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les révolutionnaires ont-ils
une contre-révolution de retard ?
(notes sur une classe impossible)

 

33. rupture au point le plus avancé
Le mouvement révolutionnaire surgit à chaque grande crise sociale mais il peut aussi se laisser prendre au piège de la crise. Car les contradictions qu'elle révèle supposent aussi une adaptation du capital à des conditions mieux capables d'intégrer le prolétariat, contraint à la fois de s'adapter en même temps que le capital et de se dresser par là même contre lui. Capital et prolétariat se sont jusqu'à présent mutuellement entraînés dans le même mouvement, capitalisme et communisme se nourrissant l'un de l'autre sans ni l'un ni l'autre résoudre pour de bon sa crise. Tout mouvement social correspond à un besoin d'auto-réformation de la société et à son dépassement.
Si le prolétariat se forme en période de crise, il est lui-même un état critique car il tient à la fois du capital et de la négation du capital dont il est porteur.
A travers l'histoire, le lien social était trop limité pour une affirmation communiste : les exploités, quand ils se révoltaient, n'entreprenaient pas le changement total qui est le seul possible. Et quand ils le faisaient, leur mouvement restait isolé à l'intérieur de lui-même c'est-à-dire que les relations communistes ne s'enrichissaient pas entre les révoltés -- et isolé du reste du monde, les relations communistes ne connaissant pas d'extension géographique. On voit les esclaves se donner un royaume et reproduire -- en mieux -- les structures mêmes de leur asservissement (révolte de Sicile IIe siècle avant J.C.) ou alors chercher à sortir de la société pour rejoindre leur pays d'origine (Spartacus). Après la Guerre des Paysans, les insurgés de Münster s'enfoncent dans une dictature auto-destructrice. Au XIXe, les Taiping réorganisent la terre et leur travail, apportent beaucoup de changement mais sans aller plus loin que les zones libérées. Après une phase initiale offensive sur les plans militaire et social, les révoltés cessent d'agir, leur mouvement s'effondre de l'intérieur, avant d'être écrasé de l'extérieur.
Le capital crée d'autres conditions mais, en même temps, le travail salarié, dont nous avons dit l'inhumanité mais aussi la force d'attraction (par la socialisation qu'il apporte) enferme les prolétaires en eux-mêmes. C'est pour cette raison qu'une secousse communiste proviendrait plutôt d'un choc entre un capital surdéveloppé et une nébuleuse de relations collectives qu'il n'aurait pas réussi à se soumettre totalement.
Dire que le centre de gravité révolutionnaire se trouve dans les zones les plus modernes du capital, ce n'est pas faire du communisme une question de développement industriel. Le Vietnam ou le Cameroun ne sont pas plus éloignés du communisme que les EU. A bien des égards, ils en seraient même plus proches parce qu'ils ont été moins profondément pénétrés, moins ravagés par le capital. Aujourd'hui, le monde entier est capitaliste. Mais, si le communisme n'est pas « industriel », les espaces encore partiellement pré-capitalistes ne produisent pas, à eux seuls, les contradictions qui font mûrir une révolution communiste. Il ne s'agit donc pas d'inverser le tiers-mondisme en s'obnubilant sur quelques pays hyperdéveloppés.
D'ailleurs, le sous-développement est partout, au coeur même des EU comme en Afrique, et les formes les plus avancées, les plus poussées, artificielles même, du capital, sont présentes à Hong Kong comme à Londres et à Sao Paulo. Mais seuls les pays les plus atteints, investis sur toute leur étendue par les aspects les plus modernes du capital peuvent faire éclater leurs contradictions dans le sens qui nous intéresse. Le retard (du point de vue capitaliste) de l'arrière-pays brésilien suffit à étouffer une éventuelle insurrection communiste qui se produirait à Sao Paulo, et la condamne à garder la forme revêtue par ces innombrables émeutes du tiers monde, encore plus dures et plus violentes depuis une dizaine d'années : ce serait une explosion, une attaque négative des rapports marchands et pas une tentative de créer autre chose. Seule une société « réellement » soumise au capital (d'où la confusion dans la bouche de ceux qui parlent aujourd'hui de « domination réelle ») c'est-à-dire dans laquelle il ne se contente pas de vivre sur la société, mais la reproduit selon sa logique, connaît et porte la contradiction capital/communauté humaine à son point le plus élevé possible.
Ce qui importe, c'est le lieu où les contradictions spécifiquement capitalistes sont le plus poussées, le lieu où l'artificialité du capital apparaît en même temps qu'elle montre un autre possible et déchaîne donc bien plus qu'un cri, qu'un geste de rage, qu'une pure réaction peu soucieuse d'aller vers du positif. Il n'est pas question de chercher les pays les plus puissants, les plus riches. Nous ne sommes pas en quête d'un « centre » du capital mondial, mais d'un ensemble de conditions dans lesquelles la critique communiste en actes peut être une vraie critique du positif qui s'en prend au capital et non à ses insuffisances, à ce qu'il propose, et non à ce qu'il ne donne pas, au travail et non à son organisation -- bref, à la richesse capitaliste et non à la pauvreté. C'est en cela que nous regardons peut-être le Danemark plus que l'Inde, parce que la nature des contradictions sociales danoises pourrait être à l'origine d'une maturation communiste, d'une révolte créatrice contre le mode d'existence.
« L'ancienne Pologne est certes perdue et nous serions les derniers à souhaiter sa restauration. Mais ce n'est pas seulement l'ancienne Pologne qui est perdue. L'ancienne Allemagne, l'ancienne France, l'ancienne société tout entière est perdue. La disparition de l'ancienne société n'est cependant pas une perte pour ceux qui n'ont rien à perdre dans l'ancienne société. C'est le cas pour la grande majorité des hommes dans tous les pays [ ... 1
De tous les pays, c'est en Angleterre que l'antagonisme entre le prolétariat et la bourgeoisie est le plus développé. Le triomphe des prolétaires anglais sur la bourgeoisie anglaise est par conséquent décisif pour le triomphe de tous les opprimés contre leurs oppresseurs. Ce n'est donc pas en Pologne que la Pologne sera délivrée, mais bien en Angleterre. »
Marx, Discours sur la Pologne, 29 novembre 1847

 

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