les révolutionnaires ont-ils
une contre-révolution de retard ?
(notes sur une classe impossible)
34. critique du positif |
La théorie révolutionnaire n'est pas la dénonciation, la critique négative de la société. Elle met au jour le pourquoi de ce qui existe, son origine, et les forces qui travaillent à bouleverser ce qui existe. Il faut dépasser l'opposition eschatologie/expérimentation sociale. On annonce la barbarie ou la fin du monde (voire les deux) si n'intervient pas la révolution, ou on plonge dans le quotidien. |
Pour dépasser cette opposition stérile, il faut passer par la critique du « révolutionnaire », ou du moins du révolutionnaire pathologique, celui qui ne réalise jamais ses désirs et vit dans l'attente perpétuelle de quelque chose, s'illusionnant et illusionnant les autres sur le caractère réellement intolérable de la situation. Rompre avec cette attitude, c'est rejeter pleinement les comportements religieux dont le militantisme n'est qu'un aspect. |
Il faut que la théorie qui se veut radicale ne se borne pas à poser perpétuellement le signe égal dès qu'elle aborde le sujet : |
démocratie capitaliste = dictature capitaliste |
En posant ces équations d'allure radicale, on répond à l'ordre social par une pure et simple opposition, sans dépassement, à peu près comme les soulèvements qui détruisent du capital sans entreprendre de construire autre chose et sont bientôt matés. C'est passer à côté des racines, à côté des relations réelles, c'est perdre de vue la force de la démocratie, de l'argent, du salariat, qui n'ont plus l'air de tenir que parce que les hommes sont des imbéciles qui ne comprennent pas où est leur intérêt véritable. Sans céder à la fascination du capitalisme, il faudrait pourtant se décider à dire pourquoi il tient et résiste si bien malgré son horreur, isoler sa vigueur historique et les contradictions dont elle peut mourir. |
Faire la critique du positif, c'est aussi parler du communisme autrement que dans les termes généraux où nous l'avons fait ici. C'est traiter des moeurs, de la biologie, de la ville, de l'agriculture, etc. A cet égard, le nº 1 de la revue était mieux équilibré que les nº 2 et 3, résultats de la nécessité ressentie de faire le « bilan ». Une revue révolutionnaire devrait consacrer au moins autant d'efforts à cette critique du positif qu'à la critique négative évidemment indispensable (il faut savoir ce qui se passe en Pologne, quelles sont les perspectives de guerre, etc.). Déblayer le terrain n'a d'intérêt que si c'est pour en faire quelque chose... |
... de l'ésotérique à l'universel... |
A suivre !
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« Pendant ces heures de nuit,
l'usine devient quelque chose dont il est possible de se faire une représentation :
dans chaque atelier, 100 à 120 ouvriers qui travaillent, des mecs
[agents de la Section du Contrôle Technique] qui avalent un morceau,
une poignée de chefs qui furètent dans les bureaux et, à.
la réception, quelques gardiens qui somnolent, les mains sur les
genoux. Qu'est-ce donc qui fait tenir ensemble un système aussi absurde ?
C'est la question que je me pose tandis que mes mains s'activent. » M. Haraszti, Salaire aux pièces, Seuil, 1976, p. 81. |
« Le four à puddlage [opération affinant le fer sorti du haut du fourneau pour le débarrasser du carbone] demeurait le goulot d'étranglement de l'industrie. Seuls des hommes d'une force et d'une endurance remarquables pouvaient demeurer pendant des heures au contact de la chaleur, tourner et remuer l'épaisse bouillie de métal liquescent, et retirer les grains pâteux de métal malléable. Les puddleurs étaient l'aristocratie du prolétariat, hommes fiers, hommes de clan, gens hors ligne au titre de la sueur et du sang. Rares étaient ceux qui vivaient passé leur 40e année [ ... ] Il y avait tout simplement une limite à ce que le corps humain pouvait supporter, et l'on en vint bientôt a la seule solution possible pour accroître le rendement : former plus de puddleurs et bâtir plus de fours [ ... ] On fit d'innombrables efforts pour mécaniser le four à puddlage - mais en vain. On pouvait faire des machines pour remuer le bain, mais seuls l'oeil humain, le toucher humain pouvaient séparer et retirer le métal décarburisé en train de se solidifier [ ... ] Le déséquilibre ne se corrigea que du jour où Bessemer [en 1856] et ses successeurs apprirent à faire de l'acier à bon marché. » D. Landes, L'Europe technicienne, Gallimard, 1980. |
