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La mystification démocratique - suite


REMARQUES SUR LES OEUVRES DE JEUNESSE DE MARX. LA QUESTION JUIVE 1844.

Dans ses oeuvres de jeunesse, Marx arrive toujours au même résultat : il faut rétablir l'antique Gemeinwesen qu'il suppose plis qu'il ne connaît. Ce seront les oeuvres de Morgan qui lui permettront de fonder cette intuition. C'est pourquoi il résoud le problème dans la pratique en rompant avec la philosophie. La solution n´est tout de même philosophique, en ce sens qu'elle provient de la destruction de celle-ci. Il ne suffisait pas que l'idée aille à la recherche de la réalité, il fallait que celle-ci aille à la recherche de ridée. Marx va montrer ce mouvement en étudiant le capital. Il montre que dans son entier, la société tend vers le communisme. Ici encore, on pourrait dire, en faisant le même raisonnement, qu´il donne une solution économique.

Seulement Marx montre que pour libérer l'homme, le communisme prisonnier de la société bourgeoise, il faut l'intervention consciente de l'homme, le parti. Le problème est un problème d'action et là est l'originalité fondamentale de Marx. Pour lui il faudra savoir quand on peut agir, comment on peut, comment on pourra empêcher le retour du capitalisme. Donc analyse de la révolution et de la contre-révolution : matérialisme historique, vision catastrophique de la société.

La Question Juive. 1844.

Dans la Question Juive se trouve posé le problème du rapport de la religion à l´Etat. Cela conduira à la question suivante : la société bourgeoise a-t-elle libéré l'homme de la religion ?

« Dans quel rapport l'émancipation achevée se trouve-t-elle vis-à-vis de la religion ? » ( p. 172 )

Ici, encore, Marx donne des considérations de méthode qui l'amène à reexposer le renversement de la connaissance. Il trouvera les limitations et les défectuosités sur le plan pratique.

On peut répondre : il y a une émancipation de l'Etat : « l'Etat s'émancipe de la religion en s'émancipant de la religion de l'Etat, c'est-à-dire en ne reconnaissant aucune religion, mais en s'affirmant purement et simplement comme Etat. » ( p. 173 )

« Mais l'existence de la religion est l'existence d'une défectuosité. La source de cette défectuosité ne peut être recherchée que dans l'essence de l'Etat. » ( p. 172 )

Mais ce n'est pas l'émancipation réelle : « S´émanciper politiquement de la religion, ce n'est pas s'émanciper d'une manière absolue et totale de la religion, parce que l'émancipation politique n'est pas le mode absolu et total de l'émancipation humaine. » ( p. 173 )

« Après que l'histoire s´est assez longtemps résolue en superstition, nous résolvons la superstition en histoire. »

« Donc renversement dont nous avons parlé. De plus : pourquoi y a-t-il superstition. ? D´où vient-elle ? Il n'y a pas de problème gratuit, c'est-à-dire un problème qui ne tende pas à satisfaire un besoin humain. Le gratuit est peut-être l'expression de l'inassouvissement total de l'homme; inassouvissement dont il ne connaît pas la cause, ce qui augmente encore la notion de gratuité.

« La question des rapports de l'émancipation politique et de la religion devient pour nous la question des rapports de l'émancipation humaine. » ( p. 173 )

Cette émancipation réclame une connaissance de ce qu'est l'homme, donc une définition de celui-ci.

« La limite de l'émancipation politique apparaît immédiatement dans ce fait que l'Etat peut s'affranchir d'une barrière sans que l'homme en soit réellement affranchi, que l'Etat peut être un Etat libre sans que l'homme soit un homme libre. » ( pp. 173-174 )

Ainsi un pays peut accéder à l'indépendance, donc à la liber­té, sans que cela corresponde à une libération des hommes de ce pays. Un Etat peut se libérer d'entraves économiques venant d'au­tres pays ( d'entraves féodales par exemple ) sans qu'il y ait libé­ration pour les hommes.

Donc critique de tous ceux qui veulent rester sur le plan de l´Etat et veulent celui-ci libre; contre les proudhoniens, les las saliens etc.. ( cf. Critique au programme de Gotha ).

