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Communisme - Elements
De Reflexion (3)



DES RAPPORTS ENTRE LES HOMMES

Contre la déshumanisation

Le capitalisme est le règne des séparations compartimentant notre vie. L'usager, le producteur ( « productif » ou « improductif » ), le salarié comme le sans travail, dominés, perdent la maîtrise de celle-ci. Dépossédés de tout et de soi-même, on mène une vie parcellisée ( temps de travail/temps de loisir ), spécialisée ( orientation professionnelle, statuts définis et limités ), éclatée ( temps passé dans les transports pour des déplacements liés aux divisions géographiques de l'habitat et du travail, aux démarches à faire pour gérer sa misère ). Cette existence en miettes nous enchaîne à notre position d'usager, de consommateur. Elle conduit à des relations d'assujettissement, ou d'indifférence entre les êtres. Les différences d'âge, de sexe, d'aptitude, de connaissance, de penchant intellectuel et affectif, d'apparence physique, etc... toute cette diversité qui pourrait donner matière à une constellation de relations et d'interdépendances enrichissantes - tout cela est reformulé en un système d'autorité et d'obéissance, de supériorité et d'infériorité, de droits et de devoirs, de privilèges et de privations. Cette hiérarchisation des signes de différences ne se manifeste pas seulement dans les relations sociales : elle se répercute à l'intérieur de chaque individualité sur son mode d'appréhension des phénomènes naturels, sociaux ou intimes. Ce n'est pas seulement le mode d'agir ensemble et de communiquer qui est hiérarchisé, c'est aussi l'entendement et la sensibilité de chacun dans l'organisation du matériel énorme et divers fourni par les sens, la mémoire, les pensées, les valeurs, les passions,...

En liaison avec les autres conditionnements sociaux, l'éducation concourt à maintenir cette existence éclatée et hiérarchisée. C'est ainsi que l'homme voit sa vie scindée : les premières années pour « l'éducation », les autres pour le travail ( comme si l'apprentissage, la recherche d'un savoir, la curiosité vis-à-vis de nouvelles connaissances, ne pouvaient et ne devaient pas courir sur toute une vie !... ). Cette séparation entre la vie productive d'une part et l'éducation d'autre part n'est pas le fruit d'une nécessité humaine. Elle ne trouve pas sa raison d'être dans l'importance croissante du « savoir » à ingurgiter. En fait de savoir, l'école n'est qu'un simulacre. L'école c'est le lieu où l'on apprend à lire, à écrire et à calculer, mais surtout on y apprend à supporter l'ennui, à respecter l'autorité, à réussir contre les copains, à dissimuler et à mentir. Ce qui y importe, c'est que l'enfant apprenne à lire parce qu'il faut apprendre à lire, et non pour satisfaire sa curiosité ou son amour des livres. Le résultat paradoxal est que si l'école a fait reculer l'analphabétisme, elle a en même temps étouffe le goût et la capacité véritable de lire chez la plupart des gens.

L'école est l'apprentissage de la soumission et du renoncement. D'abord, il faut plus de temps pour dompter l'élève que pour lui apprendre quoi que ce soit. Les structures de contrôle, notation, encadrement, fichage, enflent à un rythme hallucinant, indépendamment du travail effectué. Ensuite, le peu d'enseignement dispensé est placé sous le signe de l'auto-effacement et de la rétrogradation permanente : tout résultat acquis est immédiatement dévalué, voire annulé. Ce qu'on vous a appris ce n'est rien; sans ce qu'on va vous apprendre, vous n'avez aucune chance. Ainsi, il faut que rien n'arrive, que la roue du conditionnement tourne. Demain est supprimé et sera remplacé par la morne répétition d'aujourd'hui. C'est pourquoi l'emploi du temps de l'écolier est calqué sur celui du travailleur. La soumission se travaille, s'apprend. L'école n'est que le purgatoire avant l'enfer ... Jamais les gens n'ont autant « appris », jamais ils n'ont été aussi ignares en ce qui concerne leur propre vie. Ils sont submergés par la masse des informations que déversent l'institution scolaire, les journaux, la télévision. Dans cette accumulation du savoir marchandise, tout est interchangeable et indistinct. C'est un savoir mort et incapable de comprendre la vie parce que sa nature profonde est justement de s'être détaché de l'expérience et du vécu.

