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Je m'attendais à aller au lit en arrivant. Rien de cela. Dans un affairement inédit, Ange-Aimé s'affolait à chercher des aliments. D'après la convulsion des lèvres et les spasmes de la poitrine, elle m'apparaissait plus affamée qu'à faire l'amour...Pourtant, n'avions nous pas réalisé tout ce qu'il y avait de plus difficile à faire ? Franchir un, peut-être deux kilomètres sur une voie ferrée ne possédant pas de garde! Dans son excitation, elle bouleversait, bourrasqualait, bousculadait, faisait un branle-bas, un bruit infernal.
- Mais tu vas réveiller tous les voisins !
Elle ne me répondait pas, ne prenait même plus soin de s'informer de ce que je pouvais penser! Ne nous étions-nous pas amusés à jouer un jeu dangereux, dans la noirceur, qui pouvait paraître difficile à d'autres mais dont nous nous étions tirés avec aisance pour ne pas dire grande facilité ?
Dans une animation exacerbée, elle bousculait tout, faisait un branle-bas sans pareil alors que j'aurais désirer me laisser tout simplement aimer!
Elle grouillait sans savoir s'arrêter, furetait par les fenêtres, fracassait le silence de tout ce qui nous entourait dans l'aurore de ce matin nouveau... Les soubresauts s'arrêtèrent peu à peu, la nervosité tomba lentement, la tempête finit par se calmer...
- Mais enfin, de quoi s'agit-il ? N'était-ce pas une simple ballade au-dessus d'un endroit difficile mais dont il nous fallait franchir les épreuves ?
- Je me tourmente pour mes amis...
- Vraiment, tu m'apparais un peu stupide, du moins, sur les bords de la...!
- Que veux-tu dire ?
- Moi, je fais le sexe avec toi et c'est tout ce qui m'importe, répondis-je d'un ton moqueur.
- Eh bien! tu te trompes. Une femme t'accepte avec elle pour autre chose. Tu n'as rien fait pour mes amis. Tu ne t'es pas jeté au bas du tracel pour aller voir comment ils-allaient?
- Mais je me serais tué!
- Viens dehors. Le soleil réchauffe déjà l'embarcadère!
-Mais nous n'avons pas encore dormi!
- Tu dormiras au soleil!
La volupté fut mon héritage. Le bien-être succéda à cette longue nuit d'équilibrisme; seul, sur le quaie, allongé, préoccupé de rien, le bonheur m'accueillit, me proléguant caresses, contentements, délectations,délaissé sur les rives du lac qui ne laissait entendre que le chant des mésanges, que la voix criarde des corneilles, que le croassement des grenouilles à travers lequel on distinguait le rituel d'un mâle en soif de reproduction.
Ange-Aimée s'approcha de moi. Je ressentis de la joie,des délices, de l'enivrement...Sans qu'elle eut à me toucher, une indéfinissable molesse me remplit de sensualité, de lascivité, de jouissance, d'érotisme, d'ivresse organismique.
Je sombrai dans un bien-être voluptueux, bercé par le chant des oiseaux et le clapotis de l'eau qui tapait doucement la margelle du quai. Le bonheur, le calme, le contentement créaient autour, et en moi, de l'enivrement, de l'euphorie... C'était l'extase, la félicité, la joie, la paix baignant mon être dans une prospérité spirituelle indescriptible. J'étais dans un état de quiétude, de ravissement, de béatitude semblable à celui dans lequel les saints me regardaient, du haut du ciel bleu.
Ce ne fut pas, hélas!, la belle Diane qui me tira du sommeil.
À peine la revivification avait-elle commencée que la sonnerie de l'appel vibrait à mes oreilles pour une mission de survie. J'eus l'impression d'une bagarre, d'une bataille, d'artillers qui sonnaient dans mes oreilles... Un cri de survivance! Non, c'était Clément Morel et Françoise, tous deux au-dessus de mes yeux... Quelle vision trimbalante ! L'érection dont j'étais le sujet disparut subrepticement... Reviviscence, revivification, survivance? Il fallait me lever. Je puisai dans mes accumulateurs toutes les énergies dont ils disposaient... Je sortis des breloques du sommeil , répondant à l'appel de la survivance! Le revif fit place aux rêves, la résurrection à l'oublie, dans un renouveau sans rappel du passé.
- Viens! Nous allons nous reposer des niaiseries de la nuit passée...
- Mais, où allons-nous, fis-je.
- La marmite risque de chauffer ici. Une randonnée en forêt nous fera du bien. Nous irons vers St-Étienne, dans le rang Beelvèze, poour y faire une randonnée équestre. J'espère que tu sais monter à cheval!
- Pas de problème! Répondis-je, tout en sachant que je n'avais pas monté de cheval depuis l'âge de onze ans, dans le chemin enneigé de St-Aimé-Des-Lacs, alors que je revenais de la première journée de fréquentation du catéchisme, à l'église, où j'avais été le seul à me rendre dans cette journée de tempête! C'est tout comme si je revoyais mon frère Rolland me disant:"Monte". J'avais monté, comme on disait dans ce temps-là. mais le cheval, le Blond, m'avait jeté par terre. Il ne tolérait que mon frère sur lui.
J'étais habitué à faire confiance. Pourquoi ma foi s'effronderait-elle devant Morel ?