Voici l'explication :

« L'élévation politique de l'homme au-dessus de la religion participe à tous les inconvénients et à tous les avantages de l´élé­vation politique en général. L'État comme tel supprime par exemple la propriété privée, l'homme décrète, politiquement, l'abolition de la propriété privée, dès qu'il décide que l'électorat et l´éligibilité ne sont plus liés au cens, ainsi qu'on l'a décidé dans nombre d'Etats d'Amérique du Nord. Hamilton interprète très exactement ce fait au point de vue politique : « La grande masse a rempor­té la victoire sur les propriétaires et la richesse financière. » La propriété privée n'est-elle pas supprimée théoriquement, lors­que celui qui ne possède rien est devenu le législateur de celui qui possède ? Le cens est la dernière façon politique de reconnaître la propriété privée. »

« Mais l'annulation politique de la propriété privée, non seu­lement ne supprime par la propriété privée, mais la suppose même. »

Le cens était une forme subissant le poids du passé : la pro­priété privée donnait un droit à être homme, donc à défendre. De même l'argent donnait le droit d'être citoyen.

Nous sommes arrivés au bout du cycle : le capital légifère pour les hommes. Il n'y a plus besoin d'avoir de l'argent pour voter. Seulement l'appartenance plus ou moins étroite permet de jouir d'un privilège plus ou moins grand en cette société.

Marx va indiquer maintenant ce que représente l'Etat pour la bourgeoisie. C'est l'apparente conciliation qui fait qu'il devient le monde illusoire de l'homme. Il va montrer ce monde d'illusions.

« L'Etat politique parfait est, d'après son essence, la vie gé­nérique de l'homme par opposition à sa vie matérielle... et rempli dune généralité irréelle. » ( p. 177 )

La critique fondamentale est là : mettre en évidence la coupure de l'homme d'avec sa Gemeinwesen. Coupure engendrée par la propriété privée et la division du travail. Marx raisonne en fonction du communisme. La solution n´est pas sur le plan de l´Etat mais dans la Gemeinwesen.

Critique de l´atomisation de l´homme, de sa segmentation.

« La différence entre l'homme religieux... en peau de lion. » ( p. 178 )

« L'émancipation politique constitue, somme toute, un grand progrès. Elle n'est pas, il est vrai, la dernière forme de l'émancipation humaine dans les cadres de l'ordre social actuel. Entendons­ nous bien, nous parlons ici de l'émancipation réelle, de l'émanci­pation pratique. » ( p. 175 )

Le mouvement ouvrier se plaça trop sur le plan de l'émancipa­tion politique. L'histoire des divers mouvements ouvriers montre les différents modes de liquidation de l'émancipation politique, de celle de la société féodale et le mode de s'opposer à la socié­té bourgeoise. Tares particulières qui seront bases de développe­ment pour l'implantation de la vague stalinienne, en même temps que celle-ci unifie toutes les tares en devenant la tare du mouve­ment ouvrier international.

Or, l'essentiel c'est la question de la Gemeinwesen. La libération pratique, réelle, c'est la constitution de la nouvelle Gemeinwesen.

« L'homme s'émancipe politiquement de la religion, en la reje­tant du droit public dans le droit privée... Elle n'est plus l'es prit de l'Etat... elle est devenue l'esprit de la société bour­geoise, de la sphère de l´égoïsme, de la guerre de tous contre tous. Elle n'est plus l'essence de la communauté, mais de la dis­tinction. Elle est devenue ce qu'elle était à l'origine; elle ex­prime que l'homme est séparé de sa communauté de lui-même et des autres hommes. Elle n'est plus que l'affirmation abstraite de l'absurdité personnelle, de l'arbitraire... » ( cf. formulation similai­re in « Critique de la philosophie du droit de Hegel » : « La reli­gion est en réalité la conscience et le sentiment propre de l'hom­me qui, ou bien ne s'est pas encore trouvé, ou bien s'est déjà reperdu. » )

D'où vanité de l'émancipation politique et impossibilité pour l'Etat de représenter réellement l'homme.

