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- Qu'est-ce qui vous est arrivé, ensuite?
- Devrais-je te le raconter?
- On ne commence jamais une histoire sans la finir... Ça ferait de la peine aux enfants!
" Je dormais très peu, sans rêve. Au lever, je me rasais en vitesse, changeais de vêtements, avalais une bouchée avant de retourner au travail en sifflottant ma bonne humeur à la face des passants. C'est tout comme si je voulais leur rire au nez car je les imaginais comme une bande de cocus ignorant bêtement que le petit gratteur de papier avait une maîtresse. C'était comme une vengeance contre tous ceux qui restaient indifférents à mon passage dans la rue. Qu'eussent-ils pensé s'ils s'étaient doutés... Mais le plus drôle, c'était devant mon patron, un chef en apparence irréprochable mais dont les décisions cachaient toujours quelque chose de sournois : il maniait ses mains de manières affectée; archipatelin il regardait ses subalternes de du haut de sa grandeur; parfois artificieux, benoît,il se faisait cachottier,dissimulateur. On ne savait jamais l'intention dissimulée sous ses manières doublement doucereuses... Était-il déloyal... J'étais jeune, à l'époque mais il m'apparaissait faux, fuyant, indistinct, insidieux, insinuant lors de ses questions architecturées, presque hypocrite pour ne pas dire fourbe.Ses attitudes latentes, mielleuses, me rendaient intérieurement méfiant. En d'autres mots, je n'aimais pas sa patte pelue... Je te dis tout cela pour que tu puisses voir l'ambiguité des sentiments qui bouleversaient mes pensée d'alors... Mon attitude, avec le regard que je porte sur les choses, aujourd'hui, était sans doute celle d'un ado retardé. Il m'arrive parfois de m'accuser de perfidie, pour l'avoir considérer ainsi... Tout cela était dû à ma vie secrète, simulée. Je demeurais sourd devant les questions qui auraient pu trahir ma vie d'amoureux , je ne voulais pour aucune considération passer pour un tartufe, un tortueux trompeur, un traître... Quelle époque ! Que d'horizons fermés aux êtres en découverte d'eux-mêmes!
-Mais tu t'en es sorti!
Grâce à la rencontre d'Ange-Aimée et à la fréquentation de ses amis . Elle me les présenta un soir lors d'une danse. L'un s'appelait Clément Morel, l'autre André Aubois.
Clément sortait avec Françoise. Au premier abord, elle se présentait comme une femme charmante, aux grands yeux enfoncés, bordés de cils noirs... Elle avait l'air d'une monade sereine . Clément la regardait et conversait avec elle ... Elle se révéla peu à peu, affirmant un personnage aigre, brutal grossier. Elle m'apparut ensuite invonvenante, rude, violente.
Morel lui répondait sans brutalité ni grossièreté mais il paraissait comme aigri, devenait parfois rude.
L'aimait-il ?
Il semblait la respecter en se méfiant tout à la fois de ses inconvenances. Elle l'entourait souvent de ses bras, le caressait devant nous en des endroits que je n'ose décrire. Elle était crue, caraissait aigrement, brutalement, grossièrement; ses manières m'apparaissaient inconvenantes, rudes... Jamais je n'aurais toléré une telle effronterie. Je n'avais vu qu'une fois une fille comme ça: elle s'appelait Désirée Trente-Sous. Elle suçait tous les gars qui lui donnait $0,25. Elle était connue des garçons de la ville pour avaler une bitte et ne la quitter qu'après soumission !
- Elle a gagné sa vie comme elle a pu. D'ailleurs, elle est toujours dans la quartier et si tu la vois, tu seras surpris de sa souplesse, remarque Célia.
-Je ne puis juger de ce qu'elle fait ou de ce qu'elle a fait. Elle a donné beaucoup de joie aux hommes et sans trop demander! Remarque bien que j'aurais peut-être aimé me laisser faire la même chose...
Mais je continue mon récit... L'aigreur, l'acariâtreté, l'acerbité me semblaient les dominantes du caractère de Françoise. Ses besoins fondamentaux n'avaient peut-être pas été satisfaits: l'amour parental avait probablement fait défaut? Elle avait tous les us d'hommes. Un moment, je me disait qu'elle avait été dominée par son père. Etait-ce un besoin de domination du mâle avec qui elle vivait et pour qui et devant qui elle ne manifestait aucun des signes de l'éducation traditionnelle, ou était-ce de sa mère qu'elle avait appris que le monde de la femme n'était pas le monde de l'homme et qu'un simple attouchement de la queue pouvait le néantir ? Elle y allait sans remords, en tous cas. Franzella et moi fréquentions ces copains. Ce ne fut que peu à peu que le caractère de ma copine m'apparut s'aciduler, s'acariâtrer; elle devenait acerbe, prenait de l'ascendant sur moi. Nos relations devinrent caustiques, à certains moments, je ne pouvais réprimer des expressions de colère de ma part. Cette crudité dans nos relations, cette dureté dans nos conversations, ces dépits dans nos amours,ces désagréments...m'attachaient de plus en plus à elle. On aurait dit que plus elle me bousculait, plus je la sentais présente... Tour à tour vivant une excitation fielleuse, une haine en ondulation,ma hargne s'étendait à tout ce que la vie a d'agréable,une humeur hyperchlorhydrique naissait en moi,une irritation semblable à celle de l'alcool qu'on ingurgite de plus en plus, à mesure que l'estomac brûle.Peu à peu, la malveillance, la maussaderie,la méchanceté,la rancoeur, le, ressentiment m'amenèrent à une rouspétance,une récrimination, jamais satisfaite. Ce monde se révélait dans une tourmente de sensations physiques et spirituelles où la vindicte, l'âcreté, l'âpreté disparaissaient dans un mélange de joies passagères, de soumission absurde.Les limites de l'éducation reçue disparaissaient: plus de barrières,de bas-côtés,de bords, bordures, bornages, bornes, bouts, cadres... Franzella me dominait... Elle m'avait fait déborder les limites du cercle antérieur, j'avais devant moi le circuit ouvert, sans comble défini. Nous étions au commencement de la révolution, aux confins de l'autre monde,libres de créer des contours nouveaux,horizonnés de domaines à conquérir, sans début, ni déficience, ni délimitation, ni démarcation, ni enceinte, ni entrave... Nous étions aux extrémités,sinon aux extrêmes... Ni faîte, ni fin, ni frein,ni frontière, ni ligne, ni limitation, ni lisière ne bornaient nos horisons... marche, maximum, mesure, minimum, moyen, orée, plafond, Nous étions les définisseurs des possibilités,les traceurs de périmètres, sans restriction,au seuil de la sphère,au summum de la vie, séparés des autres, au terme de notre finitude.