Fondamentalement ce qui a fait tenir les sociétés de classes jusqu'à nos jours, c'est l'adhésion plus ou moins affirmée des exploités à la morale et aux représentations exprimant leur renoncement par rapport à une vie sur laquelle ils n'ont pas de prise, leur soumission à la domination et l'exploitation. Cette acceptation ne pourra être remise en question que par l'émergence de représentations de l'activité humaine exprimant un rejet des rôles stéréotypés dans lesquels celle-ci s'est jusqu'à présent figée et enlisée. Cet état de passivité est à proprement parler un état de déshumanisation de dépossession, mais qui ne signifie pas soumission totale ou adhésion au capital. Son emprise sur la vie ne fait que refouler l'humain, l'amour, la créativité, l'initiative. Les tentatives pour se protéger de cette emprise se soldent alors souvent par un enfermement dans le mensonge.

Dans les restes d'une famille réduite à sa plus simple expression ( les parents, les enfants, la télé ), l'hypocrisie domine. Les rapports entre parents et enfants atteignent souvent le fond de la dégradation, leur apparence reposant sur la possession en commun d'un certain nombre de marchandises. On présente alors comme de l'amour ce qui n'est que sécurité économique, affective ou sexuelle.

C'est aussi pour résister à la destruction de la vie personnelle par le capitalisme, que les individus aspirent à la propriété. Même si celle-ci constitue une garantie bien dérisoire contre la violence du monde et des « autres ». Elle n'empêche pas le bruit de passer dans des immeubles mal insonorisés; ni la pollution induite par les nécessités marchandes; ni le chômage remettant en cause le crédit qui a permis l'acquisition de la voiture ou de la maison; ni les expropriations; ni l'ennui; ... Si la notion de propriété recouvre une réalité, elle sert aussi à masquer la réalité du monde. La propriété est le produit de rapports humains qui sont des rapports de force reposant sur la violence et l'appropriation. La généralisation de l'argent a masqué cette violence ouverte en permettant au possesseur de disposer d'une puissance sociale sans utilisation directe de la force. Ainsi peut s'exprimer la distance ( réelle ou supposée ) qui sépare les uns des autres. Ainsi on peut savoir lorsque l'on est en affaire, qui dispose véritablement de la marchandise et qui n'en dispose pas. Jusqu'au 19º siècle, un certain nombre de règles limitaient encore le pouvoir du possédant, qui ne pouvait jouir que de la première coupe d'une prairie, devait permettre le glanage et la vaine pâture. Avec la généralisation des rapports marchands, la coutume locale ne suffit plus. Il n'en reste que des lambeaux dans les campagnes : droit de passage, d'adduction d'eau. La marchandise et le capital ont besoin d'un ensemble de règles valables indépendamment du caractère particulier de la situation. Dans le monde bourgeois, tout le monde est libre propriétaire. Le paysan l'est de son champs, le patron de son usine, l'ouvrier de sa force de travail. La propriété cache les rapports d'exploitation.

Pour une communauté humaine

Le communisme signifie la fin des séparations qui compartimentent notre vie. Les êtres humains ne peuvent plus y être définis comme de simples usagers. L'aspiration humaine au communisme signifie qu'il ne s'agit plus d'être ni consommateur ( de biens, de relations ), ni producteurs ( de marchandises ), mais de transformer l'activité humaine. Avec l'abolition du salariat et de l'argent, l'homme pourrait devenir réellement actif, agissant sur l'existence et son cadre et non plus « agi » par eux.

Cette fin des séparations se retrouverait au centre même du processus productif où toute notion de parcellisation du travail, de qualification, et même de professionnalisme serait remise en cause. Pour les apôtres du travail, c'est forcément une monstruosité de croire qu'un jour il n'y aura plus de manoeuvre ni d'architecte de profession, et que le même homme qui aura rempli la fonction d'architecte pourra aussi pousser la brouette ! Pourtant, que penser d'un monde qui éternise les manoeuvres de profession, pour qui la vie professionnelle est séparée des autres activités humaines.

