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La mystification démocratique - suite


ANALYSE DE « CRITIQUE DE LA PHILOSOPHIE DE L'ETAT DE HEGEL » 1841-1842

Marx est conduit dans son étude par deux fils conducteurs :


  1. « Tous les philosophes ont fait des prédicats eux-mêmes des sujets. » Thèse de doctorat.

  2. Montrer l'accommodation de la théorie de Hegel. Pour cela il aura tendance à attaquer sur le plan de la réalité. Il aborde la critique par celle de l'Etat ( préoccupation centrale de Marx ) qui pour Hegel, est « la réalité de l'idée morale ».
Comme toujours, Hegel part du général, de l'universel, de l'abstrait pour arriver au concret. Aussi va-t-il partir de la constitution considérée de façon abstraite, la constitution en général. C'est pourquoi, d'entrée, Marx va montrer comment Hegel opère le renversement prédicat-sujet.

« La famille et la société civile sont les présuppositions de l'Etat; elle sont à proprement parler actives, mais dans la spéculation c'est le contraire. » ( Oeuvres philosophiques, Ed. Costes, t, V, p. 23 )

Au fond Hegel joue à cache-cache avec la réalité. Marx met à nu l'opposition fallacieuse d'un Hegel révolutionnaire ésotérique et d'un Hegel qui doit faire compromis avec la société : aspect exotérique. Donc, affirme et amplifie la critique faite dans sa thèse.

« L'intérêt de la partie ésotérique est de toujours retrouver dans l'Etat l'histoire de la notion logique. Mais il appartient au côté exotérique que se fasse le développement proprement dit. » 23

Marx oppose toujours la réalité empirique au système hégélien, d'où le problème de penser la réalité. Il faut lier la conscience du mouvement à la réalité. Mais pour cela, il faut transformer la réalité et non l'interpréter de diverses façons.

« Le réel devient phénomène, mais l'idée n'a d'autre but que le but logique « d'être pour soi esprit réel infini ». Dans ce paragraphe tout le mystère de la philosophie du droit et de la philosophie hégélienne en général est déposé. » 26

Encore le renversement :

« Ce qui est important, c'est que Hegel fait partout de l'idée le sujet, et du sujet réel proprement dit, tel que la « disposition politique », le prédicat. Mais le développement se fait toujours du côté du prédicat. » 29

« Au lieu de cela, l'idée est prise comme sujet... »

« Mais on parle ici de l'idée comme d'un sujet, de l'idée qui se transforme en ses différences. Outre ce renversement du sujet et du prédicat ( ... ) Le point de départ c'est l'idée abstraite dont le développement dans l'Etat est la constitution politique. » 31

« Ce n'est pas sa pensée qu'il développe d'après l'objet, c'est l'objet qu'il développe d'après une pensée achevée en soi et qui s'est achevée dans la sphère abstraite de la logique. » 36

« Le contenu concret, la détermination réelle, apparaissent comme formels, la détermination réelle absolument abstraite apparaît comme le contenu concret. »

« La logique ne sert pas à prouver l'Etat, c'est au contraire l'Etat qui sert à prouver la logique. » 41-42

« La pensée ne se règle pas sur la nature de 1 'Etat, c'est l'Etat qui se règle sur une pensée toute prête. » 45

Marx fait non seulement des critiques de méthode qui l'amène à mettre à nu le caractère mystificateur de la pensée hégélienne, mais il montre concrètement la contradiction entre l'idée de l'Etat et la réalité de celui-ci. Pour Hegel, Etat = intérêt général; individu = intérêt particulier. Les individus forment la société civile, et l'Etat politique est la réalisation de l'idée. Ainsi Hegel dit : « Que le but de l'Etat est l'intérêt général, etc. . . » 37

Cet Etat politique réalisation de la logique se présente comme ayant :


  • un coté universel : pouvoir législatif

  • un côté particulier : pouvoir exécutif

  • un côté subjectif : pouvoir souverain
Et Marx lance l'anathème : voilà l'opportunisme de Hegel. il fait cadrer l'Etat avec la logique ( réaliser ) pour mieux affirmer que la réalité cadre avec la raison; que la réalité est la réalisation de la raison.

Il y a plus lorsqu'Hegel déclare « Comme l'esprit... réalité de la constitution. Chaque peuple a donc la constitution qui lui est appropriée et qui lui convient. » 45

Marx rétorque : « Il ressort simplement du raisonnement de Hegel que l'Etat dans lequel « le mode et la formation de la conscience de soi » et la « constitution » se contredisent n'est pas un véritable Etat. C'est évidement une banalité que de dire que la constitution qui est le produit d'une conscience passée peut devenir une entrave gênante pour une conscience plus avancée. La conclusion en serait simplement de réclamer une constitution ayant elle-même la détermination et le principe de progresser avec l'homme réel, ce qui n'est possible que lorsque l' « homme » est devenu le principe de la constitution. Ici Hegel est sophiste. » 45-46

Critique donc la méthode justificative de Hegel. C'est son côté mystificateur. Or, pour se justifier quoi de plus facile si : « le réel devient phénomène, mais l'idée n'a d'autre contenu que ce phénomène. » 26

Tout opportunisme est justificateur ( a besoin de se justifier ) . D'autre part Hegel ne fait que théoriser ce que les révolutionnaires français avaient posé en fait. Le droit à l'insurrection pour le peuple, lorsque la constitution irait à l'encontre des intérêts du peuple. Question uniquement institutionnelle.

D'autre part la réponse de Marx anticipe sur le développement. Dans « La guerre civile en France », il fait voir que la Commune était un corps agissant, etc.. donc le renversement important : on doit partir de 1 'home et non de l'idée.

Le pouvoir souverain.

On retrouve cette question lorsque Marx fait la critique de l'opposition de l'universel au particulier : Etat à individu. La théorie de Hegel repose sur cette dualité. C'est ce qu'il faut abolir. L'individu doit donc avoir une vision d'ensemble de l'Etat. Mais cet Etat ne doit pas être séparé de lui, le subjuguer. Donc en germe la notion de Gemeinwesen, vision de l'espèce, de l'homme social.

« Cette absurdité vient de ce que Hegel considère les affaires et les activités de l'Etat d'une façon abstraite et en soi, et l'individualité particulière comme son contraire; mais il oublie que l'individualité particulière est une fonction humaine et que les affaires et les activités de l'Etat sont des fonctions humaines; il oublie que l'essence de la « personnalité particulière » n'est pas sa barbe, son sang, sa nature physique et abstraite, mais sa qualité sociale, et que les affaires de l'Etat etc..., ne sont rien d'autre que les modes d'existence et d'activité des qualités sociales des hommes. »

Il est évident qu'ici Marx dépasse déjà le cadre de la société bourgeoise et suppose un home désaliéné. Seulement, il n'y a pas encore la au problème de l'Etat. On est encore au moment du raisonnement où l'on est sur le terrain de l'adversaire. On détruit son système mais on garde encore ses données.

« On comprend donc que les individus, en tant que représentants des affaires et des pouvoirs de l'Etat, soient considérés d'après leur qualité sociale et non d´après leurs qualités particulières. »(50)

« Le dualisme consiste en ce que Hegel ne considère pas l'universel comme l'idée du réel fini, c'est-à-dire de l'existant ( c'est-à-dire de l'individu, n.d.r ), du déterminé ni de ce qui est réellement le vrai sujet de l'infini. »

« Ainsi la souveraineté, l'essence de l´Etat, est ici considérée d'abord comme un être indépendant, c'est-à-dire objectivé. Ensuite, cela va de soi, cet objectif doit redevenir sujet. Mais le sujet apparaît à ce moment comme une incarnation propre de la souveraineté, alors que la souveraineté n'est rien d'autre que l'esprit objectif des sujets de l'Etat. »

En effet « Quel serait donc cet idéalisme d'Etat qui, au lieu d'être la réelle conscience de soi des citoyens, l´âme commune de l'Etat, serait une personne, un sujet. »(55)

Ceci amène Marx à apporter des précisions sur la subjectivité et donc sur la personne et l'individu.

« Il va de soit que la personnalité et la subjectivité n'étant que des prédicats de la personne et du sujet, n'existent que comme personne et comme sujet, et la personne est un individu. Mais, devait dire Hegel ensuite, l'individu n'a de vérité qu'en tant qu'il est beaucoup d'individus. Le prédicat, l'être n'épuise jamais les sphères de son existence dans un seul individu, mais dans beaucoup d'individus. » ( 60-­61 )

« La personnalité n'est, il est vrai, qu'une abstraction sans la personne, mais la personne n'est que l'idée réelle de la personnalité dans son existence d'espèce, en tant que les personnes. »

Autrement dit : vision de l'être humain qui porte en lui l'universel parce que l'universel est le produit des êtres humains. Déjà en germe la donnée : l'essence humaine = ensemble des rapports sociaux; donc en germe le lien individu-espèce ( être humain-espèce ).

Comment abolir l'antagonisme entre Etat = intérêt général et l'individu = intérêt particulier, privé; entre l'universel et le particulier, la séparation entre l'Etat politique représentant la conscience universelle = l'idée, la raison et l'individu représentant une conscience déterminée, limitée. En supposant une société où il n'y ait plus d'Etat, donc plus de séparation de l'individu à l'universel ( séparation de l'individu à la communauté, à l'espèce ). Là encore il reprend le point de critique où il déclare « ce qui n'est possible que lorsque l'homme est devenu le principe de la constitution. »(46)

« La démocratie est l'énigme résolue de toutes les constitutions. Ici la constitution est non seulement en soi, d'après son essence, mais d'après son existence, d'après la réalité, constamment ramenée à son fond réel, à l'homme réel, au peuple réel, et posée comme son oeuvre propre. La constitution apparaît comme ce qu'elle est, un libre produit de l'homme; on pourrait dire qu'a certains égards, cela s'applique également à la monarchie constitutionnelle, mais la différence spécifique de la démocratie est qu'ici la constitution n'est en somme qu'un élément d'existence du peuple, que n'est pas la constitution politique en soit qui forme l'Etat.