« La décomposition de l'homme en juif... à la suppression de la vie, à la guillotine. » ( pp. 180-181 ). Puis Marx caractérise la pé­riode révolutionnaire de la société bourgeoise ( Robespierre, St. Just ) : « Aux moments où l'Etat prend particulièrement conscience de lui-même, la vie politique cherche à étouffer ses conditions pri­mordiales, la société bourgeoise et ses éléments, pour s'ériger en vie générique véritable et absolue de l'homme. Mais elle ne peut atteindre ce but qu'en se mettant en contradiction violente avec ses propres conditions d'existence, en déclarant la révolution à l'Etat permanent; aussi le drame politique se termine-t-il néces­sairement par la restauration de la religion, de la propriété pri­vée de tous les éléments de la société bourgeoise, tout comme la guerre se termine par la paix. » ( p. 181 ) Ainsi ressort fondamentale­ment l'erreur tragique de Robespierre et de St. Just comme l'expli­que Marx dans la Sainte Famille. C'est au fond l'impossibilité de l'émancipation politique qui a ses contradictions internes. Ils ont exprimé cela de la manière la plus intense.

Marx analyse ensuite le rapport entre l'Etat chrétien et la religion : « Bien plus l´Etat chrétien parfait, ce n'est pas le prétendu Etat chrétien, qui reconnaît le christianisme comme sa base, comme la religion de l´Etat, et prend une attitude exclusive en­vers les autres religions, c'est plutôt l´Etat athée, l´Etat démo­cratique, l´Etat qui relègue la religion parmi les autres élé­ments de la société bourgeoise. » Jusqu´à la page 183 où se trouve l'analyse de l´Etat démocratique :

« L'Etat démocratique, le véritable Etat, n'a pas besoin de la religion pour son achèvement politique. Il peut, au contraire, faire abstraction de la religion, parce qu´en lui le fond humain de la religion est réalisé de façon profane. L'Etat dit chrétien a tout au contraire une attitude politique vis-à-vis de la religion, et une attitude religieuse vis-à-vis de la politique. S'il ravala les formes politiques en apparence, il ravale tout aussi bien la religion pour la forme. » ( p. 183 )

L´Etat démocratique est la dernière forme de l'Etat, il est sa forme ultime. Il pose l'homme souverain et lui-même est la souve­raineté de l'homme. Auparavant, l'Etat était le dépositaire profa­ne de la volonté divine, il dominait les hommes.

« Ce qui vaut dans l´Etat dit religieux, ce n'est pas l'homme c'est l'aliénation. Le seul homme qui compte, le roi, diffère spé­cifiquement des autres hommes et est, en outre, un être encore re­ligieux se rattachant directement au ciel, à Dieu. Les relations qui existent ici sont encore des relations fondées sur la foi. L´esprit religieux ne s'est donc pas encore réellement sécularisé. » ( p. 185 )

L'Etat démocratique érige la mystification à une fonction d­´Etat; il est la mystification achevée.

Sous le féodalisme, l'homme délègue toute son humanité à un Etat religieux, il n'est qu'animal. Dans l'Etat démocratique, on pose identité de l'être réel et de l'être théorétique, celui défini par la société civile et celui défini par l´Etat. Ou bien l'on dit que c'est le second qui détermine le premier. En fait lorsque le capital se développe, on constate que celui-ci s'approprie Mètre réel des hommes, leur force de travail afin de leur ravir de plus en plus de plus-value. Le capital devient Etat avec le fascisme. L´être humain est réduit à un pur esprit à une définition posée par la constitution. L'être humain n'est plus qu´une abstraction. Il avait pu sembler que ce serait l'être humain réel qui allait diriger l´Etat ( émancipation politique ). Seulement on ne se rendait pas compte que la force matérielle passait en fait à une force im­personnelle, le capital. L'homme quittait une sujétion immatérielle pour en subir une bien matérielle. La période de passage de lune à l´autre est celle de toutes les illusions. Celle où la mystification démocratique peut se développer et a même une certaine fonc­tion historique.