Une société communiste cesserait d'opposer vie professionnelle, vie affective, ..., temps passé à consommer ou à produire. Les lieux d'éducation, de production, de distraction, ... ne seraient plus des univers clos étrangers entre eux. L'achèvement de ces transformations prendra peut-être du temps. Mais leur engagement ne pourra qu'être immédiat, tout comme l'abolition de la production marchande et du salariat, dès le début du processus révolutionnaire .

Pour accomplir une activité productive ou non, les gens ne seraient plus rassemblés par la force du capital. Leur association ne nécessiterait pas pour autant la résurgence de formes passées, comme la vieille famille patriarcale ( ou matriarcale ). Ils s'associeront, réunis par leurs goûts communs et leurs affinités, dans des liens où les relations entre personnes seront aussi importantes que leurs activités.

La domination qui transforme les êtres humains en instruments de production, en objets comme les outils et les machines, s'est aujourd'hui insinuée dans les profondeurs de la personnalité humaine, façonnant notre langage, nos gestes, nos attitudes les plus quotidiennes. Penser le communisme, c'est au contraire comprendre que nous devons en finir avec cette perception des individus en termes d'antagonismes où le « moi » n'est pas seulement une personne qui se distingue des « autres », mais une personne qui s'efforce de les dominer et de se les assujettir. Dans cette relation, la pensée de l'être individuel se définit par la domination des objets et la réduction des autres individus au rang d'objets considérés selon une utilité. Dans la mesure où les « besoins » individuels n'existent que pour eux-mêmes et ignorent l'intégrité de l'autre, l'autre reste pur objet et le maniement de cet objet devient appropriation. A cela s'opposerait une relation de complémentarité entre les hommes, ou l'autre serait reconnu comme une fin en soi, où le besoin de l'autre se définirait en termes de réciprocité. Ces liens seraient la négation des rapports de domination qui nient aujourd'hui tout rapport humain réel.

Ceci ne signifie pas que tout conflit sera aboli, mais qu'il n'y aura plus d'opposition irréconciliable entre groupes et intérêts humains. Il s'agit d'en finir avec le misérabilisme et les glorifications de l'affrontement; les définitions issues de la bourgeoisie qui considèrent que « l'homme est un loup pour l'homme » et que rien ne peut le changer. Le communisme n'abolira pas l'humain, mais le réhabilitera dans toutes ses possibilités qui vont bien au-delà d'une dépense agressive entre les êtres ( notre lot quotidien d'aujourd'hui ). Il ne s'ensuit pas que la vie sur terre sera « paradisiaque », mais que les rapports entre les personnes ne seront plus des rapports entre individus indifférents. Les gens pourront ou non se lier en dehors de toute contrainte extérieure.

Sans doute la dépendance existera toujours, mais elle signifiera complémentarité et non domination. Les jeunes enfants dépendront toujours des adultes pour la satisfaction de leurs besoins physiologiques élémentaires, ils auront toujours besoin que leurs aînés les assistent de leur savoir et de leur expérience. De leur coté, les générations âgées resteront tributaires des plus jeunes pour la reproduction de la société et pour l'indispensable stimulant que constitue l'esprit de recherche et d'innovation. Ainsi, la conception actuelle qui définit l'autre en termes de « supériorité » ou d'« infériorité » sera remplacée par une approche de respect et d'enrichissement mutuel. Il n'est pas d'autre « garantie » au développement d'une communauté humaine, pour laquelle il n'est pas question de régimenter les rapports entre générations, entre hommes et femmes, ... Tant pis si cela inquiète ceux qui n'imaginent pas de se passer de la garantie du gendarme, de l'instituteur ou du curé !

Dans le communisme, les vieillards ne seraient plus parqués dans des hospices-mourrisoirs : les enfants ne seraient plus attachés à leurs parents par la nécessité de manger. L'éducation ne serait plus une contrainte, antichambre du salariat. L'enfant apprendrait à lire et à écrire parce qu'il en ressent le besoin. Le monde enfantin n'étant pas séparé du reste de la vie sociale, cet apprentissage serait une nécessité impérieuse, tout comme celui de la marche et du langage. Il n'y aurait pour cela aucun besoin de parquer les jeunes à longueur de journées, alors que la possibilité de s'adonner à de multiples activités serait ouverte. La lecture ou tout autre apprentissage pourrait alors faire partie de la vie au lieu d'être obligation soumise à jugement et sanction.