« Hegel part ici de l'Etat et fait de l'homme l'Etat subjectivisé; la démocratie part de l'homme et fait de l'Etat l'homme objectivé. » Ici Marx, dans sa critique, en est au stade de Feuerbach. Il fait encore de l'homme une objectivé sensible. Une objectivité sensible peut avoir encore besoin d'un Etat qui, bien entendu, a pour principe une constitution où l'homme est le principe même. Il a encore besoin d'une forme d'organisation. Plus tard la forme d'organisation ce sera l'homme lui-même ( cf. polémique avec Ruge ). Seulement pour parvenir à ce résultat il fallait remettre sur pied tout ce qui avait été renversé.

« De même que la religion ne crée pas l'homme, mais que l'homme crée la religion, ce n'est pas la constitution qui crée le peuple, mais le peuple qui crée la constitution. La démocratie est, à un certain point de vue, à toutes les autres formes politiques comme le christianisme a toutes les autres religions. Le christianisme est la religion, l'essence de la religion, l'homme déifié sous forme de religion particulière. De même la démocratie est l'essence de toute la constitution politique, l'homme socialisé, comme constitution politique particulière; elle est aux autres constitutions comme le genre est à ses espèces; mais avec cette différence que le genre apparaît ici lui-même comme existence, et par conséquent, vis-à-vis des existences qui ne correspondent pas à l'essence, lui-même comme une espèce particulière. »(67-68)

Donc première solution proposée aux antagonismes : la démocratie. Marx reste sur le terrain de l'adversaire : politique et philosophique. En fait c'est la généralisation du principe bourgeois, l'accession à la société idéale bourgeoise, une société sans Etat. C'est sur le plan théorique la même généralisation que celle que fit Babeuf sur le plan pratique; bien que dans l'un et l'autre cas se trouvent les ferments de la vraie solution. Ici, on essaie de réconcilier l'être général humain avec l'être individuel; Babeuf voulait que la société fut en accord avec les principes que la révolution avait édictés.

Mais l'élément fondamental qui sera ferment pour la constitution de l'édifice théorique est celui-ci : l'homme a eu besoin d'une politique parce qu'il y avait une nécessité d'organisation des hommes. Le jour où peut se faire la conciliation entre les hommes, leur réconciliation ( disparition des classes ), la politique n'est plus nécessaire; les antagonismes auront disparu. Seulement Marx est encore prisonnier de l'adversaire et cherche au fond quelle peut être la forme organisationnelle qui en termine avec la politique.

« La démocratie est à toutes les autres formes politiques comme à son ancien testament. L'homme n'existe pas à cause de la loi, la loi existe à cause de l'homme, c'est une existence humaine, tandis que dans les autres l'homme est l'existence légale. Telle est la différence fondamentale de la démocratie. »

Ultérieurement, Marx démontrera que toutes les idéologies se noient en fait, débouchent dans le christianisme; puis que toutes les visions sociales du futur se ramènent à des échafaudages démocratiques. Ici, il montre que la démocratie en finit avec l'ancienne façon de concevoir les rapports entre les hommes. Avec la démocratie ( il faudra préciser bourgeoise ), l'homme réel est posé au centre du fonctionnement du rapport politique. Il semble ainsi que la politique n'ait plus de raison d'être puisqu'elle est réalisée en chaque homme, qu'il n'y a plus une sphère indépendante où elle puisse se développer. La révolution bourgeoise et celle prolétarienne ont quelque chose en commun : la mise en mouvement des masses. Le mouvement démocratique correspond à la première, seulement après comme avant les masses demeurent divisées; le mouvement communiste correspond a la seconde; les masses seront unifiées : formation de l'humanité.

« Toutes les autres formations étatiques sont des formes politiques particulières déterminées. Dans la démocratie le principe formel est en même temps le principe matériel. Elle est donc la vraie unité de l'universel et du particulier. » ( 68 )

Pour qu'il y ait démocratie sur une large base, il faut que les hommes soient sur une base égalitaire, qu'ils soient réduits à peu prés à la même substance. L'espèce humaine unifiée sous l'action du capital mais encore objet, non sujet, voilà la limite bourgeoise du développement social historique. La démocratie forme d'organisation peut être valable pour une humanité parvenue a ce stade. L'humanité tendant à son unification peut encore avoir son être en dehors d'elle, prisonnier, aliéné à une force économique : le capital. La société tendant à unifier l'espèce et à lui donner son être véritable ne peut pas être démocratique.

Le mouvement d'unification s'est fait au profit d'un être oppresseur. Au début de la domination du capital, ce mouvement oppresseur ne se voit pas parce que le capital ne domine pas encore de façon réelle, mais doit affirmer son hégémonie et ce, surtout contre le prolétariat. En conséquence, c'est le premier aspect qui l'emporte. D'où les illusions des utopistes puis des réformistes.

« Dans la démocratie l'Etat, en tant que particulier, n'est que particulier, en tant qu'universel il est l'universel réel, c'est-à-dire pas quelque chose de déterminé distinct de l'autre contenu. Les français modernes ont interprété cela en disant que « dans la vraie démocratie l'Etat politique disparaît ». Cela est vrai en ce sens qu'en tant qu'Etat politique, en tant que constitution, il ne vaut plus pour le tout. »(69)

Cela se vérifie amplement dans la société actuelle. C'est la limite. L'Etat est l'universel concret; il est la société; parce que la société a conquis l'Etat. Elle l'a modelé à son image. Là encore une limite : la société bourgeoise tend à détruire les classes pour faire des hommes des esclaves du capital. Elle tend à faire la même chose que le communisme. Seulement dans ce dernier la disparition des classes suppose la souveraineté de l'homme, la domination de la Gemeinwesen. L'Etat capitaliste peut être l'être universel non pas des hommes, mais des esclaves du capital.

Il ne vaut plus pour le tout, pour la base ! La question du lien de l'Etat à la société est celle --mutatis mutandi -- du lien du parti à la classe et, plus tard, à l'ensemble de l'humanité. Le capitalisme tend à résoudre la question en faisant de l'Etat une force sociale, la société aliénée au capital qui domine les hommes. Il nous faut donc préciser ce mouvement d'unification de l'espèce humaine qui suppose parallèlement la concentration de la conscience. Donc aussi, corrélativement, la question du lien entre cette masse unifiée et cette conscience : le lien entre la classe et le cerveau social, le parti. Là est la grande question posée par la philosophie ( cf. Hegel surtout qui l'a posée de façon claire et nette dans sa philosophie de l'Etat ). Dans la société bourgeoise commence a se faire la réconciliation entre mouvement social et mouvement politique. Auparavant il semblait que le mouvement politique fut réellement indépendant de l'autre. La force apparaissait encore comme une donnée de l'homme et non une donnée sociale, économique. C'est ce que n'a pas compris Proudhon. Sa théorie de la violence est une théorie de la violence physique, telle qu'elle pouvait avoir lieu dans une société primitive. L'homme qui était plus fort physiquement pouvait réellement l'emporter; à l'heure actuelle, que peut faire la force physique contre un système ? C'est ce phénomène d'égalisation qui est fondamental : nous sommes tous les mêmes devant la force impersonnelle du capital.

Toutes les forces ont été assujetties à une seule : la force économique. La politique en tant qu'élément qui pouvait sembler avoir une fonction autonome a été elle aussi subjuguée. Sa propre sphère a été annexée. Cela est vrai aussi pour la guerre. Les hommes ne peuvent plus faire la guerre comme au temps de Napoléon. Le capital, sous sa métamorphose d'engins de fer et d'acier, impose une forme donnée de destruction et cela en dehors de la considération fondamentale qu'auparavant on faisait la guerre pour s'enrichir, maintenant pour s'appauvrir afin de pouvoir refaire marcher au maximum la machine productive. Il faut détruire machines et hommes qui ont été produits en quantités démentielles.

De ce fait la caractérisation de l'Etat à l'époque où la société bourgeoise émerge de celle féodale est absolument valable. Auparavant, Marx fait la remarque suivante :

« Dans la démocratie, la constitution, la loi, l'Etat lui-même ne sont qu'une détermination propre du peuple, un contenu déterminé du peuple, en tant que ce contenu est constitution politique. » ( 69 )

« Dans les anciens Etats, l'Etat politique forme le contenu de l'Etat, à l'exclusion des autres sphères; l'Etat moderne est un arrangement entre l'Etat politique et l'Etat non politique. »

Voilà la caractérisation fondamentale de la société où le capital opère une domination formelle. Une période où il tend à utiliser la force politique pour assurer sa domination, pour en faire une domination sociale. La révolution bourgeoise est révolution sociale à âme politique; elle tend aussi à assurer sa domination politique par une force sociale. Elle est en même temps fin de la politique : la question du lien entre les hommes, de leur organisation, de leur domination est résolue par un être qui est en dehors : le capital. Donc tant que le capital n 'a pas assuré sa domination absolue, matérielle, il y a un arrangement entre l'Etat politique et l'Etat non politique. Il y a aussi arrangement entre la forme et la matière. D'où ce qui est apparemment paradoxal : la démocratie qui devait se réaliser pour l'homme, parvient à sa réalisation en excluant l'homme. Ceci devait inévitablement se produire puisque la démocratie suppose une domination, une dictature et une base la plus large possible. Ou cette force est humaine --politique -- ou elle est une force non-humaine, donc aliénée -- ce qui fait que dans ce cas la démocratie est plus ample puisque tous les hommes tendent à entrer dans la base sur laquelle opère la démocratie.

