page 16
Nous quittâmes le Lac-St-Augustin, prenant la transcanadienne vers Montréal. Mais nous prîmes la sortie de St-Etienne et à travers des chemins de campagne dont je ne connaissais pas du tout l'issue, nous arrivâmes à un rang, le rang Belvèze, je pense te l'a oir déjà dit. Excuse-moi, le vin me rend bagayeur.
Les copains savaient où ils allaient. Moi, je me laissais entraîner. Le ciel était bleu, pas de nuage!
- Tu n'as rien oublié, remarque Célia!
- Ne me distrais pas. Le plus intéressant est à venir... Arrivé au Rang Belvèze, nous avons été ralantis par un groupe d'enfants tenant par la bride une jument éclatante. Les enfants nous souriaient et Clément, s'arrêta, rangeant la voiture au bord de la route.
- Peut-on louer votre cheval pour une promenade ?
Les enfants souriants nous accueillirent avec joie.
La jument était blonde et frétillante.
- Montez!
Aussitôt on me désigna pour la monter.
Elle partit dans un élan, un envol, une envolée dont je n'étais pas le maître.
Ma position était assise. Une force étrange m'obligea à me coucher sur l'animal; comme une âme, je me cramponnai à son corps... La jument accélérait, ses embardées devenaient de plus en plus longues. J'étais attaché à son corps, les mains crispées, pénétrant son poil... Ce fut une déculottée, une pâtée, une plumée, une rossée dont je n'imaginais plus la fin. Je recramponnai mes mains à son pelage, serrai mes genoux sur ses côtes, très, très fort. Je ne faisais plus qu'un avec elle... Le paysage forestier dévalait devant nous et le sentier transversal qui approchait m'obligea à resserrer les genoux davantage. La jument et moi, nous n'étions plus qu'un sur-être!
Elle vit le rang. S'arrêta. Mais elle semblait connaître le paysage. Au retour, je fus victime d'une rossée, d'une roulée, d'une sarabande dans tout le corps. Je me souviendrai toujours de cette saucée, de cette tatouille, de cette torgnole, de cette tourlousine... Mais surtout des rires des enfants qui me virent descendre de la jument.
- Elle est une excellente coursière cette chevale!
Les enfant riaient, la jument hennissait, mes camarades jouissaient devant mes allures un peu abasourdies.
Ange-Aimée m'engueula,sans que je sache pourquoi!
-Ouais! salut, je prends soin d'écouter ce que les autres disent. Eh bien , à moi,tu ne dis rien. Tu devrais envoyer un message au bon dieu! lui, je le connais pour les projets! Quant à moi, je ne veux pas t'insulter, loin de là! Tes imbécilités ne m'émerveillent pas.
Elle continua à m'invectiver de plus belle...sans que je sache pourquoi. À la fin, je l'interrompis.
-Dis donc, tu dis beaucoup de paroles, aurais-tu besoin d'aide ?
- Désolée d'enfoncer le clou, mais j'ai la volonté de me faire valoir, indépendamment de toi et des autres!
Si tu veux m'être utile, pour le jeu, c'est pas des scènes, des dialogues entre personnages, style Shakespearien mais plutôt quelque chose qui se comprend au premier coup d'oeil. Je ne veux pas avoir à plonger mon nez dans un dico, chaque fois que tu parles. Des dialogues du 18ème, comme le faisaient Voltaire et Montesquieu, je n'en veux pas; c'est trop comme on a lit à l'école. Tu n'es qu'un prétentieux; je te trouve dérisoire.
J'epère que tu sais qu'ici c'est "Vivre". Cherche une tranche de personnes qui sont tout comme toi, des "détritus", tu ne risqueras pas dêtre mis de côté. J'espère t'avoir dit un tas de merde, juste pour te donner la nosée sartrienne
Je ne compris pas le sens des paroles d'Ange-Aimée.
Les copains, pas davantage, si j'en juge à la manière dont ils me regardèrent.
J'eus une vision sublime en levant la tête! J'en fis la peinture beaucoup plus tard. Elle me souriait, à ce moment là.
J'oubliai les paroles d'Ange-Aimée, préférant le sourire encourageant de la Dame.