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le roman de nos origines
compréhension de la contre révolution et reprise révolutionnaire

 

La Vieille Taupe
Quand Socialisme ou Barbarie eut rejeté pour de bon la théorie révolutionnaire « classique », une minorité en sortit et se regroupa en 1963 autour du journal Pouvoir Ouvrier. PO voulait reprendre les bons aspects de S. ou B., en ignorant le fil conducteur qui reliait les origines de S. ou B. à sa déviation ultérieure. PO était en-deçà de la gauche allemande sur bien des points : les syndicats, le parti, l'impérialisme et la question nationale, etc. En fait, y coexistaient des tendances ultragauche, unies seulement sur les questions du caractère capitaliste de la Russie et de la gestion ouvrière. A sa tête se trouvait Véga, un des anciens de la gauche italienne qui avaient rejoint S. ou B. peu après sa fondation. Mais ces ex-« bordiguistes » n'avaient rien apporté de bordiguiste à S. ou B., n'ayant trouvé dans la gauche italienne qu'un léninisme plus pur que celui des trotskystes, complété par les thèses sur le capitalisme d'État et la gestion ouvrière.
Mensuel polycopié au millier de lecteurs, PO était fait comme s'il avait été lu par 100 000 prolétaires chaque semaine. Rares étaient les articles de fond. Souvent ces derniers étaient l'oeuvre de Pierre Souyri, sous le pseudonyme de Brune, qui était l'auteur de deux textes essentiels sur la Chine parus dans S. ou B.
En 1965, Pierre Guillaume, membre de S. ou B. puis de PO, fonde la librairie la Vieille Taupe, rue des Fossés-Saint-Jacques à Paris. Autour d'elle s'agrège un pôle de réflexion et d'activité où l'on s'intéresse autant à l'I.S., qui entretint quelque temps des rapports avec la V.T., qu'à la gauche italienne, connue alors presque uniquement à travers le filtre du Parti Communiste International (PCI). P. Guillaume prend part, par exemple, à l'édition en anglais du texte de l'I.S. sur les émeutes de Watts. PO, se sentant sans doute vulnérable au point de craindre que ce (second) pôle pût menacer l'unité et la vie du groupe, organise un procès délirant, en septembre 1967, à la suite duquel Pierre Guillaume et Jacques Baynac sont exclus pour « travail fractionnel »... Une bonne demi-douzaine d'autres membres démissionnent. Il se forme ainsi un groupe informel que tout le monde appelle « La Vieille Taupe ».
Dès ses origines, la librairie refuse une étiquette doctrinale. Ce n'est ni le local de PO (tant que P. Guillaume en est membre), ni sa librairie. A une époque où il est difficile de se procurer les textes révolutionnaires essentiels, peu nombreux sur « le marché », épuisés, etc., elle veut d'abord y faciliter l'accès. Le simple fait de sélectionner des textes de Marx, Bakounine, l'I.S., Programme Communiste (organe du PCI), les textes de l'ultra-gauche, prend en 1965 un sens théorique et politique. A sa façon, la Vieille Taupe participe à la synthèse théorique indispensable à toutes les époques. Elle dépasse les sectes sans rassembler tout ce qui est « à gauche du PC », comme Maspéro (à qui il arriva de refuser de vendre Voix Ouvrière, ancêtre de l'actuel L.O., parce que ce journal se montrait trop hostile aux partis et syndicats de gauche !).
En 1967, la librairie racheta les restes considérables du fonds Costes, seul vrai éditeur de Marx en France avant-guerre, quand le PCP se préoccupait plus de publier Thorez et Staline. Début 1968, Le Capital étant épuisé aux Editions Sociales, le seul lieu où l'on peut s'en procurer les trois Livres est la VT. La librairie diffuse les invendus de S. ou B., mais aussi les Cahiers Spartacus, qui avaient publié beaucoup de titres après la guerre, sur l'ensemble du mouvement ouvrier de l'extrême-gauche à l'extrême-droite. Des milliers d'exemplaires de Luxembourg, Prudhommeaux..., qui dormaient depuis des années dans une cave de la mairie du Ve arrondissement sont ainsi de nouveau offerts au public.
La VT ne niait pas le besoin de cohérence. Elle estimait seulement qu'on ne pouvait l'atteindre ni à partir d'un seul des courants radicaux (tous unilatéraux) d'alors, ni en se mettant à l'écoute des ouvriers (comme ICO), ni en étudiant les formes qu'avait prises le capitalisme moderne (comme l'aurait souhaité Souyri, qui se tint à l'écart des remous provoqués par la scission de PO). Mais par une appropriation théorique de l'ensemble des courants de la gauche communiste (et donc aussi du sol historique sur lequel ils avaient vu le jour), de l'I.S., et par une réflexion sur le communisme et en particulier sur l'apport de Marx.
Le petit groupe hétérogène sorti de PO eut peu ou n'eut pas d'activités « publiques » dans les mois qui précédèrent mai 68. Pour l'essentiel, il lut collectivement Le Capital et commença à assimiler les composantes de la gauche communiste, ainsi que l'I.S. La VT n'était pas un groupe; c'était plutôt le lieu de passage de divers fils, avec une dominante anti-léniniste où la venue d'Invariance créait une perplexité nouvelle.
Il serait absurde de prétendre que l'existence de ce petit regroupement ait joué un rôle décisif en mai 68 ou après. Ce qui s'est passé là, dans des conditions privilégiées parce qu'on y profitait des expériences transmises par divers groupes ayant déjà passé au crible une foule d'idées et de faits, s'est bien sûr produit aussi ailleurs -- souvent dans la confusion, parfois peut-être avec plus de clarté. L'important c'est que le processus de maturation théorique sans lequel la secousse de 1968 serait allée moins loin, ait concerné ces points-là : le communisme, la fonction de la démocratie, la spontanéité prolétarienne, et non pas la kyrielle de faux problèmes véhiculés même par une partie de l'ultra-gauche (conscience, direction, gestion, autorité, etc.). Mai 68 n'était pas une révolution ( !), mais ce que fut ce mouvement n'aurait pas existé sans cette maturation-là.

 

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