« L'homme n'existe pas à cause de la loi, la loi existe à cause de l'homme, c'est une existence humaine; tandis que dans les autres ( formes politiques n.d.r ) l'homme est l'existence légale. Telle est la différence fondamentale de la démocratie. »(68)

Donc, la première solution proposée aux antagonismes est la démocratie. C'est en fait la généralisation du principe bourgeois, la société idéale bourgeoise : une société sans Etat, où l'Etat soit la société, cf. le passage « Dans la démocratie ... pour le tout. »(69) Le mouvement historique a répondu de la façon suivante : la société est devenue l'Etat. Cela implique une caractérisation de la société post­-révolutionnaire. L'Etat prolétarien sera force politique pour détruire l'oppression du capital et libérer la société communiste. Car au fond contre une force sociale : la montée du communisme, le capital ne pouvait lutter qu'en s'emparant totalement de la direction de l'Etat et en réduisant tous les hommes à des esclaves salariés. Et c'est pourquoi on y revient toujours : la révolution communiste est une révolution politique à âme sociale.

Dans la phase de dictature du prolétariat et donc aussi en partie dans celle du socialisme inférieur, la démocratie dont parle Marx ou Lénine se réalise bien : « L'homme n'existe pas à cause de la loi, la loi existe à cause de l'homme.. etc. ».

La démocratie forme ultime de la politique : l'homme socialisé parce qu'intégré dans la société sans contradictions. En fait parce que déterminé directement par un rapport humain social et non plus par la présence d'un rapport extérieur ( terre ou théologie ) . Ceci est valable pour l'aube de la société capitaliste. Il pouvait sembler que l'homme n'ait plus besoin de médiations; qu'il n'aurait plus besoin ( qu'il ne serait plus contraint ) de s´aliéner. Or, le capitalisme en se développant dut détruire les illusions des hommes -- des bourgeois comme des utopistes --et l'existence de l'homme fut médiatisée par le capital.

Le mouvement social a fait de l'Etat une abstraction. Nous y reviendrons.

« Dans la démocratie, l'Etat abstrait a cessé d'être l'élément dominant. La lutte entre la monarchie et la république est elle-même encore une lutte à l'intérieur de l'Etat abstrait. La république politique est la démocratie à l'intérieur de la forme politique abstraite. La forme politique abstraite de la démocratie est donc la république; mais elle cesse d'être ici la constitution simplement politique. » ( 69-70 )

Le point central est maintenant de démontrer que la démocra­tie est la fin de la politique. Donc de démontrer que là où elle n'est pas réalisée, il y a toujours politique et donc il ne peut y avoir fin de l'antagonisme universel-particulier, forme-matière. D'autre part la critique aboutit à la démonstration qu'il n'y a pas de démocratie politique, de vraie démocratie dans la société bourgeoise ( cf. Question juive : « la révolution politique dissout la vie civile dans toutes ses parties constitutives... » ).

« La propriété, etc., bref tout le contenu du droit et de l'Etat, est à quelques modifications prés la même dans l´Amérique du Nord qu'en Prusse. Là-bas, la république est donc une simple forme politique comme chez nous la monarchie. Le contenu de l'Etat rési­de en dehors de ses constitutions. Hegel a donc raison quand il dit : l´Etat politique est la constitution, c'est-à-dire l'Etat ma­tériel n'est pas politique. » ( 70 )

Dans la démocratie il doit y avoir coïncidence entre matière et sphère idéale ( forme ). Ici, il n'y a pas conciliation entre l'Etat matériel et l´Etat politique. « Le contenu de l'Etat réside en dehors des ses constitutions. » Voilà la critique fondamentale : peut-il y avoir un Etat où le contenu soit en accord à l'intérieur de sa constitution ?

Dans la république il n'y a pas de conciliation entre Etat matériel et Etat politique. La constitution est l'expression de ce divorce. D'où :

« La constitution politique fut jusqu'ici la sphère religieuse, la religion de la vie populaire, le ciel de son universalité vis-à-vis de l'existence terrestre de sa réalité. La sphère politique était la seule sphère politique dans l'Etat, la seule sphère où le contenu fut, comme la forme, un contenu générique, le véritable universel, mais en même temps de telle façon que, pendant que cet­te sphère s'opposait aux autres, son contenu aussi devenait un contenu formel et particulier. La vie politique au sens moderne est le scolasticisme de la vie populaire. La monarchie est l'ex­pression achevée de cette aliénation. La république en est la né­gation dans sa propre sphère ». ( 70-71 )

La république semble rendre terrestre la constitution. Elle semble entrer dans la vie populaire. Elle est pour l'homme. Seule­ment elle ne se meut encore que dans la sphère politique. Il y a toujours séparation entre la sphère idéale et la matière.

« Il va de soi que la constitution politique comme telle, M est développée que là où les sphères privées ont acquis une exis­tence indépendante. Là où le commerce et la propriété foncière ne sont pas libres, pas encore devenus indépendants, la constitution politique, elle aussi, ne l'est pas encore. Le Moyen-Age était la démocratie de la non-liberté. » ( 71 )

La constitution se présente comme étant l´élément nécessaire pour unir ce qui a été divisé. De même qu'avec la fin de la société tribale, la démocratie s'est présentée comme le moyen de ré­unir ce qui fut divisé. La république est le stade où la consti­tution est en dehors de la sphère matérielle. Elle est un mécani­sme politique qui permet d'abolir l'antique oppression monarchi­que. Elle est négation de la sujétion mais elle reste sur le ter­rain de l'adversaire : elle reste dans le cadre politique. Il faut trouver un principe qui vienne de l'élément matériel lui-même. Il ne faut pas que la constitution soit en dehors du peuple; il faut qu'elle soit émanation de celui-ci. En un mot, il faut poser que l'homme soit au coeur de celle-ci. La démocratie permettrait d'abolir les différences entre les sphères, en abolissant l'exis­tence de ces sphères. Abolir le schisme état social-état politi­que.

« Le Moyen-Age était la démocratie de la non-liberté » en ce sens qu'il n'y avait pas opposition entre état politique et état privé; que la constitution était celle de la société. Ceci lié aux rapports de dépendance personnelle. Il n'y a pas opposition entre constitution politique et sociale.

Il n'y avait pas coupure entre Etat et société. Cela n'est plus pareil à l'époque moderne :

« L'abstraction de l'Etat comme tel n'appartient qu'au temps moderne, parce que l'abstraction de la vie privée n'appartient qu'au temps moderne. L'abstraction de l'Etat politique est un pro­duit moderne. »

Il nous faudra mettre ceci en liaison avec l'importance du mouvement économique qui tend à détruire tous les antiques rap­ports sociaux où l'homme était dépendant de la terre ou d'une hié­rarchie sociale. L'Etat devenant quelque chose qui gène le déve­loppement du capital, celui-ci ne pouvant assurer sa domination qu'en utilisant celui-là puis en en faisant une puissance sociale. A l'origine volonté de la bourgeoise de représenter un état géné­ral, alors quelle n'est qu'un état particulier. Elle est une classe qui défend des objectifs de classe. Le prolétariat utilise­ra aussi un Etat pour arriver à la destruction des classes. l'Etat en tant qu'abstraction tend à disparaître dans le fascisme puisque c'est la société qui s'est séparée de l'Etat. Celui-ci peut facilement proclamer qu'il ne défend l´intérêt général qu'à la condition qu'il parvienne à faire de tous les hommes des escla­ves du capital. L'unité de l'humanité sous le capitalisme c'est celle d'une humanité asservie.

Le mouvement social a fait de l'Etat une abstraction pour mieux le séparer de la communauté humaine, pour mieux se l'accapa­rer et en faire une force sociale. Cela n'est possible que lorsque l´être des hommes est aliéné à cette force impersonnelle : le ca­pital.

Cet aspect se manifeste aussi sous son aspect subjectif : l´in­différence en matière politique. La politique étant une affaire spéciale en dehors de la vie réelle des individus. Pour les gens cela devient une affaire sociale. C'est l'aveu « vulgaire » que le pouvoir est détenu par une force sociale.

Au fond - au stade où nous en sommes - la critique vise ceci : la philosophie veut concilier le mouvement réel avec la raison. Le seul moyen d'arriver à cela c'est de faire un renversement, c'est dans la pratique que l'on peut aboutir à cela. La démocratie met­tant fin à l'Etat politique, donc à une société qui a besoin d 'un hiatus entre état social et politique se présente comme étant la première solution. Marx fait ressortir que pour Hegel la philoso­phie est comme un deus ex machina, cf. page 80.

La critique à Hegel est en même temps étude de la genèse de la société bourgeoise. Comment est-on passé de la société féodale à celle bourgeoise ? Quels sont les caractères de cette dernière ?

En particulier dans la société féodale, le droit c'est le droit coutumier, le droit du peuple ( cf. article : « A propos du vol de bois » ) dont le monarque garantit l'exécution. En société bour­geoise c'est celui de l'Etat qui est fondé sur une propriété mo­bilière. Dans l'autre société : sur la terre.

Dans le résumé Marx précise sa pensée :

« Au lieu donc que l'Etat soit produit comme la plus haute réa­lité de la personne, comme la plus haute réalité sociale de l'hom­me, une seul homme empirique, la personne empirique, est produit comme la plus haute réalité de l'Etat. » ( p. 85-86 )

« Si par exemple dans l'étude de la famille, de la société civile de l'Etat, etc., ces modes d'existence sociaux de l'homme étaient considérés comme la réalisation, la subjectivisation de son être, la famille etc, apparaîtraient comme des qualités inhé­rentes à un sujet. L'homme reste toujours l'être de tous ces êtres, mais ces êtres apparaissant également comme son universali­té réelle, donc aussi comme la communauté. » ( p. 87 )

Donc l'essentiel de la critique débouche dans la question de la démocratie et dans celle de la Gemeinwesen.

