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Bilan et contre-bilan (3)


Pas de « tout ou rien »

Le fonds commun ultra-gauche ne contenait pas de quoi entretenir une culture radicale du tout ou rien autorisant n'importe quel renversement ou pirouette - jusqu'à l'absurde et l'ignoble.

Dire : l'alternative fondamentale est « capitalisme ou révolution », et non « démocratie / dictature », ne rejette pas celles-ci dans une sphère extérieure à nous, comme celui qui n'irait jamais à la campagne ni à la mer et préférerait la montagne. L'issue dépend de l'action et aussi de la nôtre -même si parfois toute perspective est bloquée, comme à la fin des années 30.

Seul un myope politique se moque d'une lutte salariale. Constater que 10.000 F par mois est généralement préférable au RMI, n'interdit ni de comprendre l'un et l'autre comme des produits d'un même système qui demain peut-être versera seulement le RMI à celui qui touche aujourd'hui 10.000, et donc d'oeuvrer à un monde sans salaire, ni de participer à une lutte pour une augmentation salariale même modeste.

Cependant toute action pour le salaire ne contribue pas à l'abolition du salariat. Avant 14, les révolutionnaires ne s'opposaient pas aux réformes sous prétexte qu'un logement et une nourriture meilleures endormiraient l'ouvrier, mais luttaient contre tout ce qui plaçait la lutte ouvrière sous contrôle patronal et étatique ( réglementation des conflits, bureaucratisation du mouvement syndical, etc. ). Il y a des grèves qui enchaînent mieux encore au salariat, d'autres qui réalisent une fraternité, une réunion au-delà des catégories : ce sont bien sûr celles-là que nous appuyons dans la mesure de nos forces.

De même, le révolutionnaire soutient toute action pour un droit élémentaire « démocratique » ( liberté d'expression dans l'entreprise et dans la rue, appui à un étranger discriminé... ). Par exemple, les petits réseaux constitués pour cacher des expulsables, comme l'intervention massive pour empêcher l'embarquement forcée d'un non-Français sur un avion, sont à la fois une résistance à la xénophobie d'Etat et une critique en actes du FN.

Tout ne s'équivaut pas : la ratonnade policière déchaînée dans Paris en octobre 61 était plus grave qu'une vérification d'identité de 30 secondes à la suite de laquelle on me rend poliment mes papiers. Simplement, celui qui opère sur moi ce banal contrôle a potentiellement tous les droits sur ma personne, et son geste a toujours pour but de le rappeler. Autant il est positif de dénoncer les bavures et la présence d'authentiques fascistes dans les rangs policiers, autant il est irresponsable de militer pour une police respectueuse des droits de l'homme et de préférence dirigée par un gouvernement de gauche. Que le ministre de l'Intérieur s'appelle Mitterrand ou Pasqua, la tradition républicaine n'hésite jamais à réprimer ou exclure.

Contre le mouvement de 68, la bourgeoisie disposait d'armes multiples ( notamment des syndicats étouffeurs de grève ) mais ne recourut pas au racisme : l'action commune unissait les salariés. Aujourd'hui, 15 ans de défaites revendicatives ont permis de constituer un groupe comme catégorie distincte : « les immigrés ». La propagande raciste n'a mordu que sur une classe ouvrière déjà divisée et passivisée. Ce n'est pas en exigeant l'extension à l'étranger d'un droit de vote illusoire pour le citoyen français qu'on dissoudra les clivages. Peu d'actes collectifs supposent autant de passivité que les élections. Est positif ce qui rassemble contre le patron et l'Etat, et l'on ne brisera pas la division par des campagnes humanistes (« Tous les hommes sont frères »), mais par une pratique recomposant une communauté solidaire, ne serait ce qu'en plaçant le Malien et le Breton côte à côte dans une grève pour 1 F de plus de l'heure.

Par conséquent, sur ce terrain non plus, l'ultra-gauche n'était porteuse d'aucune indifférence qui invite à céder à un racisme rampant, et proposait au contraire des moyens de le combattre.


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