« Le cycle de luttes qui s'achève à la fin des années 70 naît dans la crise des années 20, elle-même crise charnière de l'ancien et du nouveau. Ce cycle de luttes est marqué par le temps fort de la fin des années 50 et 60 qui au travers de la lutte sur les salaires, sur les, horaires posent l'hégémonie dans l'usine, le contrôle de celle-ci, [et] met en jeu des rapports sociaux et non seulement des questions quantitatives. La crise de la fin des années 60 est le moment où tout le mouvement du cycle de luttes peut déboucher sur un projet de réorganisation sociale [ ... ] De façon immédiate les caractéristiques de ce cycle de luttes se développent alors comme visée autogestionnaire, pouvoir ouvrier, devenir hégémonique, promotion de l'autogestion, développement sur toute la surface de la société de la contradiction entre dirigeants et dirigés, prise en main de sa vie [ ... ] Ce cycle de luttes dont le contenu a traversé depuis le début des années 60 tant les luttes d'OS que les luttes extra-travail ou le refus du travail, a trouvé dans ce qu'il est convenu d'appeler l' "autonomie" son achèvement. » Théorie communiste, no. 5, mai 1983. |
« Les industries d'assemblage étaient la citadelle des artisans qualifiés, car dans la période qui précéda l'apparition des calibres et des machines-outils automatiques, seule une main exercée pouvait fabriquer des éléments d'une précision acceptable, ou les ajuster les uns aux autres. Ces hommes étaient l'aristocratie du travail. Maîtres de leur technique, capables d'entretenir leurs outils aussi bien que de s'en servir, ils considéraient leur outillage comme leur propriété, même quand il appartenait à la firme. A leur travail, on peut dire qu'ils étaient autonomes. Pour la plupart, ils payaient leurs propres aides, et ils étaient nombreux à jouer un rôle de sous-traitants au sein même de la maison, négociant avec la direction le prix de chaque tâche, engageant les hommes nécessaires, et organisant le travail comme il leur plaisait [ ... ] Les meilleurs d'entre eux « faisaient » les maisons pour lesquelles ils travaillaient. Leur indépendance coûtait cher. [ ... ] Leur habileté et leur virtuosité étaient incompatibles avec le principe fondamental de la technologie industrielle la substitution de l'inanimé, précis et infatigable, à l'humain, qui s'en remet au tact et à l'effort. » D. Landes, L'Europe technicienne, Gallimard, 1980. |
« L'Angleterre [ ... ] est le démiurge du cosmos bourgeois. Sur le continent, les différentes phases du cycle que la société bourgeoise parcourt toujours à nouveau, prennent un aspect secondaire ou tertiaire [ ... ] Si, par conséquent, les crises engendrent des révolutions d'abord sur le continent, la raison de celles ci se trouve cependant toujours en Angleterre. Naturellement, c'est aux extrémités de l'organisme bourgeois que doivent se produire les explosions violentes, avant d'en arriver au coeur, la possibilité d'un équilibre étant plus grande ici que là. D'autre part, le degré d'intensité avec lequel les révolutions continentales se répercutent en Angleterre est en même temps le thermomètre qui montre dans quelle mesure ces révolutions mettent réellement en question les conditions d'existence bourgeoises, ou jusqu'à quel point elles n'en atteignent que les formations politiques. » Marx,Les Luttes de classes en France, 1850 |
La grève des mineurs de 1963 : chant du cygne de l'identité ouvrière.
De plus, dès 1945 on observait dans le Nord une fuite devant le métier de mineur : à plusieurs reprises les Houillères furent dans l'incapacité de remplir leu programme d'exécution, faute de personnel. C'est pourquoi, à partir de 1947, l'entreprise recruta à l'étranger des ouvriers régis par des contrats à durée limitée. En 1963, un tiers au moins, des mineurs de fond étaient originaires des pays voisins, de Pologne, d'Italie, du Maroc, alors que la quasi-totalité du personnel du jour était française. C'est pourquoi, les revendications salariales satisfaites, la défense de la mine ne mobilisa pas la population de la même façon que la sidérurgie. Cinq ans après, la grève de 1968 se fondit dans le cours national, tandis que l'annonce du nouveau plan de récession accéléra l'hémorragie de la main-d'oeuvre jeune et qualifiée. Quant au reste de la corporation la sécurité conquise a précédé de peu l'heure de la retraite.
La grève de 1963 ouvrit dans le Nord une crise d'identité dont là région n'est pas sortie. Décrétée « région-pilote »en 1959 par les responsables économiques régionaux, à une époque où textile, charbon et acier n'étaient plus des biens rares, elle prit conscience de ses archaïsmes : région d'industries primaires, d'émigration sous-scolarisée, sous-qualifiée, souséquipée. Avant que ne soit vulgarisée la notion de « désindustrialisation », le bassin minier devint un pays de rentiers. Les écomusées remplacent les usines, et les enfants des écoles parcourent corons, courées et cités à la recherche des mémoires. Le Monde août 1983. |