Le pouvoir gouvernemental

Marx insiste encore sur le dualisme de la théorie hegelienne qui dérive en définitive du dualisme de la société, ( p. 91 ). Donc contradiction société civile - Etat.

Hegel fait l'apologie de la classe moyenne. Or ce sont juste­ment les gens de cette classe qui adorent l´Etat, parce qu'ils sont ses valets. C'est la question de la bureaucratie, pages 99­-96.

Pouvoir gouvernemental = bureaucratie ( pour Hegel )

Comment arriver à une société où il n'y ait pas besoin de bu­reaucratie. Seulement si l'individu est universel parce que les affaires de la société sont aussi ses affaires privées. Donc sup­pression de l´antagonismes individu-espèce.

Toutes les critiques se font contre l'individu, cette limita­tion en laquelle on veut à tout prix enfermer l'homme.

« La suppression de la bureaucratie n'est possible que si l'intérêt général devient réellement et non pas, comme chez Hegel, purement en pensée, dans l'abstraction, l'intérêt particulier, ce qui ne peut se faire qu'en ce que l'intérêt particulier devient l'intérêt général. » 104

Cf. sur la bureaucratie et sur l'apologie de la classe moyenne faite par Hegel ( pp. 97-104, 115 ).

La bureaucratie dérive de la différence entre intérêt particu­lier et intérêt général. L'état politique est séparé de la vie des hommes. De ce fait la bureaucratie est le matérialisme de l'Etat.

Il y a là la critique de toutes les visions bureaucratiques, dont Socialisme ou Barbarie. Il est intéressant que sur aucun point la société bourgeoise n'arrive à dépasser Hegel.

« Hegel prend pour point de départ la séparation de l'« Etat » de la société civile, les « intérêts particuliers » et l'« universel » qui existe en soi et pour soi, et il est vrai que la bureaucratie repose sur cette séparation.

Ensuite Marx analyse le lien entre les corporations et la bu­reaucratie. Mettre en parallèle avec de nos jours les « castes » so­ciales, les strates en la masse de salariés.

« La corporation est la tentative de la societé civile de de­venir Etat, la bureaucratie est donc l'Etat qui s'est réellement transformé en société civile. »

A l´heure actuelle, conjonction des deux phénomènes : le capi­tal force sociale s'empare de l'Etat et c'est donc la société civile qui est devenue l'Etat. D'autre part, étant donné que cet Etat doit dominer par l'intermédiaire d'hommes, c'est une bureaucratie qui domine ( voilant ainsi le phénomène pour les immédiatistes ). Ces bureaucrates, ces technocrates font aussi que l'Etat est tran­sformé en société civile.

La garantie contre la bureaucratie Hegel la place dans la classe moyenne. Nos immédiatistes n'ont rien inventé.

Le pouvoir législatif

Ici Marx va aborder la question de la dualité des pouvoirs. Il va la résoudre théoriquement, de façon organique avec ses présup­positions. Là dissolution de l'antinomie se fait toujours lorsque l'on met l´homme réel au centre du problème.

« Pour que la constitution non seulement subisse la modifica­tion pour que cette apparence illusoire ne soit pas finalement mi­se en pièces par la violence, pour que l'homme fasse consciemment ce que la nature de la chose le force à faire sans cela incons­ciemment, il est nécessaire que le mouvement de la constitution, que le progrès devienne le principe de la constitution, que le re­présentant réel de la constitution, le peuple, devienne donc le principe de la constitution. Le progrès est alors lui-même la constitution. » 120-121

La solution pratique sera donnée par la Commune de Paris. Il est évident que seuls Marx et Engels pouvaient saisir tout de suite la leçon des événements parce que la théorie postulait leur manifestation.

Marx va donc analyser comment Hegel expose la dualité des pou­voirs, donc leur séparation et de ce fait comment il va poser la conciliation.

Antagonisme entre pouvoir législatif et constitution, ( pp. 115-117 ).

« La collision est simple. Le pouvoir législatif est le pouvoir d'organiser le général. C'est le pouvoir de la constitution. Il dépasse la constitution. » ( p. 117 ) Nous voici retourné à notre point de départ : la constitution. Regel, résoud les contradictions en faisant appel à la nécessité. « L'´apparence contredit l'être, l'ap­parence est la loi consciente de la constitution, et l'être en est la loi inconsciente, en contradiction avec la première. Il n'y a pas dans la loi ce qui est dans la nature des choses. C'est plutôt le contraire qui est dans la loi. » 119

« Regel veut partout représenter l´Etat comme la réalisation de l'esprit libre, mais en réalité il résoud toutes les collisions difficiles par une nécessité naturelle qui est en opposition avec la liberté. La transformation de l'intérêt particulier en intérêt général n'est pas non plus une loi consciente de l'Etat, mais ame­née par le hasard, s´opèrent contre la conscience; et Regel veut partout dans l´Etat la réalisation de la libre volonté. »

Le remède est indiqué par Marx, un peu plus loin : « que le pro­grès devienne le principe de la constitution. » 122

Seulement s'il y a collision entre pouvoir législatif et la constitution, on va voir comment va s'implanter une vision oppor­tuniste.

« La constitution n'est qu'un arrangement entre l´Etat politique et l´Etat non politique ». ( p. 122 )

De là on passe à une vision évolutionniste :

« La transformation d´un état de choses, conclut Hegel, « se fait donc, en apparence d'une façon tranquille et sans être re­marquée. Après un long espace de temps une constitution arrive à être tout autre qu´antérieurement. »

« La catégorie de la transition progressive est d´abord fausse au point de vue historique, ensuite elle n'explique rien. »

Et maintenant la solution donnée par Marx :

« Pour que la constitution non seulement subisse la modifica­tion, pour que cette apparence illusoire ne soit donc pas finale­ment mise en pièces par la violence, pour que l'homme fasse cons­ciemment ce que la nature de la chose le force.. » ( cf. citation re­portée plus haut )

La réalité de la société est exprimée par son lien entre inté­rêt général et intérêt particulier, d´où la constitution. Le peu­ple existe par la constituante. Seulement : « la « constitution » doit­-elle être elle-même du domaine du « pouvoir législatif » ? Cette question ne peut être soulevée que : 1• si l´Etat politique existe comme simple formalisme de l´Etat réel, si l´Etat politique est un domaine à part, si l´Etat politique existe comme « constitution »; 2• si le pouvoir législatif a une autre origine que le pouvoir gouvernemental, etc. ...121

Analyse ensuite de la révolution française.

On doit remarquer les révolutionnaires français avaient senti la question puisque Robespierre avait fait inclure le droit à l´insurrection.

« La constitution n'est qu'un arrangement entre l´Etat politi­que et l´Etat non politique; elle est donc nécessairement en elle-même une tractation entre puissances essentiellement hétérogènes. Il est donc impossible à la loi d'exprimer que lune de ces puis­sances, une partie de la constitution, aura le droit de modifier la constitution, c'est-à-dire le tout. »

Et Marx dit plus loin : « On a tenté de résoudre la collision par la distinction entre assemblée constituante et assemblée constituée. » ( p. 123 )

Cet antagonisme, nous lavons déjà dit, Marx trouve son dénou­ement si le peuple est le moteur réel de la constitution. Nous au­rons la même solution si le capital en devient le moteur. Seule­ment l'antagonisme sera total entre la puissance sociale ( et aus­si sous sa forme politique ) du capital et la révolte humaine cris­tallisée dans le prolétariat : cf. lettre à Amadéo du 22.02.1964, première partie :

Toulon le 22.02.1964

Cher Amadéo

J'ai appris que tu voulais faire un article à propos des « nouvelles thèses » de socialisme su Barbarie. J'ai lu leurs « nouveautés » entre deux études sur : Marx pour la question de la Démocratie en particulier au sujet de l'Etat. Critique de la philosophie de l'Etat de Hegel. T. IV. Ed. Costes.

Il est très curieux que ce qu'ils exposent ressemble en plus minable à ce que racontait le père Hegel. Je te communique les remarques que cola n´a suggéré et les textes de Marx auxquels je pense.

S.B. dit qu'à l'heure actuelle il n'y a pas que des prolétaires et des capitalistes. Nous ne l'avons jamais nié . Seulement nous sommes capables d'expliquer la genèse de ces couches intermédiai­res. Ils en sont restés aux discussions qui agitaient Malthus ou Smith sur la question du travail productif ou improductif. Mais là n'est pas l'important. L'essentiel est qu'ils lient cela à la bureaucratie : « il s'agit de comprendre que la bureaucratisation ne diminue pas la division de la société mais au contraire l´aggrave »

( S.B. p. 18 ).

Remarque de Marx à Hégel :

« Hégel prend comme point de départ la séparation de « l´Etat » de la société civile les « intérêts particuliers » et l'« univer­sel qui existe en soi et pour soi », et il eut vrai que la bureaucratie repose sur cette séparation. Hégel part de l'« hypo­thèse des corporations », et il est vrai que la bureaucratie présu­ppose les « corporations », du moins l´« esprit corporatif ». Hégel ne développe aucun contenu de la bureaucratie, ( que fait S.B. 140 ans après ! ) mais seulement quelques déterminations générales de son organisation « formelle », et il est vrai que la bureaucratie n'est que le « formalisme » d'un contenu situé hors d'elle. » ( pp. 98, 99 ).

