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« Bilan » Contre-Révolution en Espagne - Présentation (14)


LA RÉVOLUTION PROLÉTARIENNE

Plus complexe, la position de La Révolution prolétarienne découle de son postulat syndicaliste résumé ainsi par J. Barrué en 1935 : « Ne sacrifions pas de gaieté de coeur un syndicalisme même imparfait dont l'unité, bientôt réalisée[en France en 1936] , nous a coûté tant d'efforts... » [52] . Documentés, les articles de L Nicolas sur l'Espagne donnent la matière d'une critique de l'anarchisme, du syndicalisme et de la guerre que Nicolas lui-même ne peut effectuer. D'autres, il est vrai, cherchent toutes les excuses possibles à la C.N.T., sans se rendre compte de l'énormité de leur position, comme Louzon qui écrit en août 1936 : « L'Etat, à l'heure actuelle, c'est la C.N.T. » [53] . La R.P. s'étonnera toujours des actes peu révolutionnaires de la C.N.T. : il n'y a pourtant rien de surprenant à ce qu'elle ne fasse pas un usage révolutionnaire d'un appareil construit pour la lutte réformiste ( violente le cas échéant ).

Nicolas veut assurer les réformes à l'arrière du front républicain pour que le front tienne : « à première vue, il pourrait paraître oiseux d'examiner les problèmes de la nouvelle organisation sociale tant que subsistera le danger de voir écraser par la botte fasciste toutes les tentatives dirigées vers la société nouvelle. Pourtant le facteur moral ayant une importance primordiale dans la guerre civile, il importe de savoir dans quelle mesure existent à l'arrière du front les conquêtes du prolétariat... » [54] . La première phrase répond à l'argument : « Guerre d'abord ». La seconde explique qu'il s'agit de donner aux ouvriers de bonnes raisons de soutenir l'Etat légal. Nicolas sait que « Le prolétariat espagnol se bat sur deux fronts » [55] , mais n'en tire pas la leçon qui s'impose sur la nature du conflit et la seule issue pour le prolétariat. Il décrit le développement d'une situation sans en éclairer le mécanisme. Dès lors ses informations ( exactes ) servent un but précis : faire porter le blâme sur les staliniens, et plus généralement sur les « partis politiques », voire un peu sur la C.N.T., mais jamais sur la politique antifasciste.

Pacifiste par principe, la R.P. refuse toute guerre contre Hitler, qui sera « la plus typiquement impérialiste qu'on ait connue depuis 150 ans » [56] , mais veut qu'on aide ( en armes, etc. ) la République espagnole. Elle dénonce la duplicité de l'Etat français, non la nature de l'Etat espagnol. Elle ouvre même ses colonnes à l'ambassadeur de la République à Paris [57] . Pour une frange radicalisée du prolétariat, dont des groupes comme la R.P. sont une expression, l'Espagne sert de début de justification à la guerre ( future ) contre le fascisme. Refusant jusque-là l'Union Sacrée, même contre l'Allemagne nazie, les prolétaires qui résistaient encore en viennent à l'accepter, comme « moindre mal » comparé à la victoire fasciste. L'antifascisme dirigé vers l'Espagne renforce le soutien au Front Populaire de nombreux groupes d'extrême gauche en France. Mieux vaut Blum que Franco. Par exemple, A. Ferrat veut « changer de fond en comble la politique du gouvernement » Blum, pour qu'il aide l'Espagne républicaine. Appelant toujours à l'impossible. ils n'ont jamais fini de dénoncer la « lâcheté » des antifascistes démocrates [58] .

La grande fonction idéologique de la guerre d'Espagne est de polariser les hésitants ( dans tous les pays où la résistance prolétarienne était encore vive, mais aussi dans les autres : de la Russie à l'Allemagne et l'Italie en passant par les démocraties ) autour de l'alternative démocratie/fascisme, présentée dans chaque camp comme la seule réponse au totalitarisme « ploutocratique » ou « fasciste ». Ceux qui avaient soutenu depuis le début des années trente, et plus encore depuis le rapprochement de l'U.R.S.S. et des démocraties occidentales, une forte ( quoique confuse et souvent néfaste ) propagande anti-guerre, basculent peu à peu dans le camp démocratique. Les plus inconsistants théoriquement craquent le plus vite, malgré leur radicalisme superficiel. Ainsi les anarchistes :

« Nous savons bien que l'Espagne de Negrin n'est pas celle que nous souhaitons, n'est pas celle même que souhaitent les ouvriers espagnols. Nous avons combattu ses erreurs, ses exactions mêmes. Mais aujourd'hui ce n'est pas une question de gouvernement, c'est l'avenir du mouvement ouvrier... »

« Ton avenir, peuple de France, se joue sur de nombreux points du globe. C'est toutefois sur l'Espagne que tu dois porter ton attention, elle attend ton salut, n'hésite plus, jette-toi dans la mêlée, il y va du sort du prolétariat espagnol, de ta liberté, et du maintien de la paix ! » [59] .

C'est le ralliement de l'extrême gauche à la mobilisation pour la guerre préparée par le Front Populaire. Comme en l9l4, il faut abdiquer toute prétention révolutionnaire pour sauver la civilisation de la barbarie. Pour les communistes, par contre, il n'y a pas de nouveauté de fond quant à la nature du conflit entre 1914-1919 et 1939-1945.

 
Notes
[52] No. 206, 10 septembre 1935. Les mêmes déplorent ensuite la mainmise « communiste » ( = du P.C.F. ) sur la C.G.T. réunifiée en 1936. cf. par ex. le no. 263, 25 janvier 1938.

[53] No. du 10 août 1936, cité par Alba, op. cit., p. 113.

[54] La Révolution Prolétarienne, no. 235, 25 novembre 1936. Les articles de Nicolas ont été reproduits en volume dans Les révolutions en Espagne, Belfond.

[55] No. 243, 25 mars 1937.

[56] No. 288, 10 février 1939.

[57] No. 287 et 288.

[58] Le Drapeau Rouge, 25 décembre 1936.

[59] Le Libertaire, in L'Internationale, no. 36, 20 avril 1938.

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