Je me vis contraint de ne point penser à l'enlèvement de cette barque, de crainte que les Espagnols ne prissent là l'occasion de maltraiter encore davantage nos Français. Ainsi la barque s'en retourna à Porteric. Comme il ne restait plus dans le lieu que deux petits canots que les Espagnols ne faisaient point garder, ne les croyant pas capable d'aller une lieu en mer, je trouvais trois personnes qui voulurent bien risquer avec moi, Mais, lorsque nous fûmes dans ledit canot, le courage manqua à celui qui nous devait conduire, appelé Laforêt, lequel pour rompre l'entreprise feignit que la jarre où était notre provision d'eau était gâtée. Et, quoique nous voulussions aller quérir une autre jarre, il refusa d'y entendre sur ce qu'il n'était que trois heures devant le jour et, au lieu de ramener le canot où il l'avait pris comme il nous l'avait promis, afin de nous en servir la nuit suivante, il le laissa auprès du corps de garde espagnol et y rompit notre jarre, ce qui fit juger à tout le monde qu'on avait eu envie de se sauver. Deux jour après, on envoya tous les Français en un lieu appelé La Gonade sans me vouloir permettre de les accompagner. Aussi je ne pouvais plus former aucune nouvelle entreprise. Mais, de la Gonade, nos Français étant allés dans un lieu appelé La Savanne malheureuse, où ils mourraient de faim, plusieurs se sauvèrent, quoiqu'ils furent soigneusement gardés par les Espagnols. Ils retournèrent vers le premier poste de la Résive. Alors je fis un nouvel équipage et pris le même canot où j'avais cru me sauver trois mois auparavant. Quant aux habitants de la Résive, je n'ai rien rien vu de plus raisonnable et de plus humain. Ils étaient si persuadés que M. de Baas ne manquerait pas à venir nous retirer avec son armée, et d'autant plus que Porteric n'est qu'à 8 lieues des chemins de Ste-Croix - et qu'on ne s'éloigne presque point de passer par là pour passer à Corosol puisque la bande de l'ouest de Porteric c'est vent largue pour y aller - et peut-être qu'ils craignaient s'ils nous maltraitaient, nous en aurions eu du ressentiment et en tirerions vengeance à l'arrivée de M. de Baas. Étant arrivé dans mon petit canot à la Tortue et à la côte St-Domingue, je fus extrêmement surpris d'y apprendre l'obstination de M. de Baas à vouloir croire que nous étions tous morts, quoique par le récit que lui a fait M. du Bonneau, il fut aisé de juger qu'infailliblement nous avions péri à Porteric dont les Espagnols ont, de tout temps, passé pour les plus cruels et les plus méchants hommes du monde. Mais d'ailleurs aurait-il tout tenté à y envoyer une barque pour s'informer de nous, le gouverneur de Porteric ne nous aurait point celé et ne pouvait. Cependant une si grande négligence a été cause qu'on a délibéré de nous massacrer tous et pour le faire avec plus de facilité, ils ne nous donnèrent que deux rations de viande en huit jours. Et le major de la ville, qui était à notre poste de Résive, défendit très expressément aux habitants de ne nous rien vendre pour quelques chemises qui nous restaient, dans le même temps qu'ils avaient mis deux cent cinquante hommes sur une rivière que nous devions passer, en allant à l'aiguade, les Espagnols ayant eu dessein de nous faire le même traitement qu'ils firent il y a vingt-trois ans au frère du prince Robert, qui avait fait à Porteric un naufrage semblable au nôtre, quant à sa personne elle fut empoisonnée mais ses gens qui étaient en fort grand nombre furent tous massacrés au pied d'une montagne qu'on appelle encore à présent la montagne des Anglais. Comme je ne m'étais sauvé de Porteric que dans la pensée d'y retourner pour en retirer ceux de nos gens qui n'étaient pas encore morts de faim et de misère, je ne fus pas plutôt arrivé à la Tortue que j'ai travaillé avec empressement à l'exécution de ce dessein, en sorte que ceux qui devaient m'accompagner se trouvèrent le 15e septembre dernier au rendez-vous que je leur avais donné. Nous ne partîmes toutefois que le sept octobre, de crainte des ouragans qui arrivent ordinairement depuis le 15e jusqu'au 25e septembre. Dès le même jour de notre départ, l'ouragan parut, qui nous obligea de relâcher où nous pûmes sans perdre aucun de nos petits vaisseaux, en quoi nous fûmes fort heureux. Deux jours après, nous fûmes en état de nous remettre en mer et nous recommençâmes notre voyage. Nous eûmes les vents assez favorables jusques à Montre Christ, à trente lieues, mais depuis Montre Christe jusques à Samana, nous eûmes les vents et les marées si contraires que mon vaisseau, qui était le meilleur voilier, fut près d'un mois à s'y rendre, quoiqu'il n'y ait que cinquante lieues. Sitôt que je fus arrivé à Samana, je partis pour la Gonade, qui est à la bande de l'ouest de Porteric, non tant pour parler aux Espagnols que pour savoir si il n'y avait point de capres hollandais qui aurait pu nous perdre entièrement. Et c'est ce que j'appréhendais le plus, parce que nous n'avions aucun canon dans nos petits bâtiments. Ayant fait parler à ceux de la Gonade, ils dirent que le gouverneur n'avait point d'autre dessein que de rendre les Français et qu'il avait donné ordre d'envoyer à la ville de Porteric les vaisseaux qui les viendraient