S.B. interprète la tendance à la statisation de la socié­té le fameux féodalisme industriel. C´est pourquoi tout ce qui vient ensuite, mutatis mutandis, peut-être appliqué à S.B. ( je te fais toute la citation ne sachant pas si vous avez le texte en italien )

« Les corporations sont le matérialisme de la bureaucratie, et la bureaucratie est le spiritualisme des corporations. La corporation est la bureaucratie de la société civile; la bureau­cratie est la corporation de l'Etat. Dans la réalité elle s'oppose donc comme « société civile de l'Etat » â l'« Etat de la société civile », aux corporations. Là où la « bureaucratie » est un principe nouveau, où le intérêt général de l'Etat commence à devenir un inté­rêt à part, par suite un intérêt « réel », elle lutte contre les corporations, comme toute conséquence lutte contre l'existence de ses présuppositions. Au contraire, dès que la vie réelle de l'Etat s'éveille et que la vie civile, poussée par un propre instinct naturel, s'affranchit des corporations, la bureaucratie, essaie de les rétablir; car dès que dès que tombe l' « Etat de la société civile » la « société civile de l'Etat » tombe également. Le spi­ritualisme disparaît avec le matérialisme, son contraire. La con­séquence lutte pour l'existence de ses présuppositions, dès qu'un principe nouveau lutte non pas contre l'existence, mais contre le principe de cette existence. ( I ) Le même esprit qui, dans la société, crée la corporation, crée, dans l'Etat, la bureaucratie. ( I ) Dès que l'esprit de corporation est donc attaqué, l'esprit de bureaucratie l'est également, et si elle combattait antérieurement l'existence des corporations pour faire place à sa propre existence, elle cherche maintenant à sauvegarder de vive force l'existence des cor­porations pour sauver l'esprit corporatif, son propre esprit. » ( pp. 99,100 ).

Un peu plus loin ceci :

« La bureaucratie corporation achevée, remporte donc la victoire sur la corporation, bureaucratie inachevée. Elle la ravale ou veut la ravaler jusqu'à ne plus être qu'une apparence, mais elle veut que cette apparence existe et croie à sa propre existence. La corporation est la tentative de la société civile de devenir Etat, la bureaucratie ont donc l'Etat qui s'est réellement transformé en société civile. » 100. 101.

A l'heure actuelle, le capital force sociale impersonnelle s'empare de l'Etat et c'est donc la société civile capitaliste qui est devenue l'Etat. D´autre part étant donné que cet Etat doit dominer par l'intermédiaire d'hom­mes, c'est une bureaucratie qui domine ( voilant ainsi le phénomène peur les immédiatistes. Ces bureaucrates, ces technocrates font aussi que l'Etat errent transformé en société civile. Sous le féo­dalisme la hiérarchie était fondée sur la propriété foncière, à l'heure actuelle elle est fondée sur le Capital. Seulement S.B ne voit que le côté formel :

« Le « formalisme d'Etat » qui est la bureau­cratie est l´« Etat en tant que formalisme » et c´est comme un tel formalisme que Hégel l'a décrite. Comme ce « formalisme d'Etat » se constitue en puissance réelle et devient son propre contenu matériel, il va de soi que la « bureaucratie » est un tissu d'illusions pratiques ou l' « illusion de l'Etat ». L'esprit bureaucratique est un esprit totalement jésuitique, théologique. Les bureaucrates sont les jésuites d'Etat et les théologiens d'Etat. La bureaucratie est la république prêtre. »

Pauvre S.B. qui croit que nous sommes dans la phase théologique du mouvement !

Mais continuons :

« Puisque la bureaucratie est, d´après son essences l' « Etat en tant que formalisme », elle l'est aussi d´après son but. Le véritable but de l'Etat apparaît donc à la bureau­cratie comme un but contre l'Etat. L'esprit de la bureaucratie est l'« esprit formele de l'Etat ». Elle fait donc de l'« esprit formel de l'Etat » ou du réel manque d'esprit de l'Etat un impératif catégorique. La bureaucratie est à ses propres yeux le dernier but final de l'Etat.

Comme la bureaucratie fait de ses buts « formels » son contenu, elle entre partout sa conflit avec les buts « réels ». Elle est donc forcée de donner le formel pour le contenu et le contenu pour le formel. Les buts de l'Etat se transforment en buts de la bureaucratie ou les buts de la bureaucratie en buts de l'Etat. La bureaucratie est un cercle d'où personne ne peut échapper. Cette hiérarchie est une hiérarchie du savoir. La tête s'en remet aux cercles inférieurs du soin de comprendre le détail, et les cercles inférieurs croient la tête capable de comprendre le général, et ainsi ils se trompent mutuellement. » 101. 102.

« Mais, dans le sein même de la bureaucratie, le spiritualisme devient un matérialisme sordide, le matérialisme de l'obéissance passive, de la foi en l'autorité, du mécanisme d'une activité formelle fixe, de principes et de traditions fixes. Quant au bureaucrate pris individuellement, le but de l'Etat, devient son but privé : c'est la chasse aux postes plus élevés, il faut faire son chemin. Il commence considérer la vie réelle comme une vie matérielle, car l'esprit de cette vie a dans la bureaucratie son existence pour soi, son existence particulière. » 103

« Tandis que la bureaucratie est d'une part matérialisme sordide, son spiritualisme sordide apparaît en ce qu'elle veut tout faire, c'est-à-dire fait de la volonté la cause première, parce qu'elle est un être purement actif et reçoit son contenu du dehors et ne peut donc prouver son existence qu'en formant et limitant ce conte­nu. Le bureaucrate a dans le monde un simple objet de son activité. » T. 103.

S.B. dit « Pour nous, cette culture participe, dans toutes ses manifestations, de la crise générale de la société et ( soulignes par eux ) de la préparation d'une nouvelle forme de vie humaine ». Or, cette culture est la culture capitaliste. D'autre part elle ne peut pas être exprimée par les ouvriers, par le mouvement ouvrier puisque Iº la classe ouvrière n'existe pas 2º le mouvement ouvrier est un cadavre. Donc elle ne peut résider que dans les couches intermédiaires. Qu'est-ce que disait Hegel ? :

« C'est dans la classe moyennes à laquelle appartiennent les fonctionnaires, que résident la conscience de l'Etat et la culture la plus éminente. Aussi c'est elle qui est le fondement de l'Etat pour l´honnêteté et l'intelligence. » Hegel cité par Marx page 96.

De plus, pour Hegel, la classe moyenne est une garantie con­tre la bureaucratie. N'en serait-il pas de même pour S.B. Voyons les autres garanties données par Hégel et exposées par Marx :


  1. La « hiérarchie » de la bureaucratie. Le contrôle. C'est-à-­dire que si l'adversaire a lui-même pieds et poings liés, et que, s'il est marteau vers le bas, il est enclume vers le haut. Mais où est la protection contre la hiérarchie ? Le moindre mal est, il est vrai supprimé par le mal plus grand dans ce sens qu'il disparaît devant lui.

  2. Le conflit, le conflit non résolu entre la bureaucratie et la corporation. La lutte, la possibilité de la lutte, voilà la garan­tie contre la défaite. »
Que dit S.B. des garanties contre la défaite du mouvement révolutionnaire ?

« Le fonctionnement même du capitalisme garantit donc qu'il y aura toujours des « occasions révolutionnaires », mais ne garantit pas leur issue, qui ne peut dépendre que du degré de conscience et d´autonomie des masses. Il n'y a aucune dynamique « objective » qui garan­tisse le socialisme, et dire qu'il puisse en exister une est une contra­diction dans les termes. » ( p. 20 )

La seule garantie que l'on donne sur prolétaires c'est qu'il y a toujours à lutter et qu´un jour viendra où la conscience sera là ainsi que l'autonomie. On aura sauté sur l'occasion. ! ! !

Enfin quelle est la solution indiquée par Marx. Comment Marx voit la destruction de la bureaucratie. Ici, il faut tenir compte que Marx est sur le terrain de l'adversaire. Il va dé­truire l'autre sur son propre terrain, avec ses propres armes. Comme tu l'expliquais à une réunion à propos du Capital.

« La suppression de la bureaucratie n'est possi­ble que si l´intérêt général devient réellement et non pas, comme chez Hégel, purement en pensée, dans l'abstraction, l'intérêt parti­culier, ce qui ne peut se faire qu'en ce que l'intérêt particulier devient réellement l'intérêt général. » ( p. 104 ).

Ceci est réalisé, comme il l'exposera, ultérieu­rement avec La Gemeinwesen, l'homme social dont la préfiguration est le parti de classe ( communiste ).

Remarque : la critique que Marx fait ici de la bureaucratie est ap­plicable à ceux qui ne voient pas que le parti doit fonctionner de façon organique. Même sils ne théorisent pas une division stricte du travail ils prônent une hiérarchie du savoir. C'est l'euphémi­sme de la chose. On est toujours dans la contradiction bourgeoise qui ne peut se résoudre que dans la bureaucratie parce qu'on n'est pas sur le plan du programme.

Hegel dit : « L'unité organique des pouvoirs de l'Etat implique elle-même que c'est un esprit qui peut fixer le général, qui lui donne sa réalité déterminée et l´exécute. »

« Mais c'est précisément cette unité organique que Hegel n'a pas construite. Les pouvoirs différents ont un principe différent. Ils sont en même temps une réalité ferme. Se réfugier de leur con­flit dans l'unité organique imaginaire, au lieu de les avoir déve­loppés comme élément d'un unité organique, n'est donc qu'une échappatoire mystique et vide de sens. »

Actuellement cette unité organique existe, c'est le capital, qui domine l'ensemble de la société. La tendance à la dictature, au pouvoir personnel, expriment simplement ce fait-là. Seulement la société ne peut rejeter ses oripeaux car l'aveu serait trop révolutionnaire.

« La première collision non résolue était celle entre la constitution entière et le pouvoir législatif. La seconde est celle entre le pouvoir législatif et le pouvoir gouvernemental, entre la loi et l´exécution. » ( pp. 124-125 )

Arrivé à ce stade de l'étude, Marx donne caractéristique de l'apport de Hegel et le secret de son accommodation.