Les rapports amoureux reposant sur l'amour, le mariage perdrait toute raison d'être. La question de savoir si deux ... ou trois ou dix personnes veulent vivre ensemble, ou même se lier par un pacte tacite ne regarderait qu'elles.

Dans le communisme, la fin des rapports de forces, de la violence, de l'antagonisme universel de chacun contre tous, ... impliquerait la fin de la propriété sur les choses et les personnes. Abolir la propriété, c'est en finir avec ses fondements : la domination de l'« autre » ( homme ou nature ); l'appropriation qui ne perçoit 1'« autre » que dans une relation d'utilité; la dégradation générale des rapports entre les hommes et entre ceux-ci et la nature.

On ne pourra plus « user et abuser » de quoi que ce soit pour la raison que l'on en est propriétaire. Rien n'appartiendra plus à personne. L'usage sera ramené à l'usage. Une bicyclette servira à se déplacer et non plus seulement à ce que monsieur Dupont, son légitime propriétaire, se déplace. L'idée même de la propriété sera vite considérée comme une absurdité. Savoir si pour des raisons sentimentales ou autres les êtres humains ou certains d'entre eux ont besoin d'un territoire donné et d'objets auxquels ils puisassent s'attacher n'est pas de l'ordre de la propriété. La sécurité matérielle et affective de chacun se trouvera d'ailleurs renforcée : la disparition des rapports de force, de l'argent, permettra des relations humaines ou chacun devra pouvoir ce nourrir, s'abriter, s'habiller, être seul ou parmi les autres, à sa convenance. C'est l'intérêt de la personne en cause qui prévaudra, et non plus le droit de propriété, la force ou l'argent dont elle dispose ou ne dispose pas. La fin de la violence institutionnalisée et de l'indifférence permettra à chacun d'être tranquille, sans se détruire ni s'ignorer.




Nouvelles de nulle part ( extrait )

Comment On Résout Certaines Questions

« Et, dis-je, quels sont vos rapports avec l'étranger ?

- Je ne ferai pas semblant de ne pas savoir ce que vous voulez dire, répondit-il, mais je puis vous indiquer immédiatement que tout le système de luttes et de rivalités nationales qui joua un si grand rôle dans le « gouvernement » du monde civilisé, a disparu en même temps que l'inégalité d'homme à homme à l'intérieur des sociétés.

- Cela ne rend-il pas le monde bien ennuyeux ? dis-je.

- Et pourquoi ? dit le vieillard.

- Cette oblitération de la diversité des peuples, dis-je.

- Sottise ! répondit-il d'un ton sec. Passez la mer, et rendez-vous compte. La variété ne vous manquera pas : paysages, architecture, nourriture, distractions, tout varie. Les hommes et les femmes varient par l'aspect physique, comme par leurs habitudes d'esprit; et les costumes varient bien plus qu'ils ne le faisaient à l'époque commerciale. En quoi ajouterait-on à cette diversité ou dissiperait-on l'ennui, en contraignant certaines familles ou tribus, souvent hétérogènes et disparates, à s'unir pour former artificiellement et automatiquement des groupes, en appelant ces groupes des nations, et en stimulant le patriotisme de celles-ci, autrement dit les préjugés de la sottise et de l'envie.

- Ma foi, je n'en sais rien, dis-je.

- Bravo ! dit gaiement Hammond. Vous n'aurez aucune peine à comprendre que, maintenant que nous sommes débarrassés de ces sottises nous nous rendons compte clairement que cette diversité même des races différentes qui composent le monde peut les rendre utiles et attrayantes l'une à l'autre, sans qu'elles désirent le moins du monde se voler ce qu'elles ont : nous sommes tous engagés dans la même entreprise, qui est de tirer le meilleur parti possible de notre vie. Et je dois vous dire que, quels que soient les dissentiments et les malentendus qui s'élèvent, c'est rarement entre gens de races différentes; il s'ensuit qu'étant moins déraisonnables, il est d'autant plus facile d'y mettre fin.

William Morris 1889





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