L'Etat démocratique est d´autre part la réalisation profane de la religion, la dernière forme dans laquelle la religion peut se manifester. « Mais l'esprit religieux ne saurait être réellement sécularisé. En effet, qu'est-il sinon la forme nullement séculière d'un développement de l´esprit humain ? L'esprit religieux ne peut être réalisé que si le degré de développement de l'esprit humain, dont il est l'expression, se manifeste et se constitue dans sa for me séculière. C'est ce qui se produit dans l'Etat démocratique. Ce qui fait le fond de cet Etat, ce n´est pas le christianisme, mais le fond humain du christianisme. La religion demeure la conscience idéale, non séculière, de ses membres, parce qu'elle est la forme idéale du degré de développement humain qui s'y trouve réalisé. » ( p. 186 )

Donc critique de la démocratie. Ici Marx dépasse le dernier stade et remarque que cette forme d'organisation de la société hu­maine réintroduit un dualisme ( cf. particulièrement : l'homme est souverain et délègue sa souveraineté à l´Etat, contrat social de Rousseau ). Le dualisme individu de la société civile et de l'Etat politique indique la séparation de l'homme d'avec lui-même et en même temps la recherche de cet homme. Le dualisme est une forme religieuse de percevoir le monde et il traduit une attitude reli­gieuse.

« Religieux, les membres de l´Etat politique le sont par le dualisme entre la vie individuelle et la vie générique, entre la vie de la société bourgeoise et la vie politique; religieux, ils le sont dans ce sens que l´homme considère comme sa vraie vie la vie politique située au-delà de sa propre individualité; religieux ils le sont dans ce sens que la religion est ici l'esprit de la société bourgeoise, l'expression de ce qui sépare et éloigne l´homme de l'homme. » ( p. 187 )

La religion pose deux mondes; un monde nouménal inconnaissable à l'homme et un monde phénoménal ou le monde de l'homme. De même l'État est le monde en dehors de l'individualité humaine, tandis que la société civile est celui des individus. Donc dualisme Etat individu. Marx met bien en évidence ce dualisme, de même dans ce qui suit il fait saillir celui entre homme-individualité et homme générique dont le premier n'est qu'une variante.

« Chrétienne, la démocratie politique l'est dans ce sens que l'homme, non seulement un homme, mais tout homme, y est un être sou­verain, un être suprême, mais l'homme ni cultivé, ni social, l'homme dans son existence accidentelle, l'homme tel qu'il est, l'homme tel qu'il a été corrompu, perdu pour lui-même, aliéné par toute l'organisation; l'homme qui n'est pas encore un être réel de l'espè­ce. »

C'est-à-dire donc un être qui ne peut être appelé l'être hu­main. Nous sommes encore dans la préhistoire de l'humanité. Pour que l'être générique existe, il faut que se réalise la Gemeinwe­sen, seule forme d'être de l'homme qui le réalise, car c'est seule ment là qu'est abolie l'opposition dualistique dont il a été par­lé. Ensuite Marx continue par une critique à la fois de l´Etat et de la démocratie.

« La création imaginaire, le rêve, le postulat du christiani­sme, la souveraineté de l'homme, mais de l'homme en tant qu'être absolument « différent de l'homme réel, tout cela devient, dans la démocratie, de la réalité concrète et présente, une maxime séculière. » ( p. 187 )

« La conscience religieuse et théologique s'apparaît à elle-mê­me, dans la démocratie parfaite, d'autant plus religieuse et d'au­tant plus théologique qu'elle est, en apparence, sans significa­tion politique, sans buts terrestres, une affaire du coeur ennemi du monde, l'expression de la nature bornée de l'esprit, le produit de l'arbitraire et de la fantaisie, une véritable vie de l'au-de­là. Le christianisme atteint ici l'expression pratique de sa signification religieuse universelle, parce que les conceptions les plus variées du monde viennent se grouper dans la forme du chris­tianisme, et surtout parce que le christianisme n'exige même pas que l'on professe ce christianisme, mais que l'on ait de la reli­gion, une religion quelconque ( voir Beaumont ). La conscience re­ligieuse se délecte dans la richesse de la contradiction religieu­se de la variété religieuse. »

La démocratie est la forme parachevée du dualisme, mais d'un dualisme pratique. De ce fait, c'est la réalisation pratique de la religion. Ce n'est qu'en détruisant la démocratie que nous pour­rons éliminer la religion. L'humanité ne se pose que des problèmes pratiques, qui ne peuvent être résolus que par la pratique. De ce fait, dès maintenant notre pratique doit être destruction de la religion et de la démocratie.