« Hegel n´est pas à blâmer parce qu'il décrit l'être de l'Etat moderne tel qu'il est, mais parce qu'il donne pour l'être de l'Etat ce qui est. Que le rationnel soit réel, cela est précisément en contradiction avec la réalité irrationnelle, ce qui est partout le contraire de ce qu'elle exprime et exprime le contraire de ce qu'elle est. » ( p. 134 )

Cela apparaît magnifiquement dans la critique de l'Etat cons­titutionnel, cf. lettre à Amadéo du 25.02.1964

Deux citations encore qui viennent préciser l'envoi précédent.

« L'abstraction de l'Etat comme tel n'appartient qu'au temps moderne, parce que l'abstraction de la vie privée n'appartient qu'au temps moderne. L'abstraction de l'Etat politique est un produit moderne. » 71.

« Voilà le mystère du mysticisme. La même abstraction qui retrouve la conscience de l'Etat dans la forme inadéquate de la bureaucratie, hiérarchie du savoir, et, sans esprit critique, admet cette existence inadéquate comme existence réelle de pleine valeur, la même abstraction mystique avoue avec la même naïveté que l'esprit réel empirique de l'Etat, la conscience publique, est un simple pot-pourri des « idées et des pensées de plusieurs ». De même que à la bureaucratie elle substitue un être étranger, elle laisse au véritable être la forme inadéquate du phénomène; Hégel idéalise la bureaucratie et rend empirique la conscience publique. Hégel peut traiter la conscience réelle bien à part comme conscience publique. Il a d'autant moins à s'occuper de l'existence réelle de l´esprit d'Etat qu´il se figure l´avoir déjà réalisé comme il convient dans ses soi-disant existences. tant que l´esprit de l'Etat hantait mystiquement l'antichambre, on lui faisait force révérences. Maintenant qu'on l'a attrapé en personne, on le regarde à peine. » 129.

Marx, en critiquant Hégel fait souvent remarquer que pour abolir les collisions entre : pouvoir législatif et constitu­tion, entre pouvoir législatif et gouvernemental etc. qu´ « il est nécessaire que le mouvement de la constitution, que le progrès devienne le principe de la constitution, le peuple, devienne donc le principe de la constitution. » 127. De cette critique sur le plan de l'adversaire il devait aboutir à celle où il donne solution : la Gemeinwesen. Seulement cela n´empêche pas que ce qu'il dit est vrai. Mais ce n'est pas le peuple qui est le principe de la constitution mais le Capital qui pour Marx est bien un être impersonnel ( cf. les passages des Grundrisse où il est question du Capital fixe « de ce capital fixe fait homme lui-même. » L'Etat actuel est l´Ètat politique du Capital se manifestant au travers de ces individus bureaucrates, technocrates, qui doivent assurer l'organisation so­ciale au mieux des intérêts du capital. Donc la conscience ( pour reprendre ce qui est dit plus haut ) ne peut pas être la bureaucratie c'est le capital lui-même.

Une dernière citation illustre ceci :

« L'Etat constitutionnel est l'Etat dans lequel l'intérêt de l'Etat n´existe, en tant qu'intérêt réel du peuple, que formellement, mais existe comme une forme déterminée à côté de l'Etat réel; l'intérêt de l'Etat a repris ici formellement de la réa­lité en tant qu'intérêt du peuple, mais il ne doit également avoir que cette réalité formelle. Il est devenu une formalité, le haut goût de la vie populaire, une cérémonie ( n'est-ce pas cela l'Etat gaulliste ! ) L'élément constituant est le mensonge sanctionné, légal des Etats constitutionnels disant que l'Etat est l'intérêt du Peuple au que le peuple est l'intérêt de l'Etat. Ce mensonge se dévoilera dans le contenu. ( ce contenu apparaît clair et net dans l'Etat fasciste : c´est le capital ) Il s'est établi comme pouvoir législatif, précisément parce que le pouvoir législatif a comme contenu l'universel, est davantage chose de savoir que de volonté, la force métaphysique de l'Etat, tandis que le même mensonge en tant que force gouvernementale, etc.. devrait ou bien a résoudre tout de suite ou se transformer en une vérité. La force métaphysique de l'Etat était le siège le plus adéquat de l'illusion générale et métaphysique de l'Etat. » 137.

Il n'y a plu de force métaphysique, c'est une force bien réelle, celle du capital. ( fin de la lettre )

Si le capital est le principe moteur de la constitution, il faut qu'il se présente comme être général réel, qu'il représente sous forme aliénée l'ensemble des êtres humains qu'il s'assujettit. Le fascisme est une démocratie sociale où, ce qui constitue le peuple des esclaves du capital, c'est le capital lui-même. Marx dit que dans l'antique société grecque la société civile était l'esclave de la société politique, la so­ciété civile est une esclave du capital. La démocratie est parmi les es­claves.

Comment Hegel va-t-il réaliser la conciliation ?

Hegel part de la séparation de la société civile du pouvoir politique-gouvernement ( l´Etat ) ce qui est une caractéristique de la société bourgeoise. Pour concilier cela, il retourne à une vi­sion moyennageuse : « Le summum de l'identité de Hegel, était ainsi qu'il l'avoue lui-même, le moyen-âge. Là les états de la société civile en général et les états au point de vue politique étaient identiques. On peut exprimer l'esprit du moyen-âge en disant que les états de la société civile et les états du point de vue poli­tique étaient identiques parce que la société civile était la société politique : parce que le principe de la société civile était le principe de l´Etat. »

Or, Hegel ne veut aucune séparation de la vie civile et de la vie politique. ( p. 154 )

Les états du moyen-âge indiquaient à la fois la donnée socia­le et politique. Le pouvoir s´exprimait en une hiérarchie de ces états. Religion et politique étaient liées et les hommes étaient devant l´Etat dominant comme devant un être les intégrant, les présupposant. Cet être devait être leur être réel, eux n'étaient qu'animaux ( cf. aussi « La question juive » : le secret de la nobles­se c'est la zoologie, p. 217 ).

« Toute leur existence était politique, leur existence était l´existence de l'Etat. Leur activité législative, leur vote des impôts pour l'Etat, ce n'était qu'une émanation particulière de leur signification et leur activité politique générale. » ( pp. 151-152 )

« Leur fonctionnement comme pouvoir législatif n'était que le complément de leur pouvoir ( exécutif ) souverain et gouvernemental; c'était plutôt leur accession à l'affaire absolument générale en tant qu'affaire privée, leur accession à la souveraineté considé­rée comme un état privé. Les états de la société civile étaient au moyen-âge, en tant qu'états de cette nature, en même temps des états législatifs, parce qu'ils n'étaient pas 'des états privés ou parce que les états privés étaient des états politiques. Les états du moyen-âge, en tant qu'éléments politico-constituants n'acquiè­rent aucune détermination nouvelle. Ils ne deviennent pas politico-constitutants parce qu'ils prenaient part à la législation mais parce qu'ils étaient politico-constituants. »

Ensuite Marx va analyser l'origine de la société bourgeoise. A ce propos, il faut faire une remarque : le côté philosophique, c´est sa lutte politique pour délimiter le féodalisme du capitalis­me. Sa critique est d'abord sur le terrain de l´adversaire. Or, en Allemagne ce terrain était philosophique. Marx apparaît comme phi­losophe lorsqu´il se dispute avec Hegel sur l´origine de la socié­té bourgeoise, sur ses caractères fondamentaux; de même avec les jeunes hegeliens.

Ensuite, dit Marx, il y eut dissociation par suite du dévelop­pement du commerce et de l'industrie. Activités qui n´étaient pas englobées par l'être hiérarchisé. Les individus eurent de plus en plus tendance à avoir un état social séparé de leur état politi­que. Augmentation du pouvoir souverain et dissolution de la puis­sance de la hiérarchie entre lui et le peuple ( souveraineté directe ! ). N'est-ce pas cela le mouvement de la bourgeoisie : abstraire l'Etat pour mieux le conquérir.

La révolution de 1789 pousse cela jusqu´à son stade ultime. Elle fait des états, des états sociaux. L'un d'entre eux le Tiers-Etat veut un état politique correspondant à sa réalité sociale. Pour le représenter, il veut une nouvelle Gemeinwesen; destruction de l'être féodal. Seulement avant que le capital ne se développe et ne s'empare de la société et n'en devienne le moteur, il sem­blait possible. de mettre l'homme abstrait au centre de la ques­tion d'où l'illusion bourgeoise démocrate ( en ce sens Robespierre ressemble à Hegel : ils ne connaissent que l'homme abstrait ).

