Back Forward Table of Contents Return to Homepage

Un Monde Sans Argent : Le Communisme
V. Argent Et Estimation Des Couts



GRATUITÉ

De la disparition de l'argent dans la société communiste on est souvent tenté d'en conclure qu'il n'y aura plus de problèmes de coût à régler, qu'il ne faudra plus estimer la valeur des choses. C'est une erreur fondamentale.

Qu'un bien ou un service quelconque soit gratuit est une chose. Que par là il ne coûte rien en est une autre. L'illusion provient directe-ment du fonctionnement du système marchand. On est amené à assimiler coût et paiement. L'on ne voit plus que le paiement, la dépense moné-taire. L'on oublie la dépense en efforts et en matériaux qui est à l'o-rigine du produit.

Aussi bien pour le capitalisme que pour le communisme la gratuité ne veut pas dire absence de dépenses. La différence entre la gratuité com-muniste et la gratuité capitaliste est que cette dernière n'est qu'une fausse gratuité. Le paiement n'est pas inexistant, il est simplement différé ou déplacé. Que l'école et la publicité soient gratuites ne veut pas dire qu'elles soient extérieures au système marchand et que le consommateur ne soit pas finalement le payeur. La marchandise gratuite est fort perverse. Elle signifie consommation imposée ou semi-imposée, difficulté à choisir et à refuser ce que l'on vous "offre".

Dans la société nouvelle le coût des choses devra être connu et si il le faut, calculé. Non par maniaquerie comptable ou pour éviter des tromperies devenues sans raison. Il s'agira de prendre en compte la dé-pense provoquée pour savoir si elle se justifie, pour la réduire si possible. Il faut évaluer l'impact positif ou négatif que provoque sur l'environnement humain et naturel la satisfaction d'un besoin ou la mise en oeuvre d'un projet.

Une aiguille, une voiture justifient-elles le tempe et la peine con-sacrés à leur production et les désavantages afférents à leur utilisati-on ? Vaut-il mieux implanter une unité de production à tel ou tel en-droit ? Telle production justifie-t-elle que l'on réduise des stocks de minerais limités ? On ne peut laisser agir le hasard ou l'intuition. Il est facile de comprendre que tout cela implique estimation, calcul et prévision.

Si nous conservons la notion de coût si chargée d'économisme c'est parce qu'il ne s'agit pas simplement de choix et de mesure, d'un proces-sus intellectuel mais de dépense physique. Quel que soit le niveau tech-nique atteint il y aura des activités qui coûteront et des tâches plus pénibles que d'autres. Que tout devienne facile et indifférent serait une chose triste et plus étrangère à une société communiste qu'à une autre.

La marchandise présente une double face : valeur d'usage et valeur d'échange. Elles paraissent relever de deux ordres irréductibles.

La valeur d'usage, l'utilité relève du qualitatif. L'utilisateur compare et apprécie ce qui lui convient le mieux, un avion ou une oran-ge. Le choix ne peut être indépendant de sa situation et de ses besoins concrets.

La valeur d'échange relève du quantitatif. Les biens s'évaluent tous et s'ordonnent objectivement en fonction d'un étalon unique qu'il s'a-gisse d'avion ou d'orange.

Le communisme n'est pas tant un monde ou se perpétue une valeur d'u-sage enfin débarrassée de la valeur d'échange qui la parasite, qu'un monde où la valeur d'échange se nie et redevient valeur d'usage. L'avan-tage et le désavantage relèvent du même ordre de choses et ne sont plus accolés et séparés dos à dos. La valeur cesse d'être la valeur pour réapparaître comme dépense concrète et diversifiée. Le travail cesse d'être le fondement et la garantie de la valeur. Il n'y a plus un étalon unique permettant des comparaisons quantitatives entre tout mais des dé-penses et des travaux concrets, différemment pénibles qu'il convient de prendre en compte. En cessant d'être le support de la valeur et d'être unifié par le processus de l'échange le travail cesse d'être le TRAVAIL.

"L'économie bourgeoise est une économie double.

L'individu bourgeois n'est pas un homme, mais une maison de commerce. Nous voulons détruire toutes les maisons de commerce. Nous voulons sup-primer l'économie double pour en fonder une d'une seule pièce, que l'his-toire connaissait déjà à l'époque où le troglodyte sortait pour cueillir autant de noix de coco qu'il avait de compagnons dans la caverne, avec ses mains pour seul instrument." ( Bordiga, Propriété et Capital )

Il y aura gratuité parce que le "don" remplacera la vente. Ceux qui effectueront telle ou telle tâche dans le but de se satisfaire directe-ment eux-mêmes ou d'être aussi utiles à d'autres paieront directement par l'effort fourni.

Est-ce très nouveau ? Non, puisque même aujourd'hui l'idée ne vien-drait à personne de faire payer pour une discussion ou une dispute le prix de sa salive. Dans une conversation on n'échange pas un certain temps de parole ou une certaine quantité de décibels, on s'efforce de dire ce que l'on a à dire parce que l'on estime que l'on a à le dire. L'interlocuteur ou l'auditeur ne vous doit rien en échange de son at-tention. L'espoir d'une réponse, le risque de se heurter à l'incompré-hension, au silence, au mensonge font partie du jeu. Ils ne sont ni l'attente du paiement ni le risque du marché. Dans la vie courante la parole n'est pas une marchandise, parler n'est pas un travail.

Ce qui vaut encore aujourd'hui pour la parole lorsqu'elle n'est pas enregistrée et diffusée comme marchandise vaudra demain pour toute pro-duction. L'estimation du coût ne sera plus distinct de l'effort à accomplir. Le préalable, le premier pas du calcul sera l'impulsion qui portera vers telle ou telle activité. Un livre ou une chaussure seront "offerts" comme peuvent l'être aujourd'hui des mots. Le don implique jusqu'à un certain point réciprocité, la parole appelle la réponse, mais cela n'est plus le processus anonyme et antagoniste de l'échange.



Back Forward Table of Contents Return to Homepage