« Nous avons donc montré qu'en s'émancipant de la religion on laisse subsister la religion, bien que ce ne soit plus une reli­gion privilégiée. La contradiction dans laquelle se trouve le sec­tateur d'une religion particulière vis-à-vis de sa qualité de ci­toyen n'est qu'une partie de l'universelle contradiction entre l'Etat politique et la société bourgeoise.

Sous la féodalité l'Eglise était propriétaire foncier, sous le capitalisme elle est entreprise capitaliste. En conséquence elle est soumise à la libre concurrence. Mais, par là, son rôle réel, pratique lui est reconnu. Les différentes religions avec leurs différentes églises se disputent le marché des âmes des esclaves du capital. Mais, elle ne peut être un pouvoir qui conteste celui du capital, parce que celui-ci s'est assujetti toutes les puissances matérielles et spirituelles de ce monde.

« L'achèvement de l'Etat chrétien, c'est l'Etat qui se donne comme Etat et fait abstraction de la religion des ses membres. L'émancipation de l'Etat de la religion n'est pas l'émancipation de l'homme réel de la religion. »

Cela d'autant plus qu'ultérieurement le capital reconnaît la religion en tant que force contraignante sur le prolétariat et l'utilise. Si donc l'Etat s'est émancipé de la religion, cela permet au capital de la conquérir et, ensuite, cet Etat utilise la reli­gion pour faire accepter le pouvoir du capital.

Marx va étudier le rapport Etat-religion au niveau des droits de l'homme et du citoyen, ce qui l'amène à préciser le rapport in­dividu à la religion et à faire une critique de la Déclaration et à analyser la différence entre homme et citoyen.

« D'après Bauer, l'homme doit sacrifier le « privilège de la foi », pour pouvoir recevoir les droits généraux de l'homme. » On voit ici la position inchangée des réformistes, immédiatistes, etc : concilier; ici, conciliation individu-espèce. « Considérons un instant ce qu'on appelle les droits de l'homme, considérons les droits de l'homme sous leur forme authentique, sous la forme qu'ils ont chez leurs inventeurs, les Américains du Nord et les Fran­çais ! Ces droits de l'homme sont, pour une partie, des droits po­litiques, des droits qui ne peuvent être exercés que si l'on est membre d'une communauté. La participation à la vie commune politi­que, à la vie de l'Etat, voilà leur contenu. Ils restent dans la catégorie de la liberté politique. »

Puis viens l'analyse de la différence entre droits de l´homme et ceux du citoyen.

« Constatons avant tout le fait que les droits de l'homme, dis­tincts des droits du citoyen, ne sont que les droits du membre de la société bourgeoisie, c'est-à-dire de l'homme égoïste, de l'hom­me séparé de l'homme et de la communauté. »

Donc dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen est exprimé le dualisme : l'homme abstrait défini par les droits de l'homme et celui concret défini par l'Etat de la classe dominante : les droits du citoyen. Non seulement il y a là dualisme mais il y a un essai de conciliation. Donc elle est elle-même religieuse.