'Donc au début, la réponse est : il faut mettre l'homme con­cret et non l´homme abstrait au coeur de la constitution; car, évidemment l'homme dérivant d'une abstraction d'une réalité donnée peut devenir contradictoire avec la nouvelle réalité. ( Ajout ulté­rieur )'

Voyons comment Marx expose ce mouvement :

« C'est par un progrès de l'histoire que les états politiques ont été changés en états sociaux, en sorte que les différents mem­bres du peuple, de même que les chrétiens sont égaux au ciel et inégaux sur terre, sont égaux dans le ciel de leur monde politi­que, et inégaux dans l'existence terrestre de la société. La trans­formation proprement dite des états politiques en états civils s'est faite sous la monarchie absolue. ( Marx voit donc déjà de façon claire le rôle historique de la monarchie absolue, période nodale entre le féodalisme et le capitalisme, période justement où l´Etat s'abstraie de plus en plus, est de plus en plus coupé de la réali­té sociale, et où il sera de plus en plus facile de le pénétrer. ) La bureaucratie faisait valoir l'idée de l'unité contre les différents états dans l´Etat. Mais à côté même de la bureaucratie du pouvoir gouvernemental absolu la distinction sociale des états restait néanmoins une distinction politique à l'intérieur et à côté de la bureaucratie du pouvoir gouvernemental absolu. Ce ne fut que la révolution française qui acheva la transformation des états politiques en états sociaux, ou, en d'autres termes, fit des diffé­rences d'états de la société civile de simples différences sociales, des différences de la vie privée, sans importance dans la vie politique. La séparation de la vie politique et de la société ci­vile se trouve achevée. » ( p. 167 )

« Les états de la société civile se transformèrent, eux aussi en même temps : la société civile, de part sa séparation de la so­ciété politique, était devenue autre. L'état au sens médiéval du mot, ne subsista plus qu'à l'intérieur de la bureaucratie même, où la position civile et la position politique sont immédiatement identiques. La société civile s´y oppose comme état privé ( c'est une chose que n'ont pas comprise les barbaristes ! ). La différence des états n'est plus ici une différence du besoin et du travail en tant que corps autonome. La seule différence générale, superficielle et formelle qui existe encore ici, c'est la différence en­tre la ville et la campagne. Mais à l'intérieur de la société même la différence se développa dans des cercles mobiles, pas fixes, dont le principe est l´arbitraire. L´argent et l´instruction sont les critères principaux. Mais ce n´est pas ici, c'est dans la cri tique de l'exposé que Hegel fait de la société civile, que nous aurons à développer cela. Suffit. L'état de la société civile n'a ni le besoin, donc un élément naturel, ni la politique comme principe. C'est une division de masses qui se forment en passant et donc la formation est elle-même une formation arbitraire et non pas une organisation. » ( p. 167 )

Premier élément fondamental mis en évidence : les masses. D'où, erreur de Hegel :

« Le point vraiment important , c'est que Hegel voit une con­tradiction dans la séparation de la société civile et de la so­ciété politique. Mais son erreur, c'est de se contenter de l´apparence de cette solution et de la donner pour la chose elle-même, alors que les « soi-disant théories » qu'il dédaigne réclament la « séparation » dès états civils et des états politiques, et récla­ment à bon droit, vu qu'elles expriment une conséquence de la so­ciété moderne, l'élément politico-constituant n'y étant précisé­ment rien d'autre que l'expression effective du rapport réel entre l'Etat et la société civile, leur séparation. »

« Hegel n'a pas appelé de son nom connu la chose dont il s'agit ici. C'est le différent entre la constitution représentative et la constitution constituante. La constitution représentative est un progrès certain parce qu'elle est l'expression franche, pure et logique de l'Etat moderne. Elle est la contradiction non déguisée. » ( pp. 157-158 )

« L'état privé est l'état de la société civile, contre l'état. L'état de la société civile n'est pas un état politique. »

« C'est la façon non critique, la faon mystique d'interpréter une conception ancienne dans le sens d'une conception nouvelle du monde, interprétation qui en fait quelque chose de lamentablement hybride, où la forme trompe la signification et la signification la forme, où la forme n'acquiert sa signification sa forme réelle parce que la signification n'arrive à la forme ni à la signification réelle. Ce manque de critique, ce mysticisme est l´énigme des constitutions modernes ( et à fortiori des constitutions des états ) aussi bien que le mystère de la philosophie de Hegel, en particu­lier de la philosophie du droit et de la religion. »

« Le meilleur moyen de se débarrasser de cette illusion, c'est de prendre la signification pour ce qu'elle est, pour la détermination proprement dite, d'en faire comme telle, le sujet et de se rendre compte ensuite par comparaison, si le sujet qui est pré­tendu lui appartenir est son prédicat réel, s'il représente son être et sa véritable réalisation. » ( 172-173 )

Un voit ici que Marx reste fidèle à sa définition du renverse­ment : faire des prédicats des sujets ( Différence entre la philoso­phie de Démocrite et d'Epicure ).

Ce mysticisme dérive lui-même du fait que la société bourgeoi­se se prétendait - et pouvait se prétendre - comme émancipation de l'humanité. La question était de savoir quel contenu donner à l'Etat reliant les différents individus constituant la société bourgeoise. Le capital force sociale impersonnelle n'était pas encore assez puissant pour être l'Etre de l'Etat.

« Il y a donc ici, de la part de Hegel, une inconséquence dans sa propre manière de voir et une telle inconséquence est une ac­commodation ( Cf. Différence entre la philosophie de Démocrite et d´Epicure ).. D'autre part on voit bien que Marx est sur le ter­rain de l'adversaire : « L'élément politico-constituant est au sens moderne au sens développé par Hegel, la séparation achevée suppo­sée entre la société civile d'une part, son état privé et ses différences _d'autre part. Comment Hegel peut-il faire de l'état privé la solution des antinomies du pouvoir législatif avec lui-même ? Hegel veut le système constituant médiéval, au sens moderne du pouvoir législatif, et il veut le pouvoir législatif moderne, mais dans le corps du système constituant médiéval : c'est du très mau­vais syncrétisme. » ( p. 197 )

Remarques

1. Pour Hegel, en définitive, ce n'est que le côté pratique qui donne « valeur » au système. L'idée abstraite se nie dans la na­ture. L'idée morale abstraite se nie en ses déterminations, de l´homme, ses actes et dans les éléments de l'Etat. Et à travers ce­lui-ci, elle se réalise. C'est le rapport entre les hommes qui est déterminant.

« L'Etat est la réalité de l'idée morale, l'esprit moral en tant que volonté substantielle, manifeste et évidente à elle-mê­me.. Il a, dans la moralité, son existence immédiate et dans la conscience personnelle de l'individu son existence à lui, considé­ré comme son être, le but et les résultats de son activité, sa liberté substantielle. » Hegel

« La réalité de l'idée morale apparaît ici comme la religion de la propriété privée ( parce que dans la majorat, la propriété pri­vée se trouve avec elle-même dans un rapport religieux, il s'en­suit que, dans nos temps modernes, la religion est devenue comme une qualité inhérente à la propriété foncière et que tous les ouvrages qui traitent du système majoritaire sont pleins d'onction religieuse. » Marx, ( p. 211 )

2. La société féodale est le monde du droit coutumier. Cela indique les différentes modalités qu'a l'homme d´entrer en con­tact avec la nature et ses semblables. dans un milieu donné ( cf. article ultérieur sur la loi à propos des vols de bois ).

Le féodalisme, par rapport à l'antiquité, restaure un être organique mais aliéné à la puissance divine qui est l'abstraction de l'être générique de l'homme.

La société antique esclavagiste est à la recherche de cet être général de l'homme. Elle pose l'homme politique, zoon politikon, comme pouvant le représenter. C'est l'homme de la polis. Celui-ci est encore sous la dépendance des phénomènes naturels, de la pro­duction limitée; il est donc dominé par la fatalité.

3. En société bourgeoise; notion hiérarchisée mais plus orga­nique : position sociale, situation sociale. Cette position est dé­terminée par l'argent. L'augmentation de la quantité de celui-ci fait gravir des échelons à l'individu. Or, l'argent n'ayant pas de maître, tous les individus peuvent en théorie accéder à la si­tuation la plus favorisée et ainsi avoir une situation politique puissante. Puis l'argent est capital et domine l'ensemble de la société. Tout est donc présupposé par celui-ci.

En société féodale, était seigneur celui qui possédait terre ou cheval, était porteur d'épée. La terre était inaliénable, impossibilité de gravir les échelons.

Marx analyse ensuite comment Hegel voit le problème de l'in­dividu dans la société :

« Dans l'individu se montre ici ce qui est la loi générale : la société civile et l'Etat sont séparés. Donc le citoyen de l'Etat et le citoyen simple membre de la société civile sont également séparés ( Marx anticipe sur ce qu'il dira dans la Question Juive où il critique les Droits de l'Homme et du Citoyen ). Il faut donc qu'il opère une rupture essentielle avec lui-même. En tant que ci­toyen réel il se trouve dans une organisation double, l'organisa­tion bureaucratique - c´est une détermination formelle extérieure de l'Etat opposé, du pouvoir gouvernemental, qui ne touche ni à lui, ni à sa réalité indépendante - et l'organisation sociale, l'organisation de la société civile. Mais dans celle-ci il se trou­ve, comme homme privé, hors de l'Etat; elle ne touche pas à l´Etat politique comme tel. » ( p. 161 )

« Le citoyen doit dépouiller son état, la société civile, l´état privé, pour acquérir signification et activité politiques, car cet état se trouve précisément entre l´individu et l'Etat po­litique. » ( p. 165 )

« L'atomistique où la société civile se précipite par son acte politique ressort nécessairement de ce que la communauté, l´ensem­ble communiste, où l'individu existe, est la société civile sépa­rée de l'Etat ou que l'État politique est une abstraction de cette société. » ( p. 165 )

« La seule caractéristique, c'est que le manque de biens et l'état de travail immédiat, l'état de travail concret, forment moins un état de la société civile que le terrain sur lequel reposent et se meuvent les cercles de cette société. L'état proprement dit, où la position politique et la position civile coïncident, n'est que celui du pouvoir gouvernemental. L'état actuel de la société mon­tre sa différence de l´ancien état de la société civile rien que par le fait qu'il n´est pas comme jadis, quelque chose de commun, une communauté tenant l´individu, mais qu'il est pour une partie de la contingence, pour un partie du travail, etc., de l´individu, que celui-ci se tienne ou non dans son état; c´est un état qui n´est à son tour qu'une détermination extérieure de l'individu, car il n'est pas inhérent au travail de l´individu et ne se rapporte pas non plus à lui comme une communauté objective organisée d'après des lois fixes et ayant avec lui des relations fixes. Il ne se trouve, plutôt, dans aucune relation réelle avec son action substantielle, avec son état réel. Le médecin ne forme pas d'état particulier dans la société civile. Un commerçant appartient à un autre état, à une autre position sociale que l'autre commerçant. Tout comme la société civile s'est séparée de la société politique, la société civile s'est dans son propre sein, divisée en l´état et en situation sociale, malgré toutes les relations entre les deux. Le principe de l´état civil ou de la société civile est la jouissance ou la capacité de jouir. Dans sa signification politique le membre de la société civile se détache de son état, de sa position privée réelle : c'est là seulement qu'il vaut au titre d'homme ( par la constitution, n.d.r ), ou qu'apparaît sa détermination comme membre de l'Etat, comme être social, comme sa détermination humaine. Car toutes ses autres déterminations dans la société civile apparaissent comme inessentielles à l'homme, à l'individu, comme des déterminations extérieures, qui sont, il est vrai, nécessaires à son existence en général, c´est-à-dire en tant que lien avec l'ensemble, lien dont il peut tout aussi bien se débarrasser par la suite. ( La société civile actuelle est le principe réalisé de l'individualisme; l'existence individuelle est le but final : activité, travail, contenu, etc., ne sont que des moyens. ) ( pp. 167-169 )

Ailleurs Marx dira : il utilise la vie de l'être générique pour son propre but.

