Le chantier de l'emploi - 1
Le placement
Le chantier de l'emploi doit débuter par la mise en place de mécanismes
de placement adéquats. Donc, par un inventaire de nos ressources
humaines et une analyse des emplois qui constituent notre système
de production. Une solution à long terme au chômage ne viendra
que de la formation; mais des mécanismes de placement efficaces sont
indispensables pour tirer le meilleur parti possible de la situation présente.
Les mécanismes de placement dont nous disposons aujourd'hui ne sont
pas adéquats.
Il existe, bien sûr, des Centres d'Emploi du Canada et des Centres
de Main-d'oeuvre du Québec. Mais dans un monde où chômage
comme solitude sont omniprésents, constatons que ce sont les systèmes
de rencontres sentimentales qui ont proliféré; il n'y a pas
de vaste système de "télé-rencontres" professionnel,
facile d'accès, pour faire la paire entre les demandes et les offres
d'emplois.
On nous dira qu'il n'y en a pas parce que la confusion règne entre
Québec et Ottawa. Il est vrai que les deux systèmes de main-d'oeuvre
sont mal arrimés, qu'ils se repartissent les tâches de façon
inefficace et que, somme toute, il serait préférable que l'un
des deux disparaissent. Ceci dit, toutefois, ni un palier de gouvernement
ni l'autre n'a mis en place, à ce jour, des techniques modernes d'information
qui faciliteraient vraiment le "mariage" entre l'offre et la demande
de travail. Il faut le faire. Et pour le faire, il faut connaître
le travailleur, connaître l'emploi, et établir efficacement
le contact entre les deux.
Connaître le travailleur: inventaire et reconnaissance des acquis
Un travailleur, pour celui qui l'emploie, c'est une ressource humaine: le
dépositaire d'une "compétence", c'est-à-dire
d'une aptitude mise en valeur par une connaissance. Ces connaissances que
possède chaque travailleur, qu'il les aient acquises en formation
ou par l'expérience, nous devons les identifier si nous voulons affecter
correctement le travailleur et satisfaire à l'offre d'emploi. Les
diplômes du travailleur font foi des connaissances qu'il a acquises
en formation, mais un examen et quelques tests seraient nécessaires
pour valider celles qu'il a acquises par expérience.
Malheureusement, nous ne faisons pas systématiquement cette validation.
Nous avons été réticents, par le passé, à
reconnaître les acquis de l'expérience, que cette réticence
ait caché la crainte du système de formation de comparer son
apport à celui de l'expérience ou celle de ceux qui sont habilités
à pratiquer un métier de voir s'y arriver des intrus.
Faute de cette reconnaissance des acquis, nos 861 000 sans-travail ne sont
pas identifiés en termes de toutes leurs compétences, même
pas de celle, évidente, de pouvoir s'acquitter dans un poste différent
de toutes les tâches qui sont des composantes essentielles du métier
qui leur est reconnu. Nous en sommes encore au stade où l'on ne tient
compte que d'une parcelle de la compétence du travailleur, souvent
limitée aux exigences du dernier poste qu'il a occupé. Quant
à ceux-là qui ont un emploi, nous connaissons plus mal encore
tout ce dont ils sont capables.
Nous ne connaissons pas les travailleurs du Québec ni leur potentiel;
c'est une lacune qui doit être comblée. D'abord, parce qu'il
est équitable qu'elle le soit et, aussi, parce que la rationalisation
des ressources humaines exige que soient connues les compétences
de chacun. Nous ne connaîtront vraiment les ressources humaines dont
nous disposons que quand nous en aurons fait l'inventaire.
Il faut identifier tous les travailleurs du Québec selon leurs compétences
et donner à chacun sa vraie «Carte de Compétence.
» Il faut savoir non seulement de quoi, mais de qui on parle, quand
on discute des sans-travail, des travailleurs autonomes et des autres. Pour
réaliser cet inventaire de nos ressources humaines, il faut que l'information
pertinente à chaque travailleur s'inscrive dans une grille universelle
et surtout que la correspondance soit établie entre les codes du
Ministère de l'Éducation et les codes utilisés sur
le marché du travail. Ce travail, promis depuis une génération,
n'a jamais été fait.
La province ou le pays qui fera cet inventaire aura - entre autres - un
avantage déterminant sur ses concurrents au moment d'attirer les
investisseurs. Le palier de gouvernement qui disposera de cette information
aura la maîtrise effective de ses ressources humaines, quel que soit
le résultat des négociations à cet effet.
Connaître l'emploi: une analyse des tâches et des postes
de travail
Pour apparier correctement le travailleur et un poste de travail, il
faut connaître aussi les caractéristiques du poste. C'est un
travail ardu. Cependant - et pavoisons, Québec, quand nous en avons
l'occasion ! - il y a des années que le Ministère de l'Éducation
a développé un système d'analyse des postes de travail
couplée à une méthode de préparation de programmes
didactiques qui est peut-être le plus performant au monde. Nous avons
exporté ce système en Tunisie, au Maroc, au Portugal et ailleurs...,
même au Ruanda !
Ce système, qui existe déjà, pourrait-être généralisé
à toutes les entreprises québécoises de plus de 20
employés. Avec quelques modifications, il pourrait même s'avérer
utile pour toutes les entreprises de 5 employés et plus. Si l'usage
en était généralisé, on disposerait de l'ensemble
d'arrivée sur lequel viendrait s'appliquer la "Carte de Compétence"
qui résulterait d'un inventaire de nos ressources humaines. Nous
pourrions alors faire des mariages vraiment heureux entre l'offre et la
demande de travail.
Établir le contact: embauche «à la carte»
Si nous faisions cet inventaire des ressources et cette analyse des postes
de travail, le travailleur, à partir d'un guichet automatique, pourrait
introduire sa Carte de Compétence et connaître sur le champ
tous les emplois disponibles pour lesquels il est qualifié. Par une
opération supplémentaire, il pourrait, s'il le veut, obtenir
plus de renseignements sur l'emploi disponible et transmettre par fax, à
l'employeur de son choix, son nom et ses coordonnées, voire tout
son résumé déjà inscrit au système. Ceci
est aujourd'hui, sur le plan technique, tout à fait possible. Le
coût de fonctionnement d'un tel système est négligeable.
Le coût net de sa mise en place est nul, dans la mesure où
les ressources requises pour le faire existent déjà: il s'agit
seulement de les réassigner.
Résoudre le chômage frictionnel
Ne nous faisons pas d'illusions. Faciliter le placement ne résout
pas à long terme le problème de l'emploi, car inventaire des
ressources et analyse des postes sont des prérequis aux solutions
plutôt que les solutions même. On réduit ainsi néanmoins
le "chômage frictionnel", lequel dépend en grande
partie des délais de rencontre, et c'est peut-être 1 à
2 % de la main-d'oeuvre - 35 000 à 70 000 personnes - qu'on retourne
au travail. Peut-être. Même si on ne créait de cette
façon que 20 000 emplois, cependant, souvenons-nous que ce serait
encore 30 fois ce qu'a créé à Sept-Iles l'Aluminerie
Alouette, laquelle a exigé un investissement de 1,5 milliard
de dollars... et a créé moins de 700 emplois.
Faciliter le placement ne résout pas à long terme le problème
de l'emploi; pour le faire il faudrait aussi le revenu partagé, le
revenu garanti et une formation professionnelle sur mesure en entreprise.
Mais le placement a le mérite d'être une solution de consensus
et immédiatement applicable. Pourrions-nous au moins poser ce premier
geste? (à suivre)
PJCA
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