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Les monades.

Fannie avait fait de drôles de rêves, la nuit suivant la visite de Boudedieu. Elle avait vu des grenouilles envahir sa chambre et nager au-dessus d'elle. Puis un cauchemar: un homme, au bord de sa fenêtre,qui n'était pas le charmant visiteur de la veille. Cet être voulait envahir son espace. Mais, la vision s'était effacée pour faire place à une maisonnette toute blanche qu'elle visitait avec Eggraegore, un Eggraegore vêtu d'habits princiers, qui chantonnait des airs envoûtants. Dans son sommeil, elle se laissait charmer par son image. Elle rêvait le bonheur aux bras d'un homme aux yeux doux, profonds, affectueux, dont la voix grave avait quelque chose qui ressemblait à une voix qu'elle avait déjà entendue, une voix chère qui lui traversait le corps et atteignait son âme déjà toute attendrie; cette voix, elle la reconnut comme étant celle de son père disparu dans les horreurs de la guerre du Viet-Nam.

Elle entretint sa mère de ses rêves, comme elle se plaisait à le faire la matin, au petit déjeuner.

- Ces rêves ou ces cauchemars, appelle-les comme tu veux, ce sont des monades qui viennent plaider tout-à-tour pour ou contre quelqu'un... Mais dis, ma fille, aurais-tu été troublé par notre visiteur de la veille ?

- Peut-être... répondit Fannie, l'oeil un peu lointain. Ce jeune homme est fort beau et il parle avec grande douceur. J'y ai pensé durant la nuit, avant mon sommeil. J'y pense encore, maman..., on dirait qu'il a pris racine dans mes pensées...

- Ne serait-ce pas le parfum de ces jolies roses qui te trouble ainsi ? Tu sais, il sait s'y prendre, ce jeune homme...

- Il est courtois... Il souhaite d'autres rencontres, il m'en a parlé discrètement.

- Allons, Fannie, rien ne s'oppose à ce que tu revois ce garçon et la meilleure des choses, c'est d'oublier ces rêves. Ils plaident en toi le pour et le contre de l'introduction d'un étranger dans ton monde personnel. Tu as déjà vu d'autres jeunes au cours de tes études. Tu n'as jamais fait de rêves traumatisants; laisse aller les choses. Rappelle-toi que tu es toujours maîtresse d'une grande part de ta destinée.

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