« L'homme réel est l'homme privé de la constitution actuelle de l'Etat. »

« L'Etat a de façon générale, la signification que la différence la séparation sont l'existence de l'individu. Sa façon de vivre, d'agir, etc., au lieu d'en faire un membre, une fonction de la société, en fait une exception de la société et constitue son privilège. Que cette différence n'est pas une simple différence individuelle, mais s'établisse en tant que communauté, état, corporation, cela non seulement n'en supprime pas la nature exclusive, mais n'en est plutôt que l'expression. Au lieu d'être fonction de la société, la fonction individuelle devient plutôt une société pour soi. » ( pp. 169-170 ) ( cf. « où le privilège est considéré comme correspondant à la propriété privée assujettie aux états et le droit comme correspondant au système de la concurrence et aussi le droit de l´homme comme privilège et la propriété comme monopole. » t. VII, ( p. 206 )

« Non seulement l'état repose sur la séparation de la société comme loi générale, il sépare en outre l'homme de son être général, il en fait un animal qui coïncide directement avec sa déterminabilité. Le moyen-âge est l'histoire animale de l'humanité, sa zoologie. » 170 ( cf. aussi pp. 216-217 )

« Le temps moderne, la civilisation commet la faute inverse. L'être concret de l'homme, il le sépare de lui comme être purement extérieur, matériel. Elle ne prend pas le contenu de l'homme pour sa véritable réalité. » ( p. 170 ) Or, il est important de noter que le capitalisme tend à sortir de la sphère de la réalisation des besoins matériels de l´homme. Parce que le caractère matériel de l'homme qui intéresse le capital c'est son usage, sa faculté d'engendrer la valeur.

L'état de quelqu'un c'est le fait d'être. Dans les sociétés précapitalistes, cet état est déterminé par l'appartenance à la tribu, à la cité, à la terre ( la cité est la forme abstraite de la tribu qui s'est sédentarisée ). L'état individuel est déterminé par l´état social; l'être déterminé par l'être générique.

Dans la société bourgeoise, séparation état civil état politi­que retentit sur l'individu et donne l´état de l'individu, son état politique ( son rapport à l'être général ) et sa situation so­ciale. Cette dernière masque la première parce quelle dépend de l'argent qui « fonde » tout ( l'argent-capital ). C´est de l'abstrac­tion généralisée que l´individu affirme son être. Seulement pour Hegel n'y aurait-il pas possibilité de la part des états de faire une médiation entre société politique et individus ?

« Les états doivent être « médiateurs » entre le prince et le gouvernement dune part et le peuple d'autre part, mais ils ne le sont pas, ils sont plutôt l'opposition politique organisée de la société civile. » ( p. 191 )

« Il faut que l'élément constituant soit posé comme volonté souveraine ou que la volonté souveraine soit posée comme élément constituant... »

« Mais c'est l'illusion posée de l´unité de l'Etat politique avec lui-même ( de la volonté souveraine et la volonté constituan­te, outre le principe de l´Etat politique et de la société civi­le ), de cette unité comme principe matériel, c´est-à-dire de telle façon que non seulement deux principes opposés s'unissent, mais que leur unité soit la nature, la raison d'existence. Cet élément de l'élément constituant est la romantique de l'Etat politique, les rêves de sa substantialité ou de son accord avec lui-même. c´est une existence allégorique. » ( p. 192 ) [1]

Mais toute conciliation, toute volonté harmonique;

N'y aurait-il pas un état particulier qui permette de faire l´union Etat-individu ( une situation politique ) ? Cet état est celui de la moralité naturelle. Or, ceci est réalisé chez les paysans. ( p. 193 )

Cela conduit Hegel à revaloriser le majorat, donc la propriété privée qui devient le fondement de l´Etat ( cf. ce qui se produisit avec le système censitaire ). ( pp. 205 et 208-209 )

« La réalité de l'idée morale apparaît ici comme la religion de la propriété privée ( parce que, dans le majorat, la propriété privée se trouve avec elle-même dans un rapport religieux, il s'ensuit que, dans nos temps modernes, la religion est devenue en somme une qualité inhérente à la propriété foncière et que tous les ouvrages qui traitent du système majoritaire sont pleins d'onction religieuse. La religion est la forme suprême de cette bru­talité ). » ( p. 211 )

« On a beaucoup attaqué Hegel au sujet de son développement de la morale. Il n'a fait que développer la morale de l´Etat moderne. On a voulu séparer davantage la morale de l´Etat, l'émanciper da­vantage. Qu´a-t-on prouvé par là ? que la séparation de l´Etat actuel de la morale est morale, que la morale n'est pas l'élément de l´Etat et que l'Etat n'est pas moral. Hegel a plutôt le grand mérite, inconscient dans une un certain sens ( dans ce sens que He­gel nous donne l´Etat, qui a une telle morale comme présupposi­tion, pour l'idée réelle de la moralité ), d'avoir assigné sa vraie place à la morale moderne. » ( pp. 221-222 )

Quelques remarques caractérisant la société féodale qui peuvent ensuite être utiles pour comprendre le capitalisme finis­sant de notre époque.

« Il faut signaler deux éléments dans le majorat héréditaire :

1. L'élément constituant c'est le bien héréditaire, la propriété foncière. C'est l'élément durable dans le rapport, la substance. Le maître, le possesseur du majorat n'est à vrai dire qu'un accident. La propriété foncière s'anthropomorphose ( on peut di­re de même que le capital s'anthropomorphose ( cf. ce que dit Marx à propos du capital fixe ) dans les différentes générations. La propriété foncière hérite en quelque sorte toujours le premier-né de la maison comme un attribut attaché à cette propriété. Tout premier-né dans la série des propriétaires fonciers est la part d'héritage, la propriété de la propriété foncière inaliénable, la substance prédestinée de sa volonté et son activité. Le sujet est la chose et le prédicat est l´homme. La volonté devient la pro­priété de la propriété.

2. La qualité politique du majoritaire est la qualité politi­que de son bien héréditaire, une qualité politique inhérente à ce bien héréditaire. La qualité politique apparaît donc également ici comme une qualité qui revient directement à la terre ( la nature ) purement physique. » ( pp. 217-218 )

Dans la société capitaliste la même chose est valable, seule­ment rapporté au capital. Seule différence : le capital abstrait l'homme, force de travail; toute la substance humaine est capital. D'où le capital s'anthropomorphose. Il le fait aussi dans son lien avec la société civile : l'ensemble des hommes, puisqu'il a besoin d'individus pour faire appliquer sa dictature. Ce sont les bureau­crates, les technocrates, etc... L'homme, c'est l'homme abstrait défini par la constitution. ( En plus de cela il ne faut pas ou­blier que le capital s'est assujetti toute la science, tout le travail intellectuel humain, et il domine au nom même de cet amas de connaissances. Il est la connaissance, l'homme le manoeuvre. ) A l'encontre de l'homme de la société féodale qui était surtout animal, l'homme de la société bourgeoise est un pur esprit.

Ensuite Marx analyse la propriété privée et sa signification chez les romains et au moyen-âge.

« La propriété privée est de raison romaine et de sentiment germanique. » ( p. 224 )

« Les romains, à vrai dire, furent les premiers à développer le droit de la propriété privée, le droit abstrait, le droit privé, le droit de la personne abstraite. Le droit privé romain est le droit privé dans son développement classique. Mais nous ne trouvons nulle part chez les romains que le droit de la propriété privée ait été mystifié comme chez les germains. Et nulle part, il ne devient non plus droit public. » ( p. 224 )

« Que la société civile pénètre donc en masse et, si possible, toute entière dans le pouvoir législatif, que la société civile ré elle veuille se substituer à la société civile fictive du pouvoir législatif, ce n'est pas autre chose que la tendance de la société civile à se donner une existence politique ou à faire de l'existence politique son existence réelle apparaît comme la tendance à participer de façon aussi générale que possible au pouvoir législatif. » ( p. 241 )

En définitive, la critique de Marx a porté autant sur l'absence d'organicité de la société. L'espèce humaine est atomisée et elle est cloisonnée en ses déterminations : états, ordres, classes... qui s'affrontent à un Etat représentant de la Gemeinwesen qui est devenue abstraction de l'être humain. Le capital s'en est emparé.

« L'Etat moderne fait de lui-même abstraction de l'homme réel, ou ne satisfait tout l'homme que de faon imaginaire. » ( Critique à la philosophie du Droit de Hegel )

Notes

[1] Le propre des petits-bourgeois est de chercher un élément médiateur : conciliation entre individus et Etat.

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