« L'inconciabilité de la religion et des droits de l'homme se trouve si peu dans le concept des droits de l'homme, que le droit d'être religieux, et de l'être à son gré, d'exercer le culte de sa religion particulière, est compté expressément au nombre des droits de l'homme. Le privilège est un droit général de l´homme. » La question est escamotée en faisant de la religion un besoin im­muable de la nature humaine; ou bien on généralise un phénomène : « le privilège de la foi est un droit général de l'homme. »

1. La liberté

Elle suppose l'individualité totale absolue, irréductible. La coupure totale des hommes d'avec les autres : « La liberté est dont le droit de faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Les limites dans lesquelles chacun peut se mouvoir sans nuire à autrui sont fixées par la loi, de même que la limite de deux champs est fixée par un piquet. Il s'agit de la liberté de l'homme considéré comme une monade isolée, repliée sur elle-même. »

Dans toutes les sociétés l'homme n'existe que parce qu'il appartient à une communauté. Dans le capitalisme, l'homme individuel est posé directement parce qu'est directement posée sa proprié­té privée ( un avoir déterminé ). Quelle peut donc être la communau­té dans la société capitaliste ?

De là il découle que le droit à la liberté est le droit à la séparation entre les hommes. « Pourquoi, d'après Bauer, le juif est-il inapte à recevoir les droits de l´homme ? Tant qu'il sera juif, l'essence bornée qui fait de lui un juif remportera forcé­ment sur l´essence humaine qui devrait comme homme le rattacher aux autres hommes; et elle l'isolera de ce qui n'est pas juif. » Mais le droit de l'homme, la liberté, ne repose pas sur les rela­tions de l'homme avec l'homme, mais plutôt sur la séparation de l´homme d'avec l'homme. « C'est le droit de cette séparation, le droit de l'individu limité lui-même. »

« L'application pratique du droit de liberté, c'est le droit de propriété privée. Mais en quoi consiste ce dernier droit ? » ( Au­trement dit c'est sa manifestation, il faut qu'il possède quelque chose pour être libre ). « Le droit de propriété est celui qui appartient à tout citoyen de jouir et de disposer a son gré des biens, de ses revenus, du fruit de son travail et de son industrie. » ( Constitution de 1793, art. 16 )

Le droit de propriété est donc le droit de jouir de sa fortune et d'en disposer à son gré, sans se soucier des autres hommes, in­dépendamment de la société; c'est le droit de l´égoïsme. C'est cette liberté individuelle, avec son application qui forme la base de la société bourgeoise. Elle fait voir à chaque homme, dans un autre homme, non pas la réalisation, mais plutôt la limitation de la liberté. » Donc proclamation du caractère borné de l'individu qui est érigé en droit. On voit combien le droit à la liberté est le droit à être bête.

2. L'égalité

« Le mot égalité n'a pas ici de signification politique; ce n'est que l'égalité de la liberté définie ci-dessus; tout homme est également considéré comme une telle monade basée sur elle-même. »

3. La sûreté

« Art. 8. La sûreté consiste dans la protection accordée par la société à chacun des ses membres pour la conservation de sa personne, de ses droits et de ses propriétés. »

« La sûreté est la notion sociale la plus haute de la société bourgeoise, la notion de la police : toute la société n'existe que pour garantir à chacun de ses membres la conservation de sa personne, de ses droits et de ses propriétés. C'est dans ce sens que He­gel appelle la société bourgeoise « l'Etat du besoin et de la rai­son. »

La sûreté ( peut-être la sécurité ) c'est la notion la plus im­portante. C'est là que réside la mystification la plus haute du capital. Quelle sûreté peut avoir le prolétaire qui ne possède rien et qui pour cela est rejeté de tous ? Dans un premier temps l´Etat ne fait que pallier aux impondérables de la société bourgeoise; il assure de plus la sûreté ( sécurité ) de la propriété privée. Après il assure celle de toutes les couches du capital en assurant la péréquation. Seulement de plus en plus sa fonction est d'assu­rer sûreté du capital contre le prolétariat. Plus la domination du capitalisme tend à devenir précaire, plus l´État renforce son dis­positif de sécurité. Mais les idéologues n'y croient pas telle­ment : D'où leur théorisation du principe d'incertitude : reflet dans les sciences, de leur incapacité à prévoir les phénomènes économiques de grande amplitude : ceux qui vont tout bouleverser et donc amener le prolétariat au pouvoir. Ce principe ne fait qu'indiquer l'existence transitoire du mode de production capitaliste.

« La notion de sûreté ne suffit pas encore pour que la société bourgeoise s'élève au-dessus de son égoïsme. La sûreté est plutôt l'assurance de son égoïsme. »

« Aucun de ces prétendus droits de l'homme ne dépasse donc l'homme égoïste, l'homme tel qu'il est, membre de la société bourgeoise, c´est-à-dire un individu séparé de la communauté, replié sur lui-même, uniquement préoccupé de son intérêt personnel et obéissant à son arbitraire privé. L'homme n'y est pas considéré comme un être générique; tout au contraire, la vie générique elle-même, la société, apparaît comme un cadre extérieur à l'individu, comme une limitation de son indépendance initiale. Le seul lien qui les unisse, c'est la nécessité naturelle, le besoin de l'intérêt privé, la conservation de leurs propriétés et de leur personne égoïste. »

Nous retrouvons la constante de la recherche et de la pensée : la communauté. Dans la société bourgeoise, l'homme est séparé; dans le communisme il y est intégré. Le parti, préfiguration de ce lui-ci, doit réaliser l'intégration de l'homme et, de ce fait, il n'y a plus d'individu. Le reste de la p. 195 jusqu´à 200 explique la genèse de la société bourgeoise et reprend des arguments qui furent développés dans la Critique à la philosophie de l´Etat. Ces éléments seront utilisés dans l'étude de l'histoire du mouvement ouvrier français pour expliquer le poids de la politique sur ce mouvement. Indiquons le résultat qui est essentiel pour expliquer les données sur la communauté donc la négation de la démocratie :

« L'homme ne fut donc pas émancipé de la religion; il reçut la liberté religieuse. Il ne fut pas émancipé de la propriété privée, il reçut la liberté de la propriété. Il ne fut pas émancipé de l´égoïsme de l'industrie, il reçut la liberté de l'industrie. » ( p. 200 )

Analyse ensuite de « la décomposition de la société bourgeoise en individus indépendants » mais aussi la division en homme politique et non politique ». De ce fait « La révolution politique décompose la vie bourgeoise en ses éléments, sans révolutionner ses élément eux-mêmes et les soumettre à la critique. » ( C'est ce qui est arrivé en France, en Inde ). La société bourgeoise est donc la destruction de la politique; en elle la politique n'est plus une fonction de l'homme réel : « ... l´homme politique n'est que l´homme abstrait, artificiel, l'homme en tant que personne allégorique, morale. » Qui va donc s´emparer de la politique, qui va donc gouverner les hommes ? le capital. C´est lui qui devient présupposition de l'homme. « L´homme véritable on ne le reconnaît que sous forme de l'individu égoïste, et l´homme réel sous la forme du citoyen abstrait. » ( p. 201 ). Voilà la démocratie sociale, la démocratie de l´égoïsme. « Ce n'est que sous le règne du christianisme, qui extériorise tous les rapports nationaux, naturels, moraux et théoriques de l'homme, que la société bourgeoise pouvait se détacher complètement de la voie de l´Etat, déchirer tous les liens génériques de l'homme et mettre à leur place l´égoïsme, le besoin égoïste, décomposer le monde des hommes en monde d´individus atomistiques, hostiles les uns aux autres. » ( p. 212 ).

Marx oppose la véritable émancipation : « toute émancipation n'est que la réduction, à l'homme lui-même, du monde humain, des rapports. » ( p. 202 )

De nouveau l'opposition entre l'émancipation politique, bourgeoise : « L'émancipation politique, c'est la réduction de l'homme d'une part au membre de la société et d'autre part au citoyen, à la personne morale. » et l'émancipation communiste : « L'émancipation humaine n'est réalisée que lorsque l'homme a reconnu et organisé ses forces propres comme forces sociales et ne sépare donc plus de lui la force sociale sous la forme de la force politique. » Il n'y aura donc plus opposition espèce-être humain particulier. Dans le capitalisme la force sociale existe sous la forme de la force politique. C'est le capital lui-même. Il assure la sécurité du capital, sa protection contre les hommes, puisque l'Etat capitaliste, c'est la force sociale devenue force politique.

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