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« Bilan » Contre-Révolution en Espagne - Présentation (8)


LA « COMMUNE » DE 1871

Une comparaison ( parmi d'autres ) s'impose, et oblige à critiquer le point de vue marxiste habituel, qui est ici celui de Marx lui-même. Après la Commune, Marx tire la leçon célèbre : « la classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre telle quelle la machine de l'Etat et de la faire fonctionner pour son propre compte » [28] . Or, Marx établit mal la distinction entre le mouvement insurrectionnel parti du 18 mars 1871 et sa transformation ultérieure, scellée par l'élection de la « Commune » le 26. La formule « Commune de Paris » recouvre les deux et masque l'évolution. Le mouvement initial est certes révolutionnaire, malgré sa confusion, et prolonge les luttes sociales de l'Empire. Mais il accepte ensuite de se donner un cadre politique et un contenu social capitalistes. En effet, la Commune élue ne change que les formes extérieures de la démocratie bourgeoise. Si la bureaucratie et l'armée permanente sont devenues des traits caractéristiques de l'Etat capitaliste, elles n'en constituent pas l'essence. Marx observe que :

« La Commune a réalisé ce mot d'ordre de toutes les révolutions bourgeoises, le gouvernement à bon marché, en abolissant les deux grandes sources de dépense : l'armée permanente et le fonctionnarisme d'Etat » [29] .

La Commune élue est largement dominée, on le sait, par des républicains bourgeois. Les communistes, peu nombreux et hésitants, qui auparavant étaient obligés de s'exprimer dans la presse républicaine, tant leur organisation propre était faible, ne pèsent pas lourd dans la vie de la Commune élue. Quant à son programme -- c'est le critère décisif -- on sait qu'il préfigure uniquement celui de la IIIe République. En dehors de tout machiavélisme de la part des bourgeois, la guerre de Paris contre Versailles ( très mal menée, et ce n'est pas un hasard ) sert à évacuer le contenu révolutionnaire latent, et à canaliser le mouvement initial vers une activité purement militaire. Il est curieux de noter que Marx définit avant tout la forme gouvernementale de la Commune par son fonctionnement, et non par ce qu'elle a effectivement fait. C'était bien « la représentation véritable de tous les éléments sains de la société française, et par suite le véritable gouvernement national » capitaliste, mais nullement en même temps « un gouvernement ouvrier » [30] . Nous ne pouvons étudier ici pourquoi Marx adopte une position aussi contradictoire ( au moins en public, pour l'A.I.T., car il se montre plus critique en privé [31]  ). En tout cas, le mécanisme de l'étouffement du mouvement révolutionnaire ressemble à 1936. Comme en 1871, la République espagnole fait tuer les éléments radicaux espagnols et étrangers ( naturellement les plus enclins à détruire le fascisme ), sans se battre elle-même sérieusement, n'utilisant pas tous les atouts dont elle dispose. Sans une analyse de classe de ce pouvoir ( comme de celui de 1871 ), ces faits apparaissent comme des « erreurs », voire des « trahisons », mais jamais dans leur logique.

 
Notes
[28] La guerre civile en France, Ed. Sociales, 1968, p. 38.

[29] La guerre civile en France, Ed. Sociales, 1968, p. 45.

[30] La guerre civile en France, Ed. Sociales, 1968, p. 49.

[31] Cf. le recueil La Commune de 1871, U.G.E., 10/18. 1971. Lorsqu'ils reprennent la position marxiste sur la destruction de l'Etat, Trotsky et Pannekoek ne se référent pas à la Commune de Paris, contrairement à Lénine plus tard dans L'Etat et la révolution. Cf. Anweiler, op. cit., p. 109, et Authier, Barrot, La gauche communiste en Allemagne, chap. III.

Sur 1871, cf. Ph. Riviale, La ballade du temps passé. Guerre et insurrection de Babeuf à la Commune, Anthropos, 1977.

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