demander. Cela nous fit juger que le gouverneur nous voulait chicaner là-dessus puisqu'il nous était impossible de gagner jusques à Porteric, quoiqu'il n'y ait que 24 lieues à l'ouest, au vent, tant que les brises étaient fortes. Quatre heures après être sortis de la Gonade, il s'éleva un vent si extraordinaire de nord-est et le lendemain un si grand vent de nord qu'il emporta toutes nos voiles et ouvrit notre petit vaisseau, de telle sorte que nous crûmes tous périr. Nous étions alors dans le plein de la lune et nous n'avions autre espérance pour que le détour nous serait plus favorable, qui fut néanmoins si fâcheux qu'il nous fut impossible de mettre en mer que le 3e de la lune suivante. Comme nous n'avions su faire de provisions de viande à Samana, nos victuailles étaient presque toutes consommées. Aussi y avait-il près de deux mois que nous étions partis de la Tortue où j'avais acheté à la côte St-Domingue tout ce qui s'était pu rencontrer. Nous ne nous pouvions pas figurer d'être plus de trois semaines ou un mois à gagner Porteric, qui est le temps ordinaire qu'on a accoutumé d'y employer. Dans cette nécessité de vivre, nous partageâmes tout ce qui nous restait et nous nous remîmes en mer. Mais les brises commençaient à se trouver si extraordinairement fortes que la moitié de notre petite flotte fut obligée de relâcher. Et nous fûmes huit jours à battre la mer pour nous rendre à la bande de l'ouest de Porteric, ce qui se fait d'ordinaire en deux jours. Étant arrivés avec deux vaisseaux, nous fîmes un bataillon de près de 300 hommes. Nous fûmes deux jours dans les terres et prîmes des prisonniers qui nous promirent de nous donner de la viande pour de l'argent et d'avertir le gouverneur de Porteric du dessein que nous avions de ramener nos Français avec nous, et nous dirent qu'en attendant de leurs nouvelles nous pouvions chasser pour vivre. Le troisième jour, voyant qu'ils nous manquaient de parole, et qu'ils ne nous apportaient point les vivres dont nous avions arrêté le prix ensemble, nous allâmes à deux lieues de là pour en chercher. Mais, en y retournant, ils dressèrent une embuscade à nos chasseurs et en tuèrent dix-sept. Je puis vous assurer que ce ne fut point impunément et qu'il en fut tué deux fois autant des leurs. Étant de retour au bord de la mer, je voulus retourner au lieu où nous avions été attaqué, mais j'y trouvais tant d'obstacles que je ne pus exécuter mon dessein. Je considérai aussi que, ne pouvant vivre que de chasse, les Espagnols pouvaient tous les jours nous tendre des embuscades parce que pour chasser utilement il faut que les chasseurs se séparent les uns des autres sans pouvoir faire notre gros ni former après deux bataillons. J'appréhendais de plus que durant une si longue absence le président de Saint-Domingue ne fit quelques entreprises sur Léogane, qui est le principal quartier de la côte St-Domingue, à cause du grand chemin qu'il a fait faire dans le temps que nous étions à Porteric, lequel aboutit à 5 lieues de Léoganne et qui nous oblige à prendre un soin tout autre que nous n'aurions pris par le passé. Ces raisons me firent résoudre de retourner promptement à la Tortue où j'arrivai quatre jours après les fêtes de Noël. Dans un même temps, les Espagnols donnèrent dans le quartier du Cap qui est à douze lieues au vent de la Tortue, tuèrent deux hommes et se retirèrent incontinent. Depuis j'ai quitté la Tortue. Je suis venu demeurer à la côte St-Domingue, au quartier de Léogane qui est le plus exposé et aux plus grands dangers. Je prétends le faire fournir plus abondamment qu'il n'a été de tout ce qui lui fait besoin, étant comme le centre de la colonie. Il ne se peut rien ajouter au déplaisir que j'ai de n'avoir pu réussir quand je partis de la Tortue. Mon dessein était d'aller droit à St-Hillaire de la Résive où sont logés nos Français, et à huit lieues de là, afin de les tirer de la captivité où ils sont. Cela nous aurait été très facile si le temps nous avait été favorable. Mais, comme nous avons essuyé deux nords, qu'il n'y a point de mouillage à St-Hillaire et qu'il faut en sortir bord sur bord, nous appréhendions qu'un troisième coup de vent nous jettât à la côte de Porteric, particulièrement à cause que nous n'avions ni bons cables ni bonnes ancres ni bonnes voiles, ce qui nous aurait entièrement perdus et même le rete de la colonie, joint à cela que les vivres commençaient à manquer. Nous avions un guide avec nous qui nous promettait de nous faire prendre la ville si nous pouvions y arriver dans un temps favorable. Mais il fallait pour cela que monsieur de Baas eut envoyé un ou deux vaisseaux de force, ce que je devais aucunement espérer, lui en ayant écrit plusieurs fois et croyant qu'il devait être peu porter à procurer la liberté de nos gens que moi-même dont le zèle et la passion m'ont tout fait entreprendre, jusqu'à faire cette entreprise à mes dépens quoique tous le monde sache que je ne suis pas fort accommodé. Mais je veux bien croire que M. de Baas ne la pût être et qu'il prétend me plaindre de notre malheur qui nous prive de 300 habitants, les meilleurs de la colonie et dont la perte